vendredi 28 décembre 2012

Les godelureaux des lettres


 
C’est le mot qui passe : à l’heure où Bernard Pivot twitte, Nicolas Bedos et Nicolas Rey ne seraient pas sérieux. Le genre à affoler les étudiantes, passer des soirées frivoles, célébrer les amours dilettantes et le temps des copains. Ne pas en parler, donc, dans les colonnes sévèrement tenues par les « professionnels de la profession » littéraire.
Pour exciter encore plus les jaloux, Bedos et Rey s’affichent sur les plateaux télé, chroniqueur ou invité vedette, parfois même sur grand écran. Ils pourraient d’ailleurs sortir des Godelureaux, un Chabrol millésime 61, où des gandins troussent leur vie avec légèreté et provocation.
Aggravant leur cas, ils écrivent aussi dans les journaux des papiers forcément superficiels. Longtemps, Nicolas Rey en a profité pour signer de beaux portraits d’actrices de Brisseau ou de traductrices de Dorothy Parker. Nicolas Bedos, lui, tient dans Marianne son Journal d’un mythomane où il castagne Copé, suit Jean Dujardin à Hollywood, envoie des fleurs à Anne Sinclair et Laure Sainclair. Dernièrement, il a salué L’Amour est déclaré, « le formidable roman de la gueule de bois » de Nicolas Rey : « Françoise Sagan n’est donc pas morte, puisque Nicolas Rey revit. »
Bedos a raison : L’Amour est déclaré est un joli texte à l’imparfait, feuilles arrachées au temps. Rey, après avoir énuméré ses défaites de l’alcool dans Un léger passage à vide, nous raconte sa vie de Patachon grisonnant et fragile. Une Maud sensuelle, fille d’un acteur célèbre, apparaît. Un psychanalyste et un agent déjanté sont de la partie. Michel Platini et John McEnroe, aussi. Un père parle à son fils. Ca hésite entre la passion et la retenue, trouvant son parfait déséquilibre.
Bedos a raison, encore, quand il vante, d’une parenthèse, les mérites du premier volume de son propre Journal, paru en 2011 : « Lis-le, ça peut changer ta vie. » Dans Marianne, d’ailleurs, Bedos est désormais le seul à avoir raison, c’est-à-dire à avoir du style. Une année particulière, deuxième tome de son Journal, en apporte la preuve, par-delà les figures imposées de l’actualité- ce gros mot – et quelques facilités. D’une zébrure de plume, Bedos offense une blonde diaphane et blessée : « Euthanasie ta mère et termine ton bouquin. » Il saisit, sur le vif et par la grâce de dialogues au couteau, les affres d’une campagne présidentielle. Il défend Patrick Besson, coupable d’avoir mis l’accent sur Eva Joly. Il peut surtout suivre les méandres de sa ligne de cœur, l’appeler Pom, et offrir des phrases qui, quelle que soit la saison, touche pleine cible mélancolique : « Je me balade, seul, dans cette maison bondée de fantômes de mes amours ratées […] Je revois chacune d’entre elles, à quelques années d’intervalle, débarquant début juillet par la même baie vitrée, sur la même terrasse, une valise d’enthousiasme à la main […] Je revois C. me quitter dans le jardin, N. m’engueuler près des rochers, E. s’endormir sur le hamac et ma Pom adorée planter du basilic à deux heures du matin. Pour vous, c’est quelques lettres dans une chronique bavarde, pour moi, c’est un carambolage de vies, un mille-feuilles de gonzesses remariées qui font de ce paradis un cimetière sentimental […] Demain, elles me poursuivront sans doute jusque sur la plage (E. qui dit « fuck » au soleil sous son large chapeau de paille, C. qui se calcine à coups de monoï et Pom, seins nus dans l’eau glacée). J’aurais beau nager, nager vers le large, elles m’accompagneront. Au fond, je suis resté fidèle à toutes les femmes que j’ai trompées. »
C’est le problème avec les têtes à claques : ils écrivent mieux qu’un Goncourt de l’année ou qu’une recalée du prix Décembre. Nouveau mot à faire passer : littérature pas morte, talent non plus, les godelureaux Bedos et Rey cisèlent la langue française.
Nicolas Bedos, Une année particulière, Robert Laffont, 2012
Nicolas Rey, L’amour est déclaré, Au Diable Vauvert, 2012
Papier paru dans Causeur magazine, décembre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff, c'est (presque) fini ...


Avant de prendre le large, plein ouest et au coeur des montagnes de Savoie, on se dit que, décidément, notre Gégauff, Une âme damnée, a eu pendant plus de trois mois le plus beau des accueils. L'excellent Paul Vacca - lire sa Société du Hold-up (Mille et une nuits) - nous apprend que ce n'est pas fini : quelques mots devraient encore être consacrés à notre flânerie, en janvier, dans La Revue des Deux Mondes. On n'oublie pas, non plus, et on aime bien réécouter la chronique de Lisa Vignoli, la plus talentueuse journaliste de Marianne, sur Le Mouv' : http://www.lemouv.fr/diffusion-desir-sur-l-ecran
On va pouvoir maintenant laisser infuser les mots de demain, continuer à boire des bouteilles d'exception avec miss K, au Cornichon et au Jeu de quilles, avec notre ami Leroy aussi, on va lire Simon Liberati - 113 études de littérature romantique (Flammarion)- et Thibault de Montaigu - Zanzibar (Fayard) - et puis on est très heureux, surtout, d'éditer, chez Ecriture, le nouveau roman de Franck Maubert : Ville Close. Franck, qui a reçu le prix Renaudot Essai 2012 pour son Dernier modèle, est un dandy, un homme délicat, un exquis compagnon de bonnes tables et un grand écrivain à la plume mélancolique. Ville Close, dont la couverture est illustrée par Pierre Le Tan, sort le 8 janvier :

mercredi 12 décembre 2012

Quand Naulleau parle d'Une âme damnée et de Paul Gégauff, c'est dans Paris-Match

On avait aimé les mots de Beigbeder dans le FigMag, saluant Gégauff et notre Ame damnée, on aime ceux de Naulleau dans Paris-Match. Son papier est titré : "Diable d'homme". On l'illustre, ici, d'un cliché oldscoule, et par le trou de la serrure, de Bernadette Lafont.

Scénariste pour René Clément (« Plein soleil ») ou Claude Chabrol (« Que la bête meure »), modèle du tueur en cavale interprété par ­Belmondo dans « A bout de souffle », auteur d’une poignée de romans salués par Nimier, poète à découvrir, dandy milieu de siècle, anar de droite et de gauche, intime de Maurice Ronet et copain de Johnny (qui a dit de lui : « C’est l’homme qui m’a fait le plus rire et le plus pleurer de ma vie »), il se nommait Paul Gégauff. Sa trajectoire de feu follet s’interrompit quelque part en Norvège, durant la nuit de Noël 1983, lorsqu’il fut poignardé par sa ­compagne et quitta la rubrique cinéma pour celle des hommages posthumes : «
C’est ainsi que je le vois, mi-poète, mi-fou, égoïste et vulnérable à la façon des enfants, avide d’aventures et de plaisirs, curieux, atteint de tous les dons mais, finalement, d’une grande rigueur intellectuelle dans les ­désordres de la vie. » Oraison signée Roger Vadim dans les pages de Paris Match. Cerner pareil personnage, qualifié de « Brian Jones de la profession » par Bernadette Lafont et de « libertin du XVIIe siècle » par Jérôme Lindon, relevait en soi de l’exploit littéraire. Avec « Une âme damnée », Arnaud Le Guern, décidément inspiré par les irréguliers (on lui doit des textes sur Jean-Edern Hallier et Richard Virenque), fait mieux encore.
A l’évocation d’une carrière où la désinvolture le disputait à l’efficacité – plus d’une quarantaine de films au compteur en qualité de dialoguiste, scénariste, adaptateur, interprète ou réalisateur, au portrait d’un homme tissé de contradictions assumées, libre en un mot, à la résurrection d’une époque dont la nostalgie touche même, et peut-être surtout, ceux qui ne l’ont pas connue, l’auteur mêle le récit de ses propres amours, une célébration du cour-cheverny de chez Villemade et des nuits passées à guetter l’aurore sur un tabouret de bar.
Bref, notre biographe (lequel réfute ce mot) se laisse envahir, mais jamais submerger, par son sujet : « J’écris sur Gégauff comme il écrivait ses scénarios, ses dialogues. Je commence par ne rien faire, pendant longtemps. […] Je déstructure les journées, matinées légères et non grasses, heures suspendues. D’un baiser, je sors de la nuit, je goûte l’aube sur les lèvres de miss K. Je la regarde choisir des étoffes que j’aime, tracer dans la ville endormie. Je sniffe l’air encore froid par la fenêtre. » Une fois la dernière page tournée, le critique se prend à hésiter. Aller dénicher sur les quais un exemplaire des « Mauvais plaisants », paru aux Editions de Minuit en 1951 ? Se procurer la filmographie intégrale de notre homme, chefs-d’œuvre et nanars confondus ? Plutôt relire « Une âme damnée », l’affaire d’une heure ou deux, le temps d’une parenthèse enchantée où « la vie, finalement, ressemble à un film de Rohmer dialogué par Gégauff ».

samedi 17 novembre 2012

Quand Frédéric Beigbeder parle d'Une âme damnée : Gégauff est le Hussard de minuit


Notre plaisir de cette fin de semaine : les mots de Frédéric Beigbeder, dans sa chronique du Figaro Magazine, sur Une âme damnée et Paul Gégauff. Sur la photo ci-dessus, Frédéric est accompagné d'un autre dandy de la Cote Basque : le "philosophe sans qualités" et surfeur stylé, Frédéric Schiffter. La photo provient d'ailleurs du blogue dilettante, balnéaire et sexy de Schiffter : http://lephilosophesansqualits.blogspot.fr/. Les mots de Beigbeder, c'est ici :
"Arnaud Le Guern s'est pris de passion pour Paul Gégauff, après Jean-Edern Hallier (Stèle pour Edem, 2001). Il l'admire pour de mauvaises raisons, mais lit-on pour de bonnes ? Une génération perdue succède à l'autre... et la nouvelle se cherche des modèles parmi les morts qui la précèdent. Paul Gégauff (1922-1983) : scénariste inégal, romancier méconnu, fêtard extravagant et séducteur assassine. Sa vie semble fasciner Le Guem davantage que son œuvre. Cet esprit impertinent fut tué par sa petite amie de trois coups de couteau, en Norvège, le soir de Noël 1983. Il faut dire qu'il l'avait bien cherché : « Tue-moi si tu veux, disait-il, mais arrête de rn 'emmerder. » Certaines phrases ne se prononcent pas à la légère.
Arnaud Le Guern a retrouvé la meurtrière, aujourd'hui quinquagénaire et nostalgique... C'est un des moments les plus émouvants de son portrait. Burroughs et Althusser ont tué leur femme, mais je ne connais pas d'autres écrivains assassinés par leur épouse (à part Pasolini) (non je déconne). Gégauff savait qu'il finirait mal. Il se déguisait en nazi dans les surprise-parties bien avant Sid Vicious et le prince Harry d'Angleterre. Il était un Pascal Jardin en plus alcoolique, drogué et misogyne. Son caractère flamboyant et excentrique manque à notre époque. Il publia quatre romans saganiens aux Editions de Minuit dans les années 50, rata son unique long-métrage (Le Reflux),mais donna des dialogues géniaux à seize films de Claude Chabrol, deux d'Eric Rohmer et à Plein soleil de René Clément. Ses facéties, sa liberté de ton, sa folie inspirèrent le Michel Poiccard d'A bout de souffle de Godard (interprété par son ami Belmondo). Il joua des petits rôles chez Vadim, quand Vadim était au sommet de sa gloire. Il fut un feu follet, comme son ami Maurice Ronet. Il troussait des phrases cyniques de libertin désespéré à la Vailland : « Toutes les femmes sont laides dès qu'on n'en a plus envie, et le monde est rempti de jolies filles devenues laides pour un homme qui a cessé de les aimer. »
Arnaud Le Guern aussi a du style : « il organise des fêtes où la débauche est une muse », « les quais de Seine sont le territoire des délaissés de l'aube ». Son livre est allègre comme celui de Frédéric Martinez sur Paul-Jean Toulet. Il donne envie de revoir ces films insolents : Les Bonnes Femmes, Les Godelureaux, Les Biches... et de lire Les Mauvais Plaisants ou Une partie de plaisir, les romans d'un homme qui se disait de droite par provocation. Une manie qui pourrait bien revenir à la mode."
Figaro Magazine, le 16/11/2012

dimanche 11 novembre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff : ne pas oublier Bertrand de Saint-Vincent

On a évoqué les derniers papiers parus sur Une âme damnée et Paul Gégauff. On avait oublié de citer un petit bijou signé Bertrand de Saint-Vincent qui, dans son texte, mêle notre flânerie et Patrick Modiano. C'est dans Le Spectacle du Monde d'octobre et c'est ici :

"Par coïncidence, paraît au même moment (que L'Herbe des nuits) le récit de la vie d'Une âme damnée, Paul Gégauff, personnage sombre dont les fêlures font songer à l'univers de Modiano. Cet irrégulier, "terriblement doué, mais socialement peu compatible", confia Claude Chabrol dans ses Mémoires posthumes, fut poignardé le 25 décembre 1983 par sa jeune compagne. Egoïste, paresseux, provocateur, cet ami de Maurice Ronet, scénariste de Chabrol, Rohmer, René Clément cultiva jusqu'à l'excès une mauvaise réputation d'alcoolique mysogine et de salaud facho : "C'était un homme de l'amer, des paysages, un buveur, un amant des Lolitas et des femmes fatales", écrit Arnaud Le Guern. D'une plume légère et dansante, semblable à la fumée de la cigarette que son modèle arbore en couverture, ce vagabond littéraire a "braconné autour de sa silhouette et de ses mots" : "Gégauff est ma Dora Bruder", clame-t-il. Une herbe folle dont il dédie cette élégante et nonchalante peinture à la femme de sa vie, Miss K, qui, dans sa chambre de l'Hotel Flaubert, à Trouville, lit Claire, de Jacques Chardonne."

samedi 10 novembre 2012

En novembre, Une âme damnée et Paul Gégauff bougent encore ...

On était un peu ailleurs ces derniers temps. Il y avait l'océan, la campagne, le vent violent, la pluie et ce soleil pâle qui, toujours, nous touche au plus près. Le jour des morts, c'est au Conquet, extrême fin de la terre, que nous avons acheté Libération. Dans les pages "Livres", le très talentueux Antonin Iommi-Amunategui qui, quand il écrit, parle de nos amis Leroy et Lapaque, et qui aime la bonne chère et les bons vins, signe un papier classieux sur Une âme damnée :

"Arnaud Le Guern, 36 ans, a composé ce livre nyctalope, entre balade biographique, autour d’un homme disparu en 1983, délicieusement méconnu, Paul Gégauff, et digressions personnelles. Lui-même, Le Guern, buveur exigeant de livres et de films «oldscoule», écrivain presque jeune, demi-dandy paumé en 2012, soupèse sa vie en regard de celle de Gégauff. Pas évident, quand Paul Gégauff a été le scénariste de Chabrol, de Rohmer, de Schroeder, l’ennemi goguenard de Truffaut (à qui il aurait directement inspiré le personnage principal d’A bout de souffle, écrit par Truffaut avant d’être tourné par Godard, autre bon copain de Gégauff). Que la bête meure et Plein soleil, c’est encore Gégauff ; cet homme pour qui Sagan ou Vadim avaient beaucoup d’estime, des amitiés particulières. Et que même un Johnny Hallyday appelait son «maître à penser». Gégauff qui jouait du piano pour Mick Jagger ou Marlon Brando. La liste est longue comme les jambes de Caroline Grimaldi, l’autre princesse de Monaco, que Gégauff refusera de draguer un soir, parmi d’autres.
Gégauff a ainsi frayé avec deux ou trois cliques fameuses, qu’il semblait dominer pourtant, et écrit des livres, des films ; il les écrivait très vite, pour pouvoir se consacrer à la vie, aux mille instants. Sans cesse «défaire l’immonde sur un coin de table». Pratiquant «un dandysme de fin du monde», il était surtout de ces rares nostalgiques du présent, «le bel aujourd’hui qui raye de sa mémoire les flamboyants et les insoumis». Ce présent sans éclat, que Gégauff s’échinait à bousculer, à électriser au moindre mot. A la manière d’un clown imprévisible, grossier avec talent, trop intelligent pour être triste. Quitte à passer parfois pour fou, fasciste, ou tout ce qu’on voudra. Quand 1968 bat le pavé, Gégauff écrit plutôt des scénarios de «révolution dans les chambres à coucher». Jamais dans le rang, quel qu’il soit, il préfère le plaisir au bonheur, fût-il collectif. Il est de cette «race de desperados n’ayant que mépris et coups tordus à jeter en pâture à [son] époque». Dernier anarchiste, dernier Mohican ? Homme libre, en fait, irrespectueux par principe. «Il est comme le ver dans le fruit de cette société délicieusement pourrie : à l’aise mais pas dupe.» Et surtout vivant, au point de se faire, enfin, à 61 ans, poignarder trois fois par son épouse de 25 ans, à qui il venait de donner un enfant. Bien sûr, il en meurt : il fallait ce finale, à hauteur de comète, comme le bonhomme.
D’ailleurs, une société moins lisse donnerait peut-être son nom à quelque ruelle. Voire à tout un boulevard. Pour l’emmerder un peu, Gégauff, le charrier à son tour, tendrement. Et parce que «la vie, finalement, ressemble à un film de Rohmer dialogué par Gégauff». Pas pour tout le monde, certes. Il n’empêche, «l’important, c’est la parole vivante, c’est le style». Et la vie de Gégauff, généreusement servie par Le Guern, déborde le livre, rappelle toutes nos monotonies à l’ordre, les éclabousse de puissantes couleurs. On risque d’être touché."
 
On a lu et relu Amunategui et puis on n'a pas oublié que, avant, il y avait eu un sourire très chic d'Elisabeth Quin dans son Agenda du Figaro Madame, un long texte de Laurence Biava sur La cause littéraire (http://www.lacauselitteraire.fr/una-ame-damnee-paul-guegauff-d-arnaud-le-guern.html), la langue précise de Bernard Morlino faisant, sur son blogue http://www.blogmorlino.com/, d'Une âme damnée "Un presque chef d'oeuvre", notre camarade Philippe Lacoche dans Le Courrier picard (http://blog-picard.fr/dessous-chics/non-classe/le-dandy-surdoue-du-cinema/), un Choix de Valeurs Actuelles (http://www.valeursactuelles.com/culture/guide-livres/une-%C3%A2me-damn%C3%A9e-d%E2%80%99arnaud-guern20121011.html) par Alfred Eibel ou encore des recensions très sympathiques sur Sens Critiques (http://www.senscritique.com/livre/Une_ame_damnee_Paul_Gegauff/8193708/critiques), Fury Magazine (http://www.furymagazine.fr/article-odd-111357710.html) et Senior Evasion (http://www.seniorevasion.fr/coups-coeur-coups-gueule/2012/11/01/une-%C3%A2me-damn%C3%A9e).
On les remercie tous, infiniment, pour leur salut à Gégauff et à notre flânerie. Et on remercie aussi un(e) certain(e) Agathe de Lastyns qui, sur Le Con Littéraire, nous fait la leçon pour une coquille et pour n'avoir pas écrit le livre que, elle ou lui, souhaitait lire : http://www.lelitteraire.com/?p=3471 Au boulot, donc, Agathe : troquez votre bic de plomb de critique pour rédiger la biographie gégauvienne de vos rêves sévères et tristes.
 

dimanche 7 octobre 2012

François Simon marivaude

Un des plaisirs de l’automne naissant, avec les chaudes nuits érotiques et les dernières terrasses : les livres buissonniers, loin de la course aux prix. Ca peut être la très belle « remise au point » de Patrick Besson, Contre les calomniateurs de la Serbie (Fayard), les lettres électroniques envoyées par Alain Bonnand à notre ami Roland Jaccard, Le testament syrien (Ecriture), ou le roman de François Simon : Dans ma bouche.
On doit beaucoup d’enchantements à François Simon, grand reporter et chroniqueur gastronomique, masqué comme Zorro. Sans lui, par exemple, nous serions passé à côté de la meilleure table de Paris, « donc de France » comme le dit Michel Duchaussoy dans Que a bête meure : Le Jeu de quilles, rue Boulard, dans la quatorzième arrondissement, où Benoît Reix cuisine comme personne le carpaccio de veau sous la mère au parmesan et le boeuf du voisin Hugo Desnoyer – avec lequel Simon a signé Un boucher tendre et saignant (Assouline) - et où Guillaume, en salle, sert des vins blancs exquis - le Milouise de Jean-Philippe Padié - qui permettent aux demoiselles de passer des soirées adorablement grisées.
Le Jeu de quilles aurait pu être une des tables, au coeur de Dans ma bouche, où François Simon promène son élégance libertine. Elle n’y est pas : ce sera pour un prochain texte, au gré de l’inspiration de l’écrivain. Dans ce livre qui n’est ni une Angoterie ni un pavé Wikipedia, Simon n’en fait qu’à sa fête. Le charme est là, qui se joue des codes du genre. L’éditeur veut un roman ? Simon l’agrémente à son art, suivant le fil de ses jours et de ses nuits. On devine qu’il a paressé, en dandy, sur son ouvrage. Ecrire, oui, mais la vie allume ailleurs quelques incendies remarquables. Il y a ce déjeuner chez Thoumieux, un voyage au Japon ou à Hambourg, des rendez-vous avec Jeanne Moreau et Catherine Deneuve, une causerie de Jean d’Ormesson, les dîners de « bad boys » au Café Cartouche ou chez Yves Camdeborde, entre Avant-Comptoir et Comptoir du Relais. Il y a aussi le charme si discret de la province, célébré d’une langue précise : « J’ai toujours eu un faible pour Dijon, superbe Facel-Vega remisée sous une bâche. Je m’y retrouve une nouvelle fois seul, à l’hôtel de la Cloche. Je m’arrange pour arriver tôt dans la journée, déambuler, flâner. J’y cherche des fantômes. Les cueille à chaque coin de rue, car les piétons de ce jour ne souhaitent pas outre mesure incarner le moment. » Il y a enfin ces héroïnes pour lesquelles on file à travers la ville, on réserve des chambres d’hôtel, on réinvente avec diablerie la séduction : « Dans une côte rôtie renversante de chez Gaillard, je glisse une petite dose de MDMA d’une remarquable qualité. » Elles ont parfois l’anonymat des escortes ou s’appellent Manuela, Flore, Grazia, Fang, Pascale, Kasumi. Elles sont à se damner, à croquer et à boire, là où leur désir bat, rendent heureux puis triste, la mutine Soo plus que toute autre. C’est ainsi que, avec Dans ma bouche, François Simon nous offre, au rythme des baisers volés et des baisers perdus, un beau roman d’amour, de sexe et de mélancolie des choses de la vie.
François Simon, Dans ma bouche, Flammarion 2012
Texte paru sur Causeur.fr, le 7/10/2012

lundi 1 octobre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff, ça continue ...

Dans un message laissé du côté de nos braconnages foutraques, l'excellent Patrick Mandon écrit : "Il se fait autour de vous et de votre livre une belle camaraderie d'insolence et de talent." Evidemment ça nous enchante, autant les mots de Jérôme Besnard dans Causeur magazine de septembre (http://www.causeur.fr/gegauff-l%e2%80%99ecrivain-masque,19293) que ceux d'Alfred Eibel, qui connaissait bien Gégauff, dans Service littéraire de François Cérésa (à rapter dans les kosques : http://www.servicelitteraire.fr/PBEvents.asp) ou à paraître dans Valeurs Actuelles - et déjà ici : http://memoirememoires.wordpress.com/2012/09/23/une-ame-damnee-paul-gegauff-darnaud-le-guern/. On a été très heureux, également, de parler pendant une heure, mercredi, d'Une âme damnée, de Paul Gégauff, de miss K, de la Nouvelle vague avec Florent Coirier dans l'émission Sexy Mother Fucker sur Aligre FM : http://aligrefm.org/programmes/les-emissions/sexy-mother-fucker/ Florent est un passionné : de musique - Joe Tex, les Stones, Roxy Music ... - et des flamboyants comme Gégauff. Sa lecture de notre flânerie était parfaite, ses questions au plus près du sujet. Et puis il y a eu Jean-Luc Bitton et Gérard Guégan : Bitton sur son blogue consacré, entre autres, à Jacques Rigaut (http://rigaut.blogspot.fr/) et Guégan dans Sud Ouest (http://www.sudouest.fr/2012/09/30/le-dernier-des-hussards-835796-4692.php). Le texte de Bitton est titré "Un autre feu follet", celui de Guégan "Le dernier des Hussards". On lit et relit ces papiers, le dandysme chic de Bitton et les romans et autres flâneries au "coeur rouge" de Gérard Guégan : Sur le sentier de la guerre, Fontenoy ne reviendra plus, Markus Wolf avait une soeur, je l'ai aimée, Les cannibales n'ont pas de cimetières, ses souvenirs du Sagittaire et de Champ libre, Inflammables, Game over, on en oublie. Tout est dit, en attendant la suite.

samedi 22 septembre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff, une semaine après ...

On ne savait pas trop à quoi s'attendre pour Une âme damnée. Tout le monde ne s'intéressait qu'à Richard Millet et Christine Angot et personne ne connaissait Paul Gégauff. On a donc été très heureux d'entendre Eric Naulleau parler à merveille de notre flânerie, de miss K et des nuits parisiennes dans Ca balance à Paris. Il paraîtrait par ailleurs qu'un article, signé Naulleau, est dans les tuyaux de Paris-Match. Nous verrons. L'Express, sous la plume de Jérôme Dupuis, a été le premier des niouses magazines à dégainer : un long papier, une belle photo, quelques erreurs - le scénariste Raoul-Duval s'appelle Roland Duval - et une réserve ("une ferveur un peu excessive par endroits"). c'est à (re)lire ici : http://www.lexpress.fr/culture/livre/une-ame-damnee-paul-gegauff_1162001.html. Autres réserves, sur le blogue de L'Editeur singulier : la couverture et, surtout, le fait que le livre n'a pas été publié chez lui. On se souvient d'un excellent déjeuner au Comptoir du relais avec L'Editeur singulier, JCN, arrosé de Cheverny blanc de chez Villemande. C'était charmant et plein d'esprit. JCN avait très bien lu ce Gégauff et fait part de son envie d'en être l'éditeur. On lui avait répondu que nous étions sur le point de signer avec une autre maison et que nous lui donnerions notre réponse une semaine plus tard. Ce qui a été fait : Une âme damnée paraîtrait chez l'excellent Pierre-Guillaume de Roux. On peut comprendre une certaine déception de JCN. Il est par contre faux de dire que le livre lui a "curieusement filé sous le nez" : http://lediteursingulier.blogspot.fr/#!/2012/09/une-ame-damnee-paul-gegauff-arnaud-le.html. Alors que nous déjeunions avec Franck Maubert à l'Ami Chemin, Paris 14e, nous apprenions que, contrairement à Franck pour son mélancolique Dernier modèle (Mille et une nuits), une sélection au Renaudot essai nous échappait d'un rien. Peu importe puisque, grâce à Roland Jaccard, Une âme damnée obtient le prix Chabrol 2012. Pour en savoir plus sur les âpres délibérations, c'est ici (http://www.causeur.fr/rentree-litteraire-les-prix-que-jattribuerais,19135#)  et là : http://www.rolandjaccard.com/blog/?p=3189. On signale toutefois une petite erreur à Roland : Alain Bonnand ne peut pas avoir obtenu le prix Albert Londres pour Le Testament syrien (Ecriture). A la rigueur, le prix Gainsbourg : le petit homme à la tête de chou, c'est lui. L'homme élégant, en effet, ne s'appelle pas Bonnand, mais Frédéric Schiffter - philosophe sans qualités, surfeur et dandy de l'HP - qui nous envoie une carte postale sentimentale et stylée, "A la recherche du cinéma d'avant" : http://lephilosophesansqualits.blogspot.fr/2012/09/a-la-recherche-du-cinema-davant.html. L'élégance est aussi la parure de notre ami Jérôme Leroy : qu'il tienne avec nous le comptoir du Jeu de quilles, meilleur table de la rue Boulard et de Paris, invité sur le vif par les tauliers Benoït Reix et Guillaume Clauss, trinquant avec des vignerons et des vivants hors-normes jusque tard dans la nuit ; qu'il lise, sur une terrasse matinale, la chronique de Patrick Besson dans Le Point ; que nous le prenions en photo, lors d'un coquetèle tristounet, à côté de Reinette, héroïne de Rohmer (http://feusurlequartiergeneral.blogspot.fr/2012/09/reinette-et-jerome-mais-sans-mirabelle.html) ; ou qu'il salue, une nouvelle fois, notre flânerie gégauvienne : http://feusurlequartiergeneral.blogspot.fr/2012/09/piqure-de-rappel-une-ame-damnee-darnaud.html. De la même manière, on est aux anges et aux diables quand on lit les mots de Christian Authier dans L'Opinion indépendante. C'est un régal de délicatesse et de précision - ce qui n'étonnera aucun des lecteurs des romans de Christian, notamment son dernier : Une certaine fatigue (Stock) - que l'on peut retrouver sur le site de Pierre-Guillaume de Roux, dans la revue de presse d'Une âme damnée : http://www.pgderoux.fr/fr/Livres/Une-ame-damnee-Paul-Gegauff/51.htm. On a apprécié également, cette semaine, la chronique d'Alexandre Le Dinh, sur le magazine onlaïne De Nécessité Vertu, qui commence par "C'est le livre le plus chic du moment" : http://www.denecessitevertu.fr/2012/09/19/une-ame-damnee-paul-gegauff-darnaud-le-guern-2/. On nous a dit, enfin, que Frédéric Beigbeder a parfaitement présenté Une âme damnée et Paul Gégauff à la fin du Cercle Cinéma, sur Canal Plus Cinéma, ce vendredi 21. On n'a pas pu voir l'émission mais on ne doute pas de la qualité de l'évocation : Frédéric est un homme de goût et le marquis de Verdiani était de la partie.

vendredi 21 septembre 2012

De quoi les "Hussards" sont-ils le nom ?

Dans Causeur Magazine de septembre, notre texte autour de Nimier et des "Hussards" a été quelque peu charcuté, une grossière erreur s'ajoutant par ailleurs : Le Grand d'Espagne de Nimier n'étant en rien, évidemment, un roman. On publie ici la version originale de notre papier :

Le drame appartient à la légende des années 60, époque où il était recommandé de cramer sa vie en roulant trop vite dans des bolides toujours plus rapides. Nous sommes le 28 septembre 1962. Roger Nimier meurt dans un accident de voiture. A ses côtés, la blonde romancière Sunsiaré de Larcône. Ils se rendaient dans la maison de campagne de la famille Gallimard, éditeur pour lequel Nimier oeuvrait. Roger et Sunsiaré n’arriveront jamais à destination. Ils se retrouveront dans les pages de Paris-Match, cadavres extirpés de la tôle froissée de l’Aston Martin DB4. Nimier, ailleurs, a droit à quelques nécrologies fielleuses : il a eu ce qu’il méritait, il se suicidait à grand feu, en « Hussard » qu’il était.
Des écrivains dégagés
Les « Hussards », justement, quelle affaire. Pour certains, ils existent ; pour d’autres, ce n’est qu’une invention de Bernard Frank. En 1952, Frank est un des factotums de Jean-Paul Sartre. Dans Les Temps modernes, il sonne la charge contre une poignée d’écrivains que, « par commodité », il nomme « fascistes » : Roger Nimier, Jacques Laurent et Antoine Blondin – Michel Déon venant s’ajouter plus tard à la fine équipe. Leurs torts sont multiples : ils aiment la vitesse, l’alcool et les jeunes filles ; ils n’écrivent que pour divertir ; ils ont un certain succès ; ils sont de droite. Si Frank se moque, en dilettante, de cet art de vivre qui est d’ailleurs le sien, Sartre a des comptes à régler. Jacques Laurent l’a épinglé dans Paul et Jean-Paul, un pamphlet qui a fait rire et fait mouche. Assimiler le penseur révolutionnaire à Paul Bourget, incarnation XIXe de la bien-pensance bourgeoise : une horreur. Nimier, Laurent et Blondin seront donc infréquentables : des « Hussards » - Nimier a publié Le Hussard bleu – et des fascistes, puisqu’ils lisent des écrivains honnis tels que Morand, Montherlant et Chardonne et que leurs romans mettent en scène des miliciens, des femmes légères, des gandins à l’idéologie floue.
Une certaine idée du style
Les ouvrages qui paraissent, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Nimier, apportent la plus belle des réponses à Sartre. La littérature n’est ni de droite ni de gauche : elle est le style, autre nom de la pensée qui braconne sur le fil des mots. Le style : Nimier, Laurent, Blondin, Déon en ont, chacun selon son art ; Sartre n’en a pas. Il faut lire, dans le Cahier de l’Herne consacré à Nimier, le texte de Gérard Guégan, homme qui n’a jamais oublié la rage à son cœur « rouge ». Il raconte sa découverte de Nimier – Le Grand d’Espagne - à l’ombre des bastons l’opposant à l’extrême-droite des sixties : par-delà les coups de barre de fer, la littérature considérée comme un mot de passe entre ennemis. Alain Dugrand, qui signa longtemps les meilleurs papiers de Libération, ne dit pas autre chose dans sa contribution : « Fasciste, disaient-ils ». Qu’il s’agisse du Cahier de l’Herne, de la revue Bordel ou du collectif édité par Pierre-Guillaume de Roux, on espère que ces publications vont permettre une redécouverte des œuvres de Nimier, de Laurent – sous son nom ou sous le pseudo de Cecil Saint-Laurent - et de Blondin, mais encore d’écrivains qui partageaient avec eux une passion de la langue française à l’assaut, à la caresse : Jacques Perret, Stephen Hecquet, Pierre Boutang, Pol Vandromme ou Philippe Héduy. Tous écrivaient dans des revues, dans des journaux aux noms enchanteurs : Arts, Opéra ou La Parisienne. En clin d’oeil, sans doute, quelques demoiselles cavalières se jettent à l’eau, ces jours-ci, et publient La Hussarde. Le mot de désordre de leur premier numéro : « Il n’y a pas de femmes artistes ». On a envie de les lire et, aussi, de voir ou revoir les films scénarisés par Nimier, dont parlent Eric Neuhoff dans le Cahier de l’Herne, Alexandre Astruc et Philippe d’Hugues dans  Nimier, Blondin, Laurent et L’esprit Hussard. Infréquentables, les « Hussards » ? Quand ils n’écrivaient pas ou ne charmaient pas de jeunes romancières, ils trinquaient avec Maurice Ronet, Paul Gégauff et Louis Malle. Et, même morts, des plumes comme Christian Authier, Claire Debru, Florian Zeller ou Thibault de Montaigu, sans oublier notre camarade Jérôme Leroy, leurs offrent des mots classieux. On comprend la peine de Jean-Paul Sartre.

Roger Nimier, collectif, Les Cahiers de l’Herne, éditions de l’Herne, direction Marc Dambre
Le Bal du gouverneur, Roger Nimier, éditions de l’Herne
Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et L’esprit Hussard, collectif, éditions Pierre-Guillaume de Roux, direction Pierre-Guillaume de Roux et Philippe Barthelet
Les Hussards, revue Bordel, éditions Stéphane Million
Il n’y a pas de femmes artistes, revue La Hussarde, n°1, éditions Rue Fromentin

samedi 15 septembre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff, c'est à rapter dès maintenant ...

Depuis le temps qu'on en parle ici et ailleurs, Une âme damnée - Paul Gégauff est enfin dans nos librairies. C'est édité chez l'exquis Pierre-Guillaume de Roux, qui ne publie pas que Richard Millet. C'est une flânerie, un roman, un essai, ce que chacun voudra. On aime décidément beaucoup la visage frondeur de Gégauff sur la couverture :
On aime aussi toujours regarder la photo très BB de Claude Nori, inspiration Frédéric Schiffter, prise au bord de la piscine de l'HP de Biarritz :
On a déjà écrit tout le plaisir pris à la lecture des papiers, consacrés au livre, de Christian Laborde. Celui-là notamment : http://www.pau.fr/magazine/chroniques/20120830_124649
On a apprécié également l'évocation de Gégauff par Christophe Bourseiller, lors de la Matinale de France Musique, le 7 septembre - http://sites.radiofrance.fr/francemusique/em/musique-matin/emission.php?e_id=70000039&d_id=515002372 - et surtout les mots parfaits de Sébastien Le Fol, sur France Culture, dans son Tout feu, tout flamme, le 11 septembre : http://www.franceculture.fr/emission-tout-feu-tout-flamme-de-sebastien-le-fol-tout-feu-tout-flamme-de-sebastien-le-fol-en-part-1
Dans le Figaro littéraire, Sébastien Lapaque a profité du peu de place qu'on donne encore aux écrivains pour parler, avec style, d'Une âme damnée, sous le titre "Gégauff le désinvolte" :

"Qui se souvient de Paul Gégauff (1922-1983), scénariste du Journal d’un scélérat (Rohmer), de Plein soleil (Clément) et des Godelureaux (Chabrol, d’après le roman d’Éric Ollivier), auteur d’une poignée de romans parus chez Minuit ? Homme couvert de femmes, génial touche-à-tout portant sa désinvolture en boutonnière, rebuté par ce qui était fade, attiré par ce qui était âpre, Gégauff a cristallisé la féerie d’une époque d’insouciance souveraine où l’important était de ne pas se laisser impressionner par les longues figures de l’Existentialisme et du Nouveau Roman. Dans un livre aux harmoniques romanesques qui tient à la fois de l’exercice d’admiration et de la dérive amoureuse, Arnaud Le Guern lui rend hommage en l’évoquant comme un grand frère trop tôt disparu. "

Ce samedi 15 septembre, Eric Naulleau fera de notre flânerie son "coup de coeur" de rentrée dans Ca balance à Paris, à 18h15 sur Paris Première. La semaine prochaine, le vendredi 21, Frédéric Beigbeder présentera quant à lui le livre dans Le Cercle, sur Canal Plus cinéma.

dimanche 9 septembre 2012

Eloge littéraire de Florian Zeller

En cette rentrée, Florian Zeller cumulerait de nombreuses tares : il n’a pas écrit un « roman geek », autrement appelé « roman wikipedia », permettant à un barbant Bourmeau de s’extasier sur l’avènement du « non-style » ; il n’est pas non plus Christine Angot, dont la Semaine de vacances (Flammarion) serait « le chef d’oeuvre » du moment selon le même bourreau barbotant de la littérature ; il est l’incarnation du bobo, cette vieillerie ; il plagie Kundera ; pire, il a changé de coupe de cheveux, tignasse blonde désormais aussi lisse, paraît-il, que La jouissance, texte qu’il publie chez Gallimard.
On se souvient avoir acheté, dans une gare, un poche signé Zeller. Ca devait être La fascination du pire ou Les amants du n’importe quoi. Lecture sans grand intérêt, vite oubliée. On a ouvert La jouissance : « L’histoire commence là où toutes les histoires devraient finir : dans un lit. » Nicolas est un apprenti scénariste qui vit avec Pauline, fantasme sur Eva, une jolie Polonaise : l’amour, toujours, ce chien de l’enfer. Il y a de belles évocations d’André Breton et Kubrick, de Jean-Luc Godard et Beethoven. Cioran est également cité à propos de l’événement le plus important de la seconde partie du XXe siècle : le rétrécissement progressif des trottoirs. Une petite fille s’appelle Louise, prénom plaisant. On a envie de souligner des phrases, qui prolongent nos étés, en écoutant Perfect Day de Lou Reed : « Pour l’instant, la voiture roule sur cette nationale ensoleillée, mais on le sait, cela ne pourra pas durer éternellement – viendra le moment où le morceau finira, et où les corps devront fatalement se séparer. » Ou celle-là – que nous envoyons à un ami nous demandant : « Le dernier Zeller, c’est quand même très mauvais ? » : « Serrés l’un contre l’autre, je les vois sur l’embarcadère vide de Sorrento. Ils regardent sans regret le bateau disparaître dans le lointain ; ils prendront le prochain, car rien ne presse, et tout leur appartient – ils ont le présent devant eux. »
Dans une époque où les mots sont pâlots et où Libération titre « Le sexe de l’inceste », lisons Florian Zeller et sa Jouissance, roman imparfait, parfois fumeux quand il tente de raconter l’Europe de l’Après-guerre. Restent une histoire sentimentale à la française, comme un film de Sautet, et une langue qui joue d’une certaine volupté. On se rappelle alors que Zeller a écrit des pièces de théâtre pour Laetitia Casta et Catherine Frot, des chansons pour Christophe et une adaptation télévisuelle d’Un château en Suède de Sagan : que des œuvres réussies. Ce ne serait en rien un argument pour lire son dernier opus ? Si, et on rajoute que sa femme est une actrice charmante : ne jamais faire de peine à Marine Delterme.

Florian Zeller, La jouissance, Gallimard, 2012
Texte paru sur Causeur.fr le 09/09/2012

jeudi 6 septembre 2012

Prix Goncourt, erreur sur la liste


Fatigue de fin de repas, excès de grands crus servis chez Drouant ou plaisanterie potache de la Présidente Edmonde Charles-Roux, la première liste des romans sélectionnés pour le prix Goncourt n’est pas la bonne. Au regard des titres annoncés à la presse, on se doutait qu’il y avait un problème :

Vassilis Alexakis «L'enfant grec» (Stock)
Gwenaëlle Aubry «Partages» (Mercure de France)
Thierry Beinstingel «Ils désertent» (Fayard)
Serge Bramly «Orchidée fixe» (JC Lattes)
Patrick Deville «Peste et choléra» (Seuil)
Joël Dicker «La vérité sur l'affaire Harry Québert» (Fallois)
Mathias Enard «Rue des voleurs» (Actes Sud)
Jérôme Ferrari «Le sermon sur la chute de Rome» (Actes Sud)
Gaspard-Marie Janvier «Quel Trésor !» (Fayard)
Linda Lê «Lame de fond» (Bourgois)
Tierno Monenembo «Le terroriste noir» (Seuil)
Joy Sorman «Comme une bête» (Gallimard)

C’est en lisant les journaux que l’honorable jury s’est rendu compte de sa regrettable erreur. Un communiqué vient d’être envoyé, restituant les noms et les ouvrages des douze heureux nominés, que nous pouvons enfin révéler :

François Marchand « Un week-end en famille » (Le Cherche-Midi)
Christian Authier « Une certaine fatigue » (Stock)
Sébastien Lapaque « La convergence des Alizés » (Actes Sud)
Franck Maubert « Le dernier modèle » (Mille et une nuits)
Benoît Duteurtre « A nous deux, Paris ! » (Fayard)
Cécile Guilbert « Réanimation » (Grasset)
Jacques Braunstein « Loin du centre » (Nil)
Stéphane Michaka « Ciseaux) (Fayard)
François Cusset « A l’abri du déclin du monde » (POL)
Anne Berest « Les Patriarches » (Grasset)
François Bott « Avez-vous l’adresse du Paradis ? » (Le Cherche-Midi)
Thierry Dancourt « Les ombres de Marge Finaly » (La Table ronde)

Papier paru sur Causeur.fr le 06/09/2012

dimanche 2 septembre 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff : Christian Laborde encore ...


Dans son Bastingage, qu'il donne chaque mois à la ville de Pau, Christian Laborde nous avait déjà enchanté de ses mots sur Une âme damnée - Paul Gégauff, la flânerie qu'on publie le 13 septembre chez Pierre-Guillaume de Roux. Dans La Nouvelle République des Pyrénées du samedi 1er septembre, "le journal le plus lu dans le Tourmalet" écrit-il, où il signe un Percolateur hebdomadaire, Laborde en remet une couche, royal comme l'était dans les cols pyrénéens et alpins Lance Armstrong - héros de la petite Reine qu'il aime et défend face aux salauds, à raison et à passion - quand il s'envolait au plus dur de la pente :

« Pourquoi l’art contemporain est-il si drôle alors que la littérature contemporaine est si triste ? » s’interroge Patrick Besson. Un livre qui n’est pas triste du tout, c’est celui qu’Arnaud Le Guern, consacre à Paul Gégauff, le scénariste préféré de Chabrol. Le livre, qui paraît aux Editions Pierre Guillaume de Roux,  a pour titre « Une âme damnée » et coûte 19,50 euros. C’est délicieux, empreint d’une douce mélancolie, les années 70 revivent à chaque paragraphe, Bardot, Sagan, Dutronc… Et la langue de Le Guern est vivante et racée : un régal. CL

On aime le Percolateur de Laborde et on aimera, on le sait, le livre illustré qu'il publie le 11 octobre aux éditions Hors Collection : une célébration de la petite Reine, de ses héros, titrée Tour de France Nostalgie. On aime, enfin, le clin d'oeil que nous adresse, annonçant la sortie de notre Ame damnée, les jeunes rédacteurs du magazine onlaïne De Nécessité Vertu : http://www.denecessitevertu.fr/2012/09/01/les-livres-de-la-rentree-litteraire-quon-attend-et-les-autres/

vendredi 31 août 2012

Une âme damnée, Paul Gégauff : Christian Laborde allume la mèche

Pour prolonger l'été, on va reparler très vite des heures douces et légères sur les rives du Léman, de la peau bronzée de miss K, de ses longues jambes, de nos baignades, du soleil qui ne lâche rien, des flâneries en espadrilles, de Cecil Saint-Laurent sur la plage des Mouettes, des dîners en terrasse. On va reparler de ces jours intimes et on va parler, encore, d'Une âme damnée, notre livre buissonnier autour des mots et de la silhouette de Paul Gégauff (https://www.facebook.com/PaulGegauffUneAmeDamnee) que publie, le 13 septembre, Pierre-Guillaume de Roux.
Une âme damnée sort donc le 13 septembre et, le premier, Christian Laborde allume la mèche, met l'eau à la bouche. Rappelons que Laborde est l'auteur, notamment, de L'Os de Dionysos et, cette année, de cette merveille de petit livre chaud et balnéaire : Diane et autres stories en short. Laborde a aimé Une âme damnée : il le dit, l'écrit de sa langue flamboyante. C'est pleine cible, plein coeur, c'est ici (http://www.pau.fr/magazine/chroniques/20120830_124649) et c'est là :

"Prenez le bus, le vélo, un tacot, un otage et filez chez votre libraire acheter le nouveau livre d'Arnaud Le Guern : « Une âme damnée ». Le Guern, il a du coeur, Le Guern, il sait écrire. Le Guern, il est là. Le Guern, il est entré en littérature avec un livre enflammé consacré à Jean-Edern Hallier, intitulé « Stèle pour Edern », paru chez Jean Picollec, en 2001. J'ajoute qu'Arnaud Le Guern est un ami de Jérôme Leroy. Ici-bas, il y a, d'un côté, ceux qui lisent Jérôme Leroy et, de l'autre, ceux qui ne le lisent pas. Ceux qui ne le lisent pas, je ne leur parle pas.
« Une âme damnée » d'Arnaud Le Guern paraît aux Editions Pierre Guillaume de Roux, compte 185 pages et coûte 19,50 euro. Le héros de ce livre, sans gras, ni lourdeur, sans mots morts, sans ce parti pris « réaliste » qui est le moteur poussif des ouvrages moyens, s'appelle Paul Gégauff. Il était écrivain. Il était scénariste. Moi, Gégauff, je ne connaissais pas. Arnaud Le Guern, dès les premières pages de son livre, m'apprend que l'oiseau était hors-normes, un vrai dandy. Il avait dit à son épouse : « Tue-moi si tu veux, mais arrête de m'emmerder ». Et elle, obéissante, de lui coller trois coups de couteau dans le buffet, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1983, à l'heure où passe le Père Noël. Il avait 61 ans, elle en avait 25. Elle s'appelait Coco.
Paul Gégauff était le scénariste de René Clément, de Claude Chabrol, d'Eric Rohmer. « Plein soleil », « Le signe du lion », « Que la bête meure » ou « Docteur Popaul », c'est lui. Arnaud Le Guern n'a pas besoin de beaucoup de pages pour dresser le portrait de Gégauff. Un paragraphe lui suffit : « Vous étiez un dandy dilettante tendance Pierre de Régnier, une gloire gâchée du Septième art selon les « professionnels de la profession », « le Brian Jones de la nouvelle vague » selon Bernadette Lafont. Une sacrée carte de visite à l'heure où Luc Besson grillait ses premières cigarettes ». Un paragraphe lui suffit, dis-je. Et ce livre, c'est pour moi le triomphe du paragraphe. Moi, j'aime les paragraphes, j'aime les écrivains pressés de revenir à la ligne : ils considèrent que rien ne doit succéder à une trouvaille verbale, une cadence, une sagaie si ce n'est, au coeur du paragraphe suivant, une autre trouvaille, une autre cadence, une autre sagaie. Qu'ils sont beaux, qu'ils ont du tempo, les paragraphes qui, dans ce livre, se succèdent, s'enchaînent, se répondent, trinquent à la santé d'un Gégauff de nouveau vivant.
Arnaud Le Guern ressemble-t-il à Gégauff ? C'est en tout cas ce qu'affirmait, une nuit, en 1998, un homme avec lequel, dans un bar, il parlait de Brigitte Bardot: « Vous menez une vie de patachon. Vous me faites penser à Paul Gégauff. » Les mots dits la nuit au-dessus des verres vides sont souvent justes. Ceux de l'homme du bar sont restés dans le coeur d'Arnaud Le Guern, rendant l'écriture de son livre possible. Le mémoire se met en route, et Arnaud Le Guern se souvient de ses dix ans, d'Evian, et de ce soir où, à la télé, il découvre « Docteur Popaul », film de Chabrol - scénario de Paul Gégauff-, avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle principal. Il a dix ans et il voit tout : l'accident de voiture, l'Alfa Roméo, Belmondo sur l'asphalte. Et Mia Farrow qui lui fait si peur « avec son appareil dentaire, ses lunettes à triple foyer et sa prothèse de jambe ». Retrouvant sa mémoire, revisionnant les films, consultant les coupures de presse, Le Guern, sans jamais se départir de cette légèreté qui permet de distinguer l'écrivain de l'écrivant, poursuit le fantôme de Gégauff, fantôme bien plus présent que tous les morts-vivants qui pérorent autour de nous, dans ce monde saturé de conventions et de médiocrité. On replonge dans les années 60 et 70. On retrouve Françoise Sagan, Maurice Ronet, Jacques Dutronc, Mick Jagger, Marlon Brando et, sur une couverture du magazine « Lui », en queue de pie, jouant du violoncelle, ouvrant les cuisses, Joëlle Mogonsen, la chanteuse du groupe « Il était une fois ». Le passé est vivant dans ce livre, le présent également. Et si l'on croise Le Guern gamin, on le découvre aussi aujourd'hui, s'expliquant avec les mots, tantôt à Paris, tantôt en Bretagne, toujours au bras de Miss K.
Arnaud Le Guern, en faisant revivre Gégauff, en ressuscitant une époque légendaire, résiste à la nôtre où le nivellement ambiant dispute la vedette au saccage quotidien de l'âme. Mais une question, tout à coup, me brûle les lèvres : qu'est donc devenue Coco, la jeune et jolie épouse qui planta par trois fois son surin dans la cage thoracique de Gégauff ? Arnaud Le Guern nous apprend, à la fin de son livre, qu'elle s'est remise à la guitare pour jouer « Armstrong » de Claude Nougaro. Cette Coco, vraiment, est une fille bien."

samedi 25 août 2012

Le feu follet de Guéthary

Cet été, les flâneurs de la Cote basque ont pu lire, dans un supplément du Point, quelques mots buissonniers sur notre ami Frédéric Schiffter - "Il se définit lui-même comme « un philosophe sans qualités ». La sieste, pour lui, est un art majeur. Il préfère le surf et les jeunes filles à Kant. Ses journées, surtout, ne peuvent se concevoir sans un verre dégusté à l’hôtel du Palais, à Biarritz." - et sur Frédéric Beigbeder, écrivain qu'on nous reprochera sans doute d'apprécier. Ce à quoi, comme maître Vergès, nous répondons par un sourire et quelques volutes de fumée.

Frédéric Beigbeder est rarement là où on l’attend. Ecrivain en vogue, il réalise avec succès L’Amour dure trois ans, son premier film. Critique littéraire, il joue au DJ dans les night-clubs de Moscou et au mannequin pour des marques branchées. On l’imagine en terrasse du Flore ou au Montana, lieux à la mode de Saint-Germain-des-prés : il est déjà loin. Un SMS, comme un éclat de rire face à la mer, confirme la fugue : « Cheers from Guéthary ! »
Un été 1972
Beigbeder et Guéthary, c’est avant tout une histoire d’enfance des années 70. Gamin, il passe ses vacances dans cette petite station basque, à quelques kilomètres de Biarritz. Ses grands-parents ont une villa, Patrak Enéa, qui donne sur le sentier Damour. Ses parents s’y sont rencontrés, mariés, avant de se séparer. A Guéthary, Frédéric est un garçon solitaire dans une famille décomposée. Il quête l’Espagne à l’horizon. Ses paysages préférés se trouvent sur la route menant de Sare à Ainhoa. Sur la plage de Cénitz, son grand-père lui apprend l’art du ricochet et de la pêche à la crevette. Au club Mickey, des demoiselles lui refusent de chastes baisers. Même sanction avec les filles du garde-barrière : elles préfèrent regarder Charles, son frère. Frédéric se rattrapera plus tard.
Une fenêtre sur le monde
Longtemps, Beigbeder s’est tenu éloigné de la cote Basque. La tourbillon de sa vie l’amenait ailleurs. Puis il est revenu, a acheté une ancienne fermette, pour se reposer des nuits trop blanches de Paris : « À partir d’un certain âge, il y a des endroits où l’on se sent bien. Ils fonctionnent comme des antidépresseurs. » Accompagné de sa fille Chloé, il suit les traces de son grand-père, sur la plage de Cénitz. La Rhune dans son dos et l’océan devant lui, Frédéric se souvient de l’art de lancer des cailloux qui filent sur les flots. La pêche à la crevette, elle, est interdite depuis 2003. Dans Un roman français (Pris Renaudot 2009) Beigbeder touche, avec légèreté et mélancolie, quand il fait revivre Guéthary et les personnages de l’enfance, quand il restitue l’atmosphère des maisons de famille. Avec L’amour dure trois ans, filmant Gaspard Proust et Louise Bourgoin, il ajoute quelques couleurs au tableau : le vert du jour qui tombe, hors-saison, sur le port.
La dolce vita
Beigbeder, désormais, partage ses semaines entre Paris et Guéthary où, il le dit en riant : « Je mange, je bois et je dors. » Il se déplace en pick-up sans permis, déjeune dans des paillotes – le Blue Cargo à Ilbaritz -, porte des espadrilles comme Françoise Sagan. Des amis écrivains lui rendent visite : Simon Liberati ou Michel Houellebecq qui, ivre, s’endort au pied d’un escalier. Un journaliste, venu faire un reportage sur la Cote basque, titre : « Beigbeder se la coule douce. »  Au bord de sa piscine, sa fiancée en bikini noir à ses côtés, il lit les Contrerimes de Paul-Jean Toulet. A Guéthary, Frédéric est au plus près de Toulet, dandy dilettante à son image, grand vivant de la Belle époque venu mourir ici après une existence de plaisirs. Chaque année, à la Toussaint, Frédéric se recueille sur la tombe de ses grands-parents et sur celle de Toulet, dont le nom est presque effacé. Beigbeder, feu follet aux basques du temps qui passe, fait ainsi œuvre de mémoire vive.

Texte paru dans le supplément d'été du Point "La Côte basque", juillet 2012

lundi 20 août 2012

Romy, Yves, Sami et les autres ...


C’est une époque, le début des années 70, où la quête d’une certaine douceur de vivre entraîne les parisiens à Noirmoutier. L’océan atlantique offre un climat propice à la petite musique des sentiments : deux amis, César et David, aiment une femme, Rosalie, qui ne parvient pas à choisir l’un ou l’autre. Il n’est pas étonnant que Claude Sautet, familier de la côte vendéenne et orfèvre des choses intimes de l’existence, installe l’intrigue de César et Rosalie sur la plage des Mardi-gras, dans le quartier du Vieil.
Les volets bleus
Sur les traces des héros de Sautet, la nostalgie ne cesse d’être ravivée, mêlant hier et aujourd’hui. Des enfants en chandail font du vélo sur le sable. Une barque rouillée prend l’air marin. Bien sûr, quand une voiture s’arrête, ce n’est plus la SM ou l’Autobianchi Primula du film. Pourtant, en tendant l’oreille, on entend encore l’écho de la voix d’Yves Montand, qui joue César, présentant les lieux à son rival Sami Frey, l’interprète du ténébreux David : « La maison, la mer ... » La maison aux murs blancs et aux volets bleus est toujours là. Elle semble abandonnée, gravée à jamais dans un temps lointain. La municipalité ne s’en préoccupe guère. Aucune plaque ne signale sa place dans la patrimoine du 7e art. Des curieux la prennent en photo, l’exposent sur les réseaux sociaux avec une légende : « Où sont Romy, Sami et Yves ? » Devant la porte cadenassée de la maison, on ne peut s’empêcher, en effet, de se rappeler du sourire de Romy Schneider – Rosalie, c’est elle - alors que César et David la rejoignent.
Les possibilités d’une île
Dans César et Rosalie, les heures se suspendent le temps d’un été à Noirmoutier. Peu importe que Montand affiche, lors des prises de vue, sa mauvaise humeur, craignant que Sami Frey lui vole le vedette. Dans l’esprit de tous, il ne reste qu’une succession de cartes postales des petits bonheurs balnéaires. La maison se remplit du rire des enfants. Des amis arrivent de Paris pour manger une soupe de poisson et jouer aux cartes. Les femmes, telle Romy, portent des cirés jaunes et des bottes pour ramasser des coquillages à marée basse. Quand le vent se lève, elles parent leurs cheveux d’un foulard. Pour se rendre sur le port ou sur la jetée de Jacobsen, elles conduisent une 4L. Les hommes, eux, se laissent prendre au jeu de l’amitié, entament une partie de volley-ball sur la plage. Des adolescents de l’île font office de figurants. L’un d’eux, smashant le ballon, vise sans le vouloir Romy Schneider. Plus de peur que de mal : Au Puits de Lorraine, le restaurant à la mode où l’équipe appréciait de se retrouver, la douleur est oubliée.
Coeurs perdus sur l’Atlantique
Sur la jetée du port de Noirmoutier, on a toujours envie d’attendre le retour de César et David. Dans le film, ils partent en bateau accompagner un pêcheur en pleine mer. Quand ils reviennent, le temps des piques-niques sur la plage s’achève, comme l’harmonie des amours d’été. Les volets bleus de la maison sont désormais fermés. On a beau savoir que Rosalie s’est enfuie, sans prévenir, impossible de s’y habituer. Elle ne nous quitte pas d’ailleurs, aujourd’hui, sur la plage des Mardi-gras, dans le quartier du Vieil. Devant la maison abandonnée, tous les clichés des photographes amateurs permettent d’imaginer, sans fin, son visage mélancolique.

Texte paru dans le supplément "Vendée" du Point, été 2012

dimanche 19 août 2012

Anne et Sophie à l'Hôtel de la Plage



Certains films agissent telle la « madeleine » de Proust : ils datent nos joies et nos mélancolies. Hôtel de plage, par exemple, nous entraîne sur la route des vacances, à la fin des années 70. En train ou au volant d’une Alfa Roméo décapotable, les juillettistes quittent Locquirec, les aoûtiens arrivent, sur une bande-son signée Mort Shuman. Les notes nostalgiques accompagnent les joies et les petits chagrins d’estivants qui se connaissent bien. Ils ont le visage de Guy Marchand ou Daniel Ceccaldi, play-boys français de l’époque, sans oublier de jeunes actrices aux charmes irrésistibles : Sophie Barjac et Anne Parillaud.
« Les pieds dans l’eau »
Il est aisé de marcher sur les pas des héros d’Hôtel de la plage. A Locquirec, on  reconnaît au premier coup d’oeil le fameux établissement : il s’agit du Grand hôtel des bains, situé rue de l’église. Il possède toujours ce parc où il est plaisant de dîner sous les tilleuls, a toujours « les pieds dans l’eau ». Dominique Van Lier, l’actuel propriétaire, déjà présent en 1977 se souvient de tout, fourmille d’anecdotes. Le curé du film, ainsi, était interprété par un client suisse de l’hôtel, mécontent du désordre que le tournage occasionnait. Pour le calmer, le réalisateur lui confia un rôle. Dominique Van Lier répond volontiers aux curieux qui l’interrogent : « L’hôtel était une pension de famille. Nous l’avons rénové mais l’esprit des lieux n’a pas changé. » Il vend aussi, à la réception, le DVD d’Hôtel de la plage : « Les gens se font ainsi un plaisir de retrouver les lieux, les villas, les promenades qu’ils ont apprécié dans le film. »
Une éducation sentimentale
Il est agréable, en effet, de se rappeler de ce qu’étaient les vacances dans une pension de famille de la cote bretonne, de ce qu’elles sont toujours. Les journées commencent par un petit déjeuner partagé dans la grande salle à manger. Les adultes nouent des intrigues sentimentales de saison et les adolescents imitent les adultes. On achète Ouest-France dans la maison de la presse à côté de l’église. L’après-midi, quand le soleil hâle les peaux, on joue au volley-ball ou on flirte sur la plage. Parfois, l’hôtel Armor, dans le centre, est le théâtre de quelques entorses aux contrats de mariage. Il faut dire que des petites Anglaises aguichent les messieurs d’âge mur, quand ceux-ci ne sont pas partis pêcher en bateau au large de la baie de Lannion. Pour plus d’intimité, le chemin des Douaniers amène vers de jolies criques abritées. Difficile de résister quand les vacancières ont la silhouette blonde de Sophie Barjac, ou brune d’Anne Parillaud.
Un été de porcelaine
Le charme intemporel d’Hôtel de la plage, finalement, tient beaucoup à ses jeunes actrices. Elles jouent au baby-foot dans un café, alors que la pluie tombe. Elles sortent en bikini bleue d’une cabine de bain, avant de s’allonger sur leur serviette de plage et d’écrire une lettre à leur amoureux lointain. Elles volent une voiture de sport et le petit ami de leur meilleure copine. Quand, lors d’une soirée « chanson », elles fredonnent  Un été de porcelaine et qu’elles demandent au garçon qui vient de les embrasser : « Il faudra attendre onze mois avant de se revoir ? », on a la belle impression d’être toujours à Locquirec, au Grand hôtel des Bains : « Il y a quinze ans à peine/ Il y a quinze ans déjà/ Ma mémoire est incertaine/ Mais mon cœur lui n'oublie pas. »

Texte paru dans Le Point, numéro spécial "Cote bretonne", juillet 2012

samedi 28 juillet 2012

Rohmer à la plage

Les vacances devraient toujours ressembler à un film d’Eric Rohmer, son Conte d’été par exemple. On débarque en bateau, un lundi de juillet, sur le port de Dinard. Pointe du Moulinet, le ciel a cette couleur qu’on ne trouve pas ailleurs, un bleu nuageux mêlé de soleil. Les maisons de maîtres, sur la corniche surplombant la mer, imposent leur style XIXe. En terrasse de la crêperie du Clair de lune, un garçon mange une glace et boit un verre de vin blanc. Sur la plage de L’Ecluse, les filles portent des maillots de bain rouge ou bleu, des lunettes noires qu’elles remontent parfois dans leurs cheveux. Elles tomberaient volontiers amoureuses d’un musicien dilettante, avec lequel elles badineraient sur le sentier des Douaniers, alors que le soir tombe, leurs sandales à la main, vêtues d’une jupe courte et d’un caraco.
Au milieu des années 90, après le Saint-Tropez de La Collectionneuse puis la Normandie de Pauline à la plage, Rohmer voulait un lieu neuf pour son Conte dédié à la plus belle des saisons. Il lui fallait des rochers, des vues profondes sur l’océan, le bruit du vent, un arrière-pays aussi : « Ce qui m’intéressait, c’était les grandes étendues à marée basse. J’aimais cette idée que les personnages soient enfermés entre la terre et la mer. » Rohmer s’est souvenu aussi des récits de son ami Paul Gégauff, l’âme damnée de la Nouvelle vague : « Tu adoreras ce coin de Bretagne: les filles sont délicieuses ; l’air du large te fouette l’esprit et les paysages sont magnifiques ! » Il avait envie surtout, lui qui aime tant les corps et les mots en liberté, de plages « vivantes » où les cœurs peuvent jouer leur petite musique, « des plages où l’on ne verrait pas le travail du cinéaste. »
Pour raconter son Conte d’été, Rohmer a donc posé sa caméra à Dinard, entre la fin du mois du juin et le début juillet 1995. Il filme longuement la plage de l’Ecluse et ses cabines d’un autre siècle. Les chemins côtiers ne sont pas encore surchargés de touristes. Une ballade emmène les flâneurs sentimentaux sur les remparts de la ville close de Saint-Malo. De jolies filles sont au rendez-vous. De retour à Dinard, sur la promenade du Clair de lune, un peu de bruine coupe la douceur des choses, mouille les bancs publics où les amants se cherchent, ne se trouvent pas. Les soirées s’achèvent à La Chaumière, une boîte de nuit de Saint-Lunaire. Avec grâce, Rohmer saisit au vif les vacances et esquisse une certaine idée de la dolce vita balnéaire, qui lui est chère.
Quand Conte d’été est diffusé, en avant-première, au cinéma Aux deux Alizés de Dinard, les spectateurs découvrent, sous le plus beau des jours, leur ville. Des habitants se reconnaissent en tenue de bain, figurants d’occasion heureux d’apparaître sur la photo. Voici donc ce que préparaient Rohmer et sa petite équipe. On les avait vus  sur la plage de L’Ecluse, avenue Yves Verney devant le bar La Croisette ou sur la route départementale 168 menant à Saint-Malo. On s’interrogeait sur le résultat en images. Il est à la hauteur des espérances, prolongeant les étés de la vie. Rohmer l’avait dit : « Chacun de mes films pourrait avoir pour titre le nom d’une ville. » Conte d’été, ainsi, se serait appelé Dinard ou Saint-Malo.

Texte paru dans le supplément d'été du Point "Dinard/Saint-Malo", juillet 2012

vendredi 27 juillet 2012

Comme une photo balnéaire de Claude Nori ...

Après la fin de la terre, les rives du Léman nous attendent.
Au programme : la plage des Mouettes, des baignades, dîner à l'Hôtel des Cygnes, les corps amoureux, Miss K en monokini, en robe d'été, en dessous chics, des livres.
Ne rien faire, c'est-à-dire retrouver les plaisirs de l'essentiel et de l'inutile, est le seul art de vivre qui nous enchante.
On a déjà parlé de nos lectures d'août : Cecil Saint-Laurent, Eric Puchner, Marisha Pessl, Nicolas d'Estiennes d'Orves, La Beauté de Frédéric Schiffter, entre autres. On voudrait rappeler, également, que Franck Maubert a écrit un récit lumineux et mélancolique, à son image : Le dernier modèle  (Mille et une nuits). Il nous parle du monde d'avant, des rues et des bars de Montparnasse et, surtout de Giacometti et de Caroline, l'ultime amour du peintre qu'il a rencontré à Nice. C'est un petit livre à lire lentement, en dilettante, sur le sable ou en terrasse ombrée. Ne pas oublier non plus que, en attendant la parution d'Un Week-end en famille de François Marchand, le livre le lus drôle et stylé du moment est signé Gilles Verdiani. Son titre : Mon métier de père (JC Lattès). Scénariste de Frédéric Beigbeder, aimant Casanova et Orson Welles, Verdiani nous offre un récit burlesque, méchant, tendre, swiftien, délicat. On a envie de souligner des phrases, au hasard des pages, de les répéter en boucle :
"Jusqu'à présent, j'ai passé avec mes enfants plus d'heures que leur mère, ce qui n'est probablement pas très courant (sauf chez les veufs, naturellement)."
"Je suis un papa poule qui aurait trouvé un couteau."
"Une femme qui ne vous aime pas, on peut s'en détourner. Une réussite qui vous fuit, on peut changer d'orientation. Mais des enfants qui ont décidé de vous pourrir la vie, ça ressemble à 20 ans de bagne incompressibles."
On a enfin très envie de lire les prochains livres de Gilles, de voir ses films.
Avant la fugue, on va laisser ici, du côté de ces braconnages, quelques papiers que nous avons écrits pour des suppléments d'été du Point. On a évoqué les Conte d'été de Rohmer, à Dinard ; Anne Parillaud et Sophie Barjac à l'Hôtel de la plage de Locquirec ; un Feu follet à Guéthary ; Sagan et Sarah Bernardt à Belle-Ile ; Mitterrand à Hossegor. On en oublie. On s'est fait plaisir. Comme lorsqu'on regarde, encore et toujours, des photos balnéaires de Claude Nori.

mardi 24 juillet 2012

Quand Frédéric Schiffter parle de Paul Gégauff, d'Une ame damnée et de la beauté balnéaire et sensuelle

Sur le blogue de haute qualité du "philosophe sans qualité" Frédéric Schiffter, le plaisir est une fête permanente.
Ces derniers temps, on pouvait y lire, notamment, une flânerie magnifique autour du voluptueux de la Révolution Hérault de Séchelles, quelques mots accompagnant la lecture, par une blonde naïade, de La Beauté, éducation esthétique de Frédéric à paraître le 13 septembre (éditions Autrement), un dynamitage de Michel Onfray ou encore une approche très dandy de François Hollande.
Et, puis, tard dans la nuit, paressant sur le ouèbe, on s'est arrêté sur une silhouette brune et bronzée, au bord de la piscine de l'Hôtel du Palais à Biarritz et on a goûté, et on goûte encore, la grâce de la photo signée Claude Nori ( http://www.claudenori.com/) et de la langue si élégante de Frédéric parlant, en observateur délicat, de la couverture de notre Gégauff, Une âme damnée.
C'est ici - http://lephilosophesansqualits.blogspot.fr/2012/07/photographie-de-claude-nori-vous-voyez.html - et c'est là :
"— Vous voyez mes pieds?
Oui.
Vous les aimez?
Oui.
Et mes chevilles ? Vous aimez mes chevilles?
Oui.
Et mes jambes. Elles vous plaisent?
Oui.
Et Arnaud Le Guern, l’obsédé amoureux de la Princesse Mimosa, de Miss K. et des actrices des séventiz, vous le connaissez ?
J’ai lu son beau roman, il y a deux ans, Du soufre au cœur.
Si vous êtes observateur, voici la couverture de son prochain livre Une âme damnée, Paul Gégauff qui paraîtra le 13 septembre prochain.
J’observe, j’observe.
Si vous traversez la piscine sous l’eau dans le sens de la longueur je vous prêterai mon exemplaire dédicacé.
Ce sera une partie de plaisir."

mercredi 18 juillet 2012

Quand Jérôme Leroy parle de Paul Gégauff, d"Une âme damnée et du 13 septembre


Parmi les premières lectures d'Une âme damnée, on a été très touché, ces jours-ci, par les mots de l'excellent Gilles Verdiani et du tonitruant vélociférateur Christian Laborde - lisons et relisons sa Diane et autres stories en short. Et puis, aujourd'hui, on lit notre ami et si précieux camarade Jérôme Leroy, homme exquis en tout des choses de la vie, qui annonce la parution de notre flânerie autour de Paul Gégauff : c'est ici (http://feusurlequartiergeneral.blogspot.fr/2012/07/arnaud-le-guern-paul-gegauff-le-match.html) et c'est repris là avec, toujours, la charmante Mimsy Farmer en illustration :
"On croyait que le syndrome lost in seventies ne concernait que les quadras avancés et nostalgiques comme votre serviteur. Il faut croire que non. Notre ami, notre précieux camarade, notre petit frère Arnaud Le Guern, né en 76, est en effet affligé de la même pathologie. Visionnages spasmodique de films de l'époque, pillage des bouquinistes, etc... Il a cristallisé tout ça dans un essai lumineux, rapide, précis, ironique, amoureux, sexy, intelligent, joyeux sur la personne de Paul Gégauff, scénariste des plus grands, notamment Chabrol et  Barbet Schroeder et écrivain remarquable qui fut le seul hussard publié aux éditions de Minuit.L'âme damnée de Le Guern est un va et vient entre son temps et celui de Gégauff. Il compare, il sourit, il caresse. Champion, va..."

L'homme qui aimait les femmes



On aime beaucoup L'homme qui aimait les femmes, le meilleur Truffaut peut-être, avec La peau douce, un Truffaut scénarisé par l'écrivain dandy et séducteur Michel Fermaud, à qui l'on doit notamment un roman léger et réjouissant : Cinq à sec. Fermaud en a fait, également, un feuilleton, dans les années 70, avec Sophie Barjac, en fugue de l'Hôtel de la plage.
On aime beaucoup, donc, L'homme qui aimait les femmes mais on préfère, dans le genre stylé et libertin, Les Femmes de Jean Aurel, scénario et dialogues de Cecil Saint-Laurent, avec Maurice Ronet et BB. On ne se lasse pas de regarder Les Femmes et, dans Une âme damnée, on a flâné quelque peu du côté de ce film :
"Les femmes, c'est l'esprit de 68 tel que l'aime Gégauff. Le disponibilisme : préférer le plaisir, la liberté, l'imprévu et l'aventure, au bonheur. Une vie où dansent les corps révélés de Tanya Lopert, Anny Dupérey et Christina Holmes. Une vie qui n'a pas besoin de révolutionnette, juste d'une dactylo particulière qui a le visage et la silhouette de BB s'offrant à Maurice Ronet, écrivain usé, dans un compartiment du Mistral, le train de luxe qui les amène à Rome, après qu'elle a tapé les premiers mots d’un roman libertin : « La semaine prochaine, je dois épouser Marianne à Saint-Moritz et Hélène à Venise. »
in Une âme damnée, Paul Gégauff, éditions Pierre-Guillaume de Roux, à paraître le 13 septembre.

dimanche 15 juillet 2012

Petite mort au Crotoy


Il semble qu'aujourd'hui, dans le Courrier picard, notre nouvelle Petite mort au Crotoy figure en belle place. C'est notre ami Philippe Lacoche, homme à fleur de peau et romancier de beau style - lire Des Sourires qui s'éteignent que nous avons édité chez L'Archipel/ Ecriture - qui nous l'a demandée. Tchin, cher Philippe.

Il n’y avait plus de chambres libres aux Tourelles.
Ca t’a énervé, et puis non finalement. C’était mieux.Trop de souvenirs aux Tourelles. C’était en juin, déjà, mais tu as oublié l’année. Il y a trois ans, peut-être, ou quatre. Mado portait la robe noire fendue que tu lui avais offerte et des escarpins qui soulignaient la grâce de ses chevilles. Elle était bronzée, depuis votre ouiquende à Trouville, quelques semaines plus tôt. Tout juste arrivés aux Tourelles, vous aviez fait l’amour, chambre 13. Vous aviez ensuite dîné d’un plateau de fruits de mer, dans la salle du restaurant, en buvant deux bouteilles de Pouilly fumé. Tu te souviens que le Pouilly était moyen. Rien à voir avec celui de Serge Dagueneau et filles que vous buviez aux Vapeurs, à Trouville. Vous aviez fini la soirée au bar de l’hôtel avec plusieurs vodka-toniques, avant de remonter, de fumer un peu d’herbe et de refaire l’amour, jusque tard dans la nuit.
Aux Ambassadeurs, tu as vue sur la plage, sur la mer. Tu entends le bruit des vagues sur le sable. A la fenêtre, une mouette vient te saluer. Après les cris d’hier, tu profites du calme. Tu es parti très vite, sans réfléchir. Ta fille était chez sa mère pour la semaine. Tu étais saoul, Mado aussi. La troisième bouteille était de trop. Elles sont toujours de trop les troisièmes bouteilles. Vous le saviez depuis longtemps. Parfois, vous ne la sortiez pas. Trop souvent, vous cédiez. Il suffisait alors d’une phrase pour que ça déraille. La phrase, généralement, c’est toi qui la prononçait. Une bêtise, la plupart du temps. Tu ne comprenais pas que Mado n’ait jamais vu Les Biches et Une partie de plaisir. Tu soutenais que les poèmes de Paul-Jean Toulet valaient mieux que tous les romans anglais qu’elle pouvait lire. Ta voix méprisante blessait Mado qui te répondait qu’elle n’en avait rien à foutre de ton élitisme de merde, que tu ne valais rien, que tout le monde se tamponnait de tes mots. Quand elle se sentait attaquée, quand elle était en colère, Mado dégainait fort. Et tu répliquais et ça ne finissait jamais. Il y avait eu des téléphones piétinés, des lunettes cassées, des ordinateurs jetés par la fenêtre, des armoires renversées, une salade de poulpes sur un canapé, tu en oublies. Tu avais honte, Mado aussi.
Hier, tu ne sais plus ce qui s’est passé. Tu te revois arrivant à la gare du Nord, retirer ton billet à une borne automatique, appeler Les Tourelles puis Les Ambassadeurs. Tu portais le costume en lin blanc cassé que Mado venait de t’offrir pour ton anniversaire. Il était froissé, mais peu importe. Mado te le disait toujours : « Le lin n’est beau que froissé. » Tu avais ta vieille sacoche avec, à l’intérieur, trois paquets de Lucky strike, ton carnet Moleskine, un feutre noir et La bourgeoise de Cecil Saint-Laurent, dans son édition de poche. Dans le compartiment du train, tu étais seul, tu as dormi. Tu t’es réveillé dix minutes avant d’arriver à Noyelles-sur-mer. A l’entrée de la gare, le numéro de la compagnie de taxi était indiqué. Tu as appelé, es tombé sur une voix fatiguée : « J’arrive. » A ce moment, tu t’es dit que tu étais vraiment con : d’avoir gâché la soirée, d’avoir été incapable d’apaiser la situation, d’être parti, de te retrouver à deux heures de chez toi, de Mado, alors que tu n’as qu’une envie : la retrouver, lui demander pardon, en précisant pour la forme qu’elle avait exagérée elle aussi, embrasser ses lèvres, lui dire que tu l’aimes.
Dans le taxi, tu n’avais aucune envie de parler. Tu as seulement annoncé que tu allais au Crotoy, hôtel Les Ambassadeurs. Le chauffeur te regardait bizarrement. Il a dit : « Je connais » puis « Vous avez l’air sacrément fatigué ! » Pendant le trajet, tu fixais la route. Les départementales, ça te rappelait la Bretagne quand, gamin, tu arrivais à La Croix rouge, chez ta grand-mère. Mais ta grand-mère était morte depuis longtemps, tu étais loin de Mado, de ta fille, et le taxi s’arrêtait devant l’hôtel. Tu as réglé la course, regardé en direction de la mer. L’air était doux, avec un vent léger. Tu as sonné. Une jeune fille est venue t’ouvrir. C’est elle que tu avais eu au téléphone tout à l’heure. Elle n’était pas laide, avec une touche de vulgarité comme l’ont les starlettes de la télé-réalité. Elle t’a donné la clé de la chambre, t’a demandé si tu voulais un petit-déjeuner le lendemain matin. Non, tu ne voulais pas. Tu voulais qu’on te laisse tranquille. Tu voulais dormir, envoyer un mot à Mado, lire La bourgeoise de Cecil Saint-Laurent et repartir.
Ta chambre était simple, pas très grande. Un tableau assez moche, un bateau dans une tempête, ornait le mur bleu pâle. Tu ne t’étais pas endormi tout de suite. Tu n’avais pas envoyé de mot à Mado. Tu avais allumé le téléviseur. Tu avais zappé une rediffusion des Experts, des documentaires, les infos en continu. Ton numéro de carte bancaire t’avais permis d’accéder à la chaîne XXL. Trois hommes tatoués sortis d’une salle de musculation donnaient un plaisir forcé à une blonde aux seins refaits. De loin, elle ressemblait à la fille de l’accueil, en modèle Malibu beach. Tu ne détestais pas regarder des pornos ; Mado, non plus. Votre préférence allait aux films français de la fin des années 70, du début des années 80, avec Brigitte Lahaie et Marylin Jess. Tu aimais bien, notamment, ceux que Jean Rollin avait réalisés et scénarisés. Tu y retrouvais, tout autant que dans un Chabrol ou un Sautet, le monde d’avant : sa peau, ses mots, ses silhouettes. Tu n’as eu de cesse de parler du monde d’avant à Mado. Ca la faisait rire souvent. Elle se moquait de toi, avec douceur : tes actrices oubliées, ton Gégauff, ton Cecil Saint-Laurent.
Ce matin, justement, tu lis Cecil Saint-Laurent. Tu prends quelques notes. Tu sais que tu vas écrire, bientôt sur Cecil Saint-Laurent. Ton « Hussard » de coeur, même si les « Hussards » n’existent pas. Le plus oublié aussi, à côté de Nimier, Blondin ou Michel Déon. Laurent, pourtant, était le plus brillant, le plus flamboyant. Tu aimes ses sagas historiques et ses pamphlets, ses fuites dans les palaces et ses dialogues pour les films de Jean Aurel, avec Maurice Ronet. Tu aimes surtout La bourgeoise. Publié en 1974, deux ans avant ta naissance, ce roman te touche. Tu lis, pour la quinzième fois, l’histoire de Catherine, prise entre ses amours, ses désirs, son mari et son amant, une femme loin du féminisme, au plus près de ses plaisirs. Et tu penses à Mado. Tu vas lui écrire et tu vas rentrer. Tu vas t’excuser, sans préciser qu’elle avait exagéré. Tu n’es qu’un con, c’est tout.
En regardant la mer par la fenêtre, tu rallumes ton téléphone. Tu as un message : Mado. Tu imagines qu’elle t’insulte, qu’elle te dit que c’est fini. Mado, dans ces moments-là, tape aussi fort que tu lui as fait du mal. Mais non, ses premiers mots sont une caresse : « Mon amour ». Sur l’écran du portable, tu fais défiler la suite : « Il est enfin parti. Je n’en peux plus de lui. Il me pourrit la vie. Je n’ai qu’une envie : toi. Je fais ma valise et je te rejoins. Qu’il aille se faire foutre, avec sa dégueulasserie et son putain d’égo. Je suis enfin libre. Je t’aime follement Marc. » Tu vas rester, il te semble, quelques jours encore au Crotoy, aux Ambassadeurs.