mercredi 29 août 2007

Beau souci

Je pardonne à Samuel Benchetrit ses exécrables Chroniques de l'asphalte (vol. 2). Il est aimé d'Anna Mouglalis, héroïne brune à la voix caressante de fumeuse de blondes. Anna révélée par Chabrol comme Bertolucci révéla Liv Tyler dans Beauté volée : boucles lourdes de la sorcellerie à venir, lèvres boudeuses qui libèrent le sourire des petites amoureuses, arrondi blanc et lumineux des épaules, fragilité des courbes affolantes, compas des jambes sculptées par le plus obsédé des dieux voyeurs. Anna que je revois dans Le prix du désir, marchant sous la pluie, relevant sa capuche bleue d'une main légère. A cet instant, n'existe plus que la goutte qui, sur une joue, nous indique le chemin de la grâce, ce "beau souci".

lundi 27 août 2007

Pour Fanny Ardant

Fanny Ardant est une actrice qu'aimait François Truffaut, c'est-à-dire une artiste. Fanny Ardant ne s'appelle ni Bonnaire ni Binoche. A la parlotte sous les sunlights, Fanny préfère souvent le silence. Quand elle parle, sa parole est esthétique, donc hautement politique : "J'ai une admiration pour les gens qui s'engagent sans retour. Je vais peut-être vous faire horreur mais quand je pense aux Brigades rouges, à tous ces destins brisés, j'ai une vraie admiration. Vous imaginez tout ce que l'on doit abandonner d'un trait de plume ? Sa famille, ses amis, ses enfants, les belles robes... Est-ce qu'ils passent à côté de la vie ou est-ce qu'ils en prennent l'essence ? Entendre parler quelqu'un qui va au bout comme ça, c'est une aile qui vous touche."
Fanny pensait à Renato Curcio, héros. Nous pensons à Marina Petrella, mise aux arrêts par une France qu'elle aimait beaucoup. Une France qui, aujourd'hui, ne doit plus penser. Ni ressentir d'ailleurs. Une France de l'action, les menottes aux poings et le baillon sur la bouche.
Deux écrivains n'auraient pas été effrayés par les mots de Fanny Ardant : Pier Paolo Pasolini et Guy Hocquenghem. Ils sont morts. Il nous reste à relire les Ecrits corsaires et Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col mao au Rotary club.

vendredi 24 août 2007

Feu sur le centre commercial !

Que reste-t-il des zones pavillonnaires où vivaient, en périphérie de nos villes, des individus chassés du centre des mégapoles occidentales ? Des centres commerciaux à visage inhumain. C’est le point de départ du nouveau roman de J.G. Ballard qui, en fin sismographe des déflagrations de la fin du monde, fait de Métro-Centre - bunker dédié à la consommation que dirige un télévangéliste souriant et angoissant - la figure centrale et monstrueuse de Que notre règne arrive. Un non-lieu attractif comme un piège dans lequel chacun ne peut que se perdre : «Comme tous les grands centres commerciaux, le Métro-Centre étouffait le malaise, désamorçait la menace qu’il représentait lui-même, apaisait les plus méfiants […] En pénétrant dans ces temples gigantesques, nous retrouvions notre jeunesse, tels des enfants en visite chez un nouvel ami. La maison avait quelque chose d’inquiétant, jusqu’à l’apparition d’une mère inconnue, mais souriante, qui mettait à l’aise le visiteur le plus nerveux en lui promettant de petites gâteries pendant son séjour.»
La violence et la haine au rendez-vous
Un univers riche en passions explosives que Richard Pearson, publicitaire au chômage, va rencontrer à Brooklands, dans la banlieue de Londres. Il y arrive pour enquêter sur la mort étrange de son père en plein Métro-Centre. Il découvre surtout, jour après jour, la folie d’un monde où les hommes ressemblent, de plus en plus, à «un troupeau de bêtes sauvages, dans la savane.» Quels que soient ses interlocuteurs - psychiatre, médecin, policier, avocat -, la démence rôde et les apparences vacillent avec toujours, ultime avatar d’un Big Brother tentaculaire, Métro-Centre tel un mur de la peur contre lequel se heurte toute vérité. Au contact de la violence sauvage à l’œuvre dans les rues, à la sortie des stades de sport - une violence nourrie de haine raciste -, Pearson lui-même va en perdre ses repères. Mi-pantin errant mi-manipulateur, il s’englue peu à peu dans ce nouveau monde dont il découvre les règles. La figure de son père, les souvenirs et les images qui lui restaient du vieil homme, tout s’estompe finalement au profit du credo de la «République du Métro-Centre» : «C’est une nouvelle démocratie où on vote dans les rayons, pas aux urnes. Le consumérisme est le meilleur instrument de contrôle de la population qui ait jamais été inventé. De nouveaux fantasmes, de nouveaux rêves et antipathies, de nouvelles âmes à soigner. Je ne sais pas pourquoi on appelle ça courir les magasins. En réalité, il s’agit de la politique la plus pure.»
Chez Ballard, la fin du monde a un goût de cendres et l’éclat froid d’une lame qui se reflète dans la nuit.
in L'Opinion indépendante, le 24/08

J.G. Ballard, par Jérôme Leroy

Il est écrit que vous avez «abusé» de la lecture de Ballard. Quelle a été votre première approche de son œuvre ?
Le Ballard qui m’a d’abord fasciné et qui, aujourd’hui encore, quitte rarement mes pensées, n’est pas celui qui est le plus lu et le plus connu. Je me souviens de la découverte de quatre volumes, publiés en France dans les années 60/70 chez J’ai lu et Press Pocket. Ils mettaient en scène des fins du monde intimistes provoquées par différents éléments terrestres. Dans Le Monde englouti, l’eau inonde une planète qui souffre du réchauffement climatique ; dans Le Vent de nulle part, la terre est balayée par un vent permanent ; dans Sécheresse, le feu ravage des territoires surchauffés desquels l’eau a disparu ; enfin, dans La Forêt de cristal, une épidémie métamorphose les créatures vivantes en statues de cristal. Ce qui m’a immédiatement intéressé, c’est la manière nouvelle avec laquelle ces romans d’anticipation atypiques imposaient le thème de la fin du monde. Ballard y analysait, sans lourdeur aucune, la façon dont la vie s’est lentement désinvestie du monde où nous vivons. Il le faisait, qui plus est, par le biais d’une figure artistique qui me plaît beaucoup : la variation sur le même thème.
L’idée de la fin du monde est pourtant une figure imposée et récurrente de la littérature de science-fiction. Elle paraît même être fondatrice du genre …
Chez Ballard, l’approche du thème est neuve. Il n’y a chez lui aucun côté moralisateur. Sa vision de la fin du monde n’est ni marxiste ni chrétienne, c’est-à-dire que la fin n’est pas un commencement, le début d’une ère nouvelle. La fin du monde, pour Ballard, appartient à l’ordre de l’intime et du banal. C’est avant tout le décor naturel de son œuvre. Il n’a d’ailleurs pas besoin de l’expliquer, de le décortiquer comme le font trop, de nos jours, les auteurs de thrillers américains. Dans les romans de Ballard, on ne sent jamais le poids de la documentation ou des heures de recherche en bibliothèque. Le monde se termine, c’est ainsi, c’est un constat qui, dans le cadre du récit, se passe d’explications. Au cœur de cette fin du monde survivent des individus déboussolés par le changement, des couples en crise dont les mouvements et les états d’âme sont le tissu de la narration. En pleine Apocalypse, ce qui est intéressant, c’est de savoir comment on vit, comment on lit, comment on fait l’amour. La marque de Ballard tient dans ce savant mélange de grande histoire et d’intimes battements qui agitent chacun. On retrouve là l’usage le plus intéressant de l’anticipation : une manière de parler de l’époque et des «hommes d’avant» au sein de cette époque.
L’un des traits les plus frappants, dans l’œuvre de Ballard est l’explosion des genres. Il est rattaché à la science-fiction, à l’anticipation, mais on trouve également dans son œuvre des éléments propres au roman noir ou à l’étude de mœurs. Il déclarait d’ailleurs : «Je ne voudrais pas que le lecteur aborde Crash ! en se laissant enfermer dans les limitations - qui n’impliquent pas d’ailleurs un jugement péjoratif - qu’on a l’habitude d’attribuer à la science-fiction.»
C’est l’une des caractéristiques principales de Ballard : son art romanesque mêle des éléments sociologiques forts et pertinents sur le monde dans lequel nous vivons et une approche poétique qu’on retrouve, aussi, dans un texte très avant-gardiste comme La Foire aux atrocités qui posait plusieurs jalons de l’œuvre à venir, notamment la réflexion et la mise en abîme du couple infernal de la modernité : les machines et l’homme. Au cœur de la fin du monde, de l’Apocalypse contemporaine, la seule manière de cerner ce qu’est, aujourd’hui, la réalité passe par ce type de confrontation. Le rapprochement de la sociologie et de la poésie permet de raconter la fin du monde comme une tragédie grecque, en prenant acte, froidement et sans soubresaut moral inutile, des bouleversements et en faisant surgir des images fortes comme les garages à voitures de notre enfance, les parkings loin de tout, les hôtels abandonnés…
La réalité de l’Apocalypse semble s’être accentuée dans les derniers ouvrages de Ballard où le monde apparaît plus que jamais comme un «cauchemar climatisé», une sphère où la mort de l’homme règne en maître. Certains critiques reprochent d’ailleurs à Ballard de se répéter. N’est-ce pas une manière de se voiler la face devant les ravages provoqués par certaines formes de la modernité ?
Certains des derniers ouvrages de Ballard sont sans doute moins réussis - je pense à Millenium People - parce que moins poétiques. Mais la réflexion développée dans ces ouvrages prend, je le répète, sa source dans les premiers romans de l’écrivain. Il est fort intéressant d’ailleurs de relire aujourd’hui ces romans - pour peu qu’on les trouve ! L’intuition fondamentale de Ballard est que l’homme est de moins en moins à sa place dans le monde. Il suffit, par exemple, de se plonger dans les journaux du jour pour comprendre la réalité de ce constat : le pire d’hier, les histoires contées jadis par la science-fiction - agitation géopolitique, dérèglements climatiques notamment - sont devenues le commun de l’époque. Si quelques commentateurs font mine de s’en offusquer, la plupart s’en moquent ou applaudissent les nouveaux rapports de force. Ballard, lui, dans ses romans, nous dit que l’Apocalypse doit se vivre comme un moment atroce et formidable. Mais elle doit se vivre !
D’où vient chez Ballard cette appréhension très personnelle de l’Apocalypse ?
Elle est directement liée à sa vision sociologique et poétique de la réalité, c’est-à-dire à son art d’observer, de décrypter et de ressentir ce qui l’entoure. La subtilité et la complexité de son regard vient de là. Il est intéressant de rapprocher cette vision des écrits d’un philosophe allemand proche de l’Ecole de Francfort : Gunther Anders. Dans un texte magnifique, L’Obsolescence de l’homme, il raconte sa visite d’une exposition consacrée aux arts ménagers américains. Rapidement, devant l’amas de mécaniques parfaites qui s’offre à lui, Anders se sent inférieur à ce monde de machines. Sa conclusion, on la retrouve au cœur de tous les ouvrages de Ballard : l’homme a créé un système de vie dont il s’exclut lui-même. Ce que Ballard appelle l’Apocalypse, Anders le nomme «le temps de la fin». Le constat est identique : l’homme a imaginé lui-même sa fin du monde, n’étant plus qu’une pièce usée parmi d’autres pièces. C’est flagrant, par exemple, dans Super Cannes : le cadre du roman est une zone luxueuse apparemment ultra sécurisée où, pourtant, personne n’est en sécurité, où la violence est le mode d’expression de tous.
Quelle est aujourd’hui l’influence de Ballard ?
Concernant l’époque dans laquelle nous vivons, Ballard nous laisse son intuition première et fulgurante : la fin du monde est une banalité qu’il ne s’agit pas de juger. Il reste à l’homme à survivre dans ce milieu hostile, à continuer, autant qu’il le peut, d’user de ce qui lui reste de liberté comme il le souhaite. Concernant l’influence, enfin, que pourrait avoir Ballard sur d’autres arts, comme le cinéma par exemple, son oeuvre me paraît trop subtil, trop complexe pour sortir de son cadre littéraire originel. Un roman comme Sécheresse semble ainsi inadaptable. Seul Cronenberg, avec son génie, a réussi à transposer à l’écran l’atmosphère métallique de vie et de mort qui hante les pages de Crash ! Il n’y avait sans doute que lui pour parvenir à ce résultat hypnotique et immortaliser, avec Debra Unger, la grâce absolue de l’héroïne ballardienne. Ce qui nous reste de Ballard pourrait donc être une certaine idée de la fin du monde et la beauté de Debra Unger…
in L'Opinion indépendante, le 24/08

jeudi 23 août 2007

Piuma

Pour siester sur les nuages d'une fin d'été, il faut écouter Piuma. Deux demoiselles "électrico-folk" qui, sur scène, ont la grâce fragile et hypnotique des bulles de champagne : voix chargée de frissons bluesy, rythmique légère et précise comme des signaux de fumée. Deux demoiselles dans le vent qui aiment Pénélope Cruz, Prince et Bonjour Tristesse de Françoise Sagan.
Piuma, c'est des textes en anglais et des textes en français, parmi lesquels "Abîme" où l'on entend : "Ton silence parle / Et quand tes yeux reflètent le fond de tes pensées / C'est la courbe de tes cils qui en sourdine dessine mon abîme ". Une manière de retenir, un peu, la nuit :
www.myspace.com/piumamusik

lundi 20 août 2007

vendredi 17 août 2007

En carafe

Fin de la terre, soleil rouge, écume, vent violent, champs de blé, moissonneuse-batteuse pareille au Big Truck dans Duel de Spielberg, family, muse, musette, cris, larmes, caresses, peau retrouvée comme le temps, Russie avec Emmanuel Carrère, le New York de Lawrence Block et d'Andy Sipowicz, le Boston de Robert P. Parker, l'enfer de OZ, Rose MacGowan héroïne ballardienne, back home sweet home, Paris au mois d'août...
Les mots ? En carafe, en attendant d'être en bouche !