mardi 27 septembre 2011

9 avril 1973


"Pour voir la fuite rouge du poisson
J'empruntais ton regard.
Pour cueillir les framboises,
C'était ta main.
Les soirs de juin,
Les hivers de cristal
Et les soleils, si loin, si loin ;

Le lait gris des aurores
Les parfums du parquet
Et ces tremblants mystères
Du banc sous le sapin,
Du pot-au feu qui bout,
De cet oiseau, que fait-il là ?

Le creux si doux des heures,
L'aile des phares la nuit,
La plainte des cargos,
La lande, la grève,
Le vent qui sèche les pleurs,
Explique-moi ;

Je veux savoir, ange du bizarre,
Je veux savoir
Qui les habille maintenant, les lilas de la vie,
En taillant dans le vide,
D'immenses coupons de nuit."

Paul Gégauff, A Danielle, poèmes inédits

samedi 24 septembre 2011

Un conte de la barbarie ordinaire


C'est un lambeau triste de l'histoire de France des années 00, la suite contemporaine de ses romans XXe siècle L'Appât, Maos et Ils ont tué Pierre Overney, que raconte Morgan Sportes dans Tout, tout de suite.
Du drame médiatiquement labellisé « L'affaire du gang des barbares », il crée un « conte de faits » au style glacé et parfait comme la mort au bout de la tragédie. Nul Youssouf Fofana ici, pas plus d'Ilan Halimi. Nous sommes dans un roman monumental qui se situe, par-delà la haine, dans l'écume « cradingue » de Paris-banlieue : « En 2006, un citoyen français musulman d'origine ivoirienne a kidnappé et assassiné, dans des conditions particulièrement atroces, un citoyen français de confession juive. J'appelle le premier Yacef, le second Elie. L'un a 25 ans, l'autre 23. »
Les pieds-nickelés de la haine
Pourquoi Yacef, caïd des territoires oubliés de la République, a-t-il kidnappé Elie ? Parce qu'il était « feuj' », que les « feujs » sont riches et que sa vie valait 400 000 euros.
Yacef a convaincu de sa vérité une petite armée de chiens abandonnés, sans jobs ni attaches. Des hommes qui répondent aux noms de Kids, Capuccino, Khaled, Gérard, Krack, Big Mac. Des filles aussi qui, entre une raclée et quelques billets glissés dans le string, serviront d'appâts, telles des petites soeurs déclassées de Valérie Subra. Celle qu'il faut au plan de Yacef s'appelle Zelda. Elle n'a pas 20 ans. Elle est sexy, bête et provocante. Elle rêve de gloire et de fric. Elle est prête à tout comme l'héroïne d'un film de Gus Van Sant.
Le 17 janvier 2006, c'est elle qui, boulevard Voltaire, pénètre dans un magasin de téléphonie mobile, aguiche Elie auquel elle donne rendez-vous, trois jours plus tard, au Bouquet d'Alesia, un bistrot du XIVe arrondissement. Elle le guidera au coeur du traquenard fatal.
Jusqu'au 13 février, Elie sera séquestré dans un appartement, puis dans une cave, d'une cité de Bagneux, rue Maïakovski. Les poètes, parfois, sont grimés en soldats inconnus. Surveillé par une horde abrutie de geoliers amateurs, Elie est nu, ligoté, cogné, brûlé, à peine nourri, entre autres tortures. Quand on demandera à certains la raison qui les a pousser à accepter un tel rôle de kapo, la réponse est toujours identique : « Pour l'argent. »
Tout, tout de suite suit les tribulations des enfants de TF1 et de Tony Montana, modèle bling bling de Yacef. Jadis, les enfants étaient tristes ; aujourd'hui, ils n'ont gardé de la tristesse qu'une haine désincarnée en violence pure. Ecoutant les rappeurs Booba et 50 Cent, lisant Guy Debord, Adorno et Jaime Semprun, Morgan Sportes arpente l'enfer des jours et des nuits d'Elie, ausculte les soubresauts psychologiques de Yacef. Il a décortiqué les 8000 pages du dossier d'instruction, écouté la famille d'Elie et les autorités judiciaires, consulté les sms et les mèles envoyés par Yacef et ses pieds-nickelés criminels. Sportes ne parle jamais de « barbares », ce cache-sexe lexical visant à ne pas se plonger dans nos temps de crise permanente et de chômage de masse, dans la banalité du mal, .
Le mal, Sportes l'a suivi à la trace, pistant les odeurs de soufre et de sang. De Bagneux à Bobigny en passant par Abidjan, des laveries automatiques aux Hippopotamus, de Chatelet-Les Halles au bois du Genou où le corps d'Elie a été retrouvé : « Entrer dans ce bois, c'est entrer un peu dans l'âme de Yacef, c'est-à-dire dans l'âme sauvage de nos société. »

Morgan Sportes, Tout, tout de suite, Fayard, 2011
Article paru sur Causeur.fr, septembre 2011

mardi 13 septembre 2011

Ca a commencé comme ça


_ Tue moi si tu veux, mais arrête de m'emmerder.

Au commencement, cher Paul, votre mort à la boutonnière.
Programmée.
Pasolinienne.
Tranchante.
Elle n'est à l'heure, affirmiez-vous, que dans les contes chinois. Vous la compariez à une gourmande qui avale sans plaisir. Vous la craigniez comme vous craigniez les imbéciles et votre contrôleuse des impôts.
_ L'avenir, c'est la mort ma pauvre vieille !

Dans mes papiers archivés, j'ai retrouvé une page du Monde, daté du 28 décembre 1983 : « Paul Gégauff, soixante et un ans, écrivain et scénariste, a été assassiné de trois coups de couteau, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 décembre 1983, par sa compagne âgée de 25 ans, à Gjovik, en Norvège. La jeune femme, dont l'identité n'a pas été révélée, a reconnu les faits. »

On dirait une nouvelle en trois lignes de Felix Fénéon. Perfection froide de la brève. Un beau début de roman, polar nordique très loin des Stieg Larsson et autres Indridason. Une histoire d'amour noir, de folie douce et de petite mort comme les racontait, dans ses chroniques chics et morbides de Vanity Fair, Dominick Dunne, comme les filmaient des petits maîtres talentueux des années 70, des années 80, sur des scénarios de Jean-Patrick Manchette.
La jeune femme s'appelle Coco. Norvègienne métissée, apprentie comédienne aperçue chez Rohmer et fatale héroïne de votre ultime bye-bye. Vous l'aviez épousé, aviez eu une petite fille, Elise, presque deux ans.
Ca n'était pas de votre âge. Ca n'était pas en ligne avec les diktats de nos tristes temps. C'est ce qui vous enchantait.
Vous étiez un poète tendance Paul-Jean Toulet, un dandy dilettante et une gloire gâchée du 7e art selon « les professionnels de la profession. »
Une sacrée carte de visite à l'heure où Luc Besson grillait ses premières pellicules.

Je rembobine les bandes, dans le désordre.

Un garagiste de Quimper, au volant d'une Mustang noire, sa belle-soeur en larmes et en robe d'été à ses côtés, renverse un bambin blond en ciré jaune, prend la fuite, beugle des horreurs.
Une jeune biche, parée de chagrin et de jalousie, oublie le pont des Arts, les heures douces à Saint-Tropez et plante son couteau dans le dos d'une sensuelle héritière.
Un parasite élégant troue la peau d'un fils de famille Américain, sur une musique de Nino Rota et sur un voilier au large des cotes d'Italie, jette le corps à la baille puis prend sa place dans sa vie et dans celle de sa fiancée.
Un motocycliste moustachu, Don Juan psychopathe des bals du samedi soir, étrangle une vendeuse d'électro-ménager trop fleur bleue, après l'avoir embrassée dans un bois dans la banlieue de Paris.
Une jeune femme qui ressemble à Sissi creuse un trou dans le jardin d'une maison de ville, y enterre le corps de son amant, qu'elle croyait déjà mort, qu'elle vient de poignarder dans sa cuisine, effrayée par les promesses de violence.
Vous-même, Paul, jouant votre propre rôle à peine déformé dans le miroir de la mémoire, vous cognez à coups de pieds Danielle, femme de votre vie en fuite, vous l'achevez sur le rebord gris d'une dalle mortuaire, fou d'amour inconsolé.

Toujours sur le fil des excès et de l'éclat, vous vous êtes tiré en 24 images/seconde, comme dans les films que vous signiez pour Chabrol, René Clément ou Barbet-Schroder.
C'était écrit.
C'était bien fait pour vous.
C'était, surtout, la fin d'un monde de légèreté et de profondeur, de plaisirs et de mélancolie, d'alcools et de volutes.
Il y avait Vadim et Ronet, Sagan et les frères Marquand, Brialy et Jean Yanne, Jacques Laurent et Jacqueline Sassard.
Désormais, il y a des morts et des vivantes qui se sont fait la belle.
Je me demande ce qu'est devenue Jacqueline Sassard.
Elle ressemblait aux vacances et à miss K., la plus jolie fille de la fin du monde.
Je vous parlerai de miss K., cher Paul, de Jacqueline Sassard aussi, de quelques autres enfin.
Il y aura des rires et des larmes, des insultes et des tchin-tchin joyeux, des bikinis et des peaux bronzées.
La Dolce vita danse encore, sur le rebord des tombes.
Tout part de là : l'oubli, le souvenir, la lame du temps sur laquelle je vagabonde dans le fracas de vos lambeaux de vie.
(Gégauff n'est pas mort - extrait)

Beigbeder au coeur d'une bibliothèque en ruines


Dans le Service littéraire du camarade Cérésa, en vente jeudi prochain, vous pourrez lire mon ami Christian Authier parlant de Simon Liberati. Roland Jaccard, François Bott, Eric Neuhoff, Anthony Palou également. Et mes quelques mots sur les 100 livres que Frédéric Beigbeder embarquerait sur cette île déserte que nous cherchons tous ...

Quand Jeff Bezos, pédégé d'Amazon, inventeur d'une tablette numérique froide comme un cadavre et serial killer du verbe chair, assure que “Le livre papier est une vieille technologie qui a beaucoup d'inconvénients”, Frédéric Beigbeder sort son revolver. Faisant feu de mélancolie, il se souvient des doigts délicats d'une jeune fille tournant, dans un avion, les pages d'Amants, heureux amants de Valery Larbaud. Beigbeder a raison : les jeunes filles ont un charme fou alors que leurs yeux se posent sur une couverture, sur des caractères imprimés, et qu'elles se laissent happer par une histoire titrée Mémoires d'un jeune homme dérangé ou Un roman français.
En 2001, Beigbeder s'était intéressé, avec Dernier inventaire avant liquidation, aux 50 ouvrages préférés des Français, saluant notamment Breton, Fitzgerald, Céline et Proust. Dix ans plus tard, dans Premier bilan après l'apocalypse, il choisit lui-même, godelureau snob et popu à la fois, 100 livres à rapter au coeur de nos bibliothèques en ruines.
Peaufinant des chroniques données à Voici, Playboy et au Figaro magazine, il offre le roman de ses lectures, se raconte dans le miroir d'artistes aux fêlures masquées de style. Il évoque sa découverte de San Antonio, trinque chez Castel avec Jean-Jacques Schuhl et Bernard Frank, réunit Bukowski et Truman Capote, oublie Morand et Drieu la Rochelle au profit du cinéaste Yann Moix, dérive dans New York avec Jay McInerney, partage la Vie de Patachon de Pierre de Régnier avec Simon Liberati, se rappelle sa rencontre avec Blondin, tombe amoureux d'héroïnes nommées Sagan ou Dorothy Parker. En éternel gamin de Guéthary et parolier des sensuelles Chanteuses, Beigbeder parle aussi de Paul-Jean Toulet comme personne : “Orphelin de mère, il a cherché sa beauté toute sa vie, partout, l'a retrouvée parfois, et perdue souvent.
Au hasard d'une page, enfin, il donne la clé de cette beauté, écho infini de nos plaisirs : "Oui, on aimerait, comme James Salter ou Charles Simmons, devenir un beau vieux, au lieux d'un vieux beau. Simplement s'asseoir en costume froissé, et fermer les yeux pour se récapituler, glanant çà et là les moments de joie qui ont justifié notre présence sur terre. Oh, ce n'était pas grand-chose, “une maîtresse italienne tout ce qu'il y a de bien, qui prenait l'avion n'importe où pour me rejoindre", trois fois rien, les yeux émeraude de Lara Micheli, un soir d'automne, au Café du Soleil, à Genève …" Après l'apocalypse, lisons Beigbeder.

Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l'apocalypse, Grasset, 2011
Papier paru dans Service littéraire, septembre 2011

Le petit soldat


Le deuxième film de Godard, après A bout de souffle. Tourné en 1960, sorti en 1963. La Suisse, l'Algérie, un petit soldat perdu de la guerre. Michel Subor porte des lunettes noires, croise des barbouzes partisans de l'OAS et des porteurs de valises. Il hésite entre tuer et mourir.Il est en fuite, se retire dans la douceur anonyme d'une chambre d'hôtel. Il photographie Anna Karina, l'aime, lui parle comme plus personne, aujourd'hui, ne sait parler. Ses mots, pour beaucoup, sont ceux de Paul Gégauff. Bernanos et Drieu la Rochelle sont cités. C'était quelque chose Godard, ces années-là. Ca l'est toujours dans notre mémoire. L'historien froid, précis et sensuel du monde d'avant.

lundi 5 septembre 2011

Qui ?

Avec une attention infiniment touchante, mon ami et camarade Jérôme Leroy - nous reparlerons ici et ailleurs de son roman Le Bloc, à paraître le 6 octobre dans la Série noire, roman poétique et politique, roman d'amour, roman de la nuit et des crépuscules de la vie - m'appelle pour me dire qu'il a trouvé, à la braderie de Lille, Qui ? de Léonard Keigel.
Un film peu connu de 1970.
Dialogues de Paul Gégauff.
Avec Romy Schneider et Maurice Ronet. Avec aussi la charmante Simone Bach.
Pas le meilleur scénario de Gégauff, disent "les professionnels de la profession" qui, définitivement, nous les brisent.
Qui ?, pourtant, avec ses quelques défauts formels, est une merveille.
Ca commence, sur les cotes de Bretagne, par un faux meurtre et ça se finit par un vrai.
Les bords de mer sont beaux, escarpés et angoissants. On veut y repêcher un corps qu'on ne trouve pas, un corps qui hante l'histoire sur une musique de Claude Bolling.
Maurice Ronet joue un architecte dilettante. Il soupçonne Romy Schneider d'avoir assassiné son frère. Il tombe amoureux d'elle, se saoule, roule beaucoup trop vite, comme on roulait ces années-là, sur des routes départementales.
Romy, dans Qui ?, est belle comme dans La piscine. Elle se nomme Marina, semble perdue, obsédée par de lointains fantômes.
Romy en bottes et manteaux noirs, Romy allongée sur le lit et la main de Ronet qui glisse sous la robe, le long des bas qui s'effilent, la main de Ronet qui remonte et sa voix qui dit : « Il te faisait l'amour comment mon frère ? »
Romy répond : « Arrête, tu vas finir par me dégoûter autant que lui ».