Un
des plaisirs de l’automne naissant, avec les chaudes nuits
érotiques et les dernières terrasses : les livres
buissonniers, loin de la course aux prix. Ca peut être la très
belle « remise au point » de Patrick Besson, Contre
les calomniateurs de la Serbie
(Fayard), les lettres électroniques envoyées par Alain Bonnand à
notre ami Roland Jaccard, Le testament syrien
(Ecriture), ou le roman de François Simon : Dans
ma bouche.
On
doit beaucoup d’enchantements à François Simon, grand reporter et
chroniqueur gastronomique, masqué comme Zorro. Sans lui, par
exemple, nous serions passé à côté de la meilleure table de
Paris, « donc de
France » comme le
dit Michel Duchaussoy dans Que a bête meure :
Le Jeu de quilles,
rue Boulard, dans la quatorzième arrondissement, où Benoît Reix
cuisine comme personne le carpaccio de veau sous la mère au parmesan
et le boeuf du voisin Hugo Desnoyer – avec lequel Simon a signé Un
boucher tendre et saignant (Assouline)
- et où Guillaume, en salle, sert des vins blancs exquis - le
Milouise de Jean-Philippe Padié - qui permettent aux demoiselles de
passer des soirées adorablement grisées.
Le
Jeu de quilles aurait pu
être une des tables, au coeur de Dans ma bouche,
où François Simon promène son élégance libertine. Elle n’y est
pas : ce sera pour un prochain texte, au gré de l’inspiration
de l’écrivain. Dans ce livre qui n’est ni une Angoterie ni un
pavé Wikipedia, Simon n’en fait qu’à sa fête. Le charme est
là, qui se joue des codes du genre. L’éditeur veut un roman ?
Simon l’agrémente à son art, suivant le fil de ses jours et de
ses nuits. On devine qu’il a paressé, en dandy, sur son ouvrage.
Ecrire, oui, mais la vie allume ailleurs quelques incendies
remarquables. Il y a ce déjeuner chez
Thoumieux, un voyage au
Japon ou à Hambourg, des rendez-vous avec Jeanne Moreau et Catherine
Deneuve, une causerie de Jean d’Ormesson, les dîners de « bad
boys » au Café
Cartouche ou chez Yves
Camdeborde, entre Avant-Comptoir
et Comptoir du Relais.
Il y a aussi le charme si discret de la province, célébré d’une
langue précise : « J’ai
toujours eu un faible pour Dijon, superbe Facel-Vega remisée sous
une bâche. Je m’y retrouve une nouvelle fois seul, à l’hôtel
de la Cloche. Je m’arrange pour arriver tôt dans la journée,
déambuler, flâner. J’y cherche des fantômes. Les cueille à
chaque coin de rue, car les piétons de ce jour ne souhaitent pas
outre mesure incarner le moment. »
Il y a enfin ces héroïnes pour lesquelles on file à travers la
ville, on réserve des chambres d’hôtel, on réinvente avec
diablerie la séduction : « Dans
une côte rôtie renversante de chez Gaillard, je glisse une petite
dose de MDMA d’une remarquable qualité. »
Elles ont parfois l’anonymat des escortes ou s’appellent Manuela,
Flore, Grazia, Fang, Pascale, Kasumi. Elles sont à se damner, à
croquer et à boire, là où leur désir bat, rendent heureux puis
triste, la mutine Soo plus que toute autre. C’est ainsi que, avec
Dans ma bouche,
François Simon nous offre, au rythme des baisers volés et des
baisers perdus, un beau roman d’amour, de sexe et de mélancolie
des choses de la vie.
François Simon, Dans ma
bouche, Flammarion 2012
Texte paru sur Causeur.fr, le 7/10/2012