lundi 27 février 2012
Pierre de Régnier dixit
"A notre époque, les femmes passent de mode, aussi bien dans la vie courante qu'en littérature : ce ne sont qu'analyses d'états d'âme, vices effroyables ou non, voyages éperdus, mais de femmes, point. Le genre romanesque tend à disparaître presque complètement, étiqueté vieux jeu et ridicule ; sans romancer pourtant, on pourrait s'occuper un peu plus des femmes, même sans évoquer l'amour et sans prendre l'air transi, mais en évitant avant tout de les traiter en conquérant, du haut de la plus odieuse fatuité et de la fausse supériorité masculine ; je m'en vais essayer d'un parler aujourd'hui, à armes égales, et en me basant, puisque l'amour, "la vraie amour", n'existe pas, sur un vieux fond de sagesse et de mélancolie, tout en m'excusant, bien bas, auprès du lecteur habitué aux livres modernes, d'avoir l'audace d'aimer les femmes."
In La femme, La nouvelle société d'édition, collection "L'homme à la page", Guides utiles à ceux qui veulent vivre la belle vie, 1928
dimanche 19 février 2012
Laurent de Sutter dixit ...
"Comme il faut parfois protéger ses yeux avec des lunettes de soleil, il arrive aussi qu'il faille protéger les rêveurs trop sensibles en leur fournissant de fausses zones d'ombre où reposer leur être saturé d'affects."
A lire dans Pornostars, fragments d'une métaphysique du X, publié en 2007 à La Musardine, un petit livre très dandy où s'offrent les corps de Clara Morgane et Tiffany Hopkins, entre autres, et où Annie Le Brun est citée. Tout pour nous plaire. Encore plus quand on sait que De Sutter a écrit, pour la collection de notre ami Roland Jaccard - Perspectives critiques aux PUF : De l'indifférence à la politique. Un sacré programme.
jeudi 16 février 2012
Paris vaut bien un Viry ...
Les choses de la vie sont compliquées pour Marius de Vizy. Chroniqueur littéraire tendance catholique branché, aristocrate haut-savoyard de Paris, il doit organiser un dîner en l'honneur de Michel Houellebecq avec, évidemment, d'affriolantes donzelles pour égayer la nuit. Sa carte de visite - “Marius de Vizy, de la Revue des deux mondes” - n'ouvre pas beaucoup de portes. Marius appelle Frédéric Beigbeder, talent scout extra. Des filles de l'est, des filles de bonne famille, des filles délurées : tout sera bon pour Houellebecq et les quelques autres invités choisis. Iggy Pop, lui-même, sera de la partie. Dans un club passe Lolita Pille, “boudeuse et gentille à la fois, comme Sagan”, qui traîne son spleen et le prochain roman qu'elle tarde à écrire. Sur un canapé, un critique paresse, un autre embrasse une attachée de presse. A propos du texte d'une romancière, une phrase fuse : “Une histoire de concombre surgelé fourré au loukoum tiède.” A l'esprit de toutes les silhouettes croisées : en être ou ne pas être, et avoir le Goncourt.
A nous deux, Saint-Germain-des-prés !
Dès la mise en bouche de Mémoires d'un snobé, on est prévenu : “Pour des raisons de confort, l'action se déroule principalement dans le VIe arrondissement de Paris. Une usine d'abattage de poulets aurait aussi fait l'affaire.” Chaque page du roman de Marin de Viry tient cette ligne de style : une drôlerie froide et dilettante, où se pose un voile de mélancolie.
Derrière la satire parfaite du milieu de l'édition et des dialogues de pétroleur de l'humour, il y a l'angoisse au coeur. Un moderne Rastignac tremble de ne pas être vu, reconnu, lu et aimé. Entre le prix de Flore et des fêtes sous vodka, il n'est jamais à l'abri d'une moquerie, des humiliations d'un directeur littéraire, d'un agent sans scrupules, d'un sms fielleux ou d'un coup de foudre.
On a beau être marié, on n'en est pas moins amoureux de la même femme fatale depuis des années. Elle s'appelle Caroline, héroïne à la langue affutée : “Tu penses que nous aurions été heureux si tu avais eu des couilles, à l'époque ?” On parle d'elle à un oncle de province, qui ne comprend rien. On en parle à des amis, qui se bidonnent. On en parle à son épouse, qui répond : “Embrasse-la pour moi.” Séduit par l'idée, le moraliste peut alors noter dans son carnet : “Un sale type marié à une catholique incandescente pourrait même utiliser l'examen de conscience comme alibi pour un adultère.”
Au petit matin, le temps des éclats de rire et des caresses passé, la chair ne cache pas sa tristesse. Il est l'heure de se parer de noir pour assister à un enterrement. Certains diront qu'il s'agit de celui des illusions perdues, sur un air de Boris Vian : “J'suis snob / Encore plus snob que tout à l'heure / Et quand je serai mort / J'veux un suaire de chez Dior.”
Marin de Viry, Mémoires d'un snobé, Pierre-Guillaume de Roux, 2012
Article paru dans Causeur magazine, février 2012
mardi 14 février 2012
Initiales BB
Plume stylée, Marie-Dominique Lelièvre a du goût pour les mythologies françaises : après Gainsbourg, Sagan et Yves Saint-Laurent, elle s'intéresse à Bardot.
Quand on veut tutoyer les étoiles et qu'on flâne du côté de BB, le style est l'arme qui s'impose. Bernard Frank, Sagan et François Nourissier ont déjà esquissé la silhouette de Bardot sur la page blanche. Cecil Saint-Laurent, Nina Companeez et Paul Gégauff, entre autres, lui ont offert, en 24 images/ seconde et sur la pulpe de ses lèvres, des mots qui restent.
Dans Brigitte Bardot, plein la vue, Lelièvre se souvient de la petite fille qu'elle était, imitant BB devant sa glace, découpant ses photos dans les magazines de mode, danseuse comme elle. Faisant corps avec son héroïne, Lelièvre suit au plus près le beau scandale de son apparition : et Vadim créa la femme, qui fugue loin de lui. Bardot tourne avec Clouzot, Godard, Louis Malle, Autant-Lara, Michel Deville. Ses films lui attire une gloire encombrante et des amants. La liste est impressionnante. Ca ne la rend pas heureuse. Elle en a marre, des hommes et de la vie. Elle ne peut toutefois se passer des deux. Aslan la sculpte en Marianne et à la Une de Lui. Parce qu'elle est blonde et court vêtue, on la pense idiote. Marylin Monroe a encaissé les mêmes coups. BB répond avec éclat dans ses interviews, entre sourire triste et moue boudeuse:
- Quel fut le plus beau jour de votre vie ?
- Une nuit.
- Qu'aimez-vous faire dans la vie ?
- Ne rien faire.
- Que pensez-vous de l'amour libre ?
- Je ne pense jamais quand je fais l'amour.
A l'écoute de cette langue vivante, il importe peu que Bardot ait pu dire et écrire, ces dernières années, quelques bêtises. Lassée du cinéma, elle a tout arrêté en 1973. Saint-Tropez est son dernier palace, c'est-à-dire sa retraite loin de l'immonde : « Mais aux premiers jours de l'été / Tous les ennuis oubliés / Nous reviendrons faire la fête aux crustacés / De la plage ensoleillée ». Elle a trouvé avec les animaux ses compagnons les plus fidèles.
Que ceux qui n'ont plaisir qu'à lui chercher des noises et se foutre d'elle se repassent plutôt, en boucle, BB en lunettes noires et en Italie dans Vie privée, BB nue offrant ses fesses à Piccoli dans Le Mépris, BB marivaudant avec Maurice Ronet dans Les femmes, BB au volant de sa Rolls-Royce dans l'Ours et la poupée, BB enlaçant Jane Birkin dans Don Juan 73, BB dans tous ses films. Une certaine idée de la France, c'est elle.
Article à paraître en Une du Service littéraire de François Cérésa, numéro 49, février 2012
Marie-Dominique Lelièvre, Brigitte Bardot, plein la vue, Flammarion, 2012
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