jeudi 30 décembre 2010

La possibilité d'une île

Pour suspendre le temps et oublier la nouvelle minuscule fin du monde qui se pointe, avant pendant après l'amour, nous fumerons des cigarettes blondes, nous boirons du champagne - Drappier zéro dosage -, du vin blanc, un Cheverny de chez Villemade ou un Pupillin d'Overnoy, par exemple, comme ces bouteilles bues avec le camarade Leroy au Jeu de quille - 45 rue Boulard Paris XIVe, nous parlerons de la grâce des apparitions et des jolis hasards du beau bizarre et, sourire aux lèvres, nous écouterons la bande-son des douces ivresses de toujours :


Louise Feron - Tomber sous le charme

Jil Caplan - Natalie Wood

Guesch Patti - Etienne

Niagara - L'amour à la plage

Anna Karina / Serge Gainsbourg - Ne dis rien

Marie Laforêt - L'amour comme à 16 ans

Hervé Villard - Nous

C Jérôme - Et tu danses avec lui

Françoise Hardy - Peut-être que je t'aime

Christophe - Oh mon amour
Christophe - The girl from Salina

Creezy


Certaines fins d'année nous rappellent un bel été.
Sydne Rome sortant de l'eau, par exemple, ne nous est pas inconnue.
Sydne Rome sort de l'eau comme, seules, les plus belles apparitions savent le faire.
Chevelure harnachée de gouttes, visage offert plein soleil, cou conservant l'empreinte des baisers liquides, seins légers, sexe révélé ou masqué d'étoffe, poésie de l'ombre noire sur la blancheur désirable de la peau, hanches affoleuses des sens, compas sexy des jambes.
Nous sommes au bord d'un lac, un après-midi du mois d'août.
Nous sommes dans un monde d'avant qui ne meurt pas.
Sydne Rome, dans La race des seigneurs de Pierre Granier Deferre, s'appelle Creezy.
C'est le titre du roman de Félicien Marceau qu'a adapté, en 1974, Pascal Jardin.
Pensant à Creezy, Julien Dandieu, le personnage qu'incarne Alain Delon, glisse ces mots : "Elle me bouleverse, je l'aime."
Certaines fins d'année, décidément, nous rappellent un bel été.

Fugue en motocyclette


Là-bas, la pluie, des roses pas encore mortes et ce gris du ciel, teinté du bleu des tempêtes, qui n'appartient qu'à la fin de la terre.
Ma fille, dans sa chambre, lit des contes illustrés de Pierre Gripari.
Là-bas, sur l'écran fatigué, le monde d'avant a les lignes sensuelles de la silhouette de Stéphane Audran dans Les biches et La femme infidèle, des jambes de Claude Jade dans Domicile conjugal.
Au loin, un homme que j'aime beaucoup écoute son coeur se réveiller lentement.
Là-bas, les mots d'André Pieyre de Mandiargues - Le lis de mer, La motocyclette.
Au téléphone, ta voix est noyée dans les sanglots de l'épuisement, de la mémoire en fuite et du temps des douleurs imposées.
Là-bas, la fumée des cigarettes efface d'un souffle la tristesse crevée de violences.
Sous l'oeil d'une dormeuse de Lempicka, rue du Douanier Rousseau, tes lèvres embrasent les baisers de l'aube.
Là-bas, les corps mêlés d'Alain Delon et Marianne Faithfull sont une fugue à la pointe de ta langue, de tes seins, dans le palace de ton cul.
Sous les caresses retrouvées, la petite musique du plaisir te dit
que le père Noël - qui n'existe pas dixit Les Chanteuses et Frédéric Beigbeder - s'est pris une balle pleine nuque
que l'homme que j'aime beaucoup - ton papa - nous attend
que j'ai très envie de boire, chaque petit matin d'hiver, là-bas et rue du Douanier Rousseau, l'amour fou à la source de tes cuisses.

jeudi 23 décembre 2010

BRIGITTE FONTAINE : DURA LEX "LE CLIP" (ALBUM PROHIBITION)




Sur les décombres : chanter, danser, fumer, baiser, caresser, boire, embrasser, cracher, faire tourner les tables, allumer la mèche des désirs ...

mercredi 22 décembre 2010

Mots arrachés à l'hiver

Autour de son cou,
éclatante larme d'Eros,
la pierre bleue d'Afghanistan
offerte à Saint-Malo,
ville close,
un dimanche de janvier
où l'amour fou surréaliste, sous l'oeil discret de Chateaubriand, était un baiser de ses lèvres, un baiser sur ses lèvres, l'incitation violente au jeu des frissons qui embrasent, loin des mitiqueries virtuelles d'un triste temps de pantins assistés par ordinateur

Le style, c'est l'homme (#4 Philippe Vilain)

C'est mon ami Christian Authier qui, il y a longtemps, m'a donné envie de lire Philippe Vilain. Parce que Vilain avait raconté son histoire avec Annie Ernaux dans L'étreinte, les adeptes de l'étiquetage littéraire parlèrent d'"autofiction". Vilain, pourtant, n'est pas Angot. Vilain quête le temps perdu et troue le réel de phrases douces et tranchantes comme des maximes de Chamfort ou La Rochefoucauld. Dans L'été à Dresde, Paris l'après-midi et Faux-père, il touche d'une langue délicate les vérités floues des apparitions, de la lassitude, des minuscules trahisons, des mots d'amour qui se fânent, des corps amoureux passés par les armes du désir en fuite. Vilain commence ses livres beaux comme un soupir triste par des phrases qui restent en mémoire :
"Faire l'amour, je ne trouvais rien de mieux pour survivre à l'ennui, l'ennui que j'éprouvais depuis l'enfance, qu'aucun bonheur ne pouvait satisfaire, le sentiment que la vie, fût-elle comblée, ne serait jamais qu'une vaine traversée, et que les occupations, tous les voyages que je pourrais faire, tous les romans que j'écrirais, les passions même qu'ils m'arriveraient d'avoir, resteraient une manière de divertissement."
Ailleurs, il note : "Notre mémoire ne nous appartient pas. Nous avons plusieurs passés : celui dont nous nous souvenons et celui que les autres détiennent à notre insu. Il est étrange de se dire que notre avenir se compose de passés et de secrets qui, comme des bombes à retardement, attendent d'être révélés."
Ou encore : "Ainsi traversons-nous pendant quelques jours, quelques mois, quelques années, la vie d'une personne, dans l'amour ou la passion, puis dans l'indifférence."
Vilain, qui écrit aussi "Est-ce pour justifier ma réputation que j'excellais dans l'art de déplaire ?", est la plus plaisante des lectures d'hiver.

Le style, c'est l'homme (#3 Frédéric Berthet)

Il y a des saisons où penser à Frédéric Berthet - parti un jour de décembre 2003 - s'impose.
En fait, Berthet est de toutes mes saisons.
Les Simples journées d'été me manquent.
Paris-Berry - lu et relu dans le métro comme une claque rigolarde aux autistes sous ipaude - offre le mot de passe de l'époque : "J'ai parfois le sentiment de parler une langue étrangère". Felicidad ressemble au prénom, doux sous la langue, d'une héroïne de Valery Larbaud.
Le retour de Bouvard et Pécuchet : ricaner tristement une dernière fois avant la fuite. Daimler s'en va, sur la pointe des pieds, danseur mélancolique ivre mort de tous les petits mensonges du jour et des caresses suspendues, à bout de souffle, à sec.
C'est beau, léger et profond, Berthet. Une certaine idée du spleen et du rire, de l'amour fou aussi, qui, dans Journal de Trêve et ailleurs, laisse des traces inoubliables : « J’ai des souvenirs comme un défilé de mode, une mémoire comme un soir de cocktail, je n’évolue jamais dans ma chronologie sans avoir un verre à la main. Se souvenir, c’est comme sortir. »

mardi 14 décembre 2010

Hécate et ses chiens

Hécate et ses chiens, le plus beau roman de Paul Morand, adapté par Pascal Jardin et filmé au début des années 80 par Daniel Schmid.
Le dévédé traînait depuis longtemps, entre un coffret Audiard et Que la bête meure.
Le dévédé attendait le retour des insomnies, la brutalité des nouvelles tristes qui bouleversent les soirs d'automne.
1940, le soleil pâle de l'Afrique du Nord, Bernard Giraudeau en jeune attaché d'ambassade portant des smokings blancs, fumant lentement des cigarettes anglaises, cultivant l'art de ne rien faire, hormis l'amour fou, l'amour qui rend fou.
L'amour fou, c'est Clotilde, incarnée par Lauren Hutton belle comme dans American Gigolo, Lauren Hutton dont la bretelle tombante de la robe en soie laisse apparaître, au balcon des plaisirs, un sein petit et délicat qui aimante la nuit.
Les insomnies, définitivement, nous ramènent dans ce que nous goûtons, au coeur de l'immonde.

mercredi 8 décembre 2010

Un vieux spleen de Hank Moody - Californication


Quand "l'hiver est rude", dixit Queneau, que la neige tombe avec grâce, arrêtant le temps de ses flocons de fin du monde, quand les plans sociaux aiguisent les sourires des déhairhaches, il faut regarder Californication, série bukowskienne, hilarante et mélancolique dont le héros, clin d'oeil au grand Chinaski, est écrivain et s'appelle Hank Moody.
Hank Moody, paraît-il, est boudé par des téléspectateurs français qui ont toujours préféré Les experts à The Wire.
Lors de la diffusion de la première saison de Californication, les téléspectateurs français pensaient avoir un peu de cul light à se mettre dans les mirettes, le truc qui n'effrait pas bobonne, l'excite même un peu avant le devoir conjugal de la semaine. Et c'est vrai que Hank voit dans le sexe la plus douce des fuites avant la déroute finale.
Ce qui semble difficile à faire passer pour le téléspectateur français, c'est ça : la certitude de cette déroute finale au coeur de laquelle Hank livre un baroud d'honneur entre alcool fort et dolce vita.
Dans Californication, Hank porte des lunettes noires, en élégant "dégueulasse" pas rasé. Il dérive sous le soleil de Los Angeles. Il n'arrive plus à écrire, fait le nègre, griffonne sur le ouèbe. Il devient professeur pour goûter aux charmes de jolies étudiantes et de belles enseignantes avec lesquelles il couche pour ne pas avoir à inventer d'histoires.
Hank baise comme il boit trop : pour oublier, pour se souvenir.
Oublier que sa femme s'en va ; se souvenir que, avant qu'il n'arrive plus à écrire, il avait une sacrée papatte ; oublier que sa fille pense qu'il ne l'aime plus ; se souvenir de La fêlure de Fitzgerald ; oublier la gueule de bois des hiers et les lendemains de défaite ; se souvenir qu'il n'est pas impossible de tomber amoureux de la plus sensuelle des apparitions.
Quand "l'hiver est rude" et qu'on traîne un vieux spleen de Hank Moody, il faut regarder Californication, les courts épisodes des trois saisons à la suite comme on lirait un roman rapide, drôle et triste.
Daimler s'en va de Frédéric Berthet, par exemple. Ou, autre genre, Plan social de François Marchand.

mardi 30 novembre 2010

Bienvenue dans la jungle - ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte


Alors que France Tv diffuse l'adaptation, par Emmanuel Carrère, de Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte - sous le titre Fracture -, il faut relire urgemment le roman magnifique de Thierry Jonquet. Une vision noire et percutante des banlieues de notre « cher et vieux pays » dont j'avais parlé, à l'époque, dans L'Opinion indépendante.
Sous sa couverture noire au titre rouge sang, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte de Thierry Jonquet nous parle d’une France en lambeaux. Un lopin de béton où tout est mal-en-point, les villes comme les corps. Nous sommes à Certigny dans le 9/3. Certigny et ses quartiers aux noms anonymes post-modernes : les Sablières, les Grands-Chênes, la Brêche-aux-loups. Dans des immeubles qui pourrissent, les corps s’entassent. Des Blacks, des Arabes, quelques Blancs. A Certigny, chacun cherche à fuir l’ennui qui, comme les ferrailleurs du jour, repeint l’âme en gris. Les plus vieux picolent en rentrant d’un boulot qu’ils n’aiment pas. Ils matent – un peu honteux - des revues porno pour oublier une femme repartie au bled. D’autres trafiquent – dans la drogue ou la prostitution. D’autres encore, de plus en plus nombreux et de tous âges, prient en s’imaginant à Bagdad sous les bombes, ou à Gaza. Le Djihad, pour eux, est ici et maintenant, au cœur de la cité. Même les plus jeunes y croient en lisant des brochures interdites à la vente ou en regardant sur Internet les têtes tranchées des «croisés». Face aux flics de la BAC, face aux CRS, ce sont des guerriers du cocktail Molotov et de la voiture qui flambe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte met en scène des voix qui se frôlent mais s’accordent rarement. Des voix dont le seul lien paraît être le désespoir. Une mère dépressive se voit refuser l’internement de son fils, avant que celui-ci ne décapite sa voisine. Des gamins accros à la Star Academy s’envoient, sur leur téléphone portable, des clichés de la tête du cadavre. Un substitut du Procureur, fin lecteur de Hugo et de Marx, jure d’avoir la peau des caïds du quartier. Les mêmes caïds, aveuglés par leur petite gloire locale, s’éliminent les uns les autres, laissant la place à des « Grands frères » qui ne rêvent que d’Apocalypse. Dans la cour du collège Pierre-de-Ronsard, des Blacks cognent des Arabes au nom de la cause du peuple noir. Au nom d’Allah et de l’Imam du quartier, les représailles ne tarderont pas. De retour en classe, tous se retrouvent pour désigner les responsables de leurs malheurs : « Les feujs ! ». Mais qui sont les « feujs », demande une jeune professeur de français ? La réponse fuse : « Ceux qui nous pourrissent la vie ! Ceux qui tuent des enfants musulmans ! ». La prof ne trouve rien à répondre. Elle se souvient des récits de son père juif athée militant et des « Mort aux juifs ! » entendus, il y a peu, lors d’une manifestation contre la guerre en Irak. Autour d’elle, la plupart de ses collègues se taisent. La gêne, le ras-le-bol, l’envie d’en finir avec un quotidien impossible. Quant à ceux qui parlent, ils n’ont, en bouche, que des mots d’ordre syndicaux et des désirs de pétitions.
Chez Jonquet, les nerfs sont à vif et le bitume sent la poudre. Un fait-divers tragique allumera la mèche : la mort de deux jeunes garçons, électrocutés après une course-poursuite avec la police. C’est désormais le temps des pierres, des flammes et des vengeances inutiles. Blacks, Arabes ou Blancs, « feujs » ou musulmans, tous seront bientôt perdus définitivement. Emportés par l’horreur triste des jours criminels.

samedi 20 novembre 2010

Pour oublier Dantzig, lire Frédéric Martinez et Paul-Jean Toulet ...

Dandy de foires du livre se rêvant Truman Capote – un Truman Capote sans De sang froid, sans Marilyn et sans poudre blanche -, Charles Dantzig est un pédant ridicule. A la manière de Philippe Besson avec lequel il partage les lunettes, la coupe de cheveux et le statut de directeur de conscience pour Marc-Olivier Fogiel et Claire Chazal. Il est donc d’autant plus intéressant de rappeler que Dantzig fit son apparition, au début des années 90, dans L’Idiot International, le gueuloir très foutraque de Jean-Edern Hallier. Peu en vue entre les signatures de Patrick Besson, Gabriel Matzneff et Marc-Edouard Nabe, Dantzig évoque rarement cette époque, sauf pour décréter qu’il imposa Houellebecq dans les colonnes de L’Idiot.
Dantzig, cette « tête de mort » (Guy Debord)…
Dantzig est toujours cet arriviste – genre Séguéla appointé par Grasset – qui cherche les signes extérieurs d’un pouvoir minuscule. Quand la mode est aux dictionnaires, il torchonne le plus gros de tous. Son Pavé égoïste de la littérature épate les bobos et les babas. C’est rempli de bêtises sur Blondin, Céline, Bloy, Montaigne entre autres. Et l’idée est piquée, de loin, à Jacques Brenner et Kleber Haedens et, de près, à Hallier qui publia jadis en feuilleton un Dictionnaire injuste de la littérature.
Après les dictionnaires, les Miscellanées se multiplient. Dantzig récupère ses listes de courses, recopie quelques carnets et griffonne à vue une Encyclopédie capricieuse du tout et du rien de presque mille pages que personne ne lit – au mieux, elle est feuilletée avant de faire très mal en tombant. A l’occasion, Dantzig fait office de guide touristique du 7e arrondissement parisien, cite des titres de romans en VO et parle de quelques écrivains, certes trop oubliés : Frédéric Berthet, Remy de Gourmont ou Jean de la Ville de Mirmont. Paul Gégauff l’intéresse aussi mais sent trop le soufre. Dantzig se veut sur les photos de famille mais il n’ira pas jusqu’à se griller avec les grands cramés. Son Pourquoi lire?, défense d’un insipide art de la lecture, en apporte une nouvelle illustration. Pose et prose de curé en chaire, c’est un livre pompier qui n’allume aucune mèche. Des simagrées sur Duras, Gérard de Villiers moqué, Proust lu dans l’herbe et c’est tout. Auteur cuculte, Dantzig lorgne du côté des stylistes cultes, ce qu’il n’est pas. Contrairement à Paul-Jean Toulet.
Des poètes nommés Toulet et Martinez
Toulet, à orthographier Too Late comme lui-même aimait le faire, est un des personnages d’ Aux singuliers – Les excentriques des Lettres de Frédéric Martinez. Avec d’autres sacrés numéros parmi lesquels le fou en exil mexicain Artaud, l’ombrageux Malherbe, l’aventurier Malraux ou Henry IV amoureux fou de Charlotte de Montmorency comme Nerval l’était de la comédienne Jenny Colon.
Pas étonnant que Martinez, dans ses ouvrages précédents, se soit intéressé à Jimmy Hendrix et Claude Monet et que les Cartes postales de Henry Jean-Marie Levet, le « diplomate globe-trotter », ne quittent jamais sa poche.
Martinez, c’est l’anti-Dantzig : chez lui, rien ne pèse et tout cogne aux carreaux des sens. Son Prends garde à la douceur des choses, en 2008, était déjà une merveille de braconnages élégants sur les pas de Toulet. Et Martinez, à travers quelques pages de ses Excentriques, ne lâche pas les semelles du poète des Contrerimes qui, dans une des lettres à lui-même qu’il se postait des quatre coins du globe, écrivait : « Ce que j’ai aimé le plus au monde, ne pensez-vous pas que ce soit les femmes, l’alcool et les paysages ? »
Toulet, c’est cet homme de 53 ans qui, à Guéthary, se promène au bord de l’océan, regardant en face le soleil et la mort. Il se souvient des nuits enfumées de Paris avec Curnonsky et Léon Daudet, des aubes éthyliques en Alger et sur l’île Maurice, des fusées allumées dans le gras de pavés à l’eau de rose écrits pour monsieur Colette, le sieur Willy, et de quelques silhouettes dont la grâce flirte avec son soufre au coeur. J’aime les filles : chanson de Dutronc et, dixit Frédéric Martinez, écho de la vie pressée, des passions de Toulet.
Les filles, héroïnes de joie et de tristesse, sont en effet les grains de beauté sur la peau douce des mots de Toulet. Dans ses romans – Mon amie Nane, La jeune fille verte -, dans ses contes légers comme des volutes de blondes – Touchante histoire de la jeune femme qui pleurait, que réédite L’Arbre vengeur – et dans ses poèmes à offrir sans fin à la plus délicate des apparitions :
« Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
Ne riez pas trop haut.
»

jeudi 18 novembre 2010

Remember BB 60

C'était en juillet sur Causeur.fr, c'est ici maintenant. L'été, encore ...

L’été, c’est le soleil, des lunettes noires, un bikini, la plage.
L’été, c’est Bardot, son apparition sur le port de Saint-Tropez dans Et Dieu créa la femme, toutes ses apparitions depuis, « sur l’écran noir de nos nuits blanches ». Dans Le Mépris bien sûr – « Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ? » – ; dans Les femmes, merveille tournée en 1969 par Jean Aurel, scénarisée par Cécil Saint-Laurent, avec Maurice Ronet.
L’été, c’est B.B. quand elle chante « Coquillages et crustacés », « La Madrague » ou les bonbons sensuels offerts par Gainsbourg.
L’été, enfin, c’est B.B. dans les mots légers et profonds de François Nourissier.
A la fin des années 50, Nourissier considère qu’il n’a encore rien publié de bon. Un petit bourgeois, premier de ses romans qu’il appréciera quelque peu, viendra plus tard, en 1963. En attendant, il dirige la rédaction de La Parisienne et traîne son spleen de jeune éditeur à la foire de Francfort. Perdue au milieu des livres insipides, une couverture le cogne. Etalé sous ses yeux : « Le corps négligé, impudique et rieur (mais oui, rieur) de Brigitte Bardot ». Le texte de cet ouvrage italien est signé Simone de Beauvoir. De retour à Paris, Nourissier la contacte pour lui proposer une réédition en français. Beauvoir est gênée, bafouille, parle d’impôts, fuit. Nourissier demande alors à Roger Vailland, à Pieyre de Mandiargues et Paul Morand si le sujet Bardot les intéresse. Tous refusent, laissant à notre seule imagination le plaisir d’esquisser leurs mots sur la silhouette de BB. C’est donc Nourissier qui, en quelques pages, va sculpter Bardot telle qu’elle est à jamais dans nos mémoires : une mythologie française, c’est-à-dire une Star, ce claquement de langue qui évoque une étoile pendue au cou d’une nuit de pleine lune.
La beauté, ce beau souci…
La grande question de l’époque, à la Une des magazines, est : « Faut-il brûler B.B. ? »
Avec la classe infinie du styliste, Nourissier répond d’entrée en amoureux des courbes sensuelles et en puncheur précis : « De toutes les armes que nous offre la vie quotidienne pour régler ses comptes à la sottise, la jeunesse et l’impudeur d’une femme sont les plus douces. » L’air de rien, il ne lâchera plus, ni B.B., ni ceux qui ne voient en elle qu’une écervelée insignifiante. A sa jolie héroïne de France, il réserve ses émerveillements et son oeil bleu délicat ; aux autres, il dit l’urgence de la grâce qu’ils ne connaîtront jamais, eux qui préfèrent celles que Paul Gégauff nommait « les bonnes femmes ».
Pourquoi Bardot, hier comme aujourd’hui ?
Lire et relire Nourissier, se mettre en bouche les lignes de beauté qu’il trace : « Que l’on caresse du regard, vite, les images innombrables de Bardot ; que l’on profite vite d’un plaisir innocent, car, sitôt les yeux relevés, on les posera sur un monde de lèvres et de visage clos. L’énorme bêtise des hommes d’Occident devant le sexe et devant leur désir éclate en de certaines occasions. L’aventure Bardot en est une. S’il n’existait aucune autre raison de l’aimer et de bavarder un peu librement sur le compte de cette belle personne, la seule envie de faire acte de présence y suffirait. J’entends la seule envie d’être parmi ceux qui l’auront dit : la beauté n’est pas honteuse, la beauté a des droits, nous devons respecter en elle une dignité d’avant la faute, joueuse et familière. »
Et à la fin de l’envoi, B.B. ancrée dans les coeurs battants et Nourissier terriblement vivant loin de cette Miss P. qui le fait crever lentement, se souvenir que : « Sous la mythologie, sous l’entreprise et le triomphe publicitaires, il existe ce miracle gratuit et parfaitement injuste : les privilèges d’une petite fille née belle. »

mardi 2 novembre 2010

Hello tristesse


Les larbins, pour reprendre le scud envoyé par Jean-Luc Mélenchon, sont souvent des journalistes. Et quand il s’agit de littérature, le larbin est soit un roquet – Yann Moix, lorsqu’il ne défend pas courageusement Polanski – soit un nain rockuptible, culturel et branché, politique mais pas trop, intransigeant toujours. Sauf devant Houellebecq et Ellis.
Le nain rockuptible ne se rend pas compte que Ellis, comme Houellebecq, se gausse des ronds-de-jambes interminables et de la jouissance si peu intime du journaliste qui se croit accepté dans le royaume du « grantécrivain ». Tout ça parce que le nain a eu le privilège de voir son maître allumer des cigarettes dans un lieu non-fumeur et ouvrir une canette de redbull dans un loft de la Cité des Anges.
On en est là : le loft et le redbull font le papier. Ce qui évite de fouiller la carcasse des hommes et des mots.
Golden boys à bout de souffle
Avec Suite(s) Impériale(s), Ellis nous parle d’hier et d’aujourd’hui, c’est-à-dire des soubresauts désabusés d’un monde déjà mort au milieu des années 1980. Dans son entreprise, il n’est guère éloigné d’Oliver Stone replongeant Gordon Gekko, sorti de prison, dans l’enfer de Wall street.
Vingt-cinq ans après, Ellis retrouve Clay, le héros de son premier roman Moins que zéro, entre autres ombres plus ou moins vivantes de la vieille jeunesse dorée de Los Angeles : « Ils avaient fait un film sur nous. Le film était adapté d’un livre écrit par un type qu’on connaissait. Le livre était un truc simple: quatre semaines dans la ville où nous avions grandi et c’était un portrait assez juste, pour l’essentiel [...] Par exemple, il y avait vraiment eu une projection d’un snuff film dans cette chambre de Malibu, un après-midi de janvier, et oui, j’étais sorti sur la terrasse qui donnait sur le Pacifique, et c’était là que l’auteur avait essayé de me consoler en m’assurant que les cris des enfants torturés étaient simulés, mais il avait souri en disant ça et j’avais dû m’éloigner. »
La mise en bouche d’Ellis, glacée et très tranquille, ravive l’écho des mots de Fitzgerald à Hemingway : « Les gens riches sont différents de vous et moi. » Et le souvenir, aussi, de Bright lights, bright city de Jay McInerney. Sur le fumier de l’Amérique de Reagan, les golden boys ont cru réaliser leurs rêves minuscules, oubliant qu’ils étaient perdus depuis longtemps. Toujours plus d’argent, de coke, de filles faciles, de paillettes, de mauvais alcools. Leur histoire ne se répète qu’en farce tragique. Et ils n’ont pas lu Marx, et la mélancolie peine à percer sous le masque de la paranoïa. Pourtant, dixit Ellis dans Suite(s) impériale(s): « La tristesse : elle est partout. »
Elle suinte, en effet, de chaque page de ce roman noir, seconde peau de l’auteur qui, bien plus que dans l’autobiographique et fantasmé Lunar Park, met son coeur à nu. Si le Patrick Bateman de American psycho, c’était lui, Clay c’est encore Ellis. Scénariste à Hollywood parce que les filles n’aiment plus les écrivains, il joue de son éphémère pouvoir pour draguer profs de gym, apprentie actrice et call girl du ouèbe. Idiot inutile et pervers de la grande machine à broyer les êtres, il tombe amoureux. Ca fait partie du jeu et de la panoplie. Elle s’appelle Rain, veut un rôle dans une série qui n’existera jamais, ne croit qu’à la gloire et à la beauté. Entre elle et Clay, il y aura des promesses non tenues, du sexe en pleine débâcle, la peur qui obsède, des rails de poudre et du gin, et la mort comme une Jeep aux vitres teintées en arrêt devant le Doheny Plaza.
Que sont devenus les golden boys ? Ils sont à bout de souffle, illusions définitivement crevées. A la fin de Suite(s) Impériale(s), exorcisme ou balle dans la tête, cette phrase : « Je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens. »

Bret Easton Ellis, Suite(s) Impériale(s), Robert Laffont, 2010
Papier paru sur Causeur.fr le 1er novembre 2010

mercredi 27 octobre 2010

Le style, c'est l'homme (#2 Frédéric Beigbeder)


Les livres de Frédéric Beigbeder, je les offre à ma belle amoureuse.
Avec ceux, par exemple, de Jérôme Leroy, John O'Hara, Frédéric Schiffter, Pascal Jardin, Paul-Jean Toulet, Patrick Modiano, Françoise Sagan, Roland Jaccard, Bukowski, Pamela Moore ou de Drieu la Rochelle.
Seuls les crétins et autres estrosi des émotions ne verront pas les affinités électives liant ces stylistes.
Je n'offre pas, toutefois, tous les livres de Beigbeder.
99 francs est vraiment raté; la moitié américaine de Windows of the world aussi; et Au secours pardon est une longue déclaration d'amour sous vodka à la grâce des jeunes filles, ce qui ne plaît qu'à quelques dégénérés dans mon genre.
Mais Mémoires d'un jeune homme dérangé, premier roman édité à La Table ronde, c'est profond et léger comme une caresse mélancolique sur une peau douce. Vacances dans le coma fait apparaître - page 42 de l'édition poche - le nom désespérément oublié de Jean-Michel Gravier. Un roman français, si l'on oublie le feuilleton de la garde-à-vue, est une lumineuse et triste flânerie du côté de l'esprit d'enfance si cher à Bernanos.
Ma belle amoureuse lit Beigbeder dans le train, sur la plage ou allongée, chambre 31 de l'hôtel Flaubert, à Trouville.
Elle sourit, fait la moue parce que "l'amour dure trois ans", souligne des phrases comme celles-ci : "Aujourd'hui, je marche avec ma fille sur la plage de Cénitz, en plein hiver, et les galets me tordent les chevilles, et le vent me brouille la vue. L'herbe verte est derrière moi, l'océan bleu devant. Me voici courbé vers le sol, pour essuyer mes yeux avec le revers de ma main. Ma fille me demande ce que je fais accroupi sur cette plage tel un crapaud. je réponds que je prends mon temps pour choisir le bon galet ; en réalité j'essaie tant bien que mal de cacher mes souvenirs qui coulent derrière mes cheveux."
Ma belle amoureuse, comme moi, se fout des jugements minuscules sur les clowneries jetset et tv de Beigbeder.
Aux curés des lettres, nous laissons le regrettable Charles Dantzig.
Et nous gardons la classe désabusée avec laquelle Beigbeder regarde, d'un oeil heureux, sa fiancée Priscilla de Laforcade et signe des lignes paresseuses chez Grasset, dans Voici, Lire ou encore dans Le Figaro magazine.

mercredi 20 octobre 2010

Chocolates pour Pamela Moore


Elle était blonde ou brune, je ne sais pas.
Quand elle publia à 18 ans Chocolates for breakfast, certains évoquèrent Françoise Sagan.
Parce qu'une certaine idée de la profondeur, légère, délicieusement légère.
Et puis les désirs et la mélancolie des jeunes filles.
Elle écrivait sur Hemingway quand elle s'est tirée une balle dans la tête.
Elle avait 27 ans.
C'était l'année 1964.

lundi 18 octobre 2010

Le style, c'est l'homme (#1 Gabriel Matzneff)

Parler de Matzneff, Les émiles de Gab la rafale. Dans le roman électronique de ses mèles de jour, de nuit : ses héroïnes comme dans Ivre du vin perdu, comme dans ses Carnets noirs ; son style, comme lorsqu'il défile pour Yamamoto. Ca énerve toujours les pieds pensants, Matzneff. Le style aussi, d'ailleurs. Et se souvenir du Dîner des mousquetaires, acheté après avoir entendu l'auteur au Jean Edern's club. C'était quelque chose les papiers de Matzneff dans L'idiot International. Penser à reparler d'Hallier, ça fait longtemps. Il aurait écrit sur Sarko, Woerth, Bettencourt un roman toni-truand. Il l'a écrit en fait : ça s'appelle Les puissances du mal. Hallier, cette fripouille flamboyante, est à relire.

mardi 12 octobre 2010

Jour de grève

C'était un jour de grève. Il y avait eu une nuit d'avant presque blanche, le dévédé d'un film naïf et grave de Pascal Thomas, du bruit et des larmes aussi, toujours trop. Au petit matin, un aller-retour dans une clinique, Paris 16e. Puis le sourire fatigué et apaisé de ta silhouette si belle. En terrasse, autour de midi, le calme et la tranquilité de la langue. Carrefour d'Alesia, les flics enfilent leur costume de kevlar et le rouge des drapeaux de la CGT colorent les cars. Ce rouge-là, c'est la couleur d'un monde qui ne veut juste pas qu'on l'achève d'une balle dans la tête. Ce rouge-là et ce monde, dans le froid d'un automne où les lunettes noires ont encore leur place, me font penser, allez savoir pourquoi, à Plein Soleil. Peut-être parce que les notes de Nino Rota ; la courte apparition de Romy Schneider ; les dialogues au couteau et à la caresse de Paul Gégauff ; Alain Delon et Maurice Ronet, c'est-à-dire les deux plus grands acteurs qu'a connu le cinéma français - et tant pis pour les autres ; Marie Laforêt s'offrant sur le pont du Marge ; le port de Mongibello ; les ivresses de nuit qui font se moquer des "bonnes femmes" et piquer des cannes blanches ; j'en oublie. Revoir Plein soleil, finalement, c'est sans doute se souvenir que ce monde, et le peu de beauté qui s'y planque, ne doit pas crever.

lundi 11 octobre 2010

L'éducation sentimentale selon Larry Clark


Jeune homme, jeune fille,
La Mairie de Paris et le très libéral Christophe Girard ne souhaitent pas que vous puissiez admirer les photos de Larry Clark au musée d'Art moderne.
"Un musée, ce n'est pas un sex shop" dixit Girard.
La Mairie de Paris vous accepte à la Techno Parade, à la Gay Pride, à la Rollers Day, à la Capote Hours, à la Fête de la musique, aux soirées Guetta et même à la Nuit blanche.
Mais Larry Clark, ses clichés de soufre et de sensualité, de doutes et de petites misères adolescentes, c'est non.
Il vous reste alors les dévédés, qui sont en train de devenir de précieuses vieilleries du monde d'avant.
Il vous reste les films de Larry Clark, Kids, Another day in Paradise et Ken Park.
Dans Ken Park, il y a tout ce qu'on vous interdit de voir au musée d'Art moderne : les désirs naissants, les corps qui se découvrent amoureux, la violence des jours et des nuits, les sorties de route dans les enfers intimes, les peaux qui s'aimantent, se mêlent, jouissent, la beauté des éducations sentimentales.
Dans Ken Park, jeune homme, jeune fille, Larry Clark parle de vous comme personne.

jeudi 7 octobre 2010

Hussards toujours vivants, Jean-François Coulomb suit ...




L’histoire est connue. En 1952, Bernard Frank écrit, dans Les Temps modernes, un papier intitulé « Grognards et hussards ». Il s’en prend à une poignée de gandins – Antoine Blondin, Roger Nimier, Jacques Laurent et Michel Déon – qui, dans des romans comme Le Hussard bleu, L’Europe buissonnière ou Les Corps tranquilles, se moquent des diktats politiques de l’après-guerre et préfèrent séduire plutôt que convaincre. S’ils admirent Chardonne et Morand, ce sont donc des fascistes. Au début des années 1950, c’est une sacrée carte de visite : « Comme tous les fascistes, les hussards détestent la discussion. Ils se délectent de la phrase courte dont ils se croient les inventeurs. Ils la manient comme s’il s’agissait d’un couperet. À chaque phrase, il y a mort d’homme. Ce n’est pas grave. C’est une mort pour rire. »
Aujourd’hui, n’importe quel plumitif intenterait, pour une telle assertion, une action en justice. A l’époque, rien. Au contraire, tous ont salué le talent de Bernard Frank, refusant seulement de se voir encager dans un groupe. Jacques Laurent précisa qu’il préférait les fantassins aux « hussards » et Martine Carol, adorable Caroline chérie, à tout le reste. Pendant la guerre d’Algérie, les « hussards » aggravèrent leur cas, avec quelques autres dont le maquisard et flibustier Jacques Perret, en attaquant, plume à l’assaut, de Gaulle rebaptisé « La grande Zorah ». La cause était perdue ; la défaite fut pleine de panache, c’est-à-dire riche en textes de grand style. Mauriac sous de Gaulle de Laurent et Le Vilain temps de Perret restent des chefs-d’œuvre de pamphlets, tous deux condamnés pour une exquise infamie : offense au chef de l’Etat.
Destinés à cramer la vie le souffle au cœur puis à se retirer pour un très long moment dans une maison de famille, un bar de palace ou en bord de mer, les « hussards » n’existent pas. Ils ne s’appréciaient pas forcément les uns les autres, ne se fréquentaient, à l’occasion, que dans les colonnes des mêmes revues – La Table ronde, Arts, La Parisienne notamment. En somme, ils n’ont été que la géniale invention d’un Bernard Frank qui se cherchait une place au soleil. Ce qui est facile à comprendre quand on le lit : « Ils aiment les femmes (Stendhal, Elle), les autos (Buffon, Auto-Journal), la vitesse (Morand), les salons (Stendhal, Proust), les alcools (un peu tout le monde), la plaisanterie (leur mauvais goût). »
La définition est plaisante. Sartre est renvoyé dans les cordes. Sagan se faufile avec son Bonjour tristesse. Roger Vailland – communiste, libertin, alcoolique et drogué au regard froid – n’est pas loin non plus.
Au milieu des années 1980, Jérôme Garcin crut reconnaître des « néo-hussards » : Patrick Besson, Eric Neuhoff, Denis Tillinac et Didier Van Cauwelaert. Pourquoi pas, même si Tillinac était enterré en Corrèze et Van Cauwelaert inconnu au bataillon des mots. Besson et Neuhoff, par contre, furent d’une belle aventure qui ne s’est pas privée de saluer Frank, Nimier, Blondin et Laurent : la revue Rive droite.
C’était en 1990. Ça a duré quatre numéros avec, pour éditeur, Thierry Ardisson – alors romancier inspiré et pas encore animateur pubard en bout de course. Au sommaire : Frébourg, Saint-Vincent, Parisis, Leroy, le trop oublié Jean-Michel Gravier ou encore Frédéric Fajardie. Mais aussi Jean-François Coulomb, homme de télé, de presse écrite, de ce qui lui plaît. Coulomb offrit à Rive droite une histoire d’amour triste sur fond de bataille napoléonienne : "Paris-Austerlitz". Vingt ans après, cette nouvelle clôt Vendanges tardives, petit livre hors saison qui rend plus léger l’automne naissant. En exergue de ce recueil de quatorze textes ciselés en puncheur orfèvre de la langue française, deux clins d’œil, à Bernard Frank – « L‘insolence consiste à écrire peu » – et à Patrick Besson : « Aucun problème ne résiste à la vodka- pamplemousse ».
Qu’il situe son récit à Paris, en Egypte ou dans un cimetière, Coulomb pose son ambiance comme il sifflerait une coupe de champagne, poursuit son intrigue tantôt en douceur tantôt pied au plancher et soigne ses chutes, toutes des banderilles de grâce cruelle. Il arrive que ses héros reviennent d’une guerre en Irak. Ou qu’ils boivent des daiquiris à la santé d’Hemingway, au Floridita de La Havane. Ou qu’ils ressemblent à Romain Gary juste avant l’ultime bye-bye, regardant une jeune demoiselle lire un de ses livres. Ils cachent leurs blessures derrière des lunettes noires et sous un costume en lin froissé. N’attendant rien, ils n’espèrent pas davantage. Ils ne croient plus en l’amour, ce chien de l’enfer. Puis ils y croient encore un peu, forcément. La faute à des héroïnes inoubliables. Chez Coulomb, elles s’appellent Aglaé et Alix de Chanturejolles, jumelles coquines ; Zelda ; Constance ; Carla ; ou Olympe de Vinezac.
L’apparition d’Olympe, aux premières lignes de Vendanges tardives, c’est Ursula Andress sortant des flots dans James Bond 007 contre Dr No : « Olympe est nue. Elle sait que je la regarde. Allongée sur le ventre, sa main effleure l’eau de la piscine. L’air sent la lavande. Sous le soleil, les oliviers ont des reflets d’argent. C’est l’heure de la sieste. La chaleur fige tout. Seules les cigales s’agitent. Délicieusement dorée, Olympe de Vinezac a un corps parfait. Digne du ciseau de Canova. D’un geste lent, elle essuie quelques gouttes de sueur qui perlent sur sa nuque. Entoure sa tête de ses bras. Ecarte légèrement les jambes, comme pour mieux se caler sur le matelas. Elle s’offre, pour ne pas avoir à s’abandonner ».
Jean-François Coulomb se lit et se relit comme une ivresse à prolonger, comme un auteur précieux à ranger, dans sa bibliothèque, près de quelques autres qui, eux aussi, savent que la passion des femmes, des paysages, de la vitesse, de la lenteur, de l’alcool et des plaisanteries mélancoliques, c’est l’ultime art de survivre en milieu hostile.
Jean-François Coulomb, Vendanges tardives, L'Editeur, 2010
Papier paru sur Causeur.fr, le 6 octobre 2010

lundi 4 octobre 2010

Colis suspects



Evidemment les autorités anglaises et américaines ont raison de mettre en garde leurs ressortissants contre les risques encourrus s'ils avaient l'idée de flâner du côté de notre "cher et vieux pays".
Une kamikaze portant un ticheurte Al Quaïda chercherait à semer la police. La gare Saint-Lazare serait la cible désignée. Les forces de l'ordre et les services secrets seraient mobilisés comme jamais.
C'est forcément vrai puisque c'est Brice Couperose Hortefeux qui le dit et le redit, face caméra. La sécurité, avec Brice, ça se passe sous les sunlights. C'est le meilleur moyen, n'est-ce pas, de protéger un peuple sans l'affoler. Et ces crétins de ricains et d'angliches n'ont rien compris.
Aujourd'hui encore, pourtant, à Paris, trois colis suspects ont été signalés. Occasionnant la peur des enfants, de quelques jeunes filles et de vieux messieurs ayant toujours une certaine mémoire du monde d'avant.
Il paraît, néanmoins, que Brice Couperose a demandé aux démineurs de ne pas intervenir.
On en est là. Tout est normal. Tout va pour le mieux.

Aube d'octobre




D'un baiser, sortir de la nuit, goûter l'aube contre tes lèvres.
Te regarder, parée de noir et des nuages fatigués du matin, tracer la ville, filer si loin.
Sniffer l'air froid par la fenêtre, laisser les gouttes effleurer le visage, se souvenir du miracle vivant et chaud de ta peau, de ton coeur du monde où se perdre, se retrouver.
Café, cigarettes, le chat Pablo, quelques mots.
Ecouter Christophe, Main dans la main, parce que ça mélodise la légèreté, la profondeur des émotions.
Glaner sur le ouèbe les niouzes insignifiantes d'un 4 octobre, la langue morte d'un hortefeux, d'un mauvais besson, chercher l'antidote, feuilleter Journal d'un homme perdu de Roland Jaccard, ce volume où il évoque la mort de Gégauff, lire "La seule chose qui m'apaise, c'est l'amour que je porte à L. et le bien-être que j'éprouve à vivre à ses côtés" et se dire qu'il est l'heure de glisser dans le lecteur dévédé du PC La collectionneuse d'Eric Rohmer.
Parce que l'été pas encore mort, parce que Patrick Bauchau, parce que la silhouette et les jambes de Mijanou Bardot dans l'herbe d'une maison de campagne, parce que Haydée Politoff en maillot de bain, en caraco, avec ses espadrilles ou pieds nus, bronzée et moue boudeuse, yeux rieurs, parce que la langue française, toujours, sur l'écran noir de nos fins de nuits blanches, sonne ainsi, beauté beau soucis des derniers aristocrates et des amoureux dilettantes et stylés.
Mais, au fait, qu'est devenue Haydée Politoff ?

vendredi 1 octobre 2010

La Peau Douce


_ Tu n'en as pas marre de tes vieilleries, tes lointaines nouvelles vagues, tes actrices oubliées des 80's ?
_ Les mots et la peau, alors, étaient à la fête.
_ Mais tout le monde s'en fout de ces époques-là !
_ "Tout le monde" est un con et "tout le monde" je l'empapaoute, grave.
_ Tu pourrais montrer ce qui se passe aujourd'hui.
_ Les mots d'hier - ceux de Godard, de Gégauff, de Truffaut, d'Audiard, de Pascal Jardin - et les silhouettes qui les portent, me parlent aujourd'hui. C'est ma mémoire vivante dans la ruine des paysages et des sens écorchés.
_ Langue morte et héroïnes démodées !
_ Tout ce qui reste de la vie et des envies, c'est cette jeune fille qui danse et cet homme qui lui dit : "Je vais te regarder". Cette jeune fille à la cigarette entre les lèvres, robe noire et dos nu, la grâce précise de ses gestes et la mélancolie rieuse de ses yeux, sa peau douce. Cette jeune fille : Françoise Dorléac.

jeudi 30 septembre 2010

Michel Poiccard s'en va


Il était invivable.
Il était égoïste.
Il était colérique.
Il en avait marre.
Il était fatigué.
A bout de souffle dans la fumée de ses cigarettes.
Il voulait seulement dormir.
Il traînait ses hiers lontains comme un sac de merde.
Il portait des lunettes noires.
Il pensait à elle.
Rue Campagne Première, il est mort en pensant à elle.
Sa petite américaine.
Jean Seberg.

lundi 20 septembre 2010

Schiffter, flâneur classieux et sentimental


Que faire dans ce que Baudouin de Bodinat nomme « le peu d’avenir que contient le temps où nous vivons » ?
L’époque, agrégat de manageurs et de managés volontaires, ne propose guère qu’expédients sécuritaires d’une part, et remèdes euphorisants des babas du blabla philosophique d’autre part. L’époque, il est vrai, n’aime pas les dandies.
Qu’est-ce qu’un dandy? C’est Mastroianni dans la Dolce vita, Jacques Dutronc dans Joseph et la fille avec sa vieille veste kaki, sa dégaine délicatement cabossée et ses yeux de gentleman cambrioleur plantés dans ceux de Hafsia Herzi. C’est, du côté des mots et de l’esprit buissonnier, Frédéric Schiffter, “nihiliste petit-bourgeois”, classieux et dilettante. Point commun à tous : l’élégance comme art de survivre.
Braconnages philosophiques
Dans sa Philosophie sentimentale, flânerie autour de ses quelques auteurs de chevet et des phrases qui nous restent d’eux quand nous avons tout oublié, Schiffter aurait d’ailleurs pu citer Jacques Dutronc : “J’aime les filles de chez Castel / J’aime les filles de chez Régine / J’aime les filles qu’on voit dans Elle / J’aime les filles des magazines.”
Schiffter fait partie de ceux qui pensent que les jeunes filles aident à supporter l’immonde et que la plus touchante des réponses, quand un journaliste demande à une actrice, Brigitte Bardot en l’occurrence, quel est le plus beau jour de sa vie, est : “Une nuit.” Et de nous rappeler, en écho, la pensée de José Ortega y Gasset : « L’amour est la tentative d’échanger deux solitudes. »
Schiffter n’écrit pas de manuel pour être heureux, encore moins d’antimanuel pour se palucher sans entraves. Avec Schopenhauer, il sait que « L’histoire d’une vie est toujours l’histoire d’une souffrance » et L’Ecclésiaste lui est un précieux compagnon de déroute : « Ne sois pas trop juste, ne pratique pas trop la sagesse : pourquoi te rendre ridicule ? »
Aux figures imposées des philosophes élyséens et autres rebelles de Caen, il préfère les braconnages hors des lopins balisés. Déjà, lorsqu’il était étudiant, il choisissait Jean-Patrick Manchette et Raymond Chandler plutôt que Kant ou Levinas. La philosophie, c’est aussi un roman noir. Question de style et de plaisir lui qui, avec Pessoa, se souvient qu’il est essentiel de « vivre une vie cultivée et sans passion, suffisamment lente pour être toujours au bord de l’ennui, suffisamment méditée pour n’y tomber jamais. »
Les temps retrouvés
Avec sa Philosophie sentimentale, Schiffter offre un livre de l’inquiétude, du temps perdu et du temps retrouvé. Le temps, pour le philosophe, est une arme de guerre à l’heure du règne des VRP, des DRH, des VIP. Le temps et la lenteur, toujours, contre les sigles et les acronymes. Nietzsche ne disait pas autre chose : « Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave. » Le temps, chez Schiffter, est celui de l’ennui enchanteur et des fugues chez Montaigne, Chamfort ou, plus récemment, chez Michel Houellebecq. C’est aussi le temps du flirt et des corps amoureux, des lunettes noires et de la plage loin du bavardage des fâcheux et des bonnes femmes.
C’est enfin le temps des larmes. Schiffter est né en Haute-Volta en 1956 : il ne connaitra la France qu’à dix ans, après la mort de son père. Et il faut lire, dans Philosophie sentimentale, ces pages sur le coeur mis à nu d’un orphelin à perpétuité, quand surgissent les silhouettes bouleversantes de ce père mort beaucoup trop tôt et d’une mère malade, qui boit un peu trop, une mère aux gestes “beaux comme les tremblements des mains dans l’alcoolisme”, selon la formule paradoxale et poignante de Lautréamont.

Frédéric Schiffter, Philosophie sentimentale, Flammarion, 2010
Papier paru sur Causeur.fr, le 19/09/2010.

mercredi 15 septembre 2010

Du soufre au coeur, de Frédéric Paulin et de quelques autres inclassables ...



Mon Soufre au coeur, finalement, fut un livre de plage.
Fin de la terre, puis à Evian, je reçus les mots magnifiques de deux amis.
Jérôme Leroy, dans Valeurs actuelles - avec ma gueule pleine page, ce qui fit sourire joliment ma grand-mère sur son lit de souffrance :
http://www.valeursactuelles.com/culture/guide-livres/soufre-au-coeur-d%E2%80%99arnaud-guern20100729.html
Philippe Lacoche, dans Spectacle du monde :
http://www.lespectacledumonde.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=328:livres569&catid=45:livres&Itemid=70#5
Il y eut aussi Ludovic Maubreuil, un long et beau papier dans Le magazine des livres.
Il y eut encore Frédéric Schiffter qui, sur son blogue, fit de mon roman un des détails d'une hopperienne invention érotique.
C'est ici : http://lephilosophesansqualits.blogspot.com/2010/08/un-detail.html
Et puis, enfin, un dénommé Jean-Baptiste Fichet, sur Parutions.com, parle ces jours-ci de nos "beaux lambeaux de vie" :
http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=1&srid=121&ida=12658
Les Inclassables, pourtant, c'est fini. Le dernier roman de cette collection - où j'ai pu rééditer notamment les nouvelles de Paul Gégauff - vient de paraître. Ca s'appelle La dignité des psychopathes. C'est signé Frédéric Paulin et c'est à lire urgemment pour qui aime la langue d'Audiard et les dérives, du côté de Sigmaringen entre autres, au coeur des ombres de l'histoire et de ceux qui s'y perdent.
Avant de remettre ma peau sur la table du roman, laissant infuser les mots, les silhouettes, je lis. J'aime, un peu ; je m'en tamponne beaucoup. J'aime la Philosophie sentimentale de l'ami Schiffter, flânerie que je saluerai bientôt sur Causeur.fr. J'aime les nouvelles de Jean-François Coulomb, Vendanges tardives (L'Editeur) : c'est troussé à la hussarde, stylé à mort, avec des femmes fatales et classieuses, des héros morandiens, des baroudeurs de charme et beaucoup de champagne, de vodka pamplemousse et autres breuvages qui rendent l'immonde moins laids. J'aime, si longtemps après la petite musique de Camille (Bartillat), Fruits et légumes (Albin Michel) d'Anthony Palou : une enfance triste et seventies sous le ciel gris de Quimper, sous le soleil de l'Espagne. J'aime le Jardin d'hiver (Table Ronde) de Thierry Dancourt, lointain cousin de Modiano qui esquisses des hôtels abandonnés en bord de mer, de belles amoureuses perdues, de grandes maisons habitées par des jeunes filles malades. Et il y a Houellebecq, si tranquillement dans le vif mélancolique du réel, son oeil et sa langue faisant de La carte et le territoire (Flammarion) le roman parfait de la France d'après, c'est-à-dire du jour. Et il y a François Taillandier, Time to turn (Stock) finit dans la grâce efficace sa saga La grande intrigue. Et il y a Brett Easton Ellis dont la Suite(s) impériale(s) (Robert Laffont) nous dit, avec la violence froide d'une lame tailladant les veines d'une call girl, la mort dans l'âme des golden boys à bout de souffle des années 80.
L'été s'en va lentement, beauté pas morte, littérature suit ...

Comme dans un poème de Valery Larbaud




C'était un bel été.
Le bleu Monory du ciel.
Les rayons qui aiguillent les arabesques de la chaleur.
Le lac Léman et son eau calme comme dans un poème de Valery Larbaud.
La plage loin de la foule.
Les lunettes noires pour se retirer, encore plus, de l'immonde et de ses bruits de bettencourt, de woerth, de chasse aux roms.
Les lunettes noires pour lire Les saisons de Roger Vailland de François Bott (Grasset, 1969) et Le soleil se lève aussi de Hemingway.
Les lunettes noires, les ajuster, les retirer, te regarder et te dire, quand tu reviens de quelques longues minutes de nage, les mots les plus beaux, les mots au plus près de ta peau hâlée, te parler de tes boucles brunes aux reflets presque blonds à baiser sans fin, te parler de tes yeux de violence amoureuse et de fragilité mêlées, de tes lèvres à l'aube, l'après-midi, autour de minuit, te parler de la winston light que tes lèvres emprisonnent, que tes lèvres embrasent tel un baiser parti en fumée, te parler de tes seins et de la pointe si délicate de tes seins, te parler de ton cul et des féeries nés de lui, te parler de tes jambes, cette oeuvre érotique d'un dieu obsédé de toi, ce compas de mes déséquilibres et de mon harmonie, te parler de tes pieds qui rendent plus fou que les fous.
Les lunettes noires, comme la nuit qui vient, et les feux follets en terrasse et le vin blanc qui coule et l'ivresse légère et les corps amoureux, sans fin.
C'était un bel été.

mardi 14 septembre 2010

Les biches, une fin d'été




Oublions les sinistres crétineries autour de la mort de Chabrol.
Imaginons son dernier éclat de rire vachard devant les hommages de Christophe Girard ou du valet de l'UMP Xavier Bertrand qui a salué, avant tout, ses talents d'acteur ...
Souvenons-nous que Chabrol n'était ni un "humaniste" - comme l'a affirmé de ses lèvres pincées la toujours sinistre et sans charme Isabelle Huppert - ni le joyeux drille de la Nouvelle vague.
Chabrol, c'était un dandy rondouillard et très français d'extrême-gauche, bourgeois déniaisé sur l'homme et la femme, le bien et le mal, par Paul Gégauff à la fin des années 50, Gégauff grâce auquel il a pu taper avec férocité et violente drôlerie sur les précieux ridicules du temps et de l'esprit.
Dans toutes les nécros de Chabrol, Gégauff est le grand absent. Personne - à l'exception du camarade Leroy, sur Causeur.fr - n'a parlé du scénariste des Bonnes femmes, des Cousins, de Que la bête meurt, du terriblement anar et quasi Audiardesque Docteur Popaul.
Rohmer déjà, à la mort de Truffaut, s'était énervé contre cette guillotine du silence qui, depuis si longtemps, touche Gégauff.
Gégauff était à la fois trop raffiné et trop grande gueule, trop populo et trop aristo, trop stylé et trop réactionnaire. Ses interviouves des années 70 sont des festivals de fulgurances, pamphlet et poésie à vif à la fois. Le 7e art morflait, en plein dans la gueule de sa prétention.
Gégauff est mort en 1983, poignardée par sa femme une nuit de Noël; Chabrol a alors fait du Gégauff sans lui, le coeur un peu usé, le regard fatigué.
Des films des dernières années restent en mémoire Les masques sur les hypocrisies de l'univers TV, la décontronction acide de Poiret dans les Lavardin - et les seins de Pauline Lafont -, la silhouette cabossée de Gamblin dans la Bretagne brumeuse d'Au coeur du mensonge et puis des personnages ratés d'écrivains pervers et libertins - il fallait la plume de Gégauff pour les réussir, ceux-là ... - et puis Dutronc dans Merci pour le chocolat et puis Laura Smet nue et les cheveux mouillée par la pluie - Une demoiselle d'honneur - et puis la tyrannie evajolyenne de la juge de L'ivresse du pouvoir.
C'était toujours légèrement mal ficelé, baclage assumé des intrigues et des personnages qui n'empêchait pas le clou de se planter, de faire mal juste ce qu'il faut. Ca donne envie, ce soir, de revoir Les Biches.
Parce que Gégauff.
Parce que Jacqueline Sassard sur le pont des Arts.
Parce que Jacqueline Sassard dans son bain, sa jambe sortant de la mousse.
Parce que la classe infinie de Stéphane Audran.
Parce que Trintignant aussi.
Parce que le sud.
Parce que la vue sur la mer.
Parce que la douceur et les éclats des choses de la vie.
Parce que l'amour, la petite mort.
Parce que l'été s'en va, lentement, mais la peau des héroïnes, toujours, est le grain de beauté qui nous aimante.

jeudi 9 septembre 2010

Remember Le déclenchement muet des opérations cannibales ...


C'était il y a longtemps dans une revue qui devait s'appeler Le Journal de la Culture. Je signais chaque mois un "A ma guise". Je parlais des livres aimés, des silhouettes enchanteresses, de tout ce qui me plaît. J'avais donc parlé du premier recueil de poèmes de Jérôme Leroy, édité par Olivier Frébourg aux Equateurs : Le Déclenchement muet des opérations cannibales. C'est à un livre lire, à relire avec, à la suite, Un dernier verre en Atlantide (La Table ronde) et Physiologie des lunettes noires (1001 nuits). Histoire de ressentir, donc de comprendre, la géographie intime et sentimentale d'un desperado du monde d'avant.
Le mercenaire de la grâce
30 degrés et des poussières, l’ombre se planque, c’est l’été. En terrasse, je bois des demis, allume une bastos et goûte les mots de Jérôme Leroy.
L’ombre – son couteau froid et ses doigts de fée -, je la trouve dans Le déclenchement muet des opérations cannibales. Des poèmes, des récits, des lambeaux d’homme à l’heure de la fin du monde.
La fin du monde ? Comme Céline, JG Ballard ou Dominique de Roux, Leroy l’a sous les yeux : les villes cassées de notre enfance, la douceur des saisons passées par les armes, la négation permanente de la beauté des lucioles. Face à ça, le poète, en mercenaire classe de la seule grâce, se promène, se souvient et sourit. Ses pas l’amènent dans les rues de Pékin et d’Abbeville, de Lisbonne ou de Saint-Malo. Et son sourire fait apparaître d’autres sourires, d’autres silhouettes. Scarlett Johansson dans Lost in Translation, dans Match Point – « La fin du monde viendra / Et elle aura les yeux / de Scarlett Johansson » -, Asia Argento et son angélique tatouage dans New rose Hotel, les jeunes filles à la peau bronzée qui, en Bretagne et ailleurs, « quittent la plage en scooter ».
Que dire, aujourd’hui, à ces Lolita du temps qui passe ? Leur parler de ce « blues de chinois » qui étreint les derniers dandys, du groove si sexy de Marvin Gaye, des belles fugitives de 40 ans. Leur parler des amours qui naissent dans le reflet de cristal d’un verre de pouilly fuissé et surtout, surtout, prononcer ces mots : « Nous avions des terrasses / Pour l’indolence et le bonheur / L’amitié avec l’espace / Pour le plaisir et la nuit / Le vin blanc glacé et les cohibas / Pour la lecture de Pasolini / Pour caresser les bras des filles. »
En terrasse, je bois des demis, j’allume une autre bastos. Je suis, comme Leroy, « un pâle fantôme français » un peu saoul rêvant, pour s’achever, de bouffer la chatte de Catherine Spaak.

Une fille pour l'été


Les jeunes filles, toujours les jeunes filles.
Que font-elles, sous le soleil des vacances, allongées sur leurs serviettes pleines de sable ?
Elles portent des lunettes noires, bronzent seins nus, remplissent des grilles de mots fléchés, laissent leur esprit dériver vers quelques envies inavouables – bel inconnu à embrasser, ivresse douce, nuit d’amour à la belle étoile.
Proposons leur un peu de son, des mélodies du monde d’avant à écouter sur leur Ipod ou autre Itruc: Sea sex and sun de Gainsbourg, J’aime regarder les filles de Patrick Coutin ou L’amour à la plage de Niagara.
Proposons leur aussi de découvrir l’art de la fessée tel que le raconte Jacques Serguine dans son roman coquin L’été des jeunes filles.
Parlons leur, surtout, de Roland Jaccard et de ce bijou qu’est Une fille pour l’été.
Sexe, sarcasmes et mélancolie
Homme des flirts en hiver, des escapades viennoises à la poursuite de Karl Kraus et du « rire du diable » quand le diable à la frange de Louise Brooks ou d’une lolycéenne du Soleil Levant, Jaccard fait sonner la langue avec la précision d’un sniper classieux : « Paris me pesait. Nous étions début juillet. Comme chaque année, je me demandais comment affronter le grand vide de l’été. » Pour éloigner, le temps d’une saison, son suicide programmé, Jaccard avance sa pièce maîtresse : « Une étudiante aux Beaux-Arts que je connaissais à peine, Shade, m’avait accompagné au cinéma Action Christine pour voir le film de Rokuro Mochikuzi : Onibi le démon. Nous avions distraitement échangé quelques baisers. Au moment de nous quitter, je lui avais dit : “Et si nous partions pour Tokyo ?” Pour seule réponse, j’avais senti sa langue frétiller dans ma bouche et ses doigts caresser mon sexe. ».
Direction Tokyo donc, où l’ombre érotique d’une certaine Asako est partout, où l’histoire d’amour ne commence pas. Chez Jaccard, l’amour est un échec et mat désabusé – « Je jouerai à être ton premier amour et toi à être mon dernier » – où les amants ne se retrouvent, bien plus tard à Paris, que pour voir Eyes wide shut de Stanley Kubrick. Le film ne plaît pas. La faute à Tom Cruise – Nicole Kidman fumant de l’herbe en caraco blanc est, quant à elle, d’une sensualité qu’elle n’offrira plus. La faute à Shade, qui oublie trop vite les mots de Pessoa tirés du Livre de l’intranquillité : « La vie m’écoeure comme un remède inutile. »
Incandescence triste
L’été s’en va, Shade aussi, laissant place à des « poupées frigides » et à des fantômes fragiles nommés Marie, Amélie, Mélanine ou Sylvia Plath qui écrivait : « J’ai besoin de ce qu’il y a de plus impossible, quelqu’un qui m’aime quand je me réveille la nuit. »
L’été s’en va, Jaccard croise ses vieux amis Louis Scutenaire, Charles Bukowski, Woody Allen et Ennio Flaiano, le scénariste de la Dolce vita et de Huit et demi.
L’été s’en va, il est l’heure, peut-être, du départ pour Vegas, ce voyage ultime qu’effectuait un Nicolas Cage ravagé, au plus près de l’incandescence lumineuse et triste d’Elisabeth Shue, dans le crépusculaire Leaving Las Vegas.
Pourquoi Las Vegas ? « Il y a des piscines, du soleil, de l’arnaque, de l’inanité, des jeux et ce grand jeu que nous jouons tous avec la mort. Vous le savez aussi bien que moi : la société a plus à voir avec une party de suicidaires à grande échelle qu’avec une organisation d’êtres rationnels. Ce désespoir tranquille qui nous bouffe ici, au moins dans le désert hystérico-orgiaque du Nevada nous y échapperons. »
Les jeunes filles, l’été, l’amour, la mort et, à la fin de l’envoi, Jaccard qui touche.

Roland Jaccard, Une fille pour l'été, Zulma, 2000
Papier paru sur Causeur.fr, été 2010.

mardi 7 septembre 2010

Le salut de Chinaski


Un zinc classe et cradingue
La nuit, si belle et cabossée
Mickey Rourke
Barfly des bas-fonds de Los Angeles
Poète pochtroné
Faye Dunaway
Les jambes à se damner de Faye Dunaway
La cigarette aux lèvres de Faye Dunaway
De l'alcool, toujours de l'alcool
Des éclats de rire comme des baisers
Des larmes dans les entrailles de la colère, de la mélancolie
Bukowski qui écrit, qui passe, et l'amour aussi, ce chien de l'enfer qui roule en décapotable dans la lumière triste des réverbères.

lundi 6 septembre 2010

La haine des plages







Connaissez-vous José Pierre ?
Ami des surréalistes, poète, essayiste, il est l’auteur d’un dictionnaire de poche du pop art et de nombreux romans – notamment Qu’est-ce que Thérèse ? C’est les marronniers en fleurs, salué par Mandiargues et Truffaut – où les sens sont à la fête. Frédéric Schiffter parle de lui dans ses Délectations moroses.
Le “philosophe sans qualité” nous apprend que les jolies lycéennes, auxquelles il enseigne la pensée de Clément Rosset et les mélodies mélancoliques de Françoise Sagan, aiment beaucoup La haine des plages, roman publié par José Pierre en 1980, roman qu’elles lisent et relisent sous la couette les nuits d’hiver ou, les jours d’été, parées d’un maillot de bain blanc et chaussées d’espadrilles, en terrasse d’un bistrot avec vue sur mer.
Les jolies lycéennes de Schiffter ont un goût exquis – ne doutons pas qu’elles apprécient également Le Professeur de Valerio Zurlini avec Alain Delon et la féerique Sonia Petrova. Les jolies lycéennes sont une incitation à se perdre entre les pages de José Pierre qui, en exergue, cite Francis Jammes : “Veux-tu faire se pencher vers moi comme des roses toutes les bouches de toutes les jeunes filles ?”
Un amour d’été
Nous sommes à Biarritz, un mois de juillet de la fin des années 70. Un critique d’art cinquantenaire, séducteur d’avant l’ère des boîtes à partouze, est l’amant d’une artiste photographe et tombe amoureux de sa fille de 13 ans. Avec une élégance qui fait penser au Dominique Noguez d’Amour noir, José Pierre raconte cette histoire de passion et de petite mort lente. “A mes propres yeux, ce n’est pas le moindre mystère de mon comportement amoureux que cette propension que j’ai à me trouver au même moment sensible à plusieurs femmes, même si de l’une d’elles en particulier je suis profondément épris. Un moraliste dirait que chez moi le roucouleur n’est jamais très loin du libertin ; un historien des moeurs et de la littérature que le Romantique coexiste fort bien dans mon coeur avec l’homme du XVIIIe siècle – et Werther avec Valmont !”
Dans La haine des plages, Pierre laisse la parole à la douceur et aux drames d’une saison sous les caresses. Il y a des jeux érotiques qui excitent, puis qui lassent. Il y a un film vu un soir de pluie, avec Michel Piccoli comme acteur principal. Il y a une mère qui flirte avec la jalousie. Il y a certains plaisirs du corps comme ultime résistance, déjà, à un monde de légèreté qui se meurt. Il y a surtout Cathy à la plage, sur la Côte des Basques ou sur le Rocher de la Vierge : son visage “presque en amande”, ses cheveux “d’un chatain très léger, qui lui faisait comme un nuage alentour de la tête”, ses “yeux d’un bleu tirant aux confins du gris”, ses lèvres tarmac des baisers insensés, ses épaules délicatement arrondies, ses seins de nymphette sous le bikini ou en liberté, ses jambes longues et bronzées et son art de fumer, avec l’innocence sensuelle d’une héroïne de Tom Wesselman, des cigarettes blondes.
Peut-on aimer une jeune fille ? Notre époque de procureurs ennemis de la peau et des mots répond par des procès et des listes noires. Nabokov, avec Lolita, a répondu “oui”; Gabriel Matzneff - relire Ivre du vin perdu ! - également; José Pierre et les jolies lycéennes de Schiffter aussi.
La haine des plages ancre dans le coeur de chacun, de chacune, le sourire de Cathy avant, pendant, après l’amour et la nostalgie des étés de notre éducation sentimentale.
José Pierre, La haine des plages, éditions Gallilée, 1980
Papier paru sur Causeur.fr, été 2010

lundi 30 août 2010

Dans le café de la jeunesse perdue


Dans le café de la jeunesse perdue,
au hasard de l'été et des ombres modianesques,
le noir et blanc de tes mots est une caresse fauve,
coeur battant, corps amoureux et temps suspendu,
comme un dimanche soir à Trouville,
le 21 février 2010,
hôtel Flaubert,
chambre 31.

mardi 17 août 2010

Les années Mitterrand et Craven A d'Eric Neuhoff


En 1984, Eric Neuhoff prend le chemin des fugues. Il n'a pas encore trente ans. Son premier roman, Précaution d’usage, a été salué par quelques glorieux aînés. Il écrit des articles chics et rapides dans des journaux qui, aujourd’hui, n’existent plus. Il fait déjà figure de lointain cousin des hussards Blondin, Nimier et Jacques Laurent. Il est temps pour lui, désormais, de n’en faire qu'à sa fête mélancolique. C’est ce que lui demande son éditrice Marie-Hélène Orban, "de sa voix de petite fille". Un Triomphe est donc le livre d’un jeune homme en liberté qui a « appris à lire dans le Club des Cinq, dans Bob Morane, dans San Antonio, dans S.A.S. » et qui, avec le Drieu la Rochelle de Etat civil, pense que "dès le moment où la femme entra dans ma vie et occupa mon imagination, tout fut bouleversé."
"Qu'est-ce que je peux faire ? J'sais pas quoi faire ..."
Délaissant les genres qui enferment, Un triomphe est une balade dans les années 70 et dans le début des années 80. Que faire, se demande Neuhoff. Commencer par un éclat de rire, la gorge serrée, ce serait bien. Une princesse d’opérette, à la silhouette de papier glacé, vient de se marier. Et ce n’est pas avec lui. Caroline de Monaco, définitivement, est une adorable peste intouchable. Il faut tourner la page, préférer les actrices aux filles de Grace Kelly, leur écrire des lettres d'amour : "Vous êtes une idée, Isabelle, celle qu'on se fait du cinéma. Ne fichez pas les pieds dans l'existence, elle vous boufferait. Avec vous, on revient du côté des mythes et des héros. Vous êtes la preuve que les films et les femmes (c'est pareil) ne sont pas morts. Vous avez le tragique et la gaieté, la folie et la douleur, vous êtes le temps perdu, le travail, l'exil de soi, l'amour incompris (mettez des majuscules partout où vous voulez)". Adjani n'a pas répondu : elle a invité le jeune homme à dîner, oubliant toutefois de déposer sur ses lèvres un baiser de cinéma. Que faire, encore. La voix d'Anna Karina, en écho, répond : "J'sais pas quoi faire !". Neuhoff se souvient de l'adolescent provincial qu'il était, qu'il ne sera plus jamais : "Il avait besoin d'une ville assez grande pour lui, une ville livrée aux ombres, où il mangerait des Big Mac sous les néons, hélerait des taxis à l'aube, une ville où il pourrait s'oublier. Enfin". Que faire, finalement, en buvant des Gins tonic et en fumant des Craven A ? Ricaner de François Mitterrand et des socialistes qui découvrent le pouvoir. Se moquer des moeurs domestiques de Philippe Sollers. Visiter Michel Déon en Irlande. Partir en ouiquende à Trouville, dans les bras d'une brune demoiselle, et se dire que c'est l'unique remède acceptable aux tristes temps où nous vivons. Se rêver dans la peau d'un écrivain de la collaboration, Sachs par exemple, parce que l'oeuvre est là, malgré tout, et la mort au rendez-vous. Etre Bernard Frank ou rien. Dans les plus belles pages d'Un triomphe, Neuhoff se rappelle de sa découverte des Rats, la Côte d'Azur, la dolce vita, l'ivresse triste au coeur, les mots comme des fusées dans une nuit d'été. Etre Frank ou rien, c'est-à-dire écrire, l'air de rien, des petits chefs d'oeuvres dilettantes pour ne pas travailler, pour retrouver le temps. Un beau programme...

Eric Neuhoff, Un triomphe, Bernard Pascuito, 2010
Papier publié dans Causeur mensuel, juillet/août 2010