mercredi 23 décembre 2009

Jean-Marc Parisis parle de Paul Gégauff, Tous mes amis, dans le Figaro magazine ...


"Le spectateur, qui se soucie du nom des scénaristes comme de son premier pop-corn, n'a sans doute jamais entendu parler de Paul Gégauff. Celui qui écrivit une quinzaine de films pour Chabrol se pommade malicieusement dans une réplique de Que la bête meure : «Nathalie Sarraute, Butor, Robbe-Grillet, même Gégauff, on aime ou on n'aime pas, mais ça va quand même loin.» Façon de rappeler qu'il avait débuté par quatre fictions, aux Editions de Minuit, dans les années 50. Moins nouveau roman que nouvelle vague, Gégauff travailla aussi pour Rohmer (Le Signe du lion), Clément (Plein soleil), Godard (Week-End) ou Barbet Schroeder (More). Le cinéma comme planche à billets, la littérature comme danseuse. De lui, on réédite Tous mes amis, des nouvelles drôles et noirâtres parues en 1969, préfacées à la hussarde par Arnaud Le Guern. On s'y envoie des crêpes flambées et du rhum rose, on passe de l'Eure à Papeete ; les feux follets Maurice Ronet et Christian Marquand sont cités. Roger Nimier vantait, chez l'animal, «un style vif où la pensée saute d'un mot à l'autre comme une puce» ; il avait raison. Provocateur, mufle, étincelant, royal au bar, Gégauff restera comme «le Brian Jones de la nouvelle vague» (dixit Bernadette Lafont). Plus grand que la vie, il se foutait de tout. «Tue-moi si tu veux, mais ne m'emmerde pas !», avait-il balancé, un jour, à sa dernière femme, de trente-cinq ans sa cadette. En 1983, elle lui mit trois coups de couteau fatals. Gégauff est mort en Norvège, une nuit de Noël, à 61 ans. Le spectateur est prié de s'en souvenir."

lundi 21 décembre 2009

Lettre d'amour


Dans tes mots tendres qui se posent sur la silhouette lointaine de ton grand-père,
Devant un film gore qui ne fait même pas peur,
Dans la folie douce des verres de vodka,
à Berlin, sur les zincs de Paris XIVe ou sur le sable froid de la mer du Nord,
Dans l'esquisse des rires et des baisers de tes 17 ans,
Dans l'accélération de ton souffle quand mes lèvres s'emparent de ta nuque, de tes épaules, de tes seins,
Dans ta mélancolie qui, avant de cogner, éloigne les tempêtes de mon crâne,
Dans ton art féerique et surréaliste de l'amour fou,
Dans la grâce nue qui, sous l'eau brûlante, te pare et met l'eau à la bouche de toutes les envies,
Dans tes moqueries acérées qui défigurent le laid, la bêtise crasse et Nico le petit et sbires associés,
Dans tes sourires quand je parle de Paul Gégauff, de Claude Sautet et de la couleur des années 70,
Dans l'éclat si précieux de tes yeux, around midnight et quand l'aube caresse les peaux,
Dans les mille et une autres choses de cette vie que nous matadorons,
Je t'aime,
mademoiselle,
Je t'aime,
plein soleil de juillet,
dans l'écume d'automne,
sous la neige des singes en hiver,
Je t'aime,
à tombeau ouvert,
le coeur battant.

mardi 24 novembre 2009

Berlin, Berlin


Te souviens-tu, mon amour, de Berlin un ouiquende long de novembre ?
L'air d'automne avait la douceur de ta peau et un soleil improbable, au petit matin, dirigeait son projo sur les têtes brunes de gamins turcs jouant au foot.
Dans Kreuzberg, suivant le camarade Damien Guillaume, nous marchions sur des ruines taguées par des Basquiat de l'Est, géographie réinventée par-delà la faillite.
Dans Mitte, le chic et le toc à la Champs-Elysées. No comment.
Prenzlauer berg, sur les décombres de la RDA, nous insultions, sourire aux lèvres, les bobos, les babas et les poussettes triomphantes.
Un enfant, n'est-ce pas, est corniaud comme ses parents.
Sauf ma Lou', qui t'intrigue, t'enchante, te happe, quand je la fais, d'un coup de fil, complice de nos dérives lointaines.
Karl-Marx Allee, tu en as eu marre.
La faim et le talon en vrac de tes bottines de demoiselle sensuelle.
La faute aux pavés défaits des murs.
Au coeur d'Alexander Platz, j'ai aimé tes dents croquant des Curry Wurtz et tes blanches semelles de vent.
Devant un bistrot appelé "Madame Claude", ta main a cherché la mienne, puis l'a serrée, la nuit tombée, pour faire fuir le froid.
Damien parlait des juifs massacrés, des antisémites d'hier et d'aujourd'hui, de Henry Rousso et du roman - "Du rififi à Ramallah" - que j'éditerais, un jour.
Nous nous engueulions sur Polanski, Frédéric Mitterrand et sur l'art de la pêche les jours d'élection.
Tu m'as dit :
"Je ne sais pas qui tu es".
J'ai répondu :
"Je suis le rejeton de l'écume froissée et d'un rayon de beauté".
Tu as soupiré.
J'ai vrillé, tout cassé, filé, jeté ma clope au vent mauvais.
Tu as murmuré,
à l'heure des aubes grises,
un « Je t'aime » qui, sans cesse, résonne.
Au balcon, en terrasse, dans des bars où les canapés avaient la grâce du cuir défoncé, nous fumions des marlboros, des lucky strike, comme si le monde d'avant n'était pas mort.
Danke.
Bitte.
Et Fuck la commémoration.
Vingt ans après,
les cons lèchent le cul des morts, des bons soldats du capitalisme et des putes au visage triste de l'ex-bloc détesté.
Plutôt le Mémorial des soldats de l'Armée rouge morts pour libérer l'Allemagne.
Pour se souvenir.
Sous nos pieds, Treptower park, 4 800 cadavres.
Avant la fugue finale : vodka russe, éclats de rire et nos corps mêlés à l'instant des songes ivres. Tout était bien.
Te souviens-tu, mon amour, de Berlin un ouiquende long de novembre ?

mardi 3 novembre 2009

Le rire des goélands


Fin de la terre,
face à l'océan,
toujours le vent violent, la pluie sexy, l'écume glacée comme une vodka,
toujours le soufre au coeur,
toujours la langue des poètes :
Brautigan,
Carver,
Bukowski.
La langue, encore, de Paul Gégauff, de Jay Mc Inerney, de Patrick Besson.
Et le fleuve tuera l'homme blanc est un beau roman et Accessible à certaine mélancolie me cogne, à chaque relecture, de sa grâce calme de fin du monde d'avant.

Fin de la terre,
sa main dans la mienne,
toujours ma Louise,
musette mimosa,
luciole de mes semaines amputées,
jolie écolière en vacances,
danseuse sur le parquet des maisons de famille.

Fin de la terre,
là où l'émotion bat,
toujours toi,
mon amour,
partout toi.
Dans le souvenir chaud, comme le souffle de l'été, de tes apparitions.
Dans les dérives brumeuses le long des rues grises du centre de Brest.
Dans le rire des goélands, pointe Saint-Matthieu.
Dans l'appel des baisers, à flanc de tempête.
Fin de la terre,
je souris au hasard de recevoir,
sur l'écran de mon nokia,
tes mots
qui me parlent
de la beauté des frissons
sur la peau
à l'instant où Tom Wesselmann
m'offre,
de son nuage,
l'esquisse
d'une brune héroïne
à la silhouette modiglianesque.










vendredi 30 octobre 2009

Christian Authier parle de "Tous mes amis" et de Paul Gégauff


"Scénariste mythique de Claude Chabrol et dandy provocateur, Paul Gégauff, assassiné par sa compagne dans la nuit du 24 au 25 décembre 1983 et récemment ressuscité dans le remarquable Les Insoumis d’Eric Neuhoff, fut également écrivain. Il publia ainsi entre 1951 et 1958 quatre romans aux éditions de Minuit avant de se consacrer uniquement au cinéma. Seul écart à son activité (débordante) de scénariste : un recueil de nouvelles édité en 1969 chez Julliard. Quarante ans après, revoilà Tous mes amis exhumé sous la houlette d’Arnaud Le Guern dans la collection «Les Inclassables». On y découvre sept nouvelles dont le climat baigne dans le fantastique ou l’onirique et où l’absurde a son mot à dire ("Tous mes amis" qui ouvre le recueil, "Club 68"). Dans "Bob Byrrh", Gégauff s’amuse avec le name-dropping, fait un détour par le conte moral ("Des roses à la pelle") ou imagine un voyage oriental du côté de la secte des Assassins. L’art du dialogue de l’auteur s’invite à travers quelques jolis aphorismes («Quoi qu’on fasse, on en revient à l’argent. Quand on en a besoin, il fait défaut. Quand il est là, c’est pour nous encombrer.»), mais le charme de Tous mes amis réside plus encore dans le ton fragile, un peu bancal de ces histoires sur le fil du rasoir. On y entend la voix d’un homme pour qui la vie était une fête, parfois macabre. Il pourrait sembler trop facile de relier la disparition tragique de Gégauff, qui ressemble à une mauvaise farce, à ces nouvelles noires et ironiques sur lesquelles la mort rôde. Pourtant, tout était là…"
Christian Authier, L'Opinion indépendante, le 30/11

mercredi 14 octobre 2009

Gégauff encore - Tous mes amis ...


« Ils étaient tous là, sans exception, mêlant leurs ovations aux reproches, me traitant de lâcheur, m’accusant de cacher une petite amie, rigolant la bouche pleine.
Mes vieux, mes chers amis qui me mettaient du baume au cœur, qui étaient ma joie, ma raison d’être ! Oh ! Mes amis !
J’eus honte de mes terreurs, je les oubliai en m’installant, entre Sophie et Christian, devant une aiguillette de canard à la purée de navets.
J’étais bien, il y avait des semaines que je ne m’étais pas senti aussi bien. Christian ponctuait de bourrades sur mon épaule un discours que je n’écoutais pas.
Je souriais. »

dimanche 20 septembre 2009

Gégauff, "Tous mes amis", 22 octobre, esquisse, préface ...


De Paul Gégauff, il ne reste presque rien, un peu de poussière du monde d’avant et, surgit de la plume de Frédéric Beigbeder, quelques lignes faisant de lui, le 25 avril 2009, le premier des « Etres de la semaine » dans Voici : « Parce que ce dialoguiste surdoué a écrit Plein soleil et Que la bête meure. Parce qu'Eric Neuhoff le ressuscite dans Les Insoumis. »
Du magazine people au temps jadis, tirons sur le fil.

*****
Paul Gégauff aimait les mots, la pêche au gros, l'alcool et les femmes. Les paysages aussi, ceux d'Ouessant, île sauvageonne de la fin de la terre où il s'exilait quand il voulait arrêter de boire, laisser le vent décider.
Dandy élégant attaquant au couteau la "vie sordide", il fait penser à Paul-Jean Toulet, le poète de « la douceur des choses » :

« Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,
Et que se taisent les colombes:
Parle tout bas si c'est d'amour,
Au bord des tombes. »
Le 11 mars 1980, Gégauff légendait ainsi son autoportrait : "Quand je pense que je regretterai cette gueule dans dix ans ..."
Dix ans plus tard, il était mort (la douceur des choses, au bord des tombes).
*****
Au commencement de Gégauff : la langue française, la « griffe », la blue note du « beau style ».
Quatre romans publiés, entre 1951 et 1958, aux Editions de Minuit: Les mauvais plaisants, Le toit des autres, Rébus et Une partie de plaisir. Au catalogue, il voisinait à l'époque avec Georges Bataille, Jacques Brenner, Henri Calet. Un peu d'électricité dans le Butor, de flamboyance dans le Duras, ce qui plut à Roger Nimier : "Les qualités de Paul Gégauff sont : le cynisme, le sens de la drôlerie, un style vif où la pensée saute d'un mot à l'autre comme une puce."
Paul Gégauff : le hussard dans les écuries du Nouveau roman.

*****
Romancier de talent, Gégauff devient scénariste/dialoguiste de génie, l'Arsène Lupin du 7e Art.
Parce que "Le cinéma, c'est du pognon, il faut bien le dire." Et du pognon, il lui en faut pour flamber, sortir les plus jolies filles, descendre de bonnes bouteilles, ne rien faire.
Paul Gégauff s'appelle aussi René Clément, Eric Rohmer, Claude Chabrol ou Jean-Luc Godard qui lui doivent, dans les années 60/70, leurs meilleurs films et une poignée de personnages hors-norme.
Il leur donne ses plus belles répliques, puis les dézingue en souriant: "La chose la plus dominante chez Godard : obsédé sexuel. Myope et obsédé sexuel. Momo (Rohmer) : pas myope mais également obsédé sexuel, sur un autre plan. C'est tous les deux des zombies, tous les deux rêvent sur des filles dans des cafés. Ils se ressemblent sur plus d'un plan. Rivette : autre obsédé sexuel, mais alors lui, complètement inoffensif ! Chabrol : pas obsédé sexuel, mais alors pas du tout !"
La Gégauff's touch : Plein soleil, Les cousins, Les bonnes femmes, Les biches, Que la bête meure, Une partie de plaisir, Docteur Popaul, More, La vallée, mais aussi, alors que la fin est proche et qu’il est définitivement grillé aux yeux des "professionnels de la profession" : Brigade mondaine, la secte de Marrakech, Les Folies d'Elodie, Frankenstein 90 et Ave Maria.
Des vieilleries, des nanars ? Le bordel coloré d'un fou qui fait sonner, une dernière fois, la langue française sur les décombres d'une bourgeoisie pas encore crevée.
Sur les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes, les riches, les pauvres, les sentiments flous, les culs-bénis, les tièdes, les crânes rasés, les cheveux longs, sur la laideur partout à l'oeuvre, Gégauff fait feu, en vengeur dilettante et classieux des outrages subies par la beauté, ce beau soucis. Et il touche, d'un éclat de rire diabolique.
Se jouant de la fiction autant que des « moments nuls », il se moque de tout et de tous. Il arrive dans les soirées chics parisiennes en costume d'officier nazi. Il pique la canne blanche des aveugles. Dilapide un héritage en Espagne. Considère Gandhi comme le plus grand criminel du XXe siècle. Se proclame de droite pour effrayer les pieds-pensants de gauche. Annonce son mariage et son divorce dans la même phrase. Insulte les féministes. Joue Mozart sur un piano à queue, en fumant le cigare, au milieu d'une cour de ferme. Dit à la jeune chieuse qui partage sa vie : « Tue moi si tu veux, mais ne m'emmerde pas ! ».
A l'écran, ses mots sont des balles mortelles dans la bouche de Jean-Claude Brialy, Jean Yanne, Jean-Louis Trintignant, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon ou du feu follet Maurice Ronet.
A l'écran, ses mots sont un peu de rouge sur les lèvres de Marie Laforêt, Romy Schneider, Brigitte Bardot, Stéphane Audran, Jacqueline Sassard, Monica Vitti, Caroline Cellier ou Laura Antonelli.
Silhouettes célèbres ou oubliées sous le ciel de l'Hexagone.
Pour Bernadette Laffont, Gégauff, "c'était un génie, le Brian Jones de la Nouvelle vague."
La France, finalement, a eu deux scénaristes de génie : Audiard et Gégauff.
Le populo et le mondain déclassé : deux artistocrates de l'esprit mauvais.
Pas loin, cigarette vissée, passe Pascal Jardin.
*****
1969 : année érotique où Gégauff publie son dernier livre, un recueil de nouvelles : Tous mes amis. C'est un régal de noirceur, c'est chez Julliard. Du côté de chez Sagan, pas étonnant. Un peu de soleil dans l’eau froide.
Plus tard, entre 1972 et 1978, Gégauff écrit des poèmes. Le recueil existe, relié par sa fille Clémence et par son fils Pierre. Il livre là ses mots les plus émouvants, à l'assaut et à la caresse. Il castagne la terre entière, se met à genoux devant les souvenirs d'une femme aimée, cogne ces mêmes souvenirs, couve ses enfants de trop loin, évoque « l'aile des phares la nuit », « la plainte des cargos » et les angoisses qui rôdent :

« J'ai visité une jolie ruine :
Moi.
»

C'est l'époque où Gégauff trinque, chez Castel, avec Antoine Blondin.
Nouvelle vague, Hussards, un même zinc.
Gégauff / Blondin, trajectoires croisées, précipices frôlés, souffle au coeur.
Talents gâchés ?
Armes déposées, en attendant l'impossible baroud d’honneur, tumultueux et mélancolique comme une déclaration au dessus des fleuves :

« Sais-tu que la Loire t'aime
Quand elle passe sous tes pieds,
Te regrettant déjà,
Ondulants secrets
De ce qui vient, de ce qui va
Dans la lumière,
Courant et bras,
Remous que l'avenir désespère.
»
*****
L’adieu de Gégauff est un magnifique début de roman : « Paul Gégauf, soixante et un ans, écrivain et scénariste, a été assassiné de trois coups de couteau, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 décembre 1983, par sa compagne âgée de 25 ans, à Ghoevic, en Norvège. La jeune femme, dont l’identité n’a pas été révélée, a reconnu les faits. »
Une affaire à suivre...

dimanche 13 septembre 2009

Svetlana Boginskaïa


En terrasse, sous le soleil d'un après- midi hors du temps, je regarde le voile de mélancolie énervée qui passe dans se yeux.
Les revenants n'auront pas sa peau. Les revenants ne l'abîmeront plus. Les revenants méritent de crever, souvent, la gueule dans le caniveau de leur absence d'excès. Les revenants n'ont pas compris qu'il faut l'aimer, cette héroïne modiglanesque, follement.
Rue de la main d'or et dans les jardins du monde d'avant, au bord de mer et sous les abris-bus de la fuite, ses larmes au coin des yeux et dans ses silences beaux comme des secrets qui tuent, au zinc d'un bar à pute et sous les lilas fânés, banlieue ouest et au plus près de sa peau de matadoreuse des saisons.
En terrasse, sous le soleil d'un après-midi hors du temps, je me fous de tout, hormis du sourire qui s'empare à nouveau de ses lèvres douces, du baiser qu'elle offre comme une ivresse quêtée et du souvenir, né de ses mots et de ses caresses, de Svetlana Boginskaïa.
En terrasse, sous le soleil d'un après-midi hors du temps, je suis amoureux des mots et des caresses qui me parlent de Svetlana Boginskaïa.

samedi 8 août 2009

La fin de la terre, on dirait le sud


Fin de la terre, il y avait la pluie qui jouait des claquettes, de gros nuages blancs entre lesquels le soleil, quelques jours durant, alluma sa mèche, le vent qui soulevait les jupes des filles et l'écume croquant avec une tendresse froide les mollets de ma Louise.
Il y avait les mots retrouvés. Les miens, ceux des autres - Le BB 60 de Nourrissier, Poèmes bleus de Perros, les poèmes de Paul Morand, Tous mes amis de Gégauff , Un état d'esprit de Patrick Besson, Toulet, toujours Toulet, et Un singe en hiver d'Antoine Blondin.
Il y avait la lune aussi, pleine et ronde des mots doux que je lui lançais, fumant mes Lucky strike, tels des signaux de fumée.
A la lune, je parlais d'une exquise inconnue et du beau bizarre des beaux hasards.
A la lune, je parlais d'une apparition modiglianesque de juillet.
A la lune, je parlais de toi.
Je lui faisais passer, dealer d'émotion, ta langue en fraude.
Je lui racontais l'histoire de tes sourires et de ta tristesse, de tes caresses et de ta colère, de tes arabesques autour de minuit et de ta peur de l'aube.
Sur la peau de la lune, j'esquissais, du bout des doigts, les lignes fauves de ta longue silhouette brune avec, entre tes seins, entre tes lèvres, une larme d'Eros que, au petit matin, je buvais en mort de soif.
Fin de la terre, j'imaginais que tu étais là, contre moi, allongée sur le sable, tes cheveux dans le creux de mon cou.
C'était extra. C'était le sud, comme la plus jolie des chansons de Nino Ferrer.

lundi 6 juillet 2009

Remember Corsica


Je suis sevré, en pleine forme, grandiose, beau comme un dieu passé entre les mains d’une masseuse thaïlandaise.
Je suis sevré, bombance, alcools forts, je sors.
Je tire ma révérence. Je me fais la malle. Je m’évade là où mes songes me portent.
Direction l’île de Beauté, l’île bleue comme la nuit qui s’invitait, à Pinarellu, sur les paupières des danseuses. Bleu comme son reflet sur le paréo de la lune.
Elles étaient belles les danseuses, à Pinarellu. Belles comme des actrices de films italiens. Belles comme le sourire d’un couteau entre leurs lèvres. Comme le frôlement d’un pouce sur l’arquebuse des lèvres.
Bronzées, cheveux en liberté ou relevés en chignon, elles déambulaient, pieds nus sur les sentiers. Elles portaient des robes courtes, blanches à fleurs rouges, que je faisais glisser d’un claquement de doigts. Elles atteignaient les criques interdites, les plages inaccessibles. Elles s’offraient au baldaquin des dunes, à mon oeil détraqué, à mes extravagances d’obsédé.
Assises aux terrasses, sous les tilleuls d’une place de bistrot, elles sirotaient des menthes à l’eau, relevaient leurs lunettes de soleil sur le haut de leur front, m’interrogeaient :

_ Si on restait là, si on s’installait ?
_ Restons…
_ Mais c’est pas possible…
_ Pourquoi ?
_ Je ne sais pas…

A Pinarellu, mon évasion réussie, je rejouerai le film. J’oublierai le Gin, le martini, le ouisquie, les coquetèles et les mortes années. Je garderai le simple plaisir d’un rosé de Patrimonio ou de Fiumicicoli en apéro. J’écouterai encore une fois une chanson que je passais en boucle, à fond la caisse, sur les routes de la fin de la terre et d’ailleurs : « Pendant que la marée monte / Et que chacun refait ses comptes / J'emmène au creux de mon ombre / Des poussières de toi / Le vent les portera / Tout disparaîtra »
A Pinarellu, mon évasion réussie, j’arrêterai le temps. Je le mettrai en déroute le temps d’un crépuscule, d’une caniculaire prière d’achever, puis j’appellerai la jeune femme brune :

_ Elle est retrouvée !
_ Quoi ?
_ L’éternité ! Elle a une peau à faire se damner le soleil et la mer. Des épaules à fendre les nuages. Des seins lourds comme des gouttes de lait sculptées par des lèvres assoiffées. Un ventre où se repose les trop vieux guerriers fatigués. Et des jambes dont la finesse de lianes nouées me rappelle les tiennes. Elle s’appelle Djamila.

vendredi 3 juillet 2009

Comme un interdit

On en est où ?
Miss Ylang Ylang m'a rendu mes armes, belle comme jamais ; ma Lou' est au soleil de la fin de la terre et dans les bras d'Eole ; une jolie gigolina est au coeur des paysages féeriques d'Oberwinter, lopin qui aurait plu à Gracq et à Breton je le sais.
On en est où ?
Dans un jardin, hors du temps, on réinvente le temps des copains, avec messieurs Paulin et Guillaume, comme les vieux, sur un banc, à Manosque. A l'Ami Pierre, CCA a des jambes bronzées qui nous aiguillent vers le beau bizarre. A l'Ami Pierre et ailleurs, Agnès est une belle amie si précieuse que j'aimerais, de loin, boire son chagrin classe et canaille pour qu'elle tue encore beaucoup de crevettes. En terrasse d'un bistrot, le camarade Leroy a l'élégance stylée des costumes en lin qu'il porte, l'été venu, du regretté ADG et de "Sauter les descriptions", le texte inoui qu'il publie, semaine après semaine, sur son blogue (http://feusurlequartiergeneral.blogspot.com/2009/06/sauter-les-descriptions-22.html).
On en est où ?
Les nuits de saoulerie, de rage de dents et d'insomnie, on se surprend à aimer Alain Robbe-Grillet en regardant "Glissement progressif vers le désir" sur une chaîne que mes amis et moi regardons aux mêmes heures. On reparlera de Robbe-Grillet car on reparlera de Olga-Georges Picot et de Anicée Alvina, mortes inoubliables.
On en est où ?
Un vendredi soir, éloignant les vieux désaccords du blues à coups de rosé made in corsica, on écoute, encore une fois, Christophe. "Comme un interdit", montage très pineupe. Hold-up parfait des sens. On écrira un jour sur les chansons de Christophe, comment elles ont forgé nos nuits, nos aubes. Avant on écrira autre chose. Il est temps, Christophe dans l'oreille, de mettre sa peau sur la table.

dimanche 21 juin 2009

AMERICAN GIGOLO - HQ Trailer ( 1980 )

Il est bon de revoir, à une heure improbable de la nuit, American Gigolo sur une chaîne du cable. Parce qu'il faut se souvenir que le désir, comme l'amour chez Bukowski, est un chien de l'enfer. Parce que Paul Schrader est le meilleur des scénaristes américains - Taxi driver, Hardcore, Yakuza, Obsession, Raging Bull, A tombeau ouvert ... - et un réalisateur de qualité - il filme les bars d'hôtel avec la maestria mélancolique d'Edward Hopper. Parce que, en 1980, Richard Gere ne nous les brise pas encore avec son Lama en robe orange. Parce qu'entendre Debbie Harry chanter "Call me" nous incite toujours à appeler, par delà les frontières, de belles et blondes étrangères juste avant que leurs paupières se ferment. Parce que Lauren Hutton, en corsage blanc échancré ou un drap dévoilant épaules, aube des seins et jambes délicatement hâlées, est une femme qui ne cesse de nous hanter. Comme la danseuse de "Menuet", poème de Raymond Carver.

vendredi 22 mai 2009

La foulée de Katrin Krabbe


Dans le train Paris-Bruxelles-Köln,
Ses yeux d'écume
se plantent
se perdent
dans les paysages de l'enfance,
allument la mèche d'une douce mélancolie.

Elle est belle comme chacun des mots
d' Union libre ,
poème écrit par André Breton en 1931
pour être offert,
au mois de mai 2009,
à miss Judith S. von E.,
jeune fille à la grâce légère et profonde
qui me fait penser à la foulée de Katrin Krabbe
dans le temps jadis, Tokyo 1991.

Sous la caresse lointaine du vent et de la vitesse,
Elle boit du vin d'Afrique,
sourit aux heures passées,
se souvient d'un homme mal rasé,
un connard,
un gigolo,
dont elle est amoureuse
dont elle a peur
dont elle goûte
la langue et la peau.

Sur sa lèvre inférieure,
une blessure sexy
lui rappelle,
alors qu'elle arrive dans son pays,
qu'elle doit revenir
vite
venger,
sensuelle à mort,
l'arrogant affront
tranchant comme un "Je t'aime"
voyou
déposé du bout des dents.

jeudi 21 mai 2009

La légèreté des lucioles


_ Tu es devenu muet ?
_ Je laisse infuser.
_ Quoi ?
_ La lourdeur des jours passés, les idiots au garde-à-vous devant les diktats à la mode, les ravissantes idiotes à la saveur périmée ...
_ Vaste programme !
_ Que je fuis, fin de la terre, au balcon de l'écume et du vent, et dans "la ville où il fait bon vivre", chez mon ami Frédéric Paulin, l'auteur de La grande déglingue.
_ Paris, c'est fini ?
_ Paris, c'est mon home sweet home du XIVe, où ma fille chante des comptines et essaie les chaussures à talons de miss Ylang Ylang, c'est la Closerie des Lilas et c'est l'Ami Pierre - ce repaire pour gueules cassées, dandys old school, belles amies et blondes fugueuses.
_ Ras-le-bol de tes blondes, de tes blondines, de tes brindilles, de tes miss Truc !
_ Elles m'offrent, quand les vertiges se pointent, la légèreté des lucioles.
_ Tu nous saoûles !
_ Je n'ai besoin de personne pour me saoûler.
_ Tu ferais mieux d'écrire !
_ Noyé dans les glaçons d'une piscine, j'envoie un papillon de mots doux et arrogants à une gigolina lointaine pour laquelle Gainsbourg écrivit Judith, chanson d'amour et de petite mort.
_ Tu es désespérant !
_ Ciao ...

lundi 11 mai 2009

Soleil cou coupé ...


Dans sa décapotable VW verte
rescapée d'un vieux monde englouti,
elle roule à fond la caisse.
Dans l'amour comme sur la route,
elle mêle la plus extrême douceur
et la passion des murs fracassés.
Elle porte des gants de cuir blanc,
une robe de nuit
et des bottes de cavalière de l'asphalte.
Tandis qu'elle chantonne,
d'une voix jazzy d'exquise étrangère,
des mélodies
de Gainsbourg
de Miossec
C'est extra de Léo Ferré,
le soleil caresse sa blondeur au vent,
glisse sur la peau,
pose enfin ses lèvres rouges
sur le plus délicat des battements de coeur envolés :
un grain de beauté.

samedi 25 avril 2009

La dolce vita

La bande-son de nos "Nuits graves"
En noir et blanc
où s'imprimerait, par exemple,
le rouge des bottes
de la plus jolie blondine de la Cité,
Miss Judith S. von E.

jeudi 2 avril 2009

Une brindille


Une brindille blonde, la plus exquise des Ashkénazes à l'âme slave et à la mèche d'Albator sur son oeil bleu, esquisse, d'une voix de cristal rieur, les lignes d'ombre des contes de ses mille et une nuits.
Elle a connu des aristos, la coco directo dans les veines, des poètes ivres, les limousines avec chauffeur en bas d'un hôtel particulier, des voyous sorties de taule, les plages bretonnes à l'heure où l'écume roupille, des petits barons de la finance, les messes en latin les dimanches d'ennui, des dandys en Ferrari, la corde au cou des dynamiteurs d'étincelles, des Russes barbus, enfouraillés et flamboyants, les palaces où quelques filles donnent un peu de joie aux insomniaques.
Elle a pourtant attendu 32 ans pour fumer, une longue soirée de printemps, sa première cigarette au comptoir du Scott, planque d'après minuit sise 7 rue Delambre. C'était une bastos, Billie Holiday chantait Strange fruit et la fumée, sur les lèvres de la brindille blonde, ressemblait au tarmac des baisers.

jeudi 19 mars 2009

Volutes


Le jour, la nuit
Une blonde est pendue à mes lèvres
Classe et canaille,
Elle m'offre son souffle
avec la sensualité sexy
des héroïnes de films noirs
Elle aura sans doute
la peau
de mes poumons
de mon coeur
qui, pourtant, s'en foutront grave.
Le jour, la nuit où,
Une blonde pendue à mes lèvres,
Je crâmerai à feu doux,
J'aurai pour seul plaisir
Les arabesques de ses volutes bleus, rouges, orangés,
sous mes yeux pochés.

"Lyrisme post hussard" (III)



Les mots d’Elsa en tête, Théo traça dans la nuit. Le vent froid et la pluie fouettèrent sa griserie, lui ouvrirent la route. Les derniers bars ouverts se vidaient, libérant des braillards anonymes qui invectivaient d’autres braillards anonymes. Bande-son d’une fin du monde qui tirait ses ultimes cartouches.
Elsa habitait Quai de la Pré-Vallée. Théo connaissait le chemin. Il avait eu, quelques mois auparavant, une maîtresse dans le quartier. Une prof’ de droit des affaires dont la sexualité ne s’exprimait que les volets fermés et la lumière éteinte.
Après avoir dépassé la Place de Bretagne et longé la Vilaine, laissant derrière lui les reflets cuivrés de son eau dégueulasse, des parkings et encore des parkings, Théo arriva au pied de l’immeuble d’Elsa. Il pianota sur le cadran du digicode. La porte s’ouvrit, coup de chance. Au téléphone, Elsa lui avait glissé qu’elle logeait au dernier étage.
Dans l’ascenseur, Théo repensa à sa brune silhouette qui banalisait toutes les autres. Elle s’était envolée comme un petit rat quitte le rond de lumière de la poursuite, se retire dans sa loge. Pour changer de tenue, déguster un verre de Pouilly, inspirer quelques effluves de brouillard avant le rappel.
Elsa : un mètre soixante-neuf d’érotisme sublimé par la voix, par les gestes.
Théo aimait la douce folie de ce qu’elle disait et ne disait pas. Il aimait la marque de ses pommettes quand elle soufflait la fumée de sa cigarette, la tête très légèrement inclinée sur le côté. Il aimait le pincement de ses lèvres quand elle était en colère. Il aimait le désir qu'elle faisait naître de retrouver le goût des premiers amours.
L’ascenseur s’ouvrit sur un vaste palier, trois portes dont une entrouverte que Théo poussa sans hésiter. Il traversa le couloir, entra à l’aveugle dans une grande pièce obscure. Il ne voyait que la nuit, le halo de la lune trouant une fenêtre sans persienne et une paire d’yeux fixés sur lui.
Son manteau jeté par terre, il rejoignit le souffle d’Elsa. La nuisette noire qu’il froissa lui révéla la nuque, les épaules, l’intérieur des cuisses et des jambes fines et musclées.
Les lèvres d’Elsa cherchèrent les siennes, sa langue les trouva. Un baiser doux et profond, mouillé d’une salive à boire sans modération, enroulé autour d’autres baisers. Les bras se refermèrent, embrasèrent les fringues, les draps, les sens.

_ Je veux que tu me baises comme un fou.

Théo obéit à l’ordre obscène d’Elsa.
Glissant sur elle, il descendit jusqu’à l’orée de la mine. Il s’ agenouilla, étancha sa soif. La petite mort chaussa ses ballerines. Chaleur au dedans et bleus aux genoux. Il l’aima, elle l’aima, tout était beau.

dimanche 15 mars 2009

Cyrano face aux cochons, aux enculés, aux tièdes, aux laquais et autres minuscules branlotteurs du rien


" d'un coup d'épée, frappé par un héros, tomber la pointe au coeur ! "
- oui, je disais cela ! ... le destin est railleur ! ... et voilà que je suis tué, dans une embûche, par derrière, par un laquais, d'un coup de bûche !
C'est très bien. J'aurai tout manqué, même ma mort.

samedi 7 mars 2009

La jeune fille de Manhattan - 2


Elle rêvait
d'une fugue
à la Gary, à la Drieu
Mais elle ne connaissait
ni Maurice Ronet
ni Alain Leroy
Elle croyait aimer le monde d'avant
Elle était juste d'aujourd'hui
aux ordres des petits diktats des kapos du temps qui ne passe plus
Elle croyait que les hommes la voulaient joyeuse
Les hommes s'en tapaient
Les hommes la voulaient
fragile et violente
mélancolique et gifleuse
douce et les lèvres peintes
Elle croyait carburer à l'excès de vie
Elle n'avait, dans le sang, que la mousse lasse
de ses Capuccinos
Elle est morte
sans s'en rendre compte
Tombée dans l'escalier
à la fin de sa dix-huitième heures de travail
C'était un mercredi
Diable, pourtant, qu'elle était jolie
La jeune fille de Manhattan.

dimanche 1 février 2009

Branlée maison

Dans un coin du ring, il dérouille à
mort.
Bien fait pour sa gueule de bois.
Salaud, enculé, égoïste, cador de merde.
Il morfle comme le mec qui en a trop donné, n’en a trop fait qu’à sa fête.
Il paie cash son outrance.
Il raque pleine face pour l’ensemble de son œuvre :
Les coups du sort, les coups tordus, les coups de poker
Et le peu de beauté qui s’y cachait.

Dans un coin du ring, il se dit pourtant,
La trogne en sang,
Que la beauté, c’était important
La quête des derniers fadas,
Des feux follets adeptes de l’or du temps.
La légèreté du papillon, le coutelas du frelon.
La beauté, il l’a embrassée, l’a castagnée :
Elle se venge.
Elle se rend pas compte, la beauté.

Dans un coin du ring, il sourit encore,
Le corps cassé en deux.
Il encaisse
Il encaisse
Cœur sec comme une motte de terre du sud explosée sur un mur.
Il se prend une branlée maison
Même s’il sait que,
A la fin de l’envoi,
Il touchera,
D’un doigt pas encore mort,
Les lèvres de l’oubli.

mardi 27 janvier 2009

Le repos du guerrier
















S'endormir au bord de mer
Fin de la terre
en buvant
à la bouteille
du champagne rosé
près d'une demoiselle
qui rirait
quand elle entendrait :
"Quand on n'a pas de fille, rien ne nous empêche de la marier à un éleveur de moutons en Australie"

vendredi 23 janvier 2009

Marc-Edouard Nabe n'est pas mort

Il y a, depuis vingt-cinq ans, un «scandale» Nabe. Quel que soit le genre qu’il aborde – roman, essai, pamphlet, tome de son Journal intime ou recueil de poèmes –, les fielleux lui collent les plus infamantes étiquettes ou, tout aussi efficace, se taisent. Leur excuse : Nabe s’est grillé tout seul, avec Au régal des vermines. En 1985, il entre en littérature avec la classe tonitruante d’un feu follet kamikaze. Dans une langue qui doit autant au swing de Thelonious Monk qu’à l’uppercut de Mohammed Ali, il règle ses comptes. Noirs, Juifs, Arabes, petits blancs aigris, sans oublier les femmes et les enfants : chacun en prend pour son grade. Sur le plateau de Bernard Pivot, il enfonce le clou. Ses auteurs de chevets se nomment Céline, de Roux ou Rebatet. Les physionomistes des lettres ajoutent qu’il portait, ce jour-là, un costume et des lunettes rondes, tendance Brasillach. Nabe était donc antisémite, néofasciste, quasi nazi.
La beauté d’un ratage
Dans Le vingt-septième livre, préface à la réédition du Régal republiée en un mince volume, Nabe se souvient de ce qu’il appelle sa «casserole» et d’une époque où «être juste considéré comme non socialiste t’empêchait d’avoir la plus petite visibilité médiatique.» Le vingt-septième livre est une merveille de confession au couteau, où les masques sont découpés, à vif : «Je suis un loser, ce qu’on appelle un écrivain à insuccès, un worst-seller … J’ai complètement raté mon destin d’écrivain. J’ai écrit vingt-six livres totalement inutiles : personne ne les a lus, ou si peu. Flops sur flops.»
Pour raconter son naufrage, Nabe s’est choisi un interlocuteur privilégié : Michel Houellebecq dont il tire, entre tendresse et vacheries, le plus juste des portraits. L’auteur des Particules élémentaires fut son voisin d’immeuble, dans le XVe arrondissement de Paris. Lorsqu’ils descendaient ensemble leurs poubelles, Houellebecq disait à Nabe : «Si tu veux avoir des lecteurs, mets-toi à leur niveau ! Fais de toi un personnage aussi plat, flou, médiocre, moche et honteux que lui. C’est le secret, Marc-Edouard. Toi, tu veux trop soulever le lecteur de terre, l’emporter dans les cieux de ton fol amour de la vie et des hommes ! ...»
L’art ne rend pas les armes
Quand Nabe se regarde dans le miroir du temps passé, il voit Houellebecq, c’est-à-dire une drôle d’image trafiquée donnant, avec exactitude, la température de l’heure : «Il y a celui qui a tellement l’air mort qu’on lui fait un triomphe de son vivant ; et celui qui est tellement vivant qu’on fait comme s’il était mort
Laissons les morts épinglés dans Le vingt-septième livre, et regardons du côté des vivants où virevoltent des silhouettes inoubliables : une belle Hélène aux yeux pers et son fils Alexandre, Jean-Edern Hallier aux commandes de L’idiot international, Marcel Zannini et sa clarinette, des jazzmen qui, grâce à une poignée de notes, nous réconcilient avec l’immonde et nous donnent la clé des mots de Nabe. Il écrit comme jouaient Albert Ayler ou Django Reinhardt : avec la grâce fragile de l’excès. Pour achever de s’en convaincre : il faut relire d’urgence La Marseillaise et Nuages, deux solos étincelants où les corps musicaux des artistes sont la cheville ouvrière de leur art.
Marc-Edouard Nabe, Le vingt-septième livre, Le Dilettante, 93 p ; La Marseillaise, Le Dilettante, 48 p ; Nuages, Le Dilettante, 64 p.
Article paru dans l'Opinion indépendante le 23 Janvier 2009

dimanche 18 janvier 2009

La jeune fille de Manhattan

La jeune fille de Manhattan arrive toujours quand on ne l'attend plus. Exquise tête brune aux yeux rieurs où s'allonger, aux lèvres peintes par le plus coquin des dieux.
La jeune fille de Manhattan porte une robe courte qui révèle des jambes d'héroïne de la nuit, perfection du galbe, fragilité de porcelaine des chevilles.
La jeune fille de Manhattan aime qu'on la regarde. Elle aime aussi le champagne et les vodka-orange, les cigarettes américaines, la douceur et la violence. Elle parle de suicide en souriant, de l'amour avec le zest d'angoisse qu'ont celles qui y croient encore. Elle cherche des passions, oubliant que la mélancolie est son bien le plus précieux, avec son rire d'après minuit, son art de dompter l'asphalte et la caresse de ses mains.
La jeune fille de Manhattan est insomniaque. Elle ne ferme les yeux que quand un garçon de passage l'embrasse. Histoire de tutoyer quelques étoiles venues d'ailleurs pour lui caresser le cou. L'homme de sa vie s'appelait Romain Gary : il est mort, hante quelques lieux où les bulles sont à la fête.
La jeune fille de Manhattan est, quand elle s'enfuit, une promesse de l'aube.

Remember Patrick Mc Goohan

J.J. Abrams n’a rien inventé avec Lost. Ses héros, égarés sur une île mystérieuse et hostile, sont les lointains héritiers des habitants du « Village » du Prisonnier (The prisonner) créé par George Markstein et Patrick Mc Goohan en 1967.
Mc Goohan – dandy sévère qui apparaît dans quatre Columbo dont il réalisera, par ailleurs, un épisode – y incarnait un agent secret démissionnaire brutalement projeté dans un lieu ressemblant fort au territoire régenté par Big brother dans 1984 de Georges Orwell. A l’intérieur de ce « cauchemar climatisé », l’homme n’est plus que le souvenir de ce qu’il était. D’un côté : des villageois numérotés n’ayant le choix qu’entre avouer, donner « des renseignements », ou s’évader de la forteresse. De l’autre : des geôliers qui tirent les ficelles de la manipulation.
Série culte, Le prisonnier est une fascinante plongée dans ce que Baudouin de Bodinat appelle « le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes ».
Résonne désormais, alors que Mc Goohan s'est fait la malle, l’amère réplique de Numéro 6 – le personnage qu'il interprétait : « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ».
Notice - légèrement modifiée - publiée, été 2008, dan l'Opinion indépendante.

mardi 13 janvier 2009

Marignac is back - le 15/01/09

Dans 2 jours, ça va cogner à la Série Noire : Marignac monte sur le ring !
Renegade Boxing club.
On en reparlera.
En attendant, un tour sur le blogue du bouquin : http://renegadeboxingclub.wordpress.com/
Une Itv mise au poing de l'ami Thierry : http://www.bibliosurf.com/Interview-de-Thierry-Marigna
Un extrait, comme un premier verre pour la route :
« Il accrocha le bras du Français pour lui coller sous le nez un DVD : Black Ghetto Booty, en grosses lettres gothiques couleur chocolat. Dessaignes fit mine de s’intéresser une fraction de seconde aux magistrales paires de miches afro-américaines qui s’étalaient sur la jaquette dans toute leur gloire primitive. Simultanément, le Français lui saisissait le poignet par en-dessous, une prise solide. Il tira sèchement vers la droite. Le petit homme fit un quart de tour involontaire et le mouvement interrompit net son boniment:
—Du cul noir, mec, sans soutif, sans culotte, du cul noir… Eh, doucement, mec, excuse-moi si je t’ai fait peur… Du cul noir…
Il lui fallut décrire un tour complet pour se retourner vers Dessaignes, déjà deux pas en avant et il n’insista pas, il avait déjà repéré un autre chaland sur le trottoir d’en face.
»

mardi 6 janvier 2009

Monplaisir 2009


Dériver dans le froid d'une ville plein ouest, là où les pêcheurs caillassaient ferme.
Rivaliser de fusées, avec mon ami Sérafini, sur les décombres du Nouveau monde.
Me faire traiter, moi le pur plouc Breton, de "Titi parisien" par une jolie fille au nom de ville en flamme.
La perruque rose de David, diable en chef.
Finir à 4 heures du matin dans un bistrot "ouvert la nuit", un 3 janvier, au milieu des bouteilles de champagne, avec le camarade Roberti et un Pédé black de belle tenue.
Le panama de Paulin'ho, compère hors-pair.
Les nouvelles "sur commande" de Jérôme Leroy.
Les cigarettes qui, avec grâce et lenteur, auront la peau de ma gorge.
La peau de ma muse.
La beauté de ma muse touchant la beauté d'Ivone.
Voir La Chotte derrière ses platines vinyles.
Paul Gégauff encore.
Le moteur d'une voiture noyé dans le givre.
Le souffle de ma musette dans son lit.
La bouteille de Cheverny partagée avec Christian Authier.
Tous les livres de Jean-Pierre Martinet.
Se souvenir, enfin, du monde d'avant.