lundi 26 février 2007

John Biroute, le crétin des Pyrénées

Crétin des Pyrénées qui se prend pour Jean Moulin – la Résistance c’est lui !- et pour de Gaulle – l’homme qui a dit non, c’est lui encore !- François Bayrou a écrit un livre. Un de plus qui va s'appeler Projet d'espoir.
Le bouquin, suite des tribulations intellectuelles de Frère François, me rappelle un des derniers gros dépliants de John Biroute, l'enculeur de vieille mouche. Il y avait un problème, un truc qui manque, un raté dans le moteur. Bayrou n’avait pas de titre. Il piochait pour en trouver un et maudissait François Mitterrand de lui avoir piqué - en 1961 ! - Le coup d’Etat permanent.
Il voulait ce titre, Bayrou, il l’a dit : « Quarante ans après, le Coup d’Etat permanent reste un formidable traité d’opposition en politique dont l’impact tient moins dans le contenu que dans le titre. » Pour Bayrou, c’était devenu la guerre du titre. Il en a fait une crise terrible. Un vrai tremblement de terre dans les locaux de l’UDF. Le coup d’Etat permanent, c’était tout à fait lui, c’était son combat au jour le jour. Chirac le savait d’ailleurs. Chirac tremblait et tremble encore devant François. Chirac, quand il parle de Bayrou, l’appelle Attila. Là où François passe, l’herbe ne repousse pas. Ou alors elle repousse mal. A la place du Coup d'état pemanent, John Biroute avait finalement choisi Oui, Plaidoyer pour la constitution européenne ! Le style, la classe.
Un livre, chez John Biroute, ce n'est pas simple. Bayrou refuse qu’un Lucky Luke de la plume mette un peu d’éclat dans son bourbier idéologique. Or les mots n’ont aucune envie de débarquer chez Bayrou. Ils se tirent, les mots, ils fuient, ils prennent le maquis. Ils s’élèvent une nouvelle fois contre la prise d’otage continue dont ils sont l’objet. Ce n’est pas l’english qui les menace, les mots. C’est, bien plus, les pires apprentis plumitifs rôdant dans les couloirs du Palais Bourbon, rues de Solférino, de la Boétie ou du côté de chez l'endive béarnaise. Tous ces plumards qui s’imaginent romanciers, essayistes ou sorciers de la langue en fusion. Tous ces François, Martine, Lionel, Nicolas, Laurent, Elisabeth. Pour comprendre, prenons quelques titres en vrac : Relève, Le droit au sens, Au bout de la passion l’équilibre, C’est quoi la solidarité, L’invention du possible, Libre, Le monde comme je le vois, … Un massacre !
Pour en finir avec François, mettons lui le nez dans le purin qu’il nous impose : « La France a besoin de se relever et pour cela, il lui faut une relève. Car depuis vingt ans…» Pas la peine d’aller plus loin. Je dis stop. Je m’arrête à « La France a besoin de se relever / Il lui faut une relève ». Un massacre, bis!
Je recueille les mots blessés, torgnolés, humiliés par John Biroute. Je souffle sur leurs ailes. Je les réchauffe. Très vite, ils vont s’envoler de nouveau. Et, très vite, ils vont se venger, fondre en piqué, comme dans un film d’Hitchcock, sur le gnafron bègue. Les mots attendent celui qui les vengera des Bayrou et autres connardeaux. Ils attendent l’homme de l’ombre, aux colts affûtés, qui videra son chargeur de balles ultra stylées sur les épouvantails aux manettes du pays. Un jeune blanc-bec, par exemple, connaissant le secret des eaux fortes et glissant dans l'urne un samizdat outrageant, pour longtemps, le trou de balle le mieux centré de France.

dimanche 25 février 2007

Les cartes postales de Thierry Séchan

Dans une soirée où le mousseux tiède était à portée de tous, un connardeau - journaliste de son état - ricanait, se gaussait et braillait :

_ Thierry ? Ce n’est qu’un poivrot, un pauvre alcoolo ! Il est bourré dès 8 heures du matin. Il est fini …

J’ai imposé le silence au connardeau. Thierry est un ami, un vrai dandy des rues parisiennes, et Thierry n’est en rien « fini ». La preuve ? Ces dernières années, Thierry nous a parlé, dans ses livres, de son frère chanteur, des joies et des larmes de Venise en décembre, de Richard Brautigan ou encore des Lolitas de l’île du Levant.
Thierry aime les jolies demoiselles, les mots de Drieu la Rochelle et chante Brassens comme personne. Thierry est-il alcoolique ? Selon les jours : un peu, beaucoup, à sa folie. Thierry est moins alcoolique que ne l’était Blondin, et plus que je ne le suis. Une sorte de juste milieu pour les racés voyous dans son genre.
Quand l’alcool – le Ricard, le mauvais vin, le ouisquie trop sec – prend trop de place, Thierry en profite pour prendre la fuite. Il part alors se reposer dans une clinique où il est le petit prince d’une ribambelle de douces tarées et de costauds aux nerfs fragiles. Dans la clinique du docteur Dieu, Thierry est tranquille. Personne ne lui cherche des noises. Ni le fisc, ni les moches fiancées, pas plus les chanteurs oublieux. Au vert dans sa chambre blanche, Thierry refait du muscle, perd quelques kilos, écoute Ferré et Dylan. Et puis il écrit les dernières nouvelles d’un recueil magnifique ou les premiers mots d’un roman qui nous emmènera sur les côtes normandes. Un roman qui portera peut-être le beau titre de Bohémiens.
Le recueil de nouvelles me rappellera Paris-Montréal Express. Une merveille à lire et relire. D’ailleurs, il ne s’agit pas de nouvelles. Ce sont des cartes postales envoyées des quatre coins d’un monde drôle et détraqué. Dès les premières lignes, Thierry nous invite au déraillement des sens : « Je vous écris du Paris-Montréal express (…) A bord de ce train, on trouve toutes sortes de gens : des jeunes filles et des écrivains, des fantômes bien vivants et des vivants inexistants. » En train, à pieds ou en tapis volant, Thierry se ballade. D’une ville de France à New York, d’un salon du livre à un asile de fous, d’une nuit avec Carla Bruni au petit matin dans les bras de Carabosse. Il nous raconte, avec ses mots de poète et de pamphlétaire, ses amours, ses amis, ses colères. Et son spleen dans l’ultime carte postée de Caen. Alors qu’il se recueille sur la tombe de son frère, tué par une bombe américaine le 7 juin 1944, Thierry s’adresse aux nuages. Il tonne contre les miroirs cotonneux d’en haut : « Mon frère, mon frère, pourquoi m’as-tu abandonné ? J’aurais volontiers pris ta place, pour qu’on m’oublie. Au moins, c’était une place. Moi, je n’ai jamais su trouver ma place. Je n’aurai jamais ma place. Je ne suis pas d’ici, je n’ai pas de frères humains. Des sœurs, peut-être. »
Pas de place ici-bas ? Tant pis pour nous. Thierry Séchan a sa place réservée au zinc des stylistes de haute lignée.

vendredi 23 février 2007

Frédéric Schiffter, maître désenchanteur.

Depuis sa Lettre sur l’élégance[1], les minces recueils de Frédéric Schiffter ont toujours eu le charme rare des mots de passe à partager entre gais désespérés. Le Traité du cafard [2] est du même tonneau. Des notes, des aphorismes, des bribes où Schiffter se fait une joie triste de tirer aristocratiquement sur les temps où nous vivons. En représailles, car, dit-il : « Pas un jour ne passe sans que le monde ne m’inflige un bizutage. » Le premier bizutage subi, c’est la mort de son père quand il avait 10 ans. « Une expérience étonnante » qui transforme les rêves d’enfant en cauchemars permanents et lui donne un angle d’appréhension de l’époque. Depuis, Schiffter pose sur ce qui l’entoure le regard froid de l’orphelin : il n’y a rien à espérer de l’homme – cette « catastrophe naturelle » - et de l’humanité. Face au monde, il adopte définitivement la position du « gosse qui se refuse à admettre que son père lui a posé un lapin ».
Pour supporter l’absence et le champ de ruine qu’est l’existence, Schiffter découvre un exil à sa mesure : le cafard, état d’esprit à rapprocher du spleen, de la saudade ou de la tosca. De son refuge en mélancolie, il lit – Platon et Blondin, Hergé et de Richaud, Schopenhauer et Rosset – et écrit : « Les cafardeux n’ont pas de patrie, mais une ou deux terrasses de café attitrées. » Tout l’art de Schiffter tient dans cette phrase : un style à la mise douce et soignée qui cache de drôles de déclarations de guerre. En effet, si Schiffter ne pactise en rien avec ce qui l’environne, c’est pour mieux épingler un air du temps qui, « entre censeurs et encenseurs […] est irrespirable ». Il le fait avec élégance et précision, dans l’ambiance préservée d’un bistrot de belle tenue. Buvant un verre, il observe l’immonde et, dans ses carnets froissés, dépose quelques ironiques notes noires sur la surface de ses états d’âme. Son Traité du cafard se lit ainsi comme une nouvelle tournée de mots aiguisés, aussi cinglante et délicate en bouche que l’étaient Pensées d’un philosophe sous Prozac[3] et Le Philosophe sans qualité[4]. Philosophe, Schiffter ? Selon ses envies, qui sont très éloignées de celles des modernes « professionnels de la profession », les Onfray et autres Ferry-Sponville. Comme Montaigne – auquel il a consacré un beau livre buissonnier – qui disait « Je ne suis pas philosophe », Schiffter a fait graver sur ses cartes de visite : « Profession : philosophe sans qualité. »
Dans Traité du cafard, qui aurait pu s’appeler « Album d’un ego triste », on retrouve tout ce qui nous plaît chez celui qui n’aspire à être qu’un « petit maître désenchanteur » : l’œil vengeur planté dans l’échine du réel et des obsessions qui l’arrachent au néant du « gnangnan » et du « blabla » : Biarritz, ses vagues, ses surfeurs, ses garçonnières et, surtout, les jeunes filles, Lolitas en promenade ou élèves dilettantes d’une classe de philo dont le professeur cisèlerait des phrases comme : « J’aimerais être un crooner, roucouler de vieux standards de jazz dans les salons des grands palaces du monde, en m’accompagnant au piano. J’aurais le toucher distingué de Bill Evans et la voix abîmée de Chet Baker. Selon les saisons, ou les pays, je serais revêtu d’un smoking noir ou d’un costume en lin blanc. Personne ne m’écouterait vraiment, mais ma voix et mes mélodies velouteraient l’atmosphère et viendraient se mélanger à la fumée des cigares et des cigarettes pour effleurer le décolleté des femmes en robe du soir. » Philosophe, Schiffter ? Non, « penseur de charme ».

[1] Lettre sur l’élégance, Editions Distance, 1988, Réed. sous le titre Métaphysique du frimeur, Milan, 2004.
[2] Traité du cafard, Editions Finitude, 2007.
[3] Pensées d’un philosophe sous Prozac, Milan, 2002
[4] Le philosophe sans qualités, Flammarion, 2006

mercredi 21 février 2007

Fin de la terre

Par la baie du bureau, presque sous mes yeux : l'écume semble griffer, telle une chatte, les branches costaudes des arbres en bord de mer. Le vent s'en mêle, malmenant son saxo dont il tire de longs solos qu'il offre aux nuages assoupis.
*
La fin de la terre est un exil comme je les aime. Du côté de chez Perros, Grall et René-Guy Cadou. Loin des zozos, des bobos et des bureaux.
*
Les zozos et les bobos qui, dans leurs bureaux, n'ont plus de vie, ont trouvé leur planche de salut : Second life. Une "seconde vie" - accessible d'un clic - où chacun cherche et trouve son avatar, clone clownesque perdu sur la Toile. Tout est clean sur Second life, facile, sans effort et, pour quelques "Linden Dollars", le Zavatar du zozo peut y culbuter une blonde poupée pas gonflée. Ce qui reste de réel ? La tache blanche sur le pantalon de costard du zozo. Pour le reste : 2007, partouze de l'espèce.

Don DeLillo dixit ...

"L'écrivain n'a pas de réponses à donner aux lecteurs. Le roman traite de questions qui n'ont pas de réponses. Mais dans une société caractérisée par l'exubérance de la consommation et le gaspillage instantané, l'écrivain peut être une figure de résistance, un homme ou une femme qui écrit contre le pouvoir, contre la municipalité, contre l'État ou l'ensemble de l'appareil qui lui est assimilé."

Pasolini dixit ...

"Aucun centralisme fasciste n'est parvenu à faire ce qu'a fait le centralisme de la société de consommation. De nos jours, l'adhésion aux modèles imposés par le centre est totale et inconditionnée. L'abjuration est accomplie. On peut donc affirmer que la tolérance de l'idéologie hédoniste voulue par le nouveau pouvoir est la pire des répressions de toute l'histoire humaine. Le nouveau fascisme, grâce aux nouveaux moyens de communication et d'information, a non seulement égratigné l'âme du peuple, mais l'a encore lacérée, violée, souillée à jamais. "

dimanche 18 février 2007

Taille basse

L’hiver tire ses dernières salves. Le froid se fait la malle. Les rues ont sur leurs joues quelques ultimes larmes de gelée que le soleil couvre déjà de son mascara. Attablé en terrasse, j’assisterai bientôt au défilé que j’attendais. Sous mes yeux, l'une des plus belles inventions récentes de l’homme, une invention qui matadore rétines et pupilles : le Jeans taille basse. L’homme parant d’étoffes les jambes de la femme, ses hanches, et s’arrêtant là. Pourquoi s’arrêter là ? Pour libérer la peau, l’offrir au regard, pour que l’œil mateur se fixe, se plante dans l’origine du monde : le nombril des passantes. Autour du nombril, nulles entraves, nulles barrières de tissu : juste la peau, la taille, les hanches, le ventre doux et rond, les reins et leur chute sculptée dans les plus beaux corridors.
Zieutant les demoiselles, rue de la Boétie, je songerai alors à une chanson de David Mac Neil : « Jolie passante de Passy / Je me demande souvent qui / Bourdonne dans vos nids d’abeilles / Flâne la nuit sous vos flanelles. »
Le Jeans taille basse, c’est ça : un point d’interrogation qui nous parle d’abeilles butineuses, de la cape de la nuit et de flânerie sous les flanelles, sous les tissus. Le Jeans taille basse : une incitation à l’escapade coquine des doigts sous la toile.

vendredi 16 février 2007

Sagan, la grâce

Quelle que soit la saison, il faut toujours en revenir à Sagan, c’est-à-dire à la légèreté absolue d’un adorable petit monstre princier sur la page blanche comme Françoise était princière, pieds nus, au volant d’une Austin décapotable. Sagan – envolée un jour de Toussaint- qui me manque et que je retrouve, diablotine à mort, dans les pages lues et relues de Bonjour tristesse.
Tout Sagan, évidemment, est dans ce livre. Sa voix, ses excès, ses tours de roulette russe, ses ardoises et le monde cassé qu’elle y arrime dès les premières lignes : « Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur, m’obsède j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.»
J’aime Françoise Sagan qui, elle, n’aimait pas, n’aimait plus qu’on lui parle de Bonjour Tristesse, de sa « petite musique », d’une exquise donzelle baptisée Cécile qui disait : « Je connaissais peu de choses de l’amour : des rendez-vous, des baisers et des lassitudes. »
Sagan avait raison, tout simplement parce qu’on lui parlait mal de cette apparition. On lui en parlait pour placer des dates, pour tuer l’héroïne, pour enfoncer le talent exquis sous des kilos d’ennui. On lui en parlait surtout pour dézinguer définitivement la soliste, pour lui accrocher aux fesses les pires casseroles remplies de saloperies, de fiel démocrasseux. Aux joyeuses célébrations, les Français ont toujours préféré les commémorations – les cons lèchent le cul des morts !
Le problème avec Sagan ? Elle n’était pas clean. Elle trichait, elle fraudait, elle se cachait sous les masques les plus fragiles. Elle ne disait pas toute la vérité, préférant les dire toutes. Elle ne comptait pas, dans un monde qui n’aime que les chiffres. Sagan a passé des nuits dans les plus beaux palaces, des nuits à la belle étoile et des nuits au poste, en garde à vue. Alors que sa vie s’envoyait en l’air, elle la couchait sur une feuille blanche, à l’heure où l’aube s’étire. Sagan – on le voit - était de la race de Blondin et des feux-follets de Drieu la Rochelle. Trop d’ombre et d’éclat à la fois pour une époque qui n’aime ni l’une ni l’autre.
Le couperet est tombé : silence radio absolu depuis son ultime bye bye, comme silence il y eut – en 2004 - sur l’anniversaire du plus rare bijou des cinquante dernières années.
En 1954, une bombe de grâce et de tristesse explosait en librairie. Depuis, on a préféré s’intéresser à la poudre blanche, à des fidélités et des infidélités, et à de vieilles dettes réclamées par l’Etat français. Sagan a été cognée durement à l’âme. Et Sagan a été piteusement défendue.
Je me souviens du souk trop propre monté pour l’occasion. Il n’y avait aucune pétition à signer pour Françoise Sagan. Vulgarité hénaurme des signatures s’ajoutant à d’autres signatures, du texte « collectif » mal ficelé auquel chacun doit dire « j’approuve ». Vulgarité hénaurme d’un ramassis de penseurs, d’écrivains, de Jacklanguistes, parlant de ses feuilles de déclaration à une star des mots.
Une star, c’est ce qu’il y a de plus précieux, c’est-à-dire d’intouchable. C’est une étoile dansant, comme Bardot dans Et dieu créa la femme, la salsa au cou de la lune. Une star, c’est l’unique cause éperdue des brigands dans mon genre. Une star, c’est Sagan en 1954, c’est Sagan toujours.

mercredi 14 février 2007

Rose hôtel - in memoriam Marco Pantani

Il n'avait l'air de rien le Rose hôtel. Une pension de famille de Rimini, petite station balnéaire italienne où Alain Delon, dans Le Professeur, tombe fou amoureux d'une Lolita jouée par Sonia Petrova. A la fin du film - c'est la dernière image -, Sonia prie pour que son amant mort connaisse enfin la quiétude, comme le peuple de Rimini a prié quand est passé devant eux, recouvert d'un linceul, le corps recroquevillé de Marco Pantani.
Marco s'est échappé un soir de la saint Valentin. La fête des amoureux, ce n'était plus pour lui. Sa douce l'avait largué depuis longtemps et ceux qui, hier, le courtisaient, ne voulaient plus entendre parler du Pirate. Pour les lâchetons, Marco était un alcoolique, un dépressif, un cocaïnomane, un type à enfermer chez les fous.
Fou, il l'était Marco. Fou d'une petite Reine qu'il comblait, tous les ans, sur les pentes les plus escarpées, les pentes alpines et pyrénéennes. Voyant passer Marco, les tifosis rassemblés dans les derniers kilomètres d'un col voyaient passer une fusée, un danseur à l'assaut, Nijinski sur les ailes du vent. Tous les cris, les hourrahs étaient pour lui, pour saluer son envol majestueux.
Et puis, tout s'est détraqué. Il y a eu l'accusation qui tue, qui crame les ailes des héros, l'accusation pire que la peste des temps anciens, l'accusation qui plaît tant à la meute. Un jour triste de printemps, Marco s'est fait jeter d'un Giro où régnait sa loi, un Giro dont il portait le maillot rose et dont il avait remporté quatre étapes. Un Giro qu’il devait gagner hauts les coeurs. Débarqué comme un bandit, avec descente de flics et ramdam public, Marco voulait oublier vite. Il allait gagner le Tour, c'est sûr. Marco avait tort : on ne le lâchera plus, on le lynchera à mort.
Dans les coulisses, dans les colonnes des journaux, dans les salles d'audience, on a cassé les jambes de Marco, on a cogné le moteur fragile de son génie. La bave aux lèvres, on l'a privé de son Bianchi, sa belle monture qu'aimait déjà Fausto Coppi.
Marco était le meilleur, il le savait, le clamait : « Je suis le meilleur grimpeur du monde ! » Mais Marco a lâché la rampe, il a mis les bouts. Il ne cherchait pas un remède. Il cherchait juste une lampe d'Aladin. Il voulait se souvenir de ce qu'il était. Pour tenir le coup, pour tenir debout, pour envoyer bouler la mort qui rôde, il ne trouvait que la poudre de perlimpinpin, les coquetèles, les médicaments. Il trouvait et il plongeait à fond.
Piqué, Imbibé ou cachetonné, Marco revivait toutes ses courses, ses exploits, son doublé Tour / Giro, mais aussi ses drames, ses fractures, ses accidents. Marco se rappelait qu'il disait : "C'est l'orgueil qui me fait tenir". L'orgueil qui, alors qu'il était à la ramasse dans un col, le poussait à accélérer, à revenir dans la course, à revenir dans la roue de Lance, à attaquer Lance et à arracher l'étape du mont Ventoux, celle de la poussière et de l'air brûlant dans les poumons. L'orgueil qui était toujours là, qui lui faisait mal partout.
Marco ne voulait pas pleurer. Marco se retenait. Il est arrivé au Rose hôtel sans valise. Il avait simplement emmené le baluchon de ses songes, un peu de poudre et des carnets, des stylos. Il écrivait, Marco. Privé de sa Petite reine, il envoyait des lettres à la terre entière. Il avait mal partout, il le notait : «Personne n'a réussi à me comprendre, même pas ma famille. Je me suis retrouvé seul. » Il laissait tomber ses derniers mots sur la moquette beige de sa chambre : « Il n'ont voulu punir que moi ». Il aurait bien aimé sourire, une dernière fois. Sourire comme après une victoire au Ventoux. C'était trop tard. Un soir de la saint Valentin, Marco s'est échappé, Marco s'est envolé. Ses ailes étaient blanches.

Back in Brest

J’avais à peine 20 ans. Je portais des costumes en lin, un chech’ autour du cou et des Docs martens aux pieds. J’étais un jeune plouc fier en goguette à Brest, ville gris bleue comme une mer blessée.
Je ne faisais rien ou presque : j’avais donc le temps de n’en faire qu’à ma guise. Lire les nouvelles de Bukowski et les romans d’Hallier, par exemple. Et écouter, à Dialogues musique, les CD en libre accès. La zizique, côté français, c’était pour moi une sainte trinité qui tue : Nougaro, Gainsbourg et Christophe. Des histoires de jazz, de java, de Melody Nelson, de petites pisseuses et, toujours, des mots bleus, « des mots qu’on dit avec les yeux ».
Un après-midi, j’aperçois une belle gueule sur une jaquette noire. Une gueule de corbeau majestueux, une gueule de beau gosse des rades enfumés. Je tripote le skeud, le titre me plaît : Boire. Appuyant sur Play, je suis tout de suite dans les cordes : guitare sèche et mots qui déchire lentement l’aurore : « J’vous téléphone encore / ivre mort au matin / car aujourd’hui / c’est la Saint Valentin. » Avec une voix de cigarettes et de cubi rempli d’émotion, un petit gars de Brest chante la sainte bibine, le corps de nuits blanches des femmes qui passent, les bistrots au nom de corsaire, les visages fracassés des aubes grises.
Dix ans plus tard, la même gueule, la même voix, un piano a remplacé la guitare sèche. Le petit gars s’adresse à une demoiselle : « Est-ce que désormais tu me détestes / D'avoir pu un jour quitter Brest /La rade, le port, ce qu'il en reste/ Le vent dans l'avenue Jean Jaurès »
Le petit gars revient sur les lieux de ses crimes, de ses joies. Il revoit la demoiselle de sa vie – une comme il y en a tant. Il prend une dernière fois la demoiselle dans ses bras. Il la serre contre lui. Il lui murmure des paroles douces comme une lame. Il effleure les lèvres, la gorge, la nuque. Il l’écorche pour lui conter les souvenirs fanés, « l’usure des nuages et des caresses ».
Les caresses sont l’autre nom des nuages qui, si souvent, se sont posés sur les épaules de la demoiselle. La demoiselle est blonde. Comme hier, elle aime toujours porter des pulls très courts, des jupes minis comme les dents d’une souris, et de hauts talons incertains. Elle aime la nuit, quand la nuit tombe avec les déhanchements d’automne d’une feuille. Elle écrit parfois des lettres qu’elle oublie de poster. Des lettres où elle dépose ce qui ne peut sortir de sa bouche. La demoiselle n’a pas changé. La demoiselle a encore une peur qui lui troue le ventre, la peur qu’un jour, plus aucun nuage ne se pose sur ses épaules.
Le petit gars s’appelle Miossec. Il laisse derrière lui la demoiselle, nos souvenirs et quelques mots encore, des mots tirés de l’album 1964 : « Est-ce que toi aussi ça te bouleverse / Ces quelques cendres que l'on disperse / Est-ce qu'aujourd'hui au moins quelqu'un te berce ? »

lundi 12 février 2007

Le musicien des brumes

Chutant d'une étagère de ma bibliothèque : Tendre Rock de Philippe Lacoche, publié il y a quelques années aux Mille et une nuits. Un roman extra où, entre des piges pour Best et des virées en autorail ou en vieille caisse dans une France aux yeux couleur de chatte, Lacoche signe avec grâce l’entrée en scène de son héroïne :
«Féline. Je ne voyais qu’elle. Autour : le vide. Le silence. Elle était là, assise, les jambes croisées dans un jean délavé. Attitude si féminine. Un pull multicolore tricoté en grosse laine faisait ressortir la fragilité de ses attaches, la brillance aiguë de ses prunelles de jais. »
Beauté de Féline, de ses jambes, de ses attaches, de ses prunelles, et talent immense de Lacoche, que je relis et que je retrouve ici aussi bon que dans ses recueils de nouvelles aux titres légers et délicats comme des cerfs-volants sur la paupière des nuages : Scooters, Le phare des égarés, Cité Roosevelt, HLM.
Lacoche, un type bien qui aime, dit-il, Blondin et Sagan, Perret et Vailland et, bien sûr, les Lolitas. Un "musicien des brumes" qui nous offre bientôt un chant poético-sensuel : Lady B.

Idée fixe

En cale sèche au milieu des années 70, Antoine Blondin était toutefois partant pour écrire, dans la collection Idées fixes, un beau solo sur le porte-jarretelle. En voilà une idée, une bonne, une idée qui fait sonner toutes les cloches.
Blondin répondait à l'invitation de Jacques Chancel - amoureux comme Antoine de la Petite Reine - qui souhaitait, chez Julliard, « donner l’occasion à tous les écrivains d’énoncer sans détour le secret dont ils ont nourri jusqu’ici sournoisement leurs livres. »
La maison aux couvertures blanche et verte abritait ainsi, à côté des bijoux de Françoise Sagan, les textes des meilleurs : Ma misogynie de Jean Cau, le Plaidoyer pour les chiens de Jacques Brenner, Les chats de Louis Nucera… Et deux éclats de pure prose qui ne sont jamais loin de moi : Le vélo de René Fallet et Donnez-moi le temps d’André Hardellet. Hardellet dont le texte commence ainsi : « Donnez-moi le temps- ce luxe suprême – de vivre à mon rythme, de regarder, de prendre des chemins que n’indiquent pas les cartes et les plans. »
Hors des cartes et des plans, Blondin a pris son temps. Les zigzags des journées qui passent l'ont déposé d'un zinc l'autre. Sans oublier la route du Tour, ce refuge pour vieux garnement aux rêves intacts. Et Antoine a oublié son érotique fixette que je reprends, volontiers, au vol.
Le porte-jarretelle m’entraîne du côté des tiroirs de ma douce. Je plonge dedans, je fouille, j’en ressors les mains pleines et la bite en grande forme. Il y a au cœur palpitant de ces étoffes des effluves de peau, un parfum alibabesque qui m’ensorcèle.
La voilà mon idée fixe, mon obsession : la peau ! La parure première, enfantine et sexy, des Lolitas de toujours, des femmes fatales qui savent que le porte-jarretelle est à la fois la balançoire des bas et un œillet sur la blancheur sublime d’une cuisse sous une robe.
La peau, je m’en empare comme un voleur, comme Arsène Lupin. J’implore qu’elle me possède. J’harnache mes psaumes de charlatan à cette hostie des lucioles en transit.
Peau des îles, peau où les ombres se grisent de camomille, peau de ciel, peau comme une glace vanille à lécher lentement, peau aux touches de piano invisibles. Peau de cygne éméché d’un cou, peau de chantilly gourmande des seins, peau de dentelle volcanique, peau de salsa des hanches, peau canaille et racaille des cuisses, peau ballerine porcelaine des chevilles tatouées.
Peau, ma peau de satin et de falbala, mes doigts tremblent sur le coton blanc de tes récits secrets. Ton oreille de velours est à moi, à ma langue de fusain tutoyant le tranchant des rendez-vous écarlates.
La peau : mon vaisseau d’Ulysse, mon arche d’Ivanhoé, ma pirogue de soufre léger, le tarmac de mes ivresses entrechattes.

dimanche 11 février 2007

Betty


Je ne vais plus au cinéma. J’ai trop baillé devant d’accablantes Kiberlain ou des godiches Godrèche. Je fuis désormais les écrans noirs qui ne provoquent plus aucune nuit blanche. Je préfère me rappeler l’année 1987, l’année de mes 11 ans, l’année où apparaît Béatrice Dalle.
Béatrice révélée, dénudée, sans autre étoffe que la poussière, Béatrice braquée par l’œil orange d’un soleil gourmand. Beinex filme, dans 37°2 le matin, ce que les mots de Philippe Djian avaient esquissés : « Elle m’a fait penser à une fleur étrange munie d’antennes translucides et d’un cœur en skaï mauve et je connaissais pas beaucoup de filles qui pouvaient porter une mini-jupe de cette couleur-là avec autant d’insouciance. »
Béatrice s’appelle Betty, comme dans un roman de Simenon. Sa peau est blanche. Sa bouche croque les étoiles en pâmoison. Ses ongles griffent, arrachent des soupirs. Aux premières loges, je suis un voyeur, un bambin son hochet entre les mains. Je cherche les lèvres de la belle. Je recueille les copeaux de son souffle. Je me réfugie, pour dormir, dans le hamac de son regard de vierge folle, son regard hanté par les tempêtes.
Béatrice vient d’où je viens, une ville où grondent les dandys destroy et les carcasses de navires de guerre. Une ville au ciel gris-bleu cassé où Béatrice est revenue, amoureuse d’un homme encagée.

Quand elle quitte le béton de la zonzon, s'éloigne des miradors, je sais où va se cacher Béatrice. Bottée de cuir et parée d’un imperméable noir, elle arpente le port à l’ombre des entrepôts. Sifflée par la lumière de vieux réverbères, elle s’avance sur la jetée. Les grues lui font une haie d’honneur, et la nuit, et la pluie, déposent sur ses mèches noires leurs baisers les plus salés. Béatrice allume une cigarette, une marlboro dont les volutes massent les épaules d’Eole. Elle surprend la conversation des goélands. Elle se mêle à leur badinage, à leurs disputes. Enfin, alors qu’elle pense à son amoureux, elle entend la déclaration d’amour des nuages : « Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore / Tu répands des parfums comme un soir orageux / Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore / Qui font le héros lâche et l’enfant courageux. »
Inconsolables depuis la mort de Romy Schneider, les nuages, comme nous, ne voient la beauté que là où Béatrice passe.

vendredi 9 février 2007

Blanchard, moyenne altitude

André Blanchard a tout pour me plaire : retranché à Vesoul, il scrute l'immonde dans ses moindres détails et l'épingle d'une prose précise. Comme moi, il est sans doute insupporté par l'interdiction de fumer dans les "lieux publics". Renaud matignon l'appréciait, Rinaldi aussi , et Beigbeder encore plus. De bons critiques qui, parlant de Blanchard et ses carnets, évoquaient Bernard Frank ou de Paul Léautaud. Le meilleur attaché de presse de Françoise Sagan et le grincheux magnifique : vraiment tout pour m'enchanter. Et puis non. Je lis Entre chien et loup et Contrebande - deux titres extras -, après avoir lu les autres tomes des journaux, et je m'emmerde. Je tourne les pages, grignotte les sentences, les maximes, m'arrête parfois sur une perle : "Même quand elle ne nous fait plus rire, la vie reste une comédie. C'est nous le drame." Mais diable que le reste pèse, c'est du lourd, du plomb camouflé en plaqué or. Blanchard se morfond, il guigne, pleurniche et s'oppose à Léon Bloy. Le "trait d'esprit" contre l'art de fulminer. Evidemment, c'est Bloy qui possède tout entier la grâce des fusées qui fondent sur leur cible. Aucune légèreté, chez Blanchard, et la profondeur, à force de ressasser, s'est fait la malle. Quand je parcours les pages de Blanchard, la grâce a la migraine et il a lu beaucoup de mauvais livres : Julien Green et Cabanis d'abord. Ca finit par marquer un homme, omniprésence du gris terne sans nuances.
Blanchard est un écrivain moyen, un type qui, derrière sa modestie de foire, promet l'Anapurna et ne grimpe que l'escalier qui le mène chez lui. Pour le sauver : son amour des chats. La première phrase d'Entre chien et loup nous réconcilie avec lui : " Quand ce n'est pas ma rêverie ou mon défaitisme ou le chien, c'est le chat qui se mêle de me distraire de mes soirées de travail, soit qu'il vienne sur mes genoux et, les deux pattes avant sur la table, me distribue force coup de tête câlins, soit qu'il se répande sur mes papiers et, des ses yeux coquins, me vote une aller sans retour vers le bonheur - auquel cas je me refuse à le déranger (qu'on me comprenne, fors tout infantilisme supposé de ma part : si l'art est une recherche du beau, pour l'heure le chat y supplée, avec un quelque chose en plus même - comme on a accoutumé de s'exprimer devant l'indicible !)."
Entre Frank et Léautaud, nous lirons Blanchard, le chat Pablo sur nos genoux.

Erreur sur le sniper

Dixit le Canard Enchaîné, les Sarko boys aiment, entre eux, s'appeler "les snipers". Comme souvent, du côté de chez Nicolas le petit, les mots sont à côté de la plaque.
"Sniper", en premier lieu, est un mot qui sonne quand chez Sarko rien ne sonne, ne donne le frisson. Citer Jaurès, Hugo, Zola n'offre aucun talent et, dans les discours de Nico, tout tombe à plat.
"Sniper", pourquoi pas, mais il eut fallu avoir le dandysme anar de Frédéric F. fajardie, auteur d'un roman sec, lyrique et triste portant ce beau nom.
"Sniper", ça me rappelle ces fadas d'ex-Yougoslavie, des fous ultra-précis couchés sur les toits qui, d'un mouvement de doigt, se jouaient de la vie et de la mort. Des sales types, peut-être, mais des sales types à la trajectoire parfaite, à la visée ineluctable.
Rien à voir avec l'arrivisme pénible des petis chiots du Sarko club.
Des "snipers" ? Non, des apprentis roquets à peine capable de dégommer une Ségolène. Des connards boiteux.

jeudi 8 février 2007

Libérez Samy Naceri !

A l'heure où, en France, un Arabe doit être Jamel Debbouze ou rien, parlons de Samy Naceri.
Samy Naceri, contrairement à d'autres, ne traîne pas derrière lui un "comédie club" de piteux péteux de l'humour naze. Naceri, comme dans la chanson, a mauvaise réputation. Naceri est en taule depuis le 5 janvier. La raison ? Il a menacé d'un couteau le videur d'une boîte de nuit. L'histoire est connue. Les canards, la TV ont fait leur Une sur "l'affaire", rappelant avec joie que l'acteur est avant tout connu pour sa "violence". Et chacun de baver sur l'enfance triste d'une racaille, les fréquentations douteuses, les coups, les insultes, j'en oublie.
Violent, Naceri l'est sans doute. Même si, dans "l'affaire", c'est lui qui a fini la gueule explosée contre le capot d'une voiture, avec quatre dents en moins, après que les vigiles ont débranché les caméras de sécurité pour taper tranquilo. Violent, il l'est surtout contre son corps qu'il charge au max. Drogues, alcool, la totale. Les pires branlées, Naceri se les inflige à lui-même. Quand la colère monte d'un coup, ou la mélancolie, c'est la même chose. Ainsi, quand il apprend la mort de sa mère - alors qu'il est clean, comme disent les gentils requins, depuis huit mois -, Samy s'écroule, d'abord par terre puis dans le fond d'une bouteille. Pour oublier, se souvenir, casser les pattes à la douleur. A la fin, la douleur, évidemment, remporte toutes les mises. Et Samy, au Tribunal, ne peut que dire : "Je suis un paranoïaque. Je vois le mal partout quand j'ai bu."
Les juges et autres procureurs devraient écouter Naceri quand il peine tant à se défendre. Sonné, il n'avoue qu'une chose : le mal qui ne le lâche pas. Encore moins entre les murs de sa zonzon. En zonzon, le mal ne donne que peu de solutions : la tête contre le béton ou les tablettes de cachetons à outrance. Après avoir écouté Samy, les juges et autres procureurs devraient enfin le laisser partir. Son frère Bibi viendrait le chercher et l'amènerait dans un de ces palaces du nouveau monde, où l'on croise quelques fous et d'adorables anorexiques au sourire triste qui éloigne la mort. Naceri se referait la cerise, il lirait Huit millions de façons de mourir de Lawrence Block et Lettre à mon juge de Simenon. Puis il remonterait vite sur scène pour jouer, par exemple, le premier rôle d'une nouvelle adaptation d'Orange Mécanique.
Il faut libérer fissa Samy Naceri !

mardi 6 février 2007

En 2007, je vote Pompidou !

Au téléphone, mon grand camarade anarcho-Audiardesque "Paulino de Bettonne "me raconte une histoire d'enfer : après avoir honoré de sa présence - c'est à dire écouté et parlé un peu, mangé et bu beaucoup - un banquet de province, le Président Pompidou est filmé au moment où il quitte les lieux. Cigarette aux lèvres, verre de ouisquie à la main, il remonte dans sa DS. D'un trait, il vide son verre puis lance aux journalistes : "Je me dépêche messieurs, j'ai un conseil des ministres à présider à Paris !". Sur ces mots, il démarre à fond la caisse, ne laissant surtout pas le volant à son chauffeur. Le chauffeur, lui, roupille à la place du mort.
Une histoire d'enfer, disais-je, et surtout une image d'hier qui me plaît beaucoup. Pompidou aimait l'alcool, les fumées délicates et la vitesse sur les départementales. Il appartenait au monde d'avant, riche en plaisirs fugaces et émotions vagabondes. Un monde aujourd'hui menotté par tous les nervis de la pied-pensance, un monde que la "France d'après", le "désir d'avenir" et autres tièdes saloperies du jour s'apprêtent à achever, d'une balle dans la nuque. Merde in France et Pompidou Président !

lundi 5 février 2007

Un sac bourré de mots


Pour attaquer à la nitroglycérine ce mois de février qui m'oblige - le matin, l'après-midi - à griller mes bastos au pied d'un immeuble laid, le nez dans les gaz d'échappement des Quatre-Quatre de la rue La Boétie, je me suis chargé de mots gonflés de soufre, de belles fumées et de gai désespoir. Des mots que je découvre ou redécouvre, dans le métro, sur mon canapé ou au plume. Des mots qui me disent qu'il est pas mort, pas encore, le frisson d'un certain art de souffleter l'époque. Des mots que je ne vais pas lâcher avant qu'ils ne rallument de beaux feux de joie : Fasciste de Thierry Marignac, La vie sur terre - Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes, tome I de Baudouin de Bodinat, L'Etranger dans sa ville natale d'Edouard Limonov. On en reparle sous peu, ainsi que du Rapide essai de théologie automobile de Gaspard-Marie Janvier, un philosophique lascar qui, dans le genre baston stylée, ne laisse pas sa part aux chiens.

dimanche 4 février 2007

Jeune femme blonde au coeur des décombres


Minuit passé, des sacs d’air lourd, d’étoiles tristes sur ses épaules, Lucie rentre chez elle.
Elle commençait à s’ennuyer au Mambo, le club hype de « la ville où il fait bon vivre ». Partout des technomans, des flippés du plaisir tout seul, des poules mi-pertes mi-profit rivalisant d’œillades vulgaires.
Venue pour accompagner son amie Aude, Lucie s’est enfuie sans un mot. Décidément ces fêtes – avec physionomiste à l’entrée, musique trop forte, coquetèles sans goût, amas d’anonymes gogos danseurs friqués – ne sont pas pour elle. Aux clubs, Lucie préfère les bistrots, les brasseries, les zincs, les bars, les troquets, les caboulots. Tous ces lieux qu’elle fréquentait à Brest, ces lieux aux noms magnifiques – le Jean Bart, le Surcouf, le Tudor ou l’Embarcadère- où il est encore possible de parler, de se taire, de s’enivrer sans rendre de comptes, de lire dans une arrière-salle, de se cacher pour échapper au monde, au bruit, pour embrasser l’homme de sa vie ou s’harnacher au temps qui, quelques secondes, se suspend.
Après avoir monté les cinq étages jusqu’à son studio, ouvert puis repoussé la porte, Lucie enlève sa veste en lin blanche. Il fait terriblement chaud sous les toits. L’air qui s’est engouffré par le vasistas lui brûle les joues, la nuque. Il cogne les tissus, les étoffes légères, le caraco, le Jean.
Lucie veut prendre un bain. Le bruit de l’eau qui coule, qui plonge sur l’émail de la baignoire lui fera oublier les heures perdues, les rires gras qui l’ont accompagnée toute la soirée.
Et puis non, pas de bain. Lucie va se déshabiller, garder sur sa peau la sueur, les fumées, les poussières, les lumières tristes de la soirée. Elle ira chercher dans sa bibliothèque L’amour fou ou Les contes de la folie ordinaire, peut-être Bonjour tristesse. Elle hésite. Elle peut prendre les trois, passer de l’un à l’autre, laisser les mots, les émotions se mélanger, échanger leur respiration.
Lucie va prendre les trois, c’est décidé. Elle grimpera ensuite les quelques marches en bois de l’escalier menant à la mezzanine. Plutôt une échelle qu’un escalier d’ailleurs. En arrivant dans « la ville où il fait bon vivre », il y a trois semaines, c’est l’échelle en bois et la mezzanine qui ont fait craquer Lucie. Elles les voulaient, elles les a eus et l’appartement avec.
Installée dans sa mezzanine, Lucie s’allongera, nue, sur les draps. Elle laissera le vasistas ouvert, remontera les stores. Lucie aime que la lune assoupie la mate, la reluque en train de lire.
Lucie lira d’abord « La plus belle fille du monde », le plus beau conte de Bukowski. Elle le connaît par cœur. Elle le lit sans cesse. Bukowski lui parle d’elle comme personne. Jamais un homme n’a prononcé pour Lucie les mots que Bukowski offre à son héroïne. Et sûrement pas l’autre imbécile qu’elle a envoyé valdinguer au téléphone, avant qu’elle quitte le club.
Comment avait-il eu son numéro ? Elle ne se rappelle plus. Elle a dû lui donner le jour où elle l’a rencontré. Pour s’en débarrasser. Elle ne l’a jamais embrassé pourtant. Elle avait même oublié son prénom. Elle ne lui a rien promis, ne lui a rien dit. Juste, tout à l’heure : « Non, je ne viens pas. Je suis au Mambo avec une amie. »
Retirant son Jean, Lucie entend déjà la voix de Bukowski. Une voix qu’elle a écoutée à la radio, à la télé. Le fameux Apostrophe où Hank était raide bourré.
Dans quelques minutes, sa tête calée sur un oreiller, elle allumera une marlboro light, trempera ses lèvres dans un verre de Bourgogne blanc. Et elle lira Bukowski. Les mots du poète américain glisseront sur elles, caresseront chaque grain de beauté, chaque tache de son. Elle les guidera de son souffle, les accompagnera de ses mains, de ses doigts.
Lucie est nue. Le caraco est par terre, au milieu de la pièce. A côté du Jean, de la veste en lin, des ballerines.
Lucie, ce soir, ne portait aucun sous-vêtements, peau au plus près de l’étoffe, à l’affût des émotions qui ne sont pas venues, qui attendaient le retour sous les toits.
Lucie se regarde dans la glace fixée au mur. La plus belle fille du monde, c’est elle. C’est écrit, elle y croit . Son miroir et la voix de Bukowski ne disent rien d’autre : « Cass était la plus jolie fille de la ville. Cass aimait la danse, le flirt, embrasser les hommes, mais sauf pour deux ou trois, au moment où les types allaient se la faire, Cass avait toujours filé entre les pattes, salut les mecs. »
Le miroir aime les boucles blondes de Lucie. Il aime ses cheveux qui tombent aux épaules, les malaxent. Il aime aussi, follement, ses épaules, des épaules de danseuse, épaules sculptées par les mouvements aériens et graciles des bras. Il aime les lèvres de Lucie qui se posent parfois sur l’éclat froid et lisse de son reflet, des lèvres couleur framboise, à croquer, à effleurer d’un doigt baladeur. Et puis il aime le cou de Lucie, ses seins petits et fripons, son ventre où naît le désir, le plaisir, ses cuisses, le compas fabuleux de ses jambes.
Le miroir le redit à Lucie : la plus belle fille du monde, c’est toi.
Lucie monte les premières marches de l’escalier. Dans son dos, la porte s’ouvre. Un bruit de poignée, un grincement léger. Lucie se retourne, redescend une marche. Elle ne dit rien. Elle n’a pas le temps de prononcer le moindre mot. Elle laisse tomber les livres. Elle voit le regard de l’homme. Elle voit le couteau dans sa main droite.

_ Je t’avais dit de venir !

L’homme n’en dit pas plus. Lucie non plus. Il la regarde à peine. Il n’y a, pour lui, que son couteau, qu’il serre, et ses battements de cœur, qui fracassent toutes les horloges, qui le rendent fou.
L’homme ne voit pas les frissons sur la peau de Lucie. Il ne voit pas la peau que recouvre une mince pellicule de peur. Une peau blanche et l’ombre belle, la tâche d’ombre lumineuse, d’une toison, d’une motte couleur d’écorce claire.
Un coup part, une claque, un poing.
Lucie glisse, tombe au pied de l’escalier. Lucie ne pousse aucun cri. Lucie ne comprend pas. Lucie sent la pointe du couteau qui s’enfonce, une fois, deux fois.
Touchée, trouée, Lucie ne sent plus rien, ne voit plus rien.
L’homme plante vingt fois le couteau dans le corps de Lucie. Toujours dans le cœur. Et puis il se tire, repoussant la porte derrière lui.

samedi 3 février 2007

La France de Blondin


Quand tant d'autres parlent de "leur France", je m'accroche à celle de Blondin, le pays d'un homme qui, rue Mazarine à Paris, dans le Limousin, à l'Arm's Park de Cardiff ou sur les routes du Tour, parle à l’oreille de la brume assoupie et lui murmure: "Remettez-moi ça!".

La France de Blondin est mal en point. Mais elle se bat, la chienne poivre et sel, elle se bat et elle s'envole comme les derniers vers d'une chanson de Claude Nougaro : « Las ! Il faut quitter les lieux. L'eau devient de glace... Adieu! »

Tout aurait déjà été dit, écrit, sur Blondin : les proches, les amis, les ennemis, les bitures, l’alcoolisme, les bagarres, les romans, la Petite Reine… Chacun a déposé sur les restes d'Antoine son petit tas d’anecdotes biographiques.

Biographie : factotum de la mort, ordre de l’ordurerie partout à l’œuvre, anti-Blondin, négation totale de la petite musique des Quat's saisons, d'Un singe en hiver, des papiers de l'Equipe, de France Soir, une petite musique qui ne revendiquait qu'un seul droit : celui de prendre l'air.

Comme souvent, il faut en revenir à Marcel Aymé. La première "bio" de Blondin est l’œuvre d'Aymé. Une bio imaginaire, imaginée, un morceau de roman, des lambeaux d’obscurité et de lumière posés, comme un chaud manteau, sur les épaules d’Antoine.

Que nous apprend Aymé sur Blondin ? Rien. Aymé a mieux dans sa musette. Aymé nous offre un Blondin ancré par le style, la mélancolie et la joie des matins pas encore perdus. Dans La Parisienne- le canard de Jacques Laurent !- de novembre 1953, Aymé rend Blondin à la fantaisie des écoliers, à leurs doigts tâchés d'encre noire :
« Marie-Eugène Dellébeuse, qui devait prendre plus tard le pseudonyme d'Antoine Blondin, serait donc né le 17 mai 1924 à Ambarès le rotrou. Son père était un petit imprimeur de rien du tout qui avait ses presses dans le quartier de Grenelle à Paris, et qui imprimait entre autres choses une feuille anarchiste appelée primitivement "A bas le sac d'écus", puis abréviativement "A bas le sac". Sa mère était la duchesse de Rieselstein, de l'illustre maison de Rieselstein qui fournit deux rois et quatre reines aux Etats balkaniques pour ne parler que du dernier demi siècle. »

Les écoliers, disais-je. Blondin a, toute sa vie, été l'un d'eux. Un garnement qui, chaque été, rédigeait ses devoirs de vacances, rendant hommage à sa douce, la Reine des reines, ou quêtant sur les stades les plus improbables la foulée cendrée de Colette Besson, princesse du 400 mètres.

Blondin: un écolier et, très vite, un orphelin. Nimier s’en est allé, Guy Boniface aussi, puis Kleber, le général Haedens de l’armée des rêves. Et Antoine n'habite plus Quai Voltaire, à deux pas de la Seine.

Laurence, l'une des filles d'Antoine, le dira : « Papa a eu deux drames dans sa vie. Il a perdu Roger et il a perdu le Quai Voltaire ».

Le Quai Voltaire, c'était le boudoir de Blondin, son palace de fugueur, le nuage où il sabrait le champagne avec tous les diables à ses trousses et, le 27 septembre 1963, le nid froid où il écrivit ces lignes dans son cahier : « Demain, l'anniversaire de la mort de Roger. Mais qu'est ce que cela signifie ? Cette mort m'est nouvelle à chaque instant, je l'apprends par un manque soudain, une insatisfaction qu'elle précise. Plus exactement, chaque instant m'apprend la mort de Roger. »

Pour chasser les fantômes, pour les ramener à lui, pour être debout et titubant jour et nuit, que la nuit prenne toute la place : l’alcool, la dive bouteille, l’Arche de Noé des naufragés, le tchin-tchin qui tue.

Tchin-tchin, trinquer : le verbe beau, le verbe rempli de larmes, de joie et de bulles. Blondin, comme Guy Debord, en plus vivant: « Quoique ayant beaucoup lu, j'ai bu davantage. J'ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent; mais j'ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. »

Malheureusement pour lui, Debord n'a pas écrit Monsieur Jadis, miracle de poésie, de saveur grisée, coquille pleine d'ivresse légère où un Don Quichotte de tous les zincs se présente ainsi: « Longtemps j'ai cru que je m'appelais Blondin, mon véritable nom est Jadis. C'est celui que je viens de donner au brigadier penché sur la main courante de ce commissariat dont je ne soupçonnais pas l'existence. »

La première phrase de Monsieur Jadis : tout de suite, la signature, la papatte de l’écrivain. J’appelle ça le tag inaugural, l’envolée, l’envol. Un moment de grâce qui rappelle les éclats d’Iban Mayo, de Lucho Herrera, de Marco Pantani sur les pentes les plus dures de France, d’Italie et de Navarre ou, jolie porte qu'on fracture, la révélation de Sagan aux premières lignes de Bonjour tristesse : « Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur, m’obsède j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse

Blondin, c’est du Pantani, du grave et de l'aérien, c’est le petit génie dans les loupiottes d’une Petite Reine. Pour Blondin : « Le Tour de France est notre tour d’Ivoire. Pendant un mois, il nous retranche du train du monde, il nous confisque nos chagrins. »

Blondin se saoule et trace ses lettres d'une écriture parfaite, comme Pantani sniffe la Coco et pédale tel un dieu nommé Fausto ou Charly. A chacun son Alpe d'Huez, ses coups du sort, ses coups de pétrin, ses blessures, ses cicatrices, et Roger, et Guy Boniface, et le temps qui passe si vite, le temps qu'on aimerait tant embrasser sur les lèvres.


« Se gâcher » ? N'insultons pas les astres : Antoine et Marco, « alcoolo » et « câmé » dit-on, sont à jamais parés d'un jaune que le soleil a piqué, un soir de cuite, à Vincent Van Gogh. Le plus beau.

Pourquoi buvait-il Antoine ? Pour écrire encore un peu, beaucoup, à la folie ou pas du tout. C'est-à-dire pour vivre, pour scier les barreaux de sa cage de chagrin, pour toréer une dernière fois les caisses plein phares, entre deux averses, pour oublier et pour se souvenir de Roger, de ses petites filles toujours trop seules. pour ne jamais quitter la nuit : « Comme de nombreux bègues, j'ai toujours beaucoup aimé la nuit. Le temps ralenti s'y accorde à notre discours, lorsque nous hésitons, ou en tire une accélération qui ne semble du qu'à notre début précipité. D'ailleurs, à partir de 4 heures du matin, tout le monde bégaie. »

Appelez-le Cartouche !


Je l'attendais, il était là face à l'Italie, de retour : Sébastien Chabal. Un monstre barbu, aux cheveux longs et à la gueule de corsaire. Un monstre qui ravage tout sur son passage et qui, cet après-midi, a marqué deux essais. Dans l'antre des Italiens, on n'a vu que lui et son numéro 8 tagué dans le dos. Il a plaqué - un peu, Betsen était là ! - et percuté beaucoup, plus Cartouche que jamais. Cartouche, c'est le blaze que lui ont donné ses adversaires qui, devant lui, ont les boules comme s'ils étaient face à Mike Tyson. Quand Chabal est dans le coin, la bastos n'est jamais loin. Direct dans la bidoche, bien saignant, avec toujours, dans la pose, la précision du costaud pistolero. Cartouche, enfin, comme Louis Dominique Bourguignon, Apache magnifique de la cour des Miracles qui déclamait : "Peuples de France et de Paris / Venez entendre de ma bouche / Les cruautés et perfidies / Commises par moi cruel Cartouche / Je ne crois pas sous le soleil / Qu’on pourrait trouver mon pareil." Ca, c'est tout Chabal : fin et puissant en diable !

vendredi 2 février 2007

Fais ton roman !


C'est ce que disait madame Hallier à son sacripan de fils pour qu'il achève son Evangile du fou. C'est aussi ce que Roland Laudenbach lançait à Antoine Blondin avant de l'enfermer 28 jours au Grand Hôtel de Mayenne. C'est aujourd'hui ce que me dit ma muse : "Fais ton roman ! Achève Observatoire Val-de-Grâce et réussis le crime parfait !".

Faire son roman, c'est-à-dire descendre au fond de la mine des mots et en extraire, jusqu'au coeur, les plus somptueuses pépites.

jeudi 1 février 2007

La grâce furieuse de Laurent Rochut

Nourri au lait-vodka de L’Idiot International de Jean-Edern Hallier, Laurent Rochut entre en littérature avec la grâce furieuse de Mike Tyson montant sur le ring : « Je suis né d’une pouliche et d’un taureau, dans une saillie d’écume et de sang ; né pour l’arène, les clameurs, la mise à mort et la flaque de sciure. »
Dans Peine perdue, la langue est affûtée, au mieux de sa forme. Elle cogne la tiédeur insupportable de l’époque, tout en nous racontant une histoire qui parle au cœur et aux tripes. Julien, le héros, envoie une lettre à sa mère. Il lui donne de ses nouvelles, sous la plus tranchante des formes : un règlement de compte. Les hautes trahisons intimes ou la bêtise à front de taureau imposée pendant trop longtemps : Julien ne pardonne rien. Vengeur sans masque, « le petit bâtard » pratique la castagne textuelle de haute volée : « Peu à peu, vous avez appris à faire votre travail de pions, de kapos des consciences. […] Terroriser la pensée, la fliquer dans la moindre de ses manifestations d’indépendance ou de virilité. Mettre au pas l’opinion, d’une dénonciation l’autre, telle aura été votre sale besogne. »
Chez Julien, c’est l’enfance qui ne passe pas. On la lui a gâchée, foutu en l’air à grand renfort de mots d’ordre. Ses rêves fous de gamins ont été passés par les armes. Les Trois Mousquetaires et Bardot dans Le Mépris – qu’il aime tant - sont devenus persona non grata. Pour calmer la colère, il ira chercher en Bosnie l’aventure kaki. Il y touchera, de son doigt sur la gâchette, la mort et la lâcheté. « Faire la guerre, c’est sans doute ce que je réussis de mieux ». Dandy cassé, de retour en France, Julien est, aux yeux de tous, un sale type. Un nationaliste. Un va-t-en-guerre. Pour oublier, il lit ses maîtres – Barbey, Bloy, Breton, Céline entre autres– et pose ses lèvres sur les lèvres d’une demoiselle « aux semelles de vent ». Elle est là, elle est belle et partage avec lui une certaine idée de "l'amour fou". Dans une lettre à lire et à relire, Julien déposera sur le cœur de sa « musette » tous les mots qu’il n’ a pas su dire à l’oreille sa muse : « Que faire d’autre qu’aimer ici-bas ? je veux dépenser sans compter, jeter par la fenêtre l’or du temps, aimer à vif. Je laisse le don d’organes aux épargnants de l’existence. Je préfère le don d’orgasmes. J’espère bien qu’il n’y aura rien à retirer de ma carcasse quand on me ramassera dans le fossé. »

Mélancolique Strip-Tease


Je me souviens avoir lu, sur la couverture vermillon : « Métaphysique du Strip-tease ». Et j'ai acheté.
Le titre, très moyen, était Le diable et la licorne, et l’auteur, que je ne connaissais pas : Jean-Pierre Georges.
J’ai ouvert le bouquin, feuilleté. Je suis revenu sur la première phrase : « J’avais le goût du sexe et la passion de l’érotisme et fus naturellement aimanté par celle qui les représentait à l’envi sur les scènes des cabarets et des théâtres. »
D’entrée, ça chauffait, c’était du bon, du classieux. J'ai poursuivi : « Rien, ou presque, à mes yeux, ne le cédait à l’attrait imprévu d’une fine bretelle tombant impromptue sur l’épaule nue d’une fille ou à la provocation d’une dentelle dépassant d’une étoffe sévère. »
Quel enchaînement, quelle pureté dans l’image ciselée, de la bombe, du KO ! Tout était dans cette phrase. Tout le roman à venir, tout ce que j’aime, toutes les silhouettes, les fines bretelles et les grains de peau qui font les héroïnes. Cette phrase, depuis, je me la repasse en boucle.
Dans Le diable et la licorne, Jean-Pierre Georges nous aimante. Il nous prend dans un filet à papillons de nuit où L.M. - la Licorne - danse, joue, hurle, se maquille pour nous. Dans ce filet, où sexe et sensualité se roulent des pelles, on croise Pierre Bourgeade, Guy Debord, Maïakovski, Louison Bobet et Claude Nougaro. Une folle tribu où je me sens chez moi.
Evoquant Nougaro, Jean-Pierre Georges l’appelle « le poète ». Et que dit « le poète » de la muse, de L.M. la belle incendiaire ? « L.M. c’est une héroïne au sens le plus complet du mot. C’est une grande brûlée. C’est une déesse. C’est une femme qui détonne sur l’âme d’un homme. Elle sort de la cuisse d’Audiberti. C’est vraiment une de ces fées sorcières d’Audiberti. Elle s’est mouillée jusqu’à ses entrailles sur cette scène où elle ne faisait rien d’autre qu’une messe. »
Les mains jointes, je joue le jeu de Nougaro et de Georges. J’assiste à la messe. Je suis un communiant. Je ne perds pas une miette du récit, de la liturgie. Je mange, je croque les entrailles, le cœur, les hanches obsédantes de la Licorne. Je la suis jusqu’à la chambre d’hôtel où elle s’est endormie. Ses paupières sont de celles qu’on baise délicatement pour apaiser les cauchemars, pour provoquer les ivresses du lendemain. Après le chemin des fugues main dans la main, après l’errance au pays des songes, la Licorne se tirera.
Malgré les cris, les insultes, les coups, les mains qui se serrent autour d’un cou, Jean-Pierre Georges garde la silhouette de L.M. au chaud de sa mémoire très vivante. Les mots qu’il découpe pour sa muse enfuie sont une divine étoffe pour affronter l’hiver.


Jean-Pierre Georges, le diable et la licorne, Table ronde, 2004.

Ombres éparses


Quand l'air du temps devient trop plombant, trop lourd sur mes épaules, j'ouvre un catalogue de lingerie. Celui d'un grand magasin ou d'une belle enseigne, déposé dans ma boîte aux lettres par un facteur complice. Ou le catalogue artisanal né des pubs et des pages découpées dans Vogue, Citizen K ou Glamour.
Dès le premier coup d'oeil, les hauts le coeur se font la malle. Entre les pages glacées que caressent mes mains, tout est beau, sensuel, sexy. Les mannequins, les formes, les étoffes. Tout me parle, tout trinque avec l'émotion, avec les souvenirs, avec un parfum d'enfance qui prend toute la place.
Sur ma pellicule s’imprime le beau foutoir de mes émotions premières. Je me souviens de l'Histoire des dessous féminins de Cécil Saint-Laurent, une histoire qui « est celle d’une déraison qui exploite toutes les ressources de l’imaginaire », une histoire où les illustrations sont de permanentes incitations à la coquinerie. Je zappe sur des défilés où passent des Carla, des Laetitia, des Karen, des Naomi, des Kate. Je revois mes petites amoureuses, de jolies « brindilles » avec, pour seules parures, talons aiguilles et dessous chics.
Noyé dans le catalogue, perdu dans mes films montés à la va-vite, je pars à la recherche de mes hochets d’hier, de mes linges hérités. Je m’enivre de couleurs indémodables. Du blanc beaucoup, le blanc des caracos inoubliables, le blanc de la lumière vive qui rend fous les miroirs.
Du blanc, du noir canaille, et du rouge plein de framboises en grappes. J’arrache tout ça aux cintres, aux présentoirs de mes rêves. Du blanc, du noir, du rouge, couleurs adorées, étoffes de ma muse, de mon asiat' féerie. Pour elle, je scrute, farfouille, grappille. Je soupèse les grains, je chaparde, déniche, embarque.
Dans mes pognes, contre ma poitrine, dépassant de mes poches : culottes, strings, tango de tangas, nuisettes, jarretelles, jarretières, guêpe et guépières, bas, slips, shorty, soutien-gorge baptisés du nom de belles étrangères : Umbria, Curaçao, Malaga, Ankara, Lucca, purs golfes d’ombres éparses.
Obsédé de la peau et de ce qui la pare, je plonge derrière les paravents. Elle est là, ma muse, parée d'une muleta de rosée. Elle est assise sur un tabouret en bois à hauteur réglable. Elle m’attend pour se défaire de l’enfantin coton. Elle dépose au cœur de mes mains jointes ses paroles chéries :
_ Déshabille-moi, déshabille-moi… Oui, mais pas tout de suite, pas trop vite… Sais me convoiter, me désirer, me captiver… Déshabille-moi, déshabille-moi… Dévore-moi des yeux… Mais avec retenue… Que je m'habitue, peu à peu… Déshabille-moi, déshabille-moi…
Dehors : des coups de klaxon, des hurlements, le vendeur du Monde braille pour vendre sa came, les chiens chient où il faut. Et, dans mon salon, le jingle d'un flash info, puis les news : "Bonjour, il est 15 heures ... Bonne nouvelle : le CAC 40 est en hausse de 0,53 % ... ". Je referme mon catalogue.