vendredi 6 février 2015

Fées d'hiver - Christian Laborde/ Madame Richarson et autres nouvelles ...


Notre plaisir du moment, qui annonce déjà les beaux jours, l'été : Madame Richardson et autres nouvelles, de Christian Laborde. Ce n'est pas une surprise. On n'avait pas oublié les héroïnes de Diane et autres stories en short, son précédent recueil. Elles n'en faisaient qu'à leur fête mélancolique, suspendant le temps d'une caresse ou d'une foulée légère. Laborde, aujourd'hui, nous présente les petites sœurs de Diane.

Elles s'appellent Kate, Agathe, Maria ou Albane. Que font-elles dans la vie ? Rien. Ce sont des passantes graciles. Elles flânent entre les lignes des 12 nouvelles de Madame Richardson. Elles sont nées, non de la cuisse de Jupiter, mais d'une plume sensuelle qui, comme personne, sait esquisser une nuque, des seins menus ou une cambrure. Elles se retrouvent au Bizarro Bar, roulent en Triumph Spitfire 1500 cabriolet, lisent des « Cartes postales » de Henry Jean-Marie Levet. Elles rient, pleurent, s'offrent. Avant, pendant, après l'amour, elles chantent : « A chaque nouvelle une héroïne, à chaque héroïne un refrain. » Les mots et les mélodies sont leur seconde peau. « Paradis perdus » de Christophe ou « Désir désir », signé Souchon/Voulzy, les parent. Ne pas oublier « Love me please love me » ou « La Superbe », de Benjamin Biolay. Parfois, ces fées d'hiver nous rappellent des silhouettes inoubliables d'un monde en fuite. On pense à Sarah, qui aimante les sens dans une nouvelle titrée « Les escarpins » : « Elle se regarda une dernière fois dans la glace, et la glace lui confirma que ses amies et son mari avaient raison : elle avait quelque chose de Muriel Moreno, la chanteuse de Niagara. » Muriel Moreno : sa moue à la BB, ses « Tchiki Boum », son envie de « l'amour à la plage ». Les années 80 avaient de jolis atours. Sarah, elle, est tête en l'air. Sous sa jupe courte, elle a oublié d'ôter sa culotte. Alors qu'elle s'apprête à rapter ses stilettos préférés, un tel oubli doit être réparé. Ce qu'elle ne manque pas de faire. Notre reconnaissance lui est éternelle.

Ciselant ses héroïnes au plus près de nos émotions, sans négliger les drames intimes et la mort qui cogne comme le soleil d'un été meurtrier, Christian Laborde est en grande forme. Parce qu'il se joue des genres, la nouvelle lui va bien. Il est un des meilleurs nouvellistes de « notre cher et vieux pays », avec nos amis Jérôme Leroy – auquel Madame Richardson est dédié -, Patrick Besson ou Philippe Lacoche. Sur quelques pages ou dans une histoire au plus long souffle – « Trois saisons », ce bijou d'érotisme, de poésie et de spleen - sa langue est en liberté, comme elle l'était dans L'Os de Dionysos, roman culte. Le lecteur y croisera Jean Seberg et le fantôme de Pierre de Régnier, Bahamontes et Tarantino. Tout ce qui nous enchante.

On lit les nouvelles de Laborde ; on les relit. Que nous apprennent-elles ? La beauté sauvera ce qui reste à sauver de l'immonde. C'est pleine cible, plein cœur. Littérature pas morte, Madame Richardson suit ...


Christian Laborde, Madame Richardson et autres nouvelles, suivi de Quai des bribes, Robert Laffont

Des coeurs à prendre - Arnaud Guillon/ Tableau de chasse


Arnaud Guillon nous manquait. Depuis 2007 et Hit-Parade, six nouvelles que rythmaient des mélodies de Françoise Hardy, Stevie Wonder ou Michel Delpech : rien. On se replongeait pour patienter dans Ecume Palace (prix Roger Nimier 2000) et 15 août, délicats romans du temps suspendu. Guillon est un orfèvre du soufre au cœur, un écrivain de charme. Il esquisse comme personne des paysages oubliés, des sentiments en fuite ; il sait se jouer des silences et des mots d'amour triste.

Dans Tableau de chasse, on retrouve, intact, son art du plaisir, des petits luxes et de la mélancolie. Manon et Vincent, jeune couple, ont du plomb dans les ailes. Elle s'ennuie ; lui travaille trop. Un ouiquende en Normandie, chez les parents de Vincent, leur sera fatal. Il y a le soleil, qui caressent les peaux, des baignades, des parties de tennis et des bulles, de la maison Pol Roger, en terrasse. Il y a surtout l'arrivée d'Eric, ami de la famille. Eric a la cinquantaine élégante. Sa femme et sa fille sont restées à New York. Il roule en Alfa Romeo Coupé Bertone, navigue sur un vieux 470. Eric a tout pour plaire à Manon : « Même si elle était curieuse de l'avenir, elle trouvait romanesque l'idée d'arrêter le temps et de disparaître en pleine jeunesse, un jour d'été, au côté d'un homme dont elle tombait amoureuse. »

Lisant Tableau de chasse, on pense aux films de Sautet scénarisés par Jean-Loup Dabadie. Guillon possède la même légèreté profonde, où rôdent les drames intimes : « Où étaient-ils, tous ces gens qu'on avait croisés, aimés, consolés, écoutés ou admirés, avant de perdre leur trace ? » Les Choses de la vie sont citées ; Vincent, François, Paul et les autres également. Ne pas omettre César et Rosalie. Eric est tantôt Sami Frey tantôt Yves Montand. Manon, en robe blanche révélant ses longues jambes bronzées, a la grâce folle de Romy Schneider. Elle sourit, s'allonge sur la plage, s'offre à son amant face à un miroir, se met en colère, invente des mensonges. Il n'est pas certain, bien sûr, que tout ceci finisse bien. On ne badine pas, en bord de mer ou dans les rues de Paris, avec la passion.


Arnaud Guillon, Tableau de chasse, éditions Héloïse d'Ormesson
Papier paru dans Service littéraire, février 2015