Au détour de chaque page, les lieux défilent avec leurs noms qu’enfant nous découvrions sur de vieilles cartes Michelin, des noms qui réveillent aussi le souvenir de quelques étapes du Tour de France : Ancy-le-Franc, Bussy-Rabutin, Chagny, la Clayette, La Puisaye, Pérouges ou Saint-Julien-de-Jonzy. Des lieux toujours liés aux plaisirs de la bouche, aux saveurs qui, seules, donnent l’envie au flâneur de se poser quelque temps. A la baguette du goût, du ballet savamment orchestré des fumets, des chefs que nous n’oublierons pas : par exemple, sur la route de Marcigny, le Roi sans nom de la terrine de canard et de la poularde au champagne. «Matamore au faciès de Pierrot», il tenait d’une main de fer L’hôtel de l’Europe, un restaurant où les couverts étaient en argent et les grandes serviettes en tissu blanc. Il aimait la bouteille, parlait comme dans un film dialogué par Audiard et martyrisait Raymonde, une simplette. Quand Madame Lacroix, la propriétaire des lieux, est morte, ce «Buffalo Bill des perdreaux» a retourné son arme de chasse contre lui. Une destinée tragique que Cérésa ne peut séparer de celle de Bernard Loiseau.
Le portrait de Loiseau qui ouvre Le Roman de la Bourgogne pose un voile de mélancolie sur les paysages bourguignons que nous découvrirons, comme une brume qui ne veut plus s’en aller : «Il vivait dans le coup de feu, un coup de fusil l’a tué.» Entre colère et profonde tendresse, Cérésa dit tout des joies et des doutes cachés qui hantèrent son ami, l’artiste de la Côte d’or. Il passe rapidement sur ses péchés d’orgueil, assassine les petites plumes qui jalousent les grands d’Espagne et de Bourgogne, se souvient enfin d’un repas arrosé qui réunissait Bernard Loiseau, Alphonse Boudard, José Giovanni et Louis Nucera. Tous disparus, mais tous vivants le temps d’une dernière fugue bourguignonne, l’œil aiguisé au passage des vouivres et à l’évocation d’Emmanuelle Riva, l’âme armée d’une très haute conscience de l’amitié comme l’avaient les mousquetaires de D’Artagnan, Marcel Aymé, Jacques Brel en «Oncle Benjamin» et une pléiade d’anonymes qui, saisis au vif par les mots de Cérésa, ne le sont plus. Tous, au final, trinquent à la grâce de la beauté qui, ils le savent, sauve tout.