C’est
le mot qui passe : à l’heure où Bernard Pivot twitte,
Nicolas Bedos et Nicolas Rey ne seraient pas sérieux. Le genre à
affoler les étudiantes, passer des soirées frivoles, célébrer les
amours dilettantes et le temps des copains. Ne pas en parler, donc,
dans les colonnes sévèrement tenues par les « professionnels
de la profession »
littéraire.
Pour
exciter encore plus les jaloux, Bedos et Rey s’affichent sur les
plateaux télé, chroniqueur ou invité vedette, parfois même sur
grand écran. Ils pourraient d’ailleurs sortir des Godelureaux,
un Chabrol millésime 61, où des gandins troussent leur vie avec
légèreté et provocation.
Aggravant
leur cas, ils écrivent aussi dans les journaux des papiers forcément
superficiels. Longtemps, Nicolas Rey en a profité pour signer de
beaux portraits d’actrices de Brisseau ou de traductrices de
Dorothy Parker. Nicolas Bedos, lui, tient dans Marianne
son Journal d’un mythomane
où il castagne Copé, suit Jean Dujardin à Hollywood, envoie des
fleurs à Anne Sinclair et Laure Sainclair. Dernièrement, il a salué
L’Amour est déclaré,
« le
formidable roman de la gueule de bois »
de Nicolas Rey : « Françoise
Sagan n’est donc pas morte, puisque Nicolas Rey revit. »
Bedos
a raison : L’Amour est déclaré
est un joli texte à l’imparfait, feuilles arrachées au temps.
Rey, après avoir énuméré ses défaites de l’alcool dans Un
léger passage à vide,
nous raconte sa vie de Patachon grisonnant et fragile. Une Maud
sensuelle, fille d’un acteur célèbre, apparaît. Un psychanalyste
et un agent déjanté sont de la partie. Michel Platini et John
McEnroe, aussi. Un père parle à son fils. Ca hésite entre la
passion et la retenue, trouvant son parfait déséquilibre.
Bedos
a raison, encore, quand il vante, d’une parenthèse, les mérites
du premier volume de son propre Journal,
paru en 2011 :
« Lis-le, ça peut
changer ta vie. »
Dans Marianne,
d’ailleurs, Bedos est désormais le seul à avoir raison,
c’est-à-dire à avoir du style. Une année
particulière, deuxième
tome de son Journal, en apporte la preuve, par-delà les figures
imposées de l’actualité- ce gros mot – et quelques facilités.
D’une zébrure de plume, Bedos offense une blonde diaphane et
blessée : « Euthanasie
ta mère et termine ton bouquin. »
Il saisit, sur le vif et par la grâce de dialogues au couteau, les
affres d’une campagne présidentielle. Il défend Patrick Besson,
coupable d’avoir mis l’accent sur Eva Joly. Il peut surtout
suivre les méandres de sa ligne de cœur, l’appeler Pom, et offrir
des phrases qui, quelle que soit la saison, touche pleine cible
mélancolique : « Je
me balade, seul, dans cette maison bondée de fantômes de mes amours
ratées […] Je
revois chacune d’entre elles, à quelques années d’intervalle,
débarquant début juillet par la même baie vitrée, sur la même
terrasse, une valise d’enthousiasme à la main
[…] Je revois C. me
quitter dans le jardin, N. m’engueuler près des rochers, E.
s’endormir sur le hamac et ma Pom adorée planter du basilic à
deux heures du matin. Pour vous, c’est quelques lettres dans une
chronique bavarde, pour moi, c’est un carambolage de vies, un
mille-feuilles de gonzesses remariées qui font de ce paradis un
cimetière sentimental
[…] Demain, elles me
poursuivront sans doute jusque sur la plage (E. qui dit « fuck »
au soleil sous son large chapeau de paille, C. qui se calcine à
coups de monoï et Pom, seins nus dans l’eau glacée). J’aurais
beau nager, nager vers le large, elles m’accompagneront. Au fond,
je suis resté fidèle à toutes les femmes que j’ai trompées. »
C’est le
problème avec les têtes à claques : ils écrivent mieux qu’un
Goncourt de l’année ou qu’une recalée du prix Décembre.
Nouveau mot à faire passer : littérature pas morte, talent non
plus, les godelureaux Bedos et Rey cisèlent la langue française.
Nicolas Bedos, Une année
particulière, Robert Laffont, 2012
Nicolas Rey, L’amour est
déclaré, Au Diable Vauvert, 2012
Papier paru dans Causeur magazine, décembre 2012