mercredi 25 mai 2011

Vicky Christina Barcelona


J'en connais un autre qui fut accusé de gestes sexuels très déplacés : Woody Allen.
C'était le début des années 90. Woody s'ennuyait avec sa compagne Mia Farrow, lui préférant une de ses filles adoptives.
Mia Farrow voulut le traîner devant un Tribunal, au grand bonheur d'un procureur très heureux de se taper le réalisateur de Manhattan.
Franck Sinatra, dixit Mia Farrow, était prêt à faire briser les deux jambes de Woody.
Il n'y eut, évidemment, ni jambes brisées, ni confirmation des accusations d'inceste et autres conneries, ni procès.
Woody, depuis, ne revoit plus Mia. Il a mieux à faire. Se balader du côté du Vieux continent, par exemple. Avant Midnight in Paris et au milieu de sa trilogie Londonienne - le sublime Match Point, le paresseux Scoop et le glaçant Rêve de Cassandre, trois films hautement chabroliens période Gégauff -, il s'arrêta à Barcelone.
Le résultat ? Vicky Christina Barcelona.
Un film d'été, de fugue, de légèreté profonde, de sensualité.
La brune Rebecca Hall et la blonde Scarlett Johansson jouent les touristes américaines sur la Costa Brava. L'une est timide et presque mariée ; l'autre a un ulcère et se veut délurée. Javier Bardem, peintre portant chemise et pantalon en lin, les invite pour un ouiquende à Oviedo. Il vient de divorcer de Penelope Cruz, après quelques estafilades de couteau.
Bardem, dandy séducteur, macho délicat, se grisera de chacune, qui se griseront de lui.
Dans Vicky Christina Barcelona, la beauté est sur les peaux, au coeur des étoffes, dans les courbes et les regards des femmes ; dans la classe de Bardem, ennemi désigné des traders et autres apôtres de la banque. Entre deux verres de vin, les lèvres s'attirent, les corps se mêlent. Il y a des sourires, des larmes, des illusions perdues, retrouvées, et des coups de feu. Drames et plaisirs sur l'écran noir.

mardi 24 mai 2011

Le dernier stade de la soif


Perdue dans mes vieux papiers, cette citation extraite de Le dernier stade de la soif (Monsieur Toussaint Louverture) de Frederick Exley, auteur américain mort en 1992 : "Sois heureuse et dis à mes fils que j'étais un ivrogne, un rêveur, un être faible, un fou, mais ne dis jamais que je ne les ai pas aimés."
Je pense à Blondin, à Toulet, à Fitzgerald, au Calet de Peau d'ours : "Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes."
Ca touche, comme un coup de couteau, comme une caresse.
Vivre, écrire, lire - dans le désordre souhaité - pour l'apparition de ces phrases.

samedi 21 mai 2011

Lire François Taillandier (et Jean Dutourd)


Ce samedi très chaud, en attendant de boire, avec miss K., un Cheverny de chez Puzelat et un Pouilly fumé signé Raimbault - qui accompagneront tourteaux, langoustines et crevettes souhaités par ma douce et par ma fille -, lu avec un plaisir infini Le père Dutourd (Stock) de François Taillandier. Il y parle bien sûr, de Jean Dutourd - qu'il donne envie de lire à ceux qui, comme moi, pour d'obscures raisons, étaient passés à côté des ouvrages du frondeur talentueux -, mais aussi d'une éducation dans les années 70, de la France qu'il aime, de jeunes filles reluquées à la faculté, de la langue de Paul-Jean Toulet et de Léon Bloy, du style, de Dieu, des bibliothèques familiales, de la bienveillance et des affinités électives, entre autres. Comme toujours, chez Taillandier - qu'il s'agisse des 5 volumes de sa saga romanesque La grande intrigue, des chroniques qu'il donnait à L'Humanité ou de ses essais sur Aragon, Barbey ou Borgès -, tout est beau, intelligent et touchant. Au hasard des pages :

"C'est que j'ai mes secrets. Cela doit venir de l'enfance. Le monde est trop dur. Ou décevant. Alors je me retire, je me cache, je vais retrouver ces secrets qui me font vivre, me donnent la force. Ce sont des pensées, des chansons. Des rêveries. Des souvenirs. Pour vous je suis ceci, cela, j'ai l'air de tel genre de type, je ne sais pas quoi. Je ne sais pas, je ne sais jamais, "à quoi je ressemble". Dans les rapports sociaux, je ne me "vois" pas. Mais il y a un dialogue entre moi et mon ombre. L'ombre que je n'ai laissée nulle part. Cela ne regarde qu'elle et moi, depuis qu'il a bien fallu vivre (d'après ce qu'on me dit, cela empire, en vieillissant)."

"Se casser la figure est probablement la seule façon de vivre."


"En revanche, oui, avoir du style, c'est important, quand l'époque n'en a point, qu'elle ne nous sert guère que des formules prémâchées, qu'elle fait sous elle comme une gâteuse. Avoir du style, cela résulte d'avoir lu, beaucoup lu, en se demandant pourquoi c'est beau, et, ensuite (bis repetita placent), d'écrire comme on peut et non pas comme on veut. Cela seul confère de la distance, cela vous écarte du troupeau, cela remet le radotage ordinaire à sa place, qui est le néant ; cela gifle le mauvais langage. Le mauvais langage, par l'effet de quelque lien secret ou de quelque châtiment immanent, ne peut qu'exprimer des imbécillités, des choses ennuyeuses et fatigantes, tandis que la phrase qui claque (ou caresse) à cause d'un mot inattendu, de quelque litote subtile, d'un raccourci audacieux ou d'une ampleur bien charpentée, est neuf fois sur dix intelligente, car elle surprend."

jeudi 19 mai 2011

François Simon, voyageur sentimental

Les Simon, dans les lettres françaises, c'est comme les Besson, les Jardin ou les Leroy: le talent a choisi son camp. Si Yves S. incarne le vieux matuvu pour rombières en chaleur – variante du gai pinson Philippe B., de l'idiot de la famille Alexandre J. et du Goncourt falot Gilles L. -, François Simon est un flâneur mélancolique qui nous enchante à la manière d'un Patrick Besson, Pascal Jardin ou Jérôme Leroy. Le chroniqueur gastronomique masqué du Figaro et de Direct 8 ne connaît pas les genres. Qu'il signe un roman – Toscane –, qu'il nous fasse découvrir une petite table de haute tenue – « Le jeu de quille », rue Boulard, Paris XIVe – ou qu'il nous invite à dîner avec un exquise jeune femme à la grâce très française, il n'en fait qu'à sa fête, tantôt triste tantôt joyeuse, toujours stylée. Pars ! - sous-titré Voyager est un sentiment - est ainsi un petit précis de la douceur de vivre loin de la vulgarité des temps présents : « Rien n'est plus trompeur qu'une ville étouffée sous le tourisme. Elle couve. Elle cache des vipères et des frelons. » De Kyoto à Berlin, de Paris à Sao Paulo, de la route 66 à l'Afrique du sud en passant par New-York et la Sicile, sans oublier une Petite Reine qu'il suit dans le sillage du dandy des sprint Mario Cipollini, François Simon se souvient, écoute, aime, marche, sieste, mange, boit, prend des taxis et note ses émotions sur un carnet Moleskine ou sur du papier à en-tête d'hôtel. A Londres, il écrit : « J'aime bien cette ville lorsqu'elle est glaciale et les filles à moitié nues. » Ailleurs, le long du Rio Grande : « Une jeune fille, surgie de l'inattendu, court en tee-shirt bleu pétrole et pantalon mandarine. » Entre les pages, la jeune fille croisera les ombres de Paul Morand et John Lennon, Truman Capote et Elizabeth Craig, Louis-Ferdinand Céline et Marlene Dietrich. Une dernière phrase ? « Le bonheur est comme un train partant à des heures irrégulières. » On dirait du Blondin, du Larbaud ou le Frank de Géographie universelle. C'est du François Simon, voyageur vagabond à la langue qui incite à la fugue.
François Simon, Pars ! Voyager est un sentiment, Robert Laffont, 2011
Article paru dans Service littéraire, mai 2011

mercredi 18 mai 2011

L'éducation sentimentale de DSK



Comme Karl Kraus sur Hitler : rien à dire, ou presque, sur DSK jouant dans un épisode inédit de NY Unité Spéciale.
Je n'aime guère "l'affameur des peuples européens" dont parle Mélenchon. Dans le genre amateur de voiture de luxe - une Jaguar et pas une Porsche familiale -, libertin posant sur les femmes "un regard froid" et non des pattes de "chimpanzé en rut" et, pour le coup, homme de gauche, je préfère Roger Vailland.
A l'ombre de sa cellule de Rikers Island, DSK devrait demander un exemplaire des Ecrits intimes de Vailland. Lire aussi son Esquisse pour un portrait du vrai libertin, ses textes sur Laclos et le Cardinal de Bernis. Un autre style, une autre classe que les mots et les mystères grossiers de messieurs Fouks, Khiroun et Finchelstein, ramassis de "communicants" qui font passer Séguéla pour un génie.
Peu importe, d'ailleurs, les clichés, les menottes, les commentaires creux des amis, des ennemis. C'est maintenant que tout commence pour DSK : il devient une belle cause perdue, zombie pas rasé et fripé comme son pardessus. Se prenant le réel tel un mur, plein gueule, il  va enfin pouvoir s'intéresser aux "choses de la vie". Loin des socialos, des élections gagnées d'avance, du FMI, du pouvoir à tout prix, des sondages, d'Euro RSCG, de l'encombrante Anne Sinclair. Quand on lit, quand on entend, quand on voit Anne Sinclair, dont l'amour surjoué a la triste mine de l'ambition, les hôtesses de l'air, les femmes de chambre et autres jeunes filles blondes sont une incitation à la légèreté. C'est cette légèreté que DSK doit apprendre.  Un conseil à ses avocats : oublier la relation "consentie", le tombereau de merdes déversées sur Nafissatou Diallo, négocier un exil solitaire en Grèce, dans une bicoque en bord de mer. Pour expier la lourdeur des sens et les pulsions à vif, c'est mieux que 74 ans de cabane aux States. 74 ans, pour quelqu'un qui n'a tué que ses illusions de gloriole politique, ça fait beaucoup. Même Nafissatou, je crois, ne dira pas le contraire depuis la chambre où la police la planque. En Grèce, DSK pourra passer ses journées à découvrir le pays après le matraquage de Moodys et FMI associés ; tourner les pages de Tout l'amour du monde de Michel Déon  ; visionner sur un vieux lecteur dévédé L'Amour l'après-midi de Rohmer, Le chaud lapin de Pascal Thomas, Les liaisons dangereuses de Vadim et Une partie de plaisir de Chabrol.
French touch et art de la séduction : la rééducation sentimentale d'un "vieux dégueulasse" qui n'est pas Bukowski et qui, dans quelques années, pourra tchiner, séducteur exquis, avec quelques-unes de ces accusatrices du jour.