vendredi 24 juillet 2015

Lindsay Lohan n'est pas morte


Sa dernière apparition sur l'écran noir de nos nuits blanches : The Canyons. Un film signé, circa 2012, Paul Schrader et Bret Easton Ellis. Pas au mieux de leur forme. Contrairement à Lindsay, qui sauve presque le long-métrage du ratage intégral. Nous y reviendrons. Depuis, elle n'apparaît plus dans les salles obscures. Pas un jour, pourtant, sans une nouvelle d'elle. It-girl toujours pas morte. Malgré les excès – drogue, alcool -, les rumeurs et les coups du sort. Il suffit de taper son nom sur gougueule. Tout défile. En ce début d'été 2015, 1 940 000 résultats annoncés. Le lendemain : environ 4 720 000. Joli score. Pour comparer : Manuel Valls, c'est 123 000 occurrences et Nicolas Bedos, 20 000. Chacun ses obsessions douteuses

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Qu'apprend-on, page après page, sur Lindsay ?

Des broutilles d'un monde 2.0. Elle achève ses travaux d'intérêt général ; voyage en Italie. Avant, elle s'est enfermée dans une chambre froide. Ca régénère les sens paraît-il. Oprah Winfrey, pour laquelle elle a tourné un docu-réalité, n'est plus qu'un lointain souvenir. Une collection capsule, chez Lavish Alice, porte son nom. Duran Duran a enregistré un single où elle pose sa voix. Elle voudrait un bébé avant la fin de l'année. A-t-elle un boy-friend ? Le doute plane. On ne veut pas croire qu'elle fréquente toujours le fouteboleur Samir Nasri. Il y a des limites à ne pas franchir. Son compte Instagram ne nous renseigne guère plus. On aime les photos qu'elle y poste : légères, souriantes, sexy. Peu importe photoshop. A l'inverse de Miley Cyrus, sa petite sœur dans la famille Disney trash, pas de langues tirées, de grimaces et de pointes de seins apparentes. Une certaine idée de l'élégance US au naturel, même quand elle jardine en robe de printemps, sécateur géant à la main.

Les photos nous en apprennent bien plus sur Lindsay que les textes, publiés ici ou là. Pas simple d'esquisser la grâce d'une demoiselle abîmée. Trop de plumes se contentent du mimimum. A 3 ans, Lindsay tourne déjà des pubs. A 12 ans, elle est à l'affiche de son premier film. A 18 ans, son album Speak se classe 4e des « charts » américains. Parmi les titres : « Nobody Till you », dont se rappellent, aujourd'hui encore, des Lolitas portant espadrilles et bikinis. A 20 ans, on compare Lindsay à Diane Keaton. Depuis, l'actrice et chanteuse a vécu aussi vite que possible. Trop vite. Talent oublié, frasques en pagaille, amours chaotiques. Rehab sur Rehab. Accidents de voiture. Les tribunaux s'en sont mêlés. La liste non-exhaustive de ses amants a été chapardée, publiée. Des noms ? James Franco, Ashton Kutcher, Orlando Bloom, Benicio del Toro, Ryan Philippe, Joaquin Phoenix, Justin Timberlake, Colin Farrel, Zac Efron, on en oublie. Certains ont protesté. Non, ils n'ont jamais couché avec Lindsay. Elle est malsaine. Plutôt crever. C'est une mythomane. Elle ne pense qu'à sa propre publicité. Lindsay a huit tatouages, parmi lesquels le titre d'un roman de Jay McInerney et une citation : « Tout le monde est une étoile et mérite de briller. » Ça mériterait des précisions. Elle est fan des Guns N' Roses. La trilogie « Don't cry »/ « November Rain »/ « Estranged » : bande-son de nos adolescences. Ce n'était pas rien, en 1991, le double album Use your illusions, les clips où figurait Stéphanie Seymour, petite amie d'Axl Rose. On imagine Lindsay recopier sur un cahier quadrillé les paroles des chansons d'Axl. Le vrai snobisme, à l'époque : préférer Axl Rose à Kurt Cobain.

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Retour aux photos. Nous avions aimé certains des shooting passés de Lindsay. En Marilyn modèle 62, pour Bert Stern et New York Magazine, elle emportait la mise. Face à Terry Richardson, elle incarnait une poupée blonde très sexuelle puis, deux ans plus tard, une héroïne d'Hitchcock. Elle n'a jamais, surtout, été plus troublante que sous l'objectif d'Olivier Zahm. Été 2012, L’Officiel homme, Johnny en couverture. Lindsay investit une suite du Château Marmont. On se croirait dans la saison 4 de Californication. Elle est parée de dessous très chics « Agent provocateur ». De la neige et du noir. On peut détailler son regard d’allumeuse d’incendie, ses lèvres entrouvertes, sa main posée sur son ventre. Elle ferme les yeux, se cambre. Des taches de rousseur tapissent son corps. En quelques clichés, on est sous le charme, à la fois sauvage et fragile, de la demoiselle. Difficile de s'en remettre.

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Qu'est-ce qui nous enchante chez Lindsay ?

Ses hauts et ses bas, son rire et ses coups de blues, sa peau nue et ses étoffes, sa voix de fumeuse de blonde light et son art de répondre, sur le plateau du « Late Show » de David Letterman, alors qu'elle porte un verre d'eau à ses lèvres : « Mince, je pensais que c'était de la vodka ! ».

Il faut assumer son mauvais goût. Surtout quand il n'est pas si mauvais. Les productions Disney où apparaît Lindsay font toujours la joie des jeunes filles. Lolita malgré moi se regarde sans fin. Dans Bobby et The Last Show, d'Altman, elle bouleverse. Machete n'est regardable que pour cette scène où ses longs cheveux blonds recouvrent à peine ses seins en liberté. Même dans Liz & Dick, biopic éreinté sur la romance tumultueuse entre Elizabeth Taylor et Richard Burton, on ne voit qu'elle.

Nous ne sommes pas seul à suivre Lindsay partout. On la retrouve dans les mots de Simon Liberati, qui la dessine en descendante de Jayne Mansfield. Jean Rolin, parti à la recherche de Britney Spears dans un roman, en pince avant tout pour elle. Clélia Cohen, journaliste de talent, en a fait l'héroïne d'une série d'été parue dans les Inrockuptibles. On y pense : Clélia Cohen serait parfaite pour signer une biographie stylée de Lindsay, un tendre portrait. Un éditeur devrait lui proposer. Jean Le Gall, chez Séguier, après le succès de l'autobiographie d'Helmut Berger ?

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Comme toutes les petites starlettes trop riches, Lindsay Lohan n'a pas besoin qu'on la raconte ; juste qu'on la regarde et qu'on l'aime. Il nous tarde de la retrouver sur les écrans, petits ou grands. Dans une prochaine saison de True Detective, à la suite de Kelly Reilly, elle ferait tourner les têtes. Chez Woody Allen également ; ou dans un Tarantino. Son agent devrait toquer à ces portes. Bien sûr, Lindsay a mauvaise réputation. Son côté Guy Debord ? Un long article du New YorkTimes, assez drôle, nous en apprend de belles. Le titre explicite du papier, signé Stephen Rodrick : « Here Is What Happens When You Cast Lindsay Lohan in Your Movie ». Sur le tournage de The Canyons, elle était insupportable. Caprice sur caprice. Ne voulait pas tourner nue, si Paul Schrader ne se déshabillait pas également. Ce que le réalisateur a fait. Au petit matin, elle empestait l'alcool de longues soirées arrosées passées avec Lady Gaga. Embrasser James Deen, acteur porno chouchou de Bret Easton Ellis, ne l'emballait pas. Il fallait négocier, menacer, la calîner. Le film, finalement, a pu être achevé. Un flop. Le désœuvrement décadent de jeunes gens friqués à Los Angeles : déjà vu. Les critiques ont sorti la sulfateuse. Neuhoff, dans le Figaro : « Ce n'est plus du cinéma, c'est de la boucherie [...] Les dialogues sont à se pincer (ne pas rater les échanges au restaurant). Clichés à la pelle, aucune trace d'humour, émotion aux abonnés absents, on se demande s'il ne s'agit pas d'une blague. Bret Easton Ellis a dû écrire le scénario entre deux tweets. Paul Schrader continue à saboter sa réputation. Il fera bientôt le bonheur des soirées DVD entre amis. Un sommet. »


Eric a raison : ce n'est pas très bon. Lindsay, pourtant, est touchante. Dans The Canyons, Elle joue le rôle de sa vie. Actrice à bout de souffle, sur le rebord des tombes. Elle a vieilli, ça lui va bien. Corps de femme d'1m65 sur stilettos avant, pendant, après l'amour. Ses seins prennent beaucoup de place. Elle s’offre en robe noire, en nuisette ou nue. Tâches de rousseur toujours érotiques. Quand elle fume sur un transat, parée d’un maillot de bain rouge et de lunettes noires, sa voix aiguise les frissons. Haute tension sensuelle. Tout ce qui nous manque. Le reste du film ? On s'en moque. Message personnel : « 7e art mal en point. Come-back souhaité de Lindsay Lohan. »

Texte paru dans Technikart, été 2015

vendredi 17 juillet 2015

Pascal Jardin - Toupie la rage


L'avertissement donne le ton : « C'est un livre en colère. » Variantes : foutraque, lyrique, à l'assaut, à la caresse, plein de larmes, froissé. Pascal Jardin voulait épingler un chagrin sentimental. Il a réussi. Sa plume est un couteau. C'est violent, excessif et tranchant dans le vif des chairs. Comparées à Toupie la rage, les confidences mélancoliques de La guerre à 9 ans, paru un an plus tôt, ressemblent à une bluette. Mais Jardin s'en moque. En guise de bandeau autour du roman, il a choisi : « L'amour dingue ». Parce que c'est brutal. A son éditeur, il précise : « Je lancerai le livre moi-même et très fort, comme je suis, comme une brute. »

Dès la première scène, le narrateur est en mauvaise posture : « L'homme qu'il ne connaissait pas se tenait sur lui et faisait l'amour à bout de bras, appuyé sur les mains. Il n'avait pas pensé qu'il fût posible d'être pris par devant. Pour lui, l'homosexualité était affaire de dos tourné. » Il s'agissait d'un cauchemar. Sa femme, Raphaëlle, dort à ses côtés. Lui faire l'amour remet les idées en place. Pour le romantisme, on repassera. Le couple a du plomb dans l'aile. Une autre femme rôde, s'impose. Son surnom : la Polack. Le roman a failli être ainsi titré. « Trop dépréciatif », a jugé Grasset.

La Polack a 18 ans, fille d'architecte, it-girl de l'époque. Pascal Jardin croit la vouloir ; elle se fait désirer. Toujours la même histoire : « A près de quarante ans, recommencer un grand amour, il n'avait plus la force. » Leurs pas de deux, entre l'avenue de Courcelles et Saint-Tropez, le Grand-Véfour et l'hôtel du Palais à Biarritz, sont électriques. Beaucoup de temps passé sur les routes, pied au plancher de luxueuses voitures de sport, dans des restaurants et night-clubs douteux, dans des maisons de famille. Désir, cris et incompréhensions sont de la partie : « Cette nuit-là, il ne sut ni parler, ni sourire, ni calmer, ni caresser, ni faire l'amour. Il ne sut rien faire du tout […] Elle dormait de son sommeil d'enfant, de son sommeil de fille à whisky, lourdement, en transpirant. Ce brouillard d'eau sorti de son corps sentait follement bon. Il lécha sa peau brune. Elle ne le sut jamais. »

Pascal Jardin veut tout raconter. Sa vie, ses œuvres, ses amours. On l'imagine noircir frénétiquement chaque page. Comme s'il devinait déjà sa mort, en 1980, à 46 ans. Il n'a pas de temps à perdre. Avec un certain dégoût, il se noie dans les commandes : un portrait de Paul Morand ; une chanson pour Dani ; les dialogues d' Indomptable Angélique. Son souffle se perd dans trop de mots ; il le retrouve d'une fulgurance. S'accroche aux souvenirs. Les aime, puis les déteste. Entre Raphaëlle et la Polack, sa passion balance dangeureusement. Il ne peut se passer d'aucune des deux. On sent qu'il a des comptes à régler : « Toute sa vie, il s'était interdit de penser mal des femmes. Or tout à coup, il fut débordé par sa propre rage comme certains partis politiques par leurs extrêmistes. » Peine perdue.

Toupie la rage fut un échec. Ventes en dessous des espérances. Mauvaises critiques : « Avoir mis toutes ces qualités au service d'une intrigue aussi vulgaire, c'est suicidaire de la part d'un auteur dont la carrière avait commencé par un coup d'éclat. » (Jean-Didier Wolfromm). La Polack, surtout, prend le chemin des fugues. Direction l'Amérique. Elle reviendra trois ans plus tard. Pascal Jardin l'invitera à dîner ; la fera jouer dans La race des Seigneurs, son adaptation de Creezy de Félicien Marceau. On la remarquera peu. Il est vrai que Sydne Rome aimante tous les regards.

Ne pas oublier de répondre à la question que tout le monde s'est posé à la parution de Toupie la rage : qui était la Polack ? Un nom : Sophie Balick. Dans son salon, aujourd'hui, un portrait de Pascal Jardin. Elle ne l'a pas oublié. Ne lui en veut pas de son roman de dépit. Passage obligé des cœurs trop tendres. Toupie la rage refermé, on a très envie de relire Je te reparlerai d'amour et de regarder une nouvelle fois Le vieux fusil. Entendre Philippe Noiret, à la Closerie des Lilas, dire à Romy : « Je vous aime. » Des mots, là aussi, signés Jardin.

Pascal Jardin, Toupie la rage, Grasset, 1972
Texte paru in Schnock #15