Sa
dernière apparition sur l'écran noir de nos nuits blanches :
The
Canyons.
Un film signé, circa 2012, Paul Schrader et Bret Easton Ellis. Pas
au mieux de leur forme. Contrairement à Lindsay, qui sauve presque
le long-métrage du ratage intégral. Nous y reviendrons. Depuis,
elle n'apparaît plus dans les salles obscures. Pas un jour,
pourtant, sans une nouvelle d'elle. It-girl toujours pas morte.
Malgré les excès – drogue, alcool -, les rumeurs et les coups du
sort. Il suffit de taper son nom sur gougueule. Tout défile. En ce
début d'été 2015, 1 940 000 résultats annoncés. Le lendemain :
environ 4 720 000. Joli score. Pour comparer : Manuel Valls,
c'est 123 000 occurrences et Nicolas Bedos, 20 000. Chacun ses
obsessions douteuses
***
Qu'apprend-on,
page après page, sur Lindsay ?
Des
broutilles d'un monde 2.0. Elle achève ses travaux d'intérêt
général ; voyage en Italie. Avant, elle s'est enfermée dans
une chambre froide. Ca régénère les sens paraît-il. Oprah
Winfrey, pour laquelle elle a tourné un docu-réalité, n'est plus
qu'un lointain souvenir. Une collection capsule, chez Lavish Alice,
porte son nom. Duran Duran a enregistré un single où elle pose sa
voix. Elle voudrait un bébé avant la fin de l'année. A-t-elle un
boy-friend ? Le doute plane. On ne veut pas croire qu'elle
fréquente toujours le fouteboleur Samir Nasri. Il y a des limites à
ne pas franchir. Son compte Instagram ne nous renseigne guère plus.
On aime les photos qu'elle y poste : légères, souriantes,
sexy. Peu importe photoshop. A l'inverse de Miley Cyrus, sa petite
sœur dans la famille Disney trash, pas de langues tirées, de
grimaces et de pointes de seins apparentes. Une certaine idée de
l'élégance US au naturel, même quand elle jardine en robe de
printemps, sécateur géant à la main.
Les
photos nous en apprennent bien plus sur Lindsay que les textes,
publiés ici ou là. Pas simple d'esquisser la grâce d'une
demoiselle abîmée. Trop de plumes se contentent du mimimum. A 3
ans, Lindsay tourne déjà des pubs. A 12 ans, elle est à l'affiche
de son premier film. A 18 ans, son album Speak
se classe 4e des « charts » américains. Parmi les
titres : « Nobody Till you », dont se rappellent,
aujourd'hui encore, des Lolitas portant espadrilles et bikinis. A 20
ans, on compare Lindsay à Diane Keaton. Depuis, l'actrice et
chanteuse a vécu aussi vite que possible. Trop vite. Talent oublié,
frasques en pagaille, amours chaotiques. Rehab sur Rehab. Accidents
de voiture. Les tribunaux s'en sont mêlés. La liste non-exhaustive
de ses amants a été chapardée, publiée. Des noms ? James
Franco, Ashton Kutcher, Orlando Bloom, Benicio del Toro, Ryan
Philippe, Joaquin Phoenix, Justin Timberlake, Colin Farrel, Zac
Efron, on en oublie. Certains ont protesté. Non, ils n'ont jamais
couché avec Lindsay. Elle est malsaine. Plutôt crever. C'est une
mythomane. Elle ne pense qu'à sa propre publicité. Lindsay a huit
tatouages, parmi lesquels le titre d'un roman de Jay McInerney et une
citation : « Tout
le monde est une étoile et mérite de briller. »
Ça mériterait des précisions. Elle est fan des Guns N' Roses. La
trilogie « Don't cry »/ « November
Rain »/ « Estranged » : bande-son de nos
adolescences. Ce n'était pas rien, en 1991, le double album Use
your illusions,
les clips où figurait Stéphanie Seymour, petite amie d'Axl Rose. On
imagine Lindsay recopier sur un cahier quadrillé les paroles des
chansons d'Axl. Le vrai snobisme, à l'époque : préférer Axl
Rose à Kurt Cobain.
***
Retour
aux photos. Nous avions aimé certains des shooting passés de
Lindsay. En Marilyn modèle 62, pour Bert Stern et New York Magazine,
elle emportait la mise. Face à Terry Richardson, elle incarnait une
poupée blonde très sexuelle puis, deux ans plus tard, une héroïne
d'Hitchcock. Elle n'a jamais, surtout, été plus troublante que sous
l'objectif d'Olivier Zahm. Été 2012, L’Officiel homme, Johnny en
couverture. Lindsay investit une suite du Château Marmont. On se
croirait dans la saison 4 de Californication.
Elle est parée de dessous très chics « Agent provocateur ». De la
neige et du noir. On peut détailler son regard d’allumeuse
d’incendie, ses lèvres entrouvertes, sa main posée sur son
ventre. Elle ferme les yeux, se cambre. Des taches de rousseur
tapissent son corps. En quelques clichés, on est sous le charme, à
la fois sauvage et fragile, de la demoiselle. Difficile de s'en
remettre.
***
Qu'est-ce
qui nous enchante chez Lindsay ?
Ses
hauts et ses bas, son rire et ses coups de blues, sa peau nue et ses
étoffes, sa voix de fumeuse de blonde light et son art de répondre,
sur le plateau du « Late Show » de David Letterman, alors
qu'elle porte un verre d'eau à ses lèvres : « Mince,
je pensais que c'était de la vodka ! ».
Il
faut assumer son mauvais goût. Surtout quand il n'est pas si
mauvais. Les productions Disney où apparaît Lindsay font toujours
la joie des jeunes filles. Lolita
malgré moi
se regarde sans fin. Dans Bobby
et
The
Last Show,
d'Altman, elle bouleverse. Machete
n'est regardable que pour cette scène où ses longs cheveux blonds
recouvrent à peine ses seins en liberté. Même dans Liz
& Dick,
biopic éreinté sur la romance tumultueuse entre Elizabeth Taylor et
Richard Burton, on ne voit qu'elle.
Nous
ne sommes pas seul à suivre Lindsay partout. On la retrouve dans
les mots de Simon Liberati, qui la dessine en descendante de Jayne
Mansfield. Jean Rolin, parti à la recherche de Britney Spears dans
un roman, en pince avant tout pour elle. Clélia Cohen, journaliste
de talent, en a fait l'héroïne d'une série d'été parue dans les
Inrockuptibles. On y pense : Clélia Cohen serait parfaite pour
signer une biographie stylée de Lindsay, un tendre portrait. Un
éditeur devrait lui proposer. Jean Le Gall, chez Séguier, après le
succès de l'autobiographie d'Helmut Berger ?
***
Comme
toutes les petites starlettes trop riches, Lindsay Lohan n'a pas
besoin qu'on la raconte ; juste qu'on la regarde et qu'on
l'aime. Il nous tarde de la retrouver sur les écrans, petits ou
grands. Dans une prochaine saison de True
Detective,
à la suite de Kelly Reilly, elle ferait tourner les têtes. Chez
Woody Allen également ; ou dans un Tarantino. Son agent devrait
toquer à ces portes. Bien sûr, Lindsay a mauvaise réputation. Son
côté Guy Debord ? Un long article du New YorkTimes, assez
drôle, nous en apprend de belles. Le titre explicite du papier,
signé Stephen Rodrick : « Here Is What Happens When You
Cast Lindsay Lohan in Your Movie ». Sur le tournage de The
Canyons,
elle était insupportable. Caprice sur caprice. Ne voulait pas
tourner nue, si Paul Schrader ne se déshabillait pas également. Ce
que le réalisateur a fait. Au petit matin, elle empestait l'alcool
de longues soirées arrosées passées avec Lady Gaga. Embrasser
James Deen, acteur porno chouchou de Bret Easton Ellis, ne
l'emballait pas. Il fallait négocier, menacer, la calîner. Le film,
finalement, a pu être achevé. Un flop. Le désœuvrement décadent
de jeunes gens friqués à Los Angeles : déjà vu. Les
critiques ont sorti la sulfateuse. Neuhoff, dans le Figaro :
« Ce
n'est plus du cinéma, c'est de la boucherie [...]
Les dialogues sont à se pincer (ne pas rater les échanges au
restaurant). Clichés à la pelle, aucune trace d'humour, émotion
aux abonnés absents, on se demande s'il ne s'agit pas d'une blague.
Bret Easton Ellis a dû écrire le scénario entre deux tweets. Paul
Schrader continue à saboter sa réputation. Il fera bientôt le
bonheur des soirées DVD entre amis. Un sommet. »
Eric
a raison : ce n'est pas très bon. Lindsay, pourtant, est
touchante. Dans The
Canyons,
Elle joue le rôle de sa vie. Actrice à bout de souffle, sur le
rebord des tombes. Elle a vieilli, ça lui va bien. Corps de femme
d'1m65 sur stilettos avant, pendant, après l'amour. Ses seins
prennent beaucoup de place. Elle s’offre en robe noire, en nuisette
ou nue. Tâches de rousseur toujours érotiques. Quand elle fume sur
un transat, parée d’un maillot de bain rouge et de lunettes
noires, sa voix aiguise les frissons. Haute tension sensuelle. Tout
ce qui nous manque. Le reste du film ? On s'en moque. Message
personnel : « 7e
art mal en point. Come-back souhaité de Lindsay Lohan. »
Texte paru dans Technikart, été 2015