L'avertissement
donne le ton : « C'est
un livre en colère. »
Variantes : foutraque, lyrique, à l'assaut, à la caresse,
plein de larmes, froissé. Pascal Jardin voulait épingler un chagrin
sentimental. Il a réussi. Sa plume est un couteau. C'est violent,
excessif et tranchant dans le vif des chairs. Comparées à Toupie
la rage,
les confidences mélancoliques de La guerre à 9
ans,
paru un an plus tôt, ressemblent à une bluette. Mais Jardin s'en
moque. En guise de bandeau autour du roman, il a choisi :
« L'amour
dingue ».
Parce que c'est brutal. A son éditeur, il précise : « Je
lancerai le livre moi-même et très fort, comme je suis, comme une
brute. »
Dès
la première scène, le narrateur est en mauvaise posture :
« L'homme
qu'il ne connaissait pas se tenait sur lui et faisait l'amour à bout
de bras, appuyé sur les mains. Il n'avait pas pensé qu'il fût
posible d'être pris par devant. Pour lui, l'homosexualité était
affaire de dos tourné. »
Il s'agissait d'un cauchemar. Sa femme, Raphaëlle, dort à ses
côtés. Lui faire l'amour remet les idées en place. Pour le
romantisme, on repassera. Le couple a du plomb dans l'aile. Une autre
femme rôde, s'impose. Son surnom : la Polack. Le roman a failli
être ainsi titré. « Trop
dépréciatif »,
a jugé Grasset.
La
Polack a 18 ans, fille d'architecte, it-girl de l'époque. Pascal
Jardin croit la vouloir ; elle se fait désirer. Toujours la
même histoire : « A
près de quarante ans, recommencer un grand amour, il n'avait plus la
force. »
Leurs pas de deux, entre l'avenue de Courcelles et Saint-Tropez, le
Grand-Véfour et l'hôtel du Palais à Biarritz, sont électriques.
Beaucoup de temps passé sur les routes, pied au plancher de
luxueuses voitures de sport, dans des restaurants et night-clubs
douteux, dans des maisons de famille. Désir, cris et
incompréhensions sont de la partie : « Cette
nuit-là, il ne sut ni parler, ni sourire, ni calmer, ni caresser, ni
faire l'amour. Il ne sut rien faire du tout
[…] Elle dormait
de son sommeil d'enfant, de son sommeil de fille à whisky,
lourdement, en transpirant. Ce brouillard d'eau sorti de son corps
sentait follement bon. Il lécha sa peau brune. Elle ne le sut
jamais. »
Pascal
Jardin veut tout raconter. Sa vie, ses œuvres, ses amours. On
l'imagine noircir frénétiquement chaque page. Comme s'il devinait
déjà sa mort, en 1980, à 46 ans. Il n'a pas de temps à perdre.
Avec un certain dégoût, il se noie dans les commandes : un
portrait de Paul Morand ; une chanson pour Dani ; les
dialogues d' Indomptable Angélique.
Son souffle se perd dans trop de mots ; il le retrouve d'une
fulgurance. S'accroche aux souvenirs. Les aime, puis les déteste.
Entre Raphaëlle et la Polack, sa passion balance dangeureusement. Il
ne peut se passer d'aucune des deux. On sent qu'il a des comptes à
régler : « Toute
sa vie, il s'était interdit de penser mal des femmes. Or tout à
coup, il fut débordé par sa propre rage comme certains partis
politiques par leurs extrêmistes. »
Peine perdue.
Toupie la rage
fut un échec. Ventes en dessous des espérances. Mauvaises
critiques : « Avoir
mis toutes ces qualités au service d'une intrigue aussi vulgaire,
c'est suicidaire de la part d'un auteur dont la carrière avait
commencé par un coup d'éclat. »
(Jean-Didier Wolfromm). La Polack, surtout, prend le chemin des
fugues. Direction l'Amérique. Elle reviendra trois ans plus tard.
Pascal Jardin l'invitera à dîner ; la fera jouer dans La
race des Seigneurs,
son adaptation de Creezy
de Félicien Marceau. On la remarquera peu. Il est vrai que Sydne
Rome aimante tous les regards.
Ne
pas oublier de répondre à la question que tout le monde s'est posé
à la parution de Toupie la rage :
qui était la Polack ? Un nom : Sophie Balick. Dans son
salon, aujourd'hui, un portrait de Pascal Jardin. Elle ne l'a pas
oublié. Ne lui en veut pas de son roman de dépit. Passage obligé
des cœurs trop tendres. Toupie la rage
refermé, on a très envie de relire Je te
reparlerai d'amour et
de regarder une nouvelle fois Le vieux fusil.
Entendre Philippe Noiret, à la Closerie des Lilas, dire à Romy :
« Je vous
aime. »
Des mots, là aussi, signés Jardin.
Pascal Jardin, Toupie la rage, Grasset, 1972
Texte paru in Schnock #15
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