jeudi 29 décembre 2011
Les Maris, Les Femmes, Les Amants
C'est un été de la fin des années 1980, à Paris et sur l'île de Ré.
Charme du film d'été : la plage, les pique-niques sur le sable, les bouteilles de vin débouchées, les rires, les larmes, le soufre au coeur des adultes, les cris des enfants.
Jean-François Stévenin n'arrive pas à écrire, Guy Marchand est cocu, Daniel Ceccaldi n'imagine pas que sa femme peut le tromper avec le fils de son meilleur ami.
Les baby-sitters sont de jolies blondes nommées Annette. Elles embrassent les messieurs sur des bateaux à quai, pleurent quand débarque l'épouse.
Catherine Jacob est très drôle. Elle se méfie des secrétaires Auvergnates, ne voit pas le danger que représente une jeune liane du Sénégal.
Paolo Conte chante Via con me.
Tout ça, filmé par Pascal Thomas et scénarisé par François Caviglioli, est une merveille de légèreté et de mélancolie qui, très lentement, infuse.
mercredi 28 décembre 2011
Matthieu de Boisséson échappe aux tueurs
Notre camarade Leroy en a parlé très bien dans Causeur (http://www.causeur.fr/l%E2%80%99art-de-la-fugue,14231) et sur son blogue : http://feusurlequartiergeneral.blogspot.com/2011/12/echapper-aux-tueurs.html.
Frédéric Beigbeder l'a fait dans Le Figaro Magazine : http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2011/11/19/01006-20111119ARTFIG00577-echapper-aux-ploucs.php.
Echapper aux tueurs est de ces livres rares et précieux à lire et à relire, lors d'un voyage en train par exemple, alors que défilent les paysages d'hiver, de la fin de la terre jusqu'à Paris.
A lire, à relire, en soulignant fusées et fulgurances, profondes et légères :
“S'inquiétant de mon état morose, mon ami JL, qui travaille dans la mode, m'annonce la venue chez moi, pour une fashion week, de quatre mannequins de nationalités diverses. Je pense qu'il plaisante. Un soir, je les retrouve toutes les quatre à m'attendre sous le porche, avec de nombreux bagages. Elles devaient rester une semaine. Elles resteront trois mois.”
“Leur beauté est une étrangère : ce sont des êtres venus d'ailleurs, qui vont étonner tout l'immeuble en montant et descendant les escaliers.”
“Quand elles furent parties (mais certaines allaient revenir), je découvris qu'elles m'avaient soigné. J'avais été leur hôte.”
“Il faut dire aussi que la beauté est une menace, ce que savent les nymphes et les déesses.”
“Marie, qui a 19 ans, semble entourée d'un halo de brume.”
“Les correspondances, les voyages impossibles, celui qui reste et celui qui part, celui qui part trop tard, tout cela procède d'un mouvement émerveillé."
"En lisant, nous nous apercevons que nous chuchotons parfois avec des femmes, vivantes ou mortes, souvent oubliées, qui ont aimé avec un élan qui nous touche – parfois nous accable – par sa pureté. Certaines appartiennent au cercle des Délaissées dont parlait Rilke. Dans ce qu'elles disent souffle le vent d'une navigation sans retour.”
“Nager dans les îles d'Angra dos Reis, avec les montagnes aux alentours. L'eau est à la fois pure et limoneuse. On plonge et, quand on a la tête dans l'eau, on ne voit pas le sable. Paraissent émerger de la mer les chevelures savamment désordonnées des îles, la texture serrée de leurs boucles dans lesquelles, le soir, tombent les étoiles tandis que les oiseaux se taisent.”
“Les voyages brefs, que mon travail m'a parfois amené à faire, sont de brusques intermèdes, comme une irruption d'images, qui ont parfois la force de décharges électriques.”
“Il faudrait que quelque chose se passe, que je m'éveille, que je marche au hasard la nuit dans une rue sidérée, que je parte à l'aveugle vers la fête du bouquet, vers les voix fraîches, à l'heure où les premiers soupirs se font entendre derrière des volets clos, et où la montagne va entrer par la fenêtre.”
“Dans tout vêtement, il y a un tonique ressentiment.”
“Peu avant sa mort, elle réclama simultanément l'extrême-onction et une robe pour l'été.”
“Dans les rues soufflent des vents coulis glacés”
“Echappe aux tueurs, laisse moi m'occuper de tes
regrets mécaniques”
“Marie, qui a 19 ans, semble entourée d'un halo de brume.”
“Les correspondances, les voyages impossibles, celui qui reste et celui qui part, celui qui part trop tard, tout cela procède d'un mouvement émerveillé."
"En lisant, nous nous apercevons que nous chuchotons parfois avec des femmes, vivantes ou mortes, souvent oubliées, qui ont aimé avec un élan qui nous touche – parfois nous accable – par sa pureté. Certaines appartiennent au cercle des Délaissées dont parlait Rilke. Dans ce qu'elles disent souffle le vent d'une navigation sans retour.”
“Nager dans les îles d'Angra dos Reis, avec les montagnes aux alentours. L'eau est à la fois pure et limoneuse. On plonge et, quand on a la tête dans l'eau, on ne voit pas le sable. Paraissent émerger de la mer les chevelures savamment désordonnées des îles, la texture serrée de leurs boucles dans lesquelles, le soir, tombent les étoiles tandis que les oiseaux se taisent.”
“Les voyages brefs, que mon travail m'a parfois amené à faire, sont de brusques intermèdes, comme une irruption d'images, qui ont parfois la force de décharges électriques.”
“Il faudrait que quelque chose se passe, que je m'éveille, que je marche au hasard la nuit dans une rue sidérée, que je parte à l'aveugle vers la fête du bouquet, vers les voix fraîches, à l'heure où les premiers soupirs se font entendre derrière des volets clos, et où la montagne va entrer par la fenêtre.”
“Dans tout vêtement, il y a un tonique ressentiment.”
“Peu avant sa mort, elle réclama simultanément l'extrême-onction et une robe pour l'été.”
“Dans les rues soufflent des vents coulis glacés”
“Echappe aux tueurs, laisse moi m'occuper de tes
regrets mécaniques”
lundi 19 décembre 2011
Quelques jours ...
On part fin de la terre quelques jours.
L'écume, l'océan, le vent violent.
On espère avoir, là-bas, de bonnes nouvelles de Docteur Popaul.
On emporte Mufle d'Eric Neuhoff, roman court, classieux, chic et d'un désespoir très tenu, comme nous les aimons. Echapper aux tueurs - beau titre, belle langue - de Matthieu de Boisséson. Des dévédés aussi, de ceux qui ne sont pas à la mode. Des films de Sautet, écrits par Claude Néron, par exemple.
Et, parce que miss K nous manque déjà, en attendant les peaux mêlées, quelques mots trafiqués de Pierre de Régnier :
"J'ai mangé de l'Amor Amor tout autour de ta bouche
Et j'ai bu la luxure au fonds de tes yeux noirs ;
Et j'ai pu respirer, volupté qui embaume,
Le bruit délicieux que font les bottes effilées
Dans la clarté propre et sonore des couloirs."
samedi 17 décembre 2011
La loi des séries
Les frères Lumière ont inventé la télévision, et non le cinéma. C'est Louis Skorecki qui le dit. Plume injuste et brillante, Skorecki ne va plus dans les salles obscures. Le 7e art est mort avec Rio Bravo et les cinéphiles se comportent comme des bâfreurs de blanquette de veau. Les films, il les regarde sur petit écran. Il en parlait dans des articles qu'a longtemps publié Libération et qu'a édité, en recueils, l'ami Roland Jaccard dans sa collection “Perspectives critiques” aux PUF : Raoul Walsh et moi, Les violons ont toujours raison, Conversations avec Serge Daney.
Dans Sur la télévision, Skorecki adresse une belle déclaration d'amour à cette étrange lucarne sur le monde. S'il n'oublie ni Mad men ni Dr. House, ce descendant avoué de Sherlock Holmes, il nous replonge dans un temps, de l'ORTF à feu la Cinq de Berlusconi, bien avant la multiplication des chaînes sur le cable, où les surprises étaient permanentes.
La vie sur petit écran
Jean-Christophe Averty avait un grain de folie nous faisant toucher du doigt Dalida : “Je filme tout ou rien, merde.” Les crimes étaient résolus dans les Cinq dernières minutes. Simenon trouvait que Jean Richard, comédien massif, incarnait un parfait commissaire Maigret. Les garçons hésitaient entre Emma Peel et Tara King, se pendaient finalement aux jambes à la longueur érotique d'Emma. Le lieutenant Columbo roulait en Peugeot 403. La petite maison dans la prairie renseignait sur le puritanisme des Pères fondateurs américains et Le prisonnier, sur les moeurs de Big brother. Bill Cosby était un acteur de jazz, papa d'Obama. Thomas Magnum cachait derrière sa moustache les traumatismes de la guerre du Viet-nam. MacGyver, entre Reagan et Gromyko, préfigurait le bobo écolo à canif électeur d'Europe Ecologie-Les Verts.
Une nouvelle politique des auteurs
Dans ses textes, Skorecki a des fulgurances qui ravissent : “Baretta et Pasolini, c'est du pareil au même : cinéma louche, télé trouble, familles perdues.” On voit où il veut nous amener. Si les visages, les musiques et les mots portés par les séries TV s'impriment dans les mémoires, créant nos modernes mythologies, c'est que les histoires sont écrites. Parfois à la va-vite, souvent avec style, toujours avec efficacité. Grâce aux séries, les écrivains ont signé leur retour sur l'écran, passant à tabac la “politique des auteurs” chère à François Truffaut – une fiction appartient à son réalisateur, point final.Steven Bochco nous fait découvrir les rues de New-York, et ceux qui les peuplent, dans NYPD Blues. Chris Carter révèle nos angoisses paranormales dans X-files. Edward E. Kelley s'amuse des fantasmes d'Ally Mc Beal et donne au Capitaine Kirk de Star Trek, William Shatner, son plus beau rôle : Denny Crane dans Boston Justice, un avocat fêlé de droite amateur de cigares et de ouisquie dissertant, sur la terrasse de son cabinet, du harcèlement sexuel, des armes à feu et des SDF avec son meilleur ami démocrate. Même Jean-Luc Azoulay, le créateur d'Hélène et les garçons et de ses suites, peut être présenté comme un héritier décomplexé d'Eric Rohmer : des jeunes filles légèrement vêtues badinent avec des garçons qui ne pensent qu'à la embrasser, et plus si affinités.
Pour comprendre que les séries sont nos madeleines du jour, il faut lire Skorecki et, dans le même temps, le Dictionnaire des séries de Nils C. Ahl et Benjamin Fau. Sur plus de 1000 pages, rien ne manque. Les notices sont précises, élégamment rédigées, méchantes à l'occasion. A propos d'une vieillerie californienne et balnéaire : “Si l'on veut du mal à quelqu'un, on peut lui diffuser en boucle le générique de la première saison: cela achève même les chevaux.” Du bel ouvrage qui donne envie d'errer dans Baltimore en regardant The wire, de se saouler avec Hank Moody dans Californication et, même, de courir sur une plage de Malibu derrière quelques naïades en maillot de bain rouge.
Louis Skorecki, Sur la télévision, Capricci, 2011
Nils C. Ahl, Benjamin Fau (dir.), Dictionnaire des séries télévisées, Philippe Rey, 2011
Article paru sur Causeur.fr, le 17/12/2011
mercredi 14 décembre 2011
Comme un feu follet
Il y a des jours où l'on se sent dans un film en noir et blanc de Louis Malle.
La musique est de Satie.
Maurice Ronet passe, perd ses mots.
Souffle court, usé.
dimanche 11 décembre 2011
Limonov vous conseille Marignac
Edouard Limonov, en cette fin d'année 2011, est partout. Un livre sympathique d'Emmanuel Carrère lui a offert le prix Renaudot par procuration. Chaque journal français publie une interview, forcément exclusive, de lui. Il vient d'annoncer sa candidature à la prochaine élection présidentielle russe.
Depuis Moscou, Limonov nous envoie également une carte postale, imprimée sur le bandeau de couverture du nouveau roman de Thierry Marignac : “Je connais Thierry Marignac depuis trente et un ans. C'est un type vraiment noir : sévère et terrible, sans tendresse. Vagabond incorrigible, voici un nouvel épisode de son parcours sur terre. Il faut le lire.”
Limonov a raison : il faut lire Marignac, en commençant par Milieu hostile, ultime station – ténébreuse et rouge sang - de son “cycle russe”.
Un orfèvre des bas-fonds
Dès les premières lignes, sous le soleil d'été de la République d'Ukraine, on retrouve l'Est comme berceau et décombres d'une civilisation mal en point. De ce point de mélancolie de sa géographie intime, Marignac fit la mèche à combustion de Cargaison, publié en 1992 par Jean-Paul Bertrand. Il propagea l'incendie dans Milana - nom d'une héroïne froide en caraco et pantalon de treillis -, dans Fuyards et dans le crépusculaire A quai.
Dans Milieu hostile, on retrouve surtout Dessaignes, le héros cabossé de Renegade boxing club, Série noire parue en 2009 : “ex-facilitateur ONG en Russie, ex-traducteur juridique aux Etats-Unis, un intérimaire cosmopolite, demi-solde d'une caste inférieure d'employés internationaux – roulant au gré des chocs de l'existence comme une boule de billard jouée à plusieurs bandes, sur la planète.”
A Kiev ou à Vilnius, en passant par Paris, Dessaignes explore les bas-fonds des villes et les hautes sphères de l'économie. Il connaît les deux : les trafics servent de passerelle et de gagne-misère, grande ou petite. Manière de “Bad lieutenant”, il est au coeur de la grande machine à broyer des êtres en état de décomposition avancée et tente de sauver sa peau. Sous son oeil fatigué, la beauté de “l'âme russe” prend des coups, met un genou à terre, se relève sonnée. L'alcool coule à flots, castagne les cerveaux. L'orange des révolutions pourrit. Les communistes reprennent en main leurs affaires. Des hordes de motards, “Les loups de la nuit”, paradent en l'honneur de Poutine. Des rejetons de la vieille aristocratie française croisent des gangs albanais et des Africains. Les infirmières ne pansent pas que des plaies et les amis sont troubles. On s'accroche à des sac de billets. Tout ça risque de mal finir.
La guerre lasse d'un styliste
Limonov a encore raison : Marignac est sévère et terrible, sans tendresse. Dans ses textes, il cite Céline, de Roux, Mishima, Rigaut et Norman Mailer - auquel il a consacré un essai. Les poètes russes aussi : Natalia Medvedeva et Sergueï Tchoudakov. Par ailleurs boxeur et traducteur, Marignac est un romancier écorché, à vif, la plaque sensible d'une époque qu'il recrache avec furie. Ca ne date pas d'aujourd'hui. En 1988, son premier roman Fasciste fit l’effet d’un uppercut de Tyson au menton d’une France estampillée «Touche pas à mon pote». L’histoire d’un jeune homme qui se jette dans le chaudron du nationalisme politique le plus dur et se consume pour «Irène, jeune, mince, poignante, blonde surtout, blonde comme il est noble d’être blonde».
Fasciste est un roman qu'il serait urgent de rééditer. En attendant, black-listé par un quarteron de pieds-pensants, Marignac continue à mettre sa peau sur la table, dans ce milieu hostile dont il s'extrait par la froideur étrincelante, celle d'une lame, de son style.
Thierry Marignac, Milieu hostile, Baleine, 2011
Papier paru sur Causeur.fr, le 11/12/2011
lundi 5 décembre 2011
Patrick Besson devant les cochons (et les cochonnes)
Comme chaque semaine, Patrick Besson a écrit, dans le Point, une chronique stylée, drôle, légère et profonde. Il imagine le discours d'Eva Joly, devenue Présidente de la République. Et le retranscrit.
C'est parfait, la voix de la dame de ferme sonne, on l'entend comme on l'a trop entendu ces derniers temps.
Les lecteurs ont hurlé de rire. Sauf une poignée de crétins, cochons et cochonnes de la langue française. Pour faire passer leurs hoquets dégueulasses, ils ont trouvé un truc : Patrick Besson serait raciste, xénophobe, criminel, j'en oublie.
Nommons les cochons et les cochonnes :
Cécile Duflot, bonniche de la secte coule EELV
Noël Mamère, gigolo moustachu des micros tendus
François Delapierre, canif de rechange du Front de gauche
Eva Joly elle-même.
Avec Patrick Besson - qui est sans doute beaucoup de choses, mais ni raciste ni xénophobe -, nous leur disons : "Zalut la Vranze !"
mercredi 16 novembre 2011
Projet secret de Moody's, Fitch et Standard and poor's pour un gouvernement français d'union nationale certifié AAA
Scénario souhaité :
Après l'annulation par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, des élections présidentielles de mai 2012, le Secrétaire général de l'Elysée, Brice Hortefeux, annoncera la composition d'un gouvernement resserré d'union et de rigueur :
Premier ministre : Alain Minc
Ministre des affaires étrangères et européennes : Bernard-Henri Lévy
Ministre de la Défense et des anciens combattants : Manuel Valls
Ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement : Jacques Attali
Ministre de la Justice et des libertés : Philippe Courroye
Ministre de l'intérieur et de l'immigration : Bernard Squarcini
Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie: Jean-Claude Trichet
Ministre du Travail, de l'emploi et de la santé : Laurence Parisot
Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat : Elie Cohen
Ministre de l'Agriculture, de la pêche, de l'alimentation, de la ruralité et de l'aménagement du territoire : Nadine Morano
Ministre de la culture et de la communication : Jean-Marc Morandini
Ministre des solidarités et de la cohésion nationale : Patrick Balkany
Ministre de la fonction publique : Jean-François Copé
Ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur : Marien Defalvard
Ministre de la ville : Anne Sinclair
Ministre des sports : Zinedine Zidane
Ministre chargé des relations avec le Parlement : Zahia Dehar
Ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique : Jean-Marc Sylvestre
Ministre chargé de la coopération : Xavier Bertrand
Ministre chargé des collectivités territoriales : Jean-Pierre Pernaut
Ministre chargé de l'apprentissage et de la formation professionnelle : Luc Chatel
Ministre chargé des affaires européennes : Eric Besson
Ministre chargé des transports : Bertrand Delanoë
Note transmise à Nicolas Sarkozy, Président de la République française, le 16/11/2011.
dimanche 13 novembre 2011
Bory, une plume sans masque
C'était un temps où l'on se battait par goût du style et des films. Bernard Frank, par exemple, vexé par un papier de Jean Cau dans Les temps modernes, répliquait en signant un assassin et très beau Dernier des Mohicans, que Grasset vient de rééditer . Du côté du grand écran, la Nouvelle vague naissait sur les décombres d'”une certaine tendance du cinéma français”. Il fallait faire son choix entre les Cahiers du cinéma et Positif. Michel Audiard et Louis de Funes étaient les Têtes de turc des intellos de la bobine. Truffaut crachait sur les vieilles gloires qu'étaient Autant-Lara, Clouzot et Duvivier. Jean-Louis Bory, lui, écrivait dans Le Nouvel Observateur, après s'être fait la main dans Arts et L'Express, et causait dans le poste, en pilier du Masque et la plume.
Il est aujourd'hui à l'honneur d'un spectacle mis en scène par François Morel, Instants critiques, où les comédiens Olivier Broche et Olivier Saladin, deux anciens de la troupe des Deschiens, interprètent les joutes radiophoniques qui l'opposaient à Georges Charensol, critique réac et oublié. On y retrouve Bory tel qu'il était et tel que le dévoile également Daniel Garcia, dans un joli texte biographique : C'était Bory.
Beau parleur, provincial enraciné et esprit parisien, Bory est un homme de gauche capable de défendre Louis-Ferdinand Céline, à la sortie de Nord. Quand on le lui reproche, il répond : “J'ai mes convictions personnelles, je ferai beaucoup de choses pour elles, mais s'il y a un très grand écrivain, un très grand artiste en face, je salue le grand écrivain, le grand artiste.”
Lecteur d'écrivains classés à droite – Chardonne et Morand sont ses amis - et du dandy socialiste Eugène Sue, il entre en littérature de la pire manière : son premier roman, Mon village à l'heure allemande, reçoit le prix Goncourt en 1945. Une barre très haut placée quand on a 26 ans. La suite de son oeuvre romanesque ne se vendra guère. Le spleen le gagne, il achète une carabine, ça peut avoir son usage.
Parce qu'il aime les garçons dans une époque qui n'y pense guère et surtout ne le dit pas, il publie Ma moitié d'orange, version 1973 du moderne coming out. Un coup de tonnerre et un succès éditorial. Il est intronisé pédé superstar, bretteur permanent des plateaux télé et autres débats de société. Entre reconnaissance gay et insultes, il y laisse beaucoup de sa flamboyance. A Jean-Louis Curtis, il avoue : “Je suis las d'être devenu le gugusse de l'homosexualité militante.” Sous le masque, la plume est triste. Il ne se doute pas que le meilleur de son style, ce qui restera quand les années auront tout balayé, il l'offre chaque semaine à l'Obs. Les papiers de cinéma de Bory sont un roman édité dans le journal de Jean Daniel et recueilli, en plusieurs tomes, aux éditions 10/18 : Des yeux pour voir, La nuit complice, Ombre vive, L'écran fertile, La lumière écrit, L'obstacle et la gerbe, Rectangle multiple.
Bory nous raconte une histoire de France, décalque en 24 images/seconde de celle de Michelet, à travers les regards de Godard, Chabrol et Claude Sautet. Pasolini s'invite, Bunuel aussi. La vulgarité est prise en grippe. Le charme discret de la bourgeoisie n'est pas détesté. Des jeunes filles embrassent des ouvriers. Les garçons hésitent entre les mamans et les putains. Il commence à y avoir trop de flics dans les rues et sur les écrans. La joie et la mélancolie jouent au ping-pong.
Une nuit de juin 1979, la mélancolie remporte la mise. Au fond de sa dépression, Bory use enfin de sa carabine, se tirant une balle plein coeur.
Daniel Garcia, Janine Marc-Pezet, C'était Bory, Editions Cartouche
Papier paru sur Causeur.fr le 13/11/2011
samedi 5 novembre 2011
Le Bloc est ce qui existe de plus beau, de plus poignant, de plus noir, de plus précis et élégant sur les tristes temps où nous vivons
Ma flânerie autour de Gégauff - Une âme damnée - est finie, entre les mains et sous les yeux de Roland Jaccard, l'infâme et délicat RJ qui m'a fait le plaisir d'écrire des lignes touchantes sur sa lecture : http://www.rolandjaccard.com/blog/?p=2562
Ce n'est qu'un combat, continuons le début.
Il est surtout temps de dire, ici, que Le Bloc, le roman de Jérôme Leroy, est ce qui existe de plus beau, de plus poignant, de plus noir, de plus précis et élégant sur les tristes temps où nous vivons.
Jérôme est un ami, comme il en existe si peu. Il aime boire des vins naturels chez Casimir, rue de Belzunce, et parler des socialistes utopiques avec miss K. Il aime aussi la silhouette des jeunes filles et les paysages des îles, les mots de Roger Nimier et Roger Vailland, de Manchette et d'ADG. Le titre du dernier recueil de Patrick Besson, Le hussard rouge, aurait pu être inventé pour lui. Il dit tout sur son style, c'est-à-dire sur son intelligence profonde et légère des choses de la vie, donc de la littérature.
Il y a longtemps, dans une interviouve, Michel Houellebecq indiquait que le roman qu'il aimerait écrire s'intéresserait à l'extrême-droite française de ces trente dernières années. Houellebecq a oublié son envie dans ses exils. Jérôme a écrit ce livre, avec la "grâce efficace" qu'on retrouve dans chacun de ses textes, quels qu'en soit le genre puisque sa langue crée une unité parfaite entre romans, poèmes, flânerie à la Bernard Frank du côté des lunettes noires et nouvelles.
Dans Le Bloc, suite toujours plus désespérée de Bref rapport sur une très fugitive beauté, de Monnaie bleue et de La minute prescrite pour l'assaut, la France a peur, la France morfle.
Des émeutes partent de la périphérie des villes, gagnent le centre. La finance assassine les pauvres et les classes moyennes. Les politiciens collaborent à la mise à sac des émotions. La trouille gargouille au ventre de tous. Les Arabes détestent les Juifs qui détestent les Blancs qui haïssent les Jaunes. Un parti, Le Bloc, est en train de rafler la mise tant espérée : une République en lambeaux et les strapontins du Pouvoir. Deux hommes, frères d'âme et de sang versé, se souviennent, le temps d'une nuit.
Dans un appartement des quartiers chics et tocs de Paris, Antoine attend le retour d'Agnès - sa belle amoureuse, la fille d'un vieux chef nationaliste et la Présidente du Bloc - qui négocie des postes ministériels. Il tire le bilan de sa vie, armé de mélancolie jusqu'aux dents : "Finalement, tu es devenu fasciste à cause d'un sexe de fille." Il a écrit des romans à la hussarde, s'est lassé, n'écrit plus que des notes d'intentions politiques sans y croire. Il boit de la vodka, regarde sur son écran TV le décompte des victimes de la guerre civile en cours. Il zappe sur Masculin/féminin de Godard, caresse le visage lointain de Catherine-Isabelle Duport. Il espère que Stanko, son ami, va s'en sortir.
Dans une chambre d'hôtel miteuse, Stanko attend la mort. Chef du service d'ordre et des coups tordus du Bloc, il n'a plus sa place dans un Parti de gouvernement respectable. Trop d'os brisés, trop d'accidents de voitures. Il vient de la misère des villes ouvrières du Nord, s'en est sorti à coups de poings, c'est impardonnable. Les gros bras qu'il a lui-même formés sont à ses trousses. Stanko n'offrira pas sa peau aux chiens. Stanko se demande pourquoi Antoine a laissé la traque s'organiser.
Le Bloc est une tragédie chorale : les voix d'Antoine et Stanko se répondent ; leurs trajectoires se mêlent. Il est question d'une époque où intellectuels et prolos se retrouvaient pendant leur service militaire, où les beuveries entre camarades se terminaient en chanson et par une évocation du Feu follet de Drieu la Rochelle, où l'amour et l'amitié pouvaient abolir le hasard des destins.
Le Bloc, en effet, est un roman d'amour et d'amitié qui plonge dans 30 ans d'histoire de France, la raconte avec le dandysme du Samouraï de Melville, la rage au coeur. Bien sûr, chacun trouvera des ressemblances entre le Bloc et le FN, entre Agnès et Marine, entre le vieux Dorgelles et un amateur borgne des points de détail. Bien sûr, quelques crétins soulignent déjà que Jérôme connaît "trop bien" son sujet.
"Trop bien" ? Jérôme se balade dans notre cher et vieux pays, celui d'Aragon et de de Gaulle. Il boit des canons dans les bistrots avec les prolos. Il les écoute comme il écoute les bruits de fond derrière les parades médiatiques. Il regarde, désabusé, la fermeture des usines et le racisme ordinaire. Il n'oublie pas les paysages d'avant la fin du monde, les bords de mer et les plaisirs sur le fil du rasoir. Il aime la France, malgré elle et au plus près d'elle, de ses routes, de ses campagnes, de ses villes, de ses clochers, de ses luttes sociales, et même de ses dérapages incontrôlés. Ses personnages viennent de là, de son regard, des bribes de la réalité saisies au vol. Et c'est ainsi qu'il faut lire et relire Le Bloc. Pour savoir où nous en sommes d'un bel aujourd'hui toujours plus laid, pour se souvenir aussi de ce qui nous a rendu heureux, de ce qui nous étreint sans fin : les escapades amoureuses sur les plages bretonnes, les départs décidés à la dernière minute, les villages blanc et bleu des Cyclades, les poèmes de Baudelaire, les longs corps nus sous les draps, la nonchalance et les hameaux paisibles, les touffes foisonnantes et noires comme l'origine du monde, le sexe d'une fille endormie.
Jérôme Leroy, Le Bloc, "Série noire", Gallimard, 2011
mardi 1 novembre 2011
Les Ukrainiennes à Paris
Il paraît que, ces temps-ci, ça ne va pas fort à Ni pute ni soumise.
Il paraît que les ventes de Tristane Banon stagnent.
Il paraît que Les chiennes de garde, l'hiver arrivant lentement, ne quittent plus leur niche.
Sur le front du féminisme, nous leur conseillons très amicalement de se rapprocher de leurs camarades ukrainiennes, femmes de style et de principe.
Parole d'enculé
"Nous sommes déçus. Les marchés sont déçus. Dès qu'il y a un pas en avant, un peu d'espoir, les politiciens foutent tout en l'air. On leur met le pistolet sur la tempe. On leur demande de faire des efforts. Et ils tergiversent. Ils veulent faire voter leur peuple à la con. C'est lamentable. Les marchés n'ont pas le temps d'attendre."
Un trader malheureux à l'annonce du referendum grec sur l'accord de Bruxelles
mardi 18 octobre 2011
Moody's, ordure et héritier de Ben Laden
Il y a peu de temps, la France était menacée régulièrement par un certain Oussama Ben Laden qui promettait le pire au pays. Nico le petit et ses sbires renforçaient alors Vigipirates, ne voulaient rien lâcher. Ils n'avaient même pas peur des bombes et procédaient à des arrestations dans des cités de banlieues où pioncent des réseaux islamistes forcément dormants.
Ben Laden jeté à la baille par ses anciens amis ricains, la France est désormais menacée par un nouveau gros bras : mister Moody's. Une ordure masquée, très loin de l'élégance de Fantomas ou d'Arsène Lupin. Une ordure virtuelle pour laquelle le pire ressemble à la dégradation d'une note fantoche. Nico le petit et ses sbires font, pour le coup, dans leur froque. Ils défilent sur les plateaux TV pour promettre que, oui, dans 3 mois au grand maximum, ils auront coupé dans des budgets, augmenté l'âge de la retraite, réduit le nombre de fonctionnaires, suicidé quelques enseignants et plus si affinités.
Les bombes, aujourd'hui, sont donc moins menaçantes, aux yeux de Nico le petit et ses sbires de droite et de gôche, qu'une note dont tout le monde devrait se contrefoutre.
jeudi 13 octobre 2011
Quand Pascal Thomas parlait de Paul Gégauff
« Romancier de l'exaspération, esprit curieux, à la française, Gégauff possède ces estimables qualités de ne pas avoir de système de valeurs, de bafouer ce qu'il appelle les penseurs, de ne poursuivre aucun idéal, de ne pratiquer aucun culte, de ne faire partie d'aucun parti. Il est le dernier des anarchistes puisque les autres se sont tous mis en rang pour suivre des drapeaux noirs. Il met les pieds dans le plat de la respectabilité bourgeoise et on découvre avec joie que sa saine insolence ne dissimule aucune intention morale. Il n'a aucune envie de se faire trouer la paillasse dans la Cordillère des Andes ni de publier un appel à la sédition dans le Ici Paris de la gauche mondaine. En France, où cette gauche bien-pensante exerce sournoisement sa dictature intellectuelle et où il paraît suspect de ne pas vouloir remonter le Yang-Tsé-Kiang à la nage, ces manifestations d'irrespect sont trop rares pour ne pas être précieuses. Lorsqu'il entend le mot humanisme, il sort. Tout l'art du bien-aller est là. Il est comme le ver dans le fruit de cette société délicieusement pourrie : à l'aise mais pas dupe. »
Pascal Thomas, in VO, Revue du Ciné-club de Montargis, 1969
samedi 8 octobre 2011
Jayne Mansfield, un mythe du monde d'avant
Elle aimait Hollywood qui, rapidement, après quelques films où sa plastique était à l'honneur, ne voulut plus d'elle. Elle aimait offrir ses seins au regard de tous, en Une de Playboy ou lors de strip-tease dans les cabarets minables d'une Amérique qui sera celle de Sarah Palin. Elle aimait exciter les hommes et, parfois, vivre avec eux malgré les coups qui abîmaient son joli visage aussi sûrement que les sunlights. Elle aimait aussi ses enfants, ses chihouahouas, sa collection de peluches et les perruques peroxydées parant de glamour un cuir chevelu ravagé.
Elle s'appelait Jayne Mansfield, fut la rivale de Marylin Monroe à l'époque lointaine où la guerre des blondes était une cause internationale et sexy, bien avant Pamela Anderson, Paris Hilton et Loana.
A 34 ans, par son sang versé sur l'asphalte, elle est définitivement entrée dans la légende : “Aux basses heures de la nuit, le 29 juin 1967, sur un tronçon de la route US 90 qui relie la ville de Biloxi à La Nouvelle-Orléans, une Buick Electra 225 bleu métallisé, modèle 66, se trouva engagée dans une collision mortelle.”
L'avis de décès du vieil Hollywood
Dans son premier texte, le si beau et mélancolique Anthologie des apparitions, Liberati tournait déjà autour de l'ombre charnelle de Jayne Mansfield. Dans Jayne Mansfield 1967, roman qui doit autant à Crash de JG Ballard qu'au Barthes des Mythologies, il ne la quitte plus, partant de sa mort, faisant corps avec elle pour remonter le fil de sa vie.
Liberati suit Jayne lors de sa dernière année, au plus près de ses pas, de ses rêves et de sa déchéance. Il passe avec elle son ultime soirée, dans les loges de carton-pâte d'un show kitsh. Il est sur le bord de la route, au moment fatal de l'accident. Dandy stylé plein d'empathie, à la manière du Truman Capote de De sang froid ou du chroniqueur de Vanity fair Dominick Dunne, il note tous les détails de la collision. Il se rappelle de Jayne, rayonnante, en couverture de l'album Hollywood Babylon, puis des photos de sa dépouille dans la version italienne du volume II du livre de Kenneth Anger.
Entre les deux séries de clichés, la guerre des blondes n'est plus et un vieux monde a signé son avis de décès : “Les époques de décadence n'aiment pas forcément les gens décadents et Hollywood redoute l'intelligence. Jayne Mansfield n'est que la réponse trouvée par une volonté et une énergie supérieures à une situation historique : la fin du star-system et des femmes objets.”
La moins idiote des ravissantes blondes
Flâneur sentimental attachée à la mémoire de son héroïne, Liberati corrige quelques fausses vérités. Non, Jayne n'a pas été décapitée. Non, elle n'était pas une sataniste convaincue, même si elle rencontra Anton LaVey, le gourou de “L'Eglise de Satan”, qui se présentera plus tard comme un de ses amants. Méphistophélès de foire du trône, LaVey permet à Liberati de fouiller les boursouflures criminelles de cette Amérique de Charles Manson et de sa famille, hippies tendance croix gammée qui assassinèrent notamment Sharon Tate. Non, enfin, Jayne Mansfield n'était pas une ravissante idiote. Ravissante, oui, malgré la drogue, l'alcool et les psychotropes. Idiote, sûrement pas. Sa quête permanente de gloire nécessitait de l'intelligence. Jayne n'en était pas dépourvu, gestionnaire parfaite d'une carrière qui, pourtant, n'avait pas d'avenir, entre inauguration de boucheries, tour de chant foireux et effeuillages porno. Quand il parle de la notoriété de Jayne en 1967, Liberati évoque BB, les Beatles et le Pape Pie VI. Ce n'était pas rien pour la plus blonde des icônes.
Simon Liberati, Jayne Mansfield 1967, Grasset, 2011
Papier paru dans Causeur magazine, octobre 2011
lundi 3 octobre 2011
Patrick Besson dixit ...
"Le cinéma pourra-t-il jamais être autre chose que l'un des prolongements de la littérature ? On peut écrire ce qui ne sera pas filmé mais on ne peut pas filmer ce qui n'a pas été écrit."
dimanche 2 octobre 2011
Jacques Laurent dixit ...
"Je ne sais si je parviendrai à te survivre dans un monde que ton absence a transformé en cauchemar."
in Lettre d'amour à l'aimée disparue, Le Figaro, le 19/10/2000, reproduite dans L'Atelier du roman, septembre 2011.
mardi 27 septembre 2011
9 avril 1973
"Pour voir la fuite rouge du poisson
J'empruntais ton regard.
Pour cueillir les framboises,
C'était ta main.
Les soirs de juin,
Les hivers de cristal
Et les soleils, si loin, si loin ;
Le lait gris des aurores
Les parfums du parquetEt ces tremblants mystères
Du banc sous le sapin,
Du pot-au feu qui bout,
De cet oiseau, que fait-il là ?
Le creux si doux des heures,
L'aile des phares la nuit,La plainte des cargos,
La lande, la grève,
Le vent qui sèche les pleurs,
Explique-moi ;
Je veux savoir, ange du bizarre,
Je veux savoirQui les habille maintenant, les lilas de la vie,
En taillant dans le vide,
D'immenses coupons de nuit."
Paul Gégauff, A Danielle, poèmes inédits
samedi 24 septembre 2011
Un conte de la barbarie ordinaire
C'est un lambeau triste de l'histoire de France des années 00, la suite contemporaine de ses romans XXe siècle L'Appât, Maos et Ils ont tué Pierre Overney, que raconte Morgan Sportes dans Tout, tout de suite.
Du drame médiatiquement labellisé « L'affaire du gang des barbares », il crée un « conte de faits » au style glacé et parfait comme la mort au bout de la tragédie. Nul Youssouf Fofana ici, pas plus d'Ilan Halimi. Nous sommes dans un roman monumental qui se situe, par-delà la haine, dans l'écume « cradingue » de Paris-banlieue : « En 2006, un citoyen français musulman d'origine ivoirienne a kidnappé et assassiné, dans des conditions particulièrement atroces, un citoyen français de confession juive. J'appelle le premier Yacef, le second Elie. L'un a 25 ans, l'autre 23. »
Les pieds-nickelés de la haine
Pourquoi Yacef, caïd des territoires oubliés de la République, a-t-il kidnappé Elie ? Parce qu'il était « feuj' », que les « feujs » sont riches et que sa vie valait 400 000 euros.
Yacef a convaincu de sa vérité une petite armée de chiens abandonnés, sans jobs ni attaches. Des hommes qui répondent aux noms de Kids, Capuccino, Khaled, Gérard, Krack, Big Mac. Des filles aussi qui, entre une raclée et quelques billets glissés dans le string, serviront d'appâts, telles des petites soeurs déclassées de Valérie Subra. Celle qu'il faut au plan de Yacef s'appelle Zelda. Elle n'a pas 20 ans. Elle est sexy, bête et provocante. Elle rêve de gloire et de fric. Elle est prête à tout comme l'héroïne d'un film de Gus Van Sant.
Le 17 janvier 2006, c'est elle qui, boulevard Voltaire, pénètre dans un magasin de téléphonie mobile, aguiche Elie auquel elle donne rendez-vous, trois jours plus tard, au Bouquet d'Alesia, un bistrot du XIVe arrondissement. Elle le guidera au coeur du traquenard fatal.
Jusqu'au 13 février, Elie sera séquestré dans un appartement, puis dans une cave, d'une cité de Bagneux, rue Maïakovski. Les poètes, parfois, sont grimés en soldats inconnus. Surveillé par une horde abrutie de geoliers amateurs, Elie est nu, ligoté, cogné, brûlé, à peine nourri, entre autres tortures. Quand on demandera à certains la raison qui les a pousser à accepter un tel rôle de kapo, la réponse est toujours identique : « Pour l'argent. »
Tout, tout de suite suit les tribulations des enfants de TF1 et de Tony Montana, modèle bling bling de Yacef. Jadis, les enfants étaient tristes ; aujourd'hui, ils n'ont gardé de la tristesse qu'une haine désincarnée en violence pure. Ecoutant les rappeurs Booba et 50 Cent, lisant Guy Debord, Adorno et Jaime Semprun, Morgan Sportes arpente l'enfer des jours et des nuits d'Elie, ausculte les soubresauts psychologiques de Yacef. Il a décortiqué les 8000 pages du dossier d'instruction, écouté la famille d'Elie et les autorités judiciaires, consulté les sms et les mèles envoyés par Yacef et ses pieds-nickelés criminels. Sportes ne parle jamais de « barbares », ce cache-sexe lexical visant à ne pas se plonger dans nos temps de crise permanente et de chômage de masse, dans la banalité du mal, .
Le mal, Sportes l'a suivi à la trace, pistant les odeurs de soufre et de sang. De Bagneux à Bobigny en passant par Abidjan, des laveries automatiques aux Hippopotamus, de Chatelet-Les Halles au bois du Genou où le corps d'Elie a été retrouvé : « Entrer dans ce bois, c'est entrer un peu dans l'âme de Yacef, c'est-à-dire dans l'âme sauvage de nos société. »
Morgan Sportes, Tout, tout de suite, Fayard, 2011
Article paru sur Causeur.fr, septembre 2011
mardi 13 septembre 2011
Ca a commencé comme ça
_ Tue moi si tu veux, mais arrête de m'emmerder.
Au commencement, cher Paul, votre mort à la boutonnière.
Pasolinienne.
Tranchante.
Elle n'est à l'heure, affirmiez-vous, que dans les contes chinois. Vous la compariez à une gourmande qui avale sans plaisir. Vous la craigniez comme vous craigniez les imbéciles et votre contrôleuse des impôts.
_ L'avenir, c'est la mort ma pauvre vieille !
Dans mes papiers archivés, j'ai retrouvé une page du Monde, daté du 28 décembre 1983 : « Paul Gégauff, soixante et un ans, écrivain et scénariste, a été assassiné de trois coups de couteau, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 décembre 1983, par sa compagne âgée de 25 ans, à Gjovik, en Norvège. La jeune femme, dont l'identité n'a pas été révélée, a reconnu les faits. »
On dirait une nouvelle en trois lignes de Felix Fénéon. Perfection froide de la brève. Un beau début de roman, polar nordique très loin des Stieg Larsson et autres Indridason. Une histoire d'amour noir, de folie douce et de petite mort comme les racontait, dans ses chroniques chics et morbides de Vanity Fair, Dominick Dunne, comme les filmaient des petits maîtres talentueux des années 70, des années 80, sur des scénarios de Jean-Patrick Manchette.
La jeune femme s'appelle Coco. Norvègienne métissée, apprentie comédienne aperçue chez Rohmer et fatale héroïne de votre ultime bye-bye. Vous l'aviez épousé, aviez eu une petite fille, Elise, presque deux ans. Ca n'était pas de votre âge. Ca n'était pas en ligne avec les diktats de nos tristes temps. C'est ce qui vous enchantait.
Vous étiez un poète tendance Paul-Jean Toulet, un dandy dilettante et une gloire gâchée du 7e art selon « les professionnels de la profession. »
Une sacrée carte de visite à l'heure où Luc Besson grillait ses premières pellicules.
Je rembobine les bandes, dans le désordre.
Un garagiste de Quimper, au volant d'une Mustang noire, sa belle-soeur en larmes et en robe d'été à ses côtés, renverse un bambin blond en ciré jaune, prend la fuite, beugle des horreurs.
Une jeune biche, parée de chagrin et de jalousie, oublie le pont des Arts, les heures douces à Saint-Tropez et plante son couteau dans le dos d'une sensuelle héritière.
Un parasite élégant troue la peau d'un fils de famille Américain, sur une musique de Nino Rota et sur un voilier au large des cotes d'Italie, jette le corps à la baille puis prend sa place dans sa vie et dans celle de sa fiancée.
Un motocycliste moustachu, Don Juan psychopathe des bals du samedi soir, étrangle une vendeuse d'électro-ménager trop fleur bleue, après l'avoir embrassée dans un bois dans la banlieue de Paris.
Une jeune femme qui ressemble à Sissi creuse un trou dans le jardin d'une maison de ville, y enterre le corps de son amant, qu'elle croyait déjà mort, qu'elle vient de poignarder dans sa cuisine, effrayée par les promesses de violence.
Vous-même, Paul, jouant votre propre rôle à peine déformé dans le miroir de la mémoire, vous cognez à coups de pieds Danielle, femme de votre vie en fuite, vous l'achevez sur le rebord gris d'une dalle mortuaire, fou d'amour inconsolé.
Toujours sur le fil des excès et de l'éclat, vous vous êtes tiré en 24 images/seconde, comme dans les films que vous signiez pour Chabrol, René Clément ou Barbet-Schroder.
C'était écrit.
C'était bien fait pour vous.
C'était, surtout, la fin d'un monde de légèreté et de profondeur, de plaisirs et de mélancolie, d'alcools et de volutes.
Il y avait Vadim et Ronet, Sagan et les frères Marquand, Brialy et Jean Yanne, Jacques Laurent et Jacqueline Sassard.
Désormais, il y a des morts et des vivantes qui se sont fait la belle.
Je me demande ce qu'est devenue Jacqueline Sassard.
Elle ressemblait aux vacances et à miss K., la plus jolie fille de la fin du monde.
Je vous parlerai de miss K., cher Paul, de Jacqueline Sassard aussi, de quelques autres enfin.
Il y aura des rires et des larmes, des insultes et des tchin-tchin joyeux, des bikinis et des peaux bronzées.
La Dolce vita danse encore, sur le rebord des tombes.
Tout part de là : l'oubli, le souvenir, la lame du temps sur laquelle je vagabonde dans le fracas de vos lambeaux de vie.
(Gégauff n'est pas mort - extrait)
Beigbeder au coeur d'une bibliothèque en ruines
Dans le Service littéraire du camarade Cérésa, en vente jeudi prochain, vous pourrez lire mon ami Christian Authier parlant de Simon Liberati. Roland Jaccard, François Bott, Eric Neuhoff, Anthony Palou également. Et mes quelques mots sur les 100 livres que Frédéric Beigbeder embarquerait sur cette île déserte que nous cherchons tous ...
Quand Jeff Bezos, pédégé d'Amazon, inventeur d'une tablette numérique froide comme un cadavre et serial killer du verbe chair, assure que “Le livre papier est une vieille technologie qui a beaucoup d'inconvénients”, Frédéric Beigbeder sort son revolver. Faisant feu de mélancolie, il se souvient des doigts délicats d'une jeune fille tournant, dans un avion, les pages d'Amants, heureux amants de Valery Larbaud. Beigbeder a raison : les jeunes filles ont un charme fou alors que leurs yeux se posent sur une couverture, sur des caractères imprimés, et qu'elles se laissent happer par une histoire titrée Mémoires d'un jeune homme dérangé ou Un roman français.
En 2001, Beigbeder s'était intéressé, avec Dernier inventaire avant liquidation, aux 50 ouvrages préférés des Français, saluant notamment Breton, Fitzgerald, Céline et Proust. Dix ans plus tard, dans Premier bilan après l'apocalypse, il choisit lui-même, godelureau snob et popu à la fois, 100 livres à rapter au coeur de nos bibliothèques en ruines.
Peaufinant des chroniques données à Voici, Playboy et au Figaro magazine, il offre le roman de ses lectures, se raconte dans le miroir d'artistes aux fêlures masquées de style. Il évoque sa découverte de San Antonio, trinque chez Castel avec Jean-Jacques Schuhl et Bernard Frank, réunit Bukowski et Truman Capote, oublie Morand et Drieu la Rochelle au profit du cinéaste Yann Moix, dérive dans New York avec Jay McInerney, partage la Vie de Patachon de Pierre de Régnier avec Simon Liberati, se rappelle sa rencontre avec Blondin, tombe amoureux d'héroïnes nommées Sagan ou Dorothy Parker. En éternel gamin de Guéthary et parolier des sensuelles Chanteuses, Beigbeder parle aussi de Paul-Jean Toulet comme personne : “Orphelin de mère, il a cherché sa beauté toute sa vie, partout, l'a retrouvée parfois, et perdue souvent.”
Au hasard d'une page, enfin, il donne la clé de cette beauté, écho infini de nos plaisirs : "Oui, on aimerait, comme James Salter ou Charles Simmons, devenir un beau vieux, au lieux d'un vieux beau. Simplement s'asseoir en costume froissé, et fermer les yeux pour se récapituler, glanant çà et là les moments de joie qui ont justifié notre présence sur terre. Oh, ce n'était pas grand-chose, “une maîtresse italienne tout ce qu'il y a de bien, qui prenait l'avion n'importe où pour me rejoindre", trois fois rien, les yeux émeraude de Lara Micheli, un soir d'automne, au Café du Soleil, à Genève …" Après l'apocalypse, lisons Beigbeder.
Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l'apocalypse, Grasset, 2011
Papier paru dans Service littéraire, septembre 2011
Le petit soldat
Le deuxième film de Godard, après A bout de souffle. Tourné en 1960, sorti en 1963. La Suisse, l'Algérie, un petit soldat perdu de la guerre. Michel Subor porte des lunettes noires, croise des barbouzes partisans de l'OAS et des porteurs de valises. Il hésite entre tuer et mourir.Il est en fuite, se retire dans la douceur anonyme d'une chambre d'hôtel. Il photographie Anna Karina, l'aime, lui parle comme plus personne, aujourd'hui, ne sait parler. Ses mots, pour beaucoup, sont ceux de Paul Gégauff. Bernanos et Drieu la Rochelle sont cités. C'était quelque chose Godard, ces années-là. Ca l'est toujours dans notre mémoire. L'historien froid, précis et sensuel du monde d'avant.
Libellés :
a bout de souffle,
algérie,
amour en fuite,
anna karina,
drieu la rochelle,
gegauff,
godard,
le petit soldat,
mélancolie,
monde d avant,
oas,
subor
lundi 5 septembre 2011
Qui ?
Avec une attention infiniment touchante, mon ami et camarade Jérôme Leroy - nous reparlerons ici et ailleurs de son roman Le Bloc, à paraître le 6 octobre dans la Série noire, roman poétique et politique, roman d'amour, roman de la nuit et des crépuscules de la vie - m'appelle pour me dire qu'il a trouvé, à la braderie de Lille, Qui ? de Léonard Keigel.
Un film peu connu de 1970.
Dialogues de Paul Gégauff.
Avec Romy Schneider et Maurice Ronet. Avec aussi la charmante Simone Bach.
Pas le meilleur scénario de Gégauff, disent "les professionnels de la profession" qui, définitivement, nous les brisent.
Qui ?, pourtant, avec ses quelques défauts formels, est une merveille.
Ca commence, sur les cotes de Bretagne, par un faux meurtre et ça se finit par un vrai.
Les bords de mer sont beaux, escarpés et angoissants. On veut y repêcher un corps qu'on ne trouve pas, un corps qui hante l'histoire sur une musique de Claude Bolling.
Maurice Ronet joue un architecte dilettante. Il soupçonne Romy Schneider d'avoir assassiné son frère. Il tombe amoureux d'elle, se saoule, roule beaucoup trop vite, comme on roulait ces années-là, sur des routes départementales.
Romy, dans Qui ?, est belle comme dans La piscine. Elle se nomme Marina, semble perdue, obsédée par de lointains fantômes.
Romy en bottes et manteaux noirs, Romy allongée sur le lit et la main de Ronet qui glisse sous la robe, le long des bas qui s'effilent, la main de Ronet qui remonte et sa voix qui dit : « Il te faisait l'amour comment mon frère ? »
Romy répond : « Arrête, tu vas finir par me dégoûter autant que lui ».
Un film peu connu de 1970.
Dialogues de Paul Gégauff.
Avec Romy Schneider et Maurice Ronet. Avec aussi la charmante Simone Bach.
Pas le meilleur scénario de Gégauff, disent "les professionnels de la profession" qui, définitivement, nous les brisent.
Qui ?, pourtant, avec ses quelques défauts formels, est une merveille.
Ca commence, sur les cotes de Bretagne, par un faux meurtre et ça se finit par un vrai.
Les bords de mer sont beaux, escarpés et angoissants. On veut y repêcher un corps qu'on ne trouve pas, un corps qui hante l'histoire sur une musique de Claude Bolling.
Maurice Ronet joue un architecte dilettante. Il soupçonne Romy Schneider d'avoir assassiné son frère. Il tombe amoureux d'elle, se saoule, roule beaucoup trop vite, comme on roulait ces années-là, sur des routes départementales.
Romy, dans Qui ?, est belle comme dans La piscine. Elle se nomme Marina, semble perdue, obsédée par de lointains fantômes.
Romy en bottes et manteaux noirs, Romy allongée sur le lit et la main de Ronet qui glisse sous la robe, le long des bas qui s'effilent, la main de Ronet qui remonte et sa voix qui dit : « Il te faisait l'amour comment mon frère ? »
Romy répond : « Arrête, tu vas finir par me dégoûter autant que lui ».
mardi 23 août 2011
Dispersée façon puzzle
Mais de qui parle Stéphane Hoffmann dans cette phrase des Autos tamponneuses, d'une plume très Gégauff, très Docteur Popaul ?
"Jolie femme, certes appétissante pour qui aime le colossal, mais il semble qu'elle ait de la merde à la place du cerveau : quand elle a parlé, on dirait qu'elle a pété."
Chacun peut évidemment, ici, me faire part de ses idées.
J'ai fait mon choix.
"Jolie femme, certes appétissante pour qui aime le colossal, mais il semble qu'elle ait de la merde à la place du cerveau : quand elle a parlé, on dirait qu'elle a pété."
Chacun peut évidemment, ici, me faire part de ses idées.
J'ai fait mon choix.
mardi 16 août 2011
Paris est une drôle de fête
C'était l'entre-deux guerres et le monde d'avant. La France était, pour les Américains, le pays des arts, des lettres, des femmes, des alcools forts et des vins délicats. Henry Miller vivaient ses jours tranquilles à Clichy; Fitzgerald se disputait avec Zelda sur la Riviera ; Hemingway buvait rue Delambre. Tendre était la nuit et Paris, une fête. Fitzgerald, pourtant, alors qu'il faisait lire à Hemingway les premières pages de The great Gatsby, à la Closerie des Lilas, s'inquiétait : « Qu'est-ce que les riches ont de plus que les autres ? » La réponse d'Ernest tomba, guillotine narquoise : « De l'argent. » Dans Tout Paris, Bertrand de Saint-Vincent se souvient des fêlures de Fitzgerald et « Papa » Hemingway, de leur esprit de fumée et de brumes. Avec la mélancolie de celui qui se fait une certaine idée de l'élégance, ombre portée de soufre et de délicatesse : « Il y a chez les individus de grande fortune, beauté ou intelligence, autant de grandeur et de bassesse, de distinction et de grossièreté, de tristesse et d'ennui que chez leurs contemporains moins dotés ; peut-être un peu plus en ce qui concerne la tristesse et l'ennui. »
En être ou ne pas être
Chroniqueur des soirées mondaines qu'il suit, à la tombée du jour, pour Le Figaro, Saint-Vincent flâne sur les pas du regretté Jean-Michel Gravier. Lui aussi courait sous les étoiles pâles, entre la fin des seventies et les premières années Mitterrand. Dans Le Matin de Paris, son rendez-vous s'appelait : « Elle court, elle court la nuit. » Gravier fanfaronnait et se moquait pour cacher ses larmes : les stars crevaient lentement, remplacées par de fantômatiques silhouettes pas encore nommées pipoles.
Saint-Vincent appartient à cette ligne Gravier, qui doit autant à Jacques Laurent – le plus dandy des hussards, qu'il a biographé brillamment - qu'à Jacques Chazot, le prince saganien des humoristes et père de Marie-Chantal. Il regrette la disparition des aristocrates excentriques, des riches héritières new-yorkaises ou des magnats de la pampa. Ca avait une autre tenue que Loana - Cendrillon de téléréalité se réveillant grosse comme son carrosse - et Massimo Gargia revisitant Paroles, Paroles. Ou qu'un ancien Président de la République appelant son épouse : « Maman ». Ou encore qu'un zozo très contemporain déclarant : « Je fais de l'immobilier, mais c'est l'art qui m'intéresse. »
Business classe et village people
Dans les palaces, les fashion weeks et les clubs privés, Saint-Vincent en entend des belles, en voit aussi : « A partir d'un certain âge, la plupart des femmes sont blondes. Le scalpel d'un chirurgien ou l'incertaine magie d'un filtre a effacé les rides sur les visages des uns et des autres et fait gonfler les lèvres et les seins des dames. Certaines sont plus couturées qu'une robe. »
Tout le monde n'est pas Michel Déon arrivant directement d'Irlande, à un coquetèle ; Pierre Schoendorfer fumant une cigarette avec Gérard Manset et François Armanet; Arielle Dombasle, héroïne glamour et rhomérienne, évoquant Maurice Ronet et Paul Gégauff ; ou le camarade Basile de Koch annonçant, chez Castel : « Chivas régale ! »
Pourtant, si Saint-Vincent épingle les vaniteux et les cocottes à bout de souffle tapinant pour un téléphone portable, il ne juge jamais. Il préfère s'attarder auprès d'une jeune femme brune aimant la danse et le chocolat, deviser avec Pierre Cardin ou Karl Lagerfeld et saisir au vol tout des caractères humains. Moderne La Bruyère de la business classe et du village people, Bertrand de Saint-Vincent use du style comme d'un révélateur de l'époque, jouant des nuances, des blancs et des noirs, comme il le faisait déjà dans ses Fragments d'impertinence et son Roman de la victoire – où la campagne présidentielle 2005 prenait la forme d'un western amer et classieux. Entre les lignes de Tout Paris, Fitzgerald et Hemingway sourient.
Bertrand de Saint-Vincent, Tout Paris, Grasset, 2011
Texte paru dans Causeur, été 2011
dimanche 10 juillet 2011
Eloge de François-Marie Banier
Madame Françoise Meyers-Bettencourt, ingrate fifille à sa maman, devrait arrêter de solliciter la justice dès que Liliane ne lui donne pas assez d'argent de poche ou dès qu'elle offre quelques billets et tableaux à des artistes qui la font rire. Madame Françoise Meyers-Bettencourt pourrait, au lieu de perdre son temps à se plaindre et à porter plainte, lire François-Marie de Jean-Marc Roberts Non content d'éditer, chez Stock, quelques-unes des meilleures plumes du jour – Jean-Marc Parisis, Gérard Guégan, Sébastien Lapaque, Christian Authier ou encore François Taillandier dont il faut lire urgemment le très beau Père Dutourd -, il livre, de temps à autres, de courts textes où une mélancolie distinguée n'exclut pas la férocité du regard. Un roman, notamment – Les bêtes curieuses – , adapté au cinéma par Denys Granier-Deferre en 1982, avait donné un des films les plus réjouissants et vrais sur la vie des PME : Que les gros salaires lèvent le doigt. A la fin de la présidence Giscard, un patron, interprété par Jean Poiret, doit licencier une partie de ses salariés. Ne voulant pas décider lui-même du sort des exclus, il invite tout le monde à un séminaire très spécial dans sa maison de campagne. Sous l'oeil du jeune Daniel Auteuil, de Michel Piccoli en costume blanc, de Marie Laforêt, d'une Florence Pernel bien loin de Cécilia Sarkozy et même de Yasmina Reza en femme de chambre, c'est au jeu des chaises musicales que les plus gros salaires de l'entreprise se vireront eux-mêmes.
Un dandy de fiction
Dans François-Marie, Roberts raconte le talentueux Mr. Banier : leur amitié presque amoureuse, les 400 coups fomentés depuis leurs jeunes années, les hommes et les femmes qui passent, Aragon pas encore mort, le parfum de nostalgie d'un monde d'avant beau comme une photo en noir et blanc, le tabassage médiatique qui a laissé Banier sur le carreau.
C'est qu'il a morflé, François-Marie. Lui qui était le chouchou des poètes, des dames du monde, des princesses et des actrices s'est vu catalogué par un quarteron de journalistes faisant leur bon beurre: gigolo bedonnant, chauve, vieillissant; salope mondaine ; pickpocket des gros portefeuilles d'actions.
Quel avait été le crime de Banier pour être ainsi dégueulassé ? La réponse, parfaite, de Patrick Besson : “Déjeuner tous les jours pendant vingt ans avec une sourde.” De quoi, en effet devenir l'enfant gâté que, gamin, il ne fut pas. Parce que François-Marie Banier a tout pour plaire aux milliardaires en manque d'affection et de style : causeur brillant, léger et profond, doux et violent quand il faut ; séducteur par delà les sexes ; photographe des stars et des ombres de la rue; écrivain précieux, touchant et jamais ridicule – se souvenir de ses romans Les résidences secondaires, Le passé composé ou encore Balthazar, fils de famille.
Paré d'une telle panoplie artistique, Banier est un personnage de fiction, qui envoie valser les vies insupportables, chevauchant une mobylette oldscoule et suspendant la nuit chez Castel ou dans un coquetèle au casting plein d'ennui. Paul Gégauff, dans un Chabrol, aurait pu écrire le rôle de ce dandy hors des normes de la bourgeoisie frileuse et du bon peuple baba. Gégauff mort, Jean-Marc Roberts a collé au plus près de sa tendresse pour le sujet. Ca doit être insupportable pour les jaloux, journalistes ou fifille à leur maman. C'est un enchantement pour les derniers jouisseurs de l'époque, quêteur permanent de la beauté, ce beau souci si obscène.
Jean-Marc Roberts, François-Marie, Gallimard, 2011
Papier paru sur Causeur.fr, juillet 2011
Un dandy de fiction
Dans François-Marie, Roberts raconte le talentueux Mr. Banier : leur amitié presque amoureuse, les 400 coups fomentés depuis leurs jeunes années, les hommes et les femmes qui passent, Aragon pas encore mort, le parfum de nostalgie d'un monde d'avant beau comme une photo en noir et blanc, le tabassage médiatique qui a laissé Banier sur le carreau.
C'est qu'il a morflé, François-Marie. Lui qui était le chouchou des poètes, des dames du monde, des princesses et des actrices s'est vu catalogué par un quarteron de journalistes faisant leur bon beurre: gigolo bedonnant, chauve, vieillissant; salope mondaine ; pickpocket des gros portefeuilles d'actions.
Quel avait été le crime de Banier pour être ainsi dégueulassé ? La réponse, parfaite, de Patrick Besson : “Déjeuner tous les jours pendant vingt ans avec une sourde.” De quoi, en effet devenir l'enfant gâté que, gamin, il ne fut pas. Parce que François-Marie Banier a tout pour plaire aux milliardaires en manque d'affection et de style : causeur brillant, léger et profond, doux et violent quand il faut ; séducteur par delà les sexes ; photographe des stars et des ombres de la rue; écrivain précieux, touchant et jamais ridicule – se souvenir de ses romans Les résidences secondaires, Le passé composé ou encore Balthazar, fils de famille.
Paré d'une telle panoplie artistique, Banier est un personnage de fiction, qui envoie valser les vies insupportables, chevauchant une mobylette oldscoule et suspendant la nuit chez Castel ou dans un coquetèle au casting plein d'ennui. Paul Gégauff, dans un Chabrol, aurait pu écrire le rôle de ce dandy hors des normes de la bourgeoisie frileuse et du bon peuple baba. Gégauff mort, Jean-Marc Roberts a collé au plus près de sa tendresse pour le sujet. Ca doit être insupportable pour les jaloux, journalistes ou fifille à leur maman. C'est un enchantement pour les derniers jouisseurs de l'époque, quêteur permanent de la beauté, ce beau souci si obscène.
Jean-Marc Roberts, François-Marie, Gallimard, 2011
Papier paru sur Causeur.fr, juillet 2011
samedi 25 juin 2011
Jeunes filles tristes, Causeur et brigade légère ...
Nos "Jeunes filles tristes" sont sur Causeur.
C'est ici : http://www.causeur.fr/la-fabrique-des-jeunes-filles-tristes,10391
Comme toujours, plaisir d'être dans l'auberge espagnole d'Elisabeth Lévy, entre François Marchand, David Di Nota, Roland Jaccard, Agnès Wickfield, Ludovic Maubreuil, Marc Cohen, David Desgouilles, Basile de Koch et Jérôme Leroy, ami si précieux et camarade d'exception.
Ca me fait penser à ceux que Jean-Edern Hallier appelait, dans L'Idiot International, sa "brigade légère".
Les mots, à l'assaut et à la caresse ; et le style qui n'en fait qu'à sa fête mélancolique.
Tout ce qui nous plaît et tout ce qu'on retrouve dans la très belle Géométrie du flirt (édition Contrejour) de Claude Nori. Le texte est parfait, "grâce efficace" ; la préface, merveille de légèreté sensuelle et profonde, est signée Frédéric Schiffter. Les photos ? Elles nous entraînent sur le chemin de sable des fugues, de l'été, des Lolitas, des amoureuses, de l'eau à la bouche.
C'est ici : http://www.causeur.fr/la-fabrique-des-jeunes-filles-tristes,10391
Comme toujours, plaisir d'être dans l'auberge espagnole d'Elisabeth Lévy, entre François Marchand, David Di Nota, Roland Jaccard, Agnès Wickfield, Ludovic Maubreuil, Marc Cohen, David Desgouilles, Basile de Koch et Jérôme Leroy, ami si précieux et camarade d'exception.
Ca me fait penser à ceux que Jean-Edern Hallier appelait, dans L'Idiot International, sa "brigade légère".
Les mots, à l'assaut et à la caresse ; et le style qui n'en fait qu'à sa fête mélancolique.
Tout ce qui nous plaît et tout ce qu'on retrouve dans la très belle Géométrie du flirt (édition Contrejour) de Claude Nori. Le texte est parfait, "grâce efficace" ; la préface, merveille de légèreté sensuelle et profonde, est signée Frédéric Schiffter. Les photos ? Elles nous entraînent sur le chemin de sable des fugues, de l'été, des Lolitas, des amoureuses, de l'eau à la bouche.
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jeudi 23 juin 2011
La fabrique des jeunes filles tristes
Tu as presque 8 ans. Déjà, tu te disputes avec tes copines de CE1. L'une dit ne pas aimer son père. Parce qu'il est "Arabe". L'autre veut aller dans une école privée. Parce que "c'est là où vont les meilleurs". Le soir, après avoir fait tes devoirs, il y a des larmes, des histoires d'amoureux, d'amies "volées" par d'autres amies. Le soir, il y a aussi les curiosités des choses de la vie : qui était cette petite Anne Franck, quel est ce livre dont la couverture ressemble à Du soufre au coeur, qu'est-ce qu'un "cancre" ?
Tu as 14 ans. Tu es en 4e dans ce collège où les garçons t'appellent "sale pute". Au début tu les trouvais cons, les garçons. Mais ils parlent comme dans Secret story ou Les anges de la téléréalité. Toi, d'ailleurs, tu t'habilles comme les filles de ces émissions que tu regardes, sur le ouèbe, en rentrant chez toi. Pendant que tes parents s'engueulent dans le salon. Tes devoirs, tu les feras, peut-être, après avoir insulté cette salope de Britney sur fesse bouc. Britney t'a piqué Kevin, parce que tu avais embrassé John dans les toilettes. Dans les couloirs, l'autre jour, entre deux cours, Britney t'a crachée à la gueule. Tu l'a giflée, griffée, cognée à coups de pieds. Elle l'avait méritée. Tes copines étaient d'accord. Une salope, Britney. A la sortie du collège, ce soir, c'est Dylan qui s'approche de toi. Dylan, lui aussi, te dit que tu es une "sale pute". Dylan te dit encore : "Touche plus à ma soeur !". Et Dylan commence à taper, avec ses poings d'apprenti boxeur de 15 ans. Au deuxième coup, tout se brouille dans ta tête, dans ton corps.
Tu as 17 ans. Tu t'ennuies au lycée, où seuls le professeur de lettres et le professeur d'histoire t'intéressent. Le professeur de lettres est connu. Tu sais qu'il a eu, il y a longtemps, le prix Goncourt. Il a une drôle de tête, le professeur de lettres, avec ses cheveux aplatis sur son front et une mèche qui part en quenouille. Toi et tes copines Clémence et Claudine, ils vous appellent "les petites pisseuses". Quand l'été se pointe, il aime bien regarder vos seins, vos jambes nues. L'autre jour, il t'a dit : "Tu as de jolies pommes". Tu as souri : sa voix, toujours, est délicate. Même quand, le jour de la rentrée, il annonce : "L'année va être dure comme ma bite !" Des filles ont répété ça à leurs parents, qui ont voulu porter plainte. Les mêmes filles, pourtant, ne protestent jamais quand les garçons les appellent "sale pute", hurle : "Suce-moi la bite, pétasse !" Pour t'évader, dans ta chambre, tu lis quelques auteurs que le professeur de lettres t'a conseillé : Blondin et Dorothy Parker, Sagan et Dawn Powell, Patrick Besson et Gabriel Matzneff. Ivre du vin perdu, ce beau roman d'amour, tu vas y penser en courant de longues minutes, sous le soleil pâle de la fin de journée. Au rythme léger de ta foulée, tu penses à Pierre aussi. Tu l'aimes, Pierre, et tu lui as écrit une lettre, que tu lui donneras demain, avant les cours. Tu n'as, par contre, pas envie que ce type sorti de nulle part court avec toi. Non, tu ne lui diras pas ton nom. Tu n'as pas de cigarettes sur toi, non plus. Et tu ne veux pas boire un verre chez lui. Tu aurais voulu, surtout, qu'il ne t'oblige pas à t'arrêter, qu'il te lâche le bras, qu'il ne sorte pas ce couteau, qu'il ne te traîne pas dans ce coin perdu du parc, menaçant : "Tu fermes ta gueule, sale pute, ou t'es morte." Tu n'as pas fermé ta gueule.
Tu as 26 ans, une petite fille de 6 ans que tu élèves seule, pas de travail. Le pôle emploi ne te propose rien, hormis te présenter à la permanence du député de ta circonscription, qui est également le maire de la ville. Tu l'as déjà vu à la télé, ce vieux beau aux cheveux gris. Il n'a pas l'air sympathique mais il te reçoit, très vite, à la mairie. Tu es vaguement flattée quand il te dit qu'il te trouve jolie. Il a précisé : "Très sexy". En t'invitant à la soirée d'inauguration d'un salon du livre, il a voulu te rassurer : "Ne vous inquiétez, il y a toujours du travail pour un brin de femme comme vous." Un job, c'est ce que tu veux. Pour toi, pour ta fille, pour payer la bouffe, le loyer de l'appartement. Le député-maire te comprend, il fera quelque chose pour toi, il veut te revoir. Dans son bureau, il te trouve trop stressée. Il faut te détendre, t'allonger sur le fauteuil relax : "Vous connaissez la réflexologie ?" Tu n'en as jamais entendu parler. Tu portes, cet après-midi, un caraco noir, une jupe bleue nuit, des escarpins d'été que tu viens d'acheter sur le ouèbe. Le député-maire te demande d'ôter tes escarpins et d'enfiler des mi-bas couleur chair : "Je ne supporte pas les pieds nus." En commençant à malaxer la plante de tes pieds, il t'annonce qu'une place va se libérer à la mairie et qu'elle sera pour toi. Si tu n'es pas trop angoissée, bien sûr. Les mains du député-maire ne sont pas désagréables. Impression d'une caresse profonde. Tu es surprise, par contre, quand il se met à sucer ton gros orteil. Sa bouche bave beaucoup, ne s'arrêtant que pour demander : "Tu aimes ?" Il te tutoie désormais, tandis que ses doigts filent le long de tes cuisses. Tu devrais bouger, savoir dire stop, le repousser du pied. Tu restes silencieuse. Tu penses au poste promis. A l'excitation dans ses yeux, aussi. Ca fait longtemps que tu n'as pas vu l'excitation que tu provoques chez un homme. Il joue maintenant avec l'étoffe de ta culotte, essaie de s'insérer en toi. Tu resserres les cuisses, murmures un "Non" que tu n'arrives pas à hurler, tu ne sais pas pourquoi. Le député-maire te force à t'ouvrir : "Ne fais pas ta timide, tu es une bonne fille, tu aimes ça." Le job est à toi désormais; tes pieds, tes cuisses, ton sexe sont à lui. Chaque jour, quand il veut, seul ou avec sa "Pompadour" qui regarde, qui participe. Ca te dégoute, mais tu te tais. Tu n'as plus de mots et, bientôt, plus de travail. Tu n'en veux plus, de son job, de sa bave et de ses doigts.
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