Qu’est-ce que la France ? Des paysages, des odeurs et des hommes. A l’heure de la généralisation des non-lieux, amas d’hypermarchés, de parkings, de zones de verre et de béton où s’agitent des silhouettes dévitalisées, il faut célébrer la chair vivante de ce «cher et vieux pays». Dans son Roman de la Bourgogne, François Cérésa nous y invite, non pas à la manière d’un gardien de musée, mais tel un flâneur heureux de s’évader des sentiers balisés : « Si la Bourgogne est romane, la mienne est romanesque. Moderne, je l’aime à l’ancienne, comme la blanquette. Pour moi le Cannois qui vis à Paris, la Bourgogne est ma troisième nature. Ma mère y naquit, elle repose sous les ramures d’un grand arbre, au sud de Paray-le-Monial, bercée par un vent de jasmin et d’anisette.» L’auteur de Moume et de J’ai bien connu mon frère donne d’emblée le ton. Sa Bourgogne sera à l’image de son style : forte en gueule et gouleyante comme un verre de Pommard. Cérésa n’était pas pour rien le compère d’Alphonse Boudard : il partage avec lui l’art de faire crépiter les phrases. Ainsi, entre autres morceaux de joie qui nous font croiser les «ceps mercenaires», le «sermon de Bacchus» ou encore le «Maciste du Charolais», son évocation de la ville de Beaune, capitale du bourgogne : «Beaune a du nez. Mais également de la cuisse, de la fesse. C’est une ville bien balancée, plutôt gironde, assez décolletée, surtout avec son joli parc de grands arbres qui flirte avec la Bouzaise, rivière dormante et souterraine, avec ses fossés, ses deux grosses tours Louis XI à peine soutien-gorgées, son petit arc de triomphe, son écrin de remparts, ses maisons des XVIe-XVIIe siècles, ses rues intemporelles…»
Au détour de chaque page, les lieux défilent avec leurs noms qu’enfant nous découvrions sur de vieilles cartes Michelin, des noms qui réveillent aussi le souvenir de quelques étapes du Tour de France : Ancy-le-Franc, Bussy-Rabutin, Chagny, la Clayette, La Puisaye, Pérouges ou Saint-Julien-de-Jonzy. Des lieux toujours liés aux plaisirs de la bouche, aux saveurs qui, seules, donnent l’envie au flâneur de se poser quelque temps. A la baguette du goût, du ballet savamment orchestré des fumets, des chefs que nous n’oublierons pas : par exemple, sur la route de Marcigny, le Roi sans nom de la terrine de canard et de la poularde au champagne. «Matamore au faciès de Pierrot», il tenait d’une main de fer L’hôtel de l’Europe, un restaurant où les couverts étaient en argent et les grandes serviettes en tissu blanc. Il aimait la bouteille, parlait comme dans un film dialogué par Audiard et martyrisait Raymonde, une simplette. Quand Madame Lacroix, la propriétaire des lieux, est morte, ce «Buffalo Bill des perdreaux» a retourné son arme de chasse contre lui. Une destinée tragique que Cérésa ne peut séparer de celle de Bernard Loiseau.
Le portrait de Loiseau qui ouvre Le Roman de la Bourgogne pose un voile de mélancolie sur les paysages bourguignons que nous découvrirons, comme une brume qui ne veut plus s’en aller : «Il vivait dans le coup de feu, un coup de fusil l’a tué.» Entre colère et profonde tendresse, Cérésa dit tout des joies et des doutes cachés qui hantèrent son ami, l’artiste de la Côte d’or. Il passe rapidement sur ses péchés d’orgueil, assassine les petites plumes qui jalousent les grands d’Espagne et de Bourgogne, se souvient enfin d’un repas arrosé qui réunissait Bernard Loiseau, Alphonse Boudard, José Giovanni et Louis Nucera. Tous disparus, mais tous vivants le temps d’une dernière fugue bourguignonne, l’œil aiguisé au passage des vouivres et à l’évocation d’Emmanuelle Riva, l’âme armée d’une très haute conscience de l’amitié comme l’avaient les mousquetaires de D’Artagnan, Marcel Aymé, Jacques Brel en «Oncle Benjamin» et une pléiade d’anonymes qui, saisis au vif par les mots de Cérésa, ne le sont plus. Tous, au final, trinquent à la grâce de la beauté qui, ils le savent, sauve tout.
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