mardi 8 mai 2012

La politique est un travail de nègre


Un texte qui a plu à François Cérésa, notre camarade de Service littéraire, dont le prochain numéro sort la semaine prochaine ...
Parce que de Gaulle et Mitterrand avaient un brin de plume et “une certaine idée de la France”, parce que Pompidou citait Paul Eluard après le suicide de Gabrielle Russier, chaque histrion politique de droite ou de gauche se veut aujourd’hui écrivain.
Ils sont, paraît-il, quelques-uns à rédiger eux-mêmes leurs textes: Mélenchon, Dupond-Aignant, Bayrou. On le devine facilement pour Mélenchon, dont le verbe a allumé la mèche de la révolte dans Qu’ils s’en aillent tous ! et qui propage l’incendie à la tribune de chacun de ses meetings. On peut l’admettre avec Dupond-Aignant, homme d’idées malheureusement pourvu d’un Bic de plomb. On a très envie, par contre, de conseiller au Bayrou de La France solidaire, qui hésite entre le statut de paysan béarnais et celui d’ancien prof de lettres, de se retirer dans sa ferme et trouver le nègre sachant mettre en forme sa prose bégayante.
Revue d’effectifsQuand il n’est pas présent, le nègre mériterait souvent d’être appelé. Quand il oeuvre dans la très grande vitesse, il est l’oublié de couvertures où paradent des pantins qui, sous les sunlights, affirment volontiers : “J’ai pensé que ...”, “J’ai écrit que ...”, “J’ai voulu dire que ...
Il est vrai que le lyrisme pompier de Villepin est très aisé à pasticher. Il est vrai aussi que même un adolescent neuneu peut imaginer ce qui se passe derrière les lunettes, vertes ou rouges, d’Eva Joly, ce qui évite de fouiller de trop l’extrême dureté de l’ancienne magistrate. Il est vrai, enfin, que Marine Le Pen n’a pas à se perdre en remerciements quant à son Pour que Vive la France : une bibliographie suffit, un disciple anonyme d’Alain Soral ayant compilé pour elle des citations de Bernanos, Michéa, Todd, Montesquieu ou Orwell qui, tous, n’ont jamais désiré servir de prothèse cérébrale à un FN à l’encéphalogramme plat.
Le Président et les écrivains
Le plus drôle, comme toujours, est le Président Sarkozy.
Lecteur historique de Marc Lévy et, très récent, de Sagan, il voulait son livre. Il s’installa à son bureau et griffonna quelques feuilles, qu’il montra à Emmanuelle Mignon, dame patronesse revenue de chez Luc Besson.

_ T’en penses quoi, Emmanuelle ? C’est génial, non ?
_ Dreyer, c’est obligé ? Tu devrais centrer sur le projet, Nicolas.
_ Ca m’emmerde et tu m’emmerdes. T’as qu’à le faire, toi. Moi, j’suis crevé.

Le livre n’a pas vu le jour, remplacé par une Lettre aux Français. Sur le coup, le Président Sarkozy aurait bien fait de s’inspirer de Changer de destin de François Hollande, du soin apporté dans le choix du nègre, Aquilino Morelle, puncheur à la très bonne gauche. Le Président Sarkozy, surtout, aurait dû lire quelques auteurs travaillant au plus près du réel de nos tristes jours. Deux ouvrages et une revue lui auraient donné le goût du style, c’est-à-dire le goût de la France : Il faut qu’il parte de Sébastien Lapaque, réédité en poche avec une préface à la grâce assassine ; La France de Nicolas Sarkozy de François Taillandier où la beauté d’une langue et d’un esprit sauve, un peu, l’immonde ; et Charles, trimestriel dirigé par Arnaud Viviant, qui imagine un gouvernement des écrivains où l’on retrouve, notamment, Frédéric Beigbeder à la Culture, Flore Vasseur à l’Economie et la charmante Bénédicte Martin à la Condition féminine.
L’élection passée, on peut espérer que monsieur Sarkozy, de retour à Neuilly, aura le temps de s’offrir ces plaisirs de lecture.

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