Que reste-t-il des zones pavillonnaires où vivaient, en périphérie de nos villes, des individus chassés du centre des mégapoles occidentales ? Des centres commerciaux à visage inhumain. C’est le point de départ du nouveau roman de J.G. Ballard qui, en fin sismographe des déflagrations de la fin du monde, fait de Métro-Centre - bunker dédié à la consommation que dirige un télévangéliste souriant et angoissant - la figure centrale et monstrueuse de Que notre règne arrive. Un non-lieu attractif comme un piège dans lequel chacun ne peut que se perdre : «Comme tous les grands centres commerciaux, le Métro-Centre étouffait le malaise, désamorçait la menace qu’il représentait lui-même, apaisait les plus méfiants […] En pénétrant dans ces temples gigantesques, nous retrouvions notre jeunesse, tels des enfants en visite chez un nouvel ami. La maison avait quelque chose d’inquiétant, jusqu’à l’apparition d’une mère inconnue, mais souriante, qui mettait à l’aise le visiteur le plus nerveux en lui promettant de petites gâteries pendant son séjour.»
La violence et la haine au rendez-vous
Un univers riche en passions explosives que Richard Pearson, publicitaire au chômage, va rencontrer à Brooklands, dans la banlieue de Londres. Il y arrive pour enquêter sur la mort étrange de son père en plein Métro-Centre. Il découvre surtout, jour après jour, la folie d’un monde où les hommes ressemblent, de plus en plus, à «un troupeau de bêtes sauvages, dans la savane.» Quels que soient ses interlocuteurs - psychiatre, médecin, policier, avocat -, la démence rôde et les apparences vacillent avec toujours, ultime avatar d’un Big Brother tentaculaire, Métro-Centre tel un mur de la peur contre lequel se heurte toute vérité. Au contact de la violence sauvage à l’œuvre dans les rues, à la sortie des stades de sport - une violence nourrie de haine raciste -, Pearson lui-même va en perdre ses repères. Mi-pantin errant mi-manipulateur, il s’englue peu à peu dans ce nouveau monde dont il découvre les règles. La figure de son père, les souvenirs et les images qui lui restaient du vieil homme, tout s’estompe finalement au profit du credo de la «République du Métro-Centre» : «C’est une nouvelle démocratie où on vote dans les rayons, pas aux urnes. Le consumérisme est le meilleur instrument de contrôle de la population qui ait jamais été inventé. De nouveaux fantasmes, de nouveaux rêves et antipathies, de nouvelles âmes à soigner. Je ne sais pas pourquoi on appelle ça courir les magasins. En réalité, il s’agit de la politique la plus pure.»
Chez Ballard, la fin du monde a un goût de cendres et l’éclat froid d’une lame qui se reflète dans la nuit.
in L'Opinion indépendante, le 24/08
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1 commentaire:
yoo. bookmarked :))
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