samedi 25 août 2012

Le feu follet de Guéthary

Cet été, les flâneurs de la Cote basque ont pu lire, dans un supplément du Point, quelques mots buissonniers sur notre ami Frédéric Schiffter - "Il se définit lui-même comme « un philosophe sans qualités ». La sieste, pour lui, est un art majeur. Il préfère le surf et les jeunes filles à Kant. Ses journées, surtout, ne peuvent se concevoir sans un verre dégusté à l’hôtel du Palais, à Biarritz." - et sur Frédéric Beigbeder, écrivain qu'on nous reprochera sans doute d'apprécier. Ce à quoi, comme maître Vergès, nous répondons par un sourire et quelques volutes de fumée.

Frédéric Beigbeder est rarement là où on l’attend. Ecrivain en vogue, il réalise avec succès L’Amour dure trois ans, son premier film. Critique littéraire, il joue au DJ dans les night-clubs de Moscou et au mannequin pour des marques branchées. On l’imagine en terrasse du Flore ou au Montana, lieux à la mode de Saint-Germain-des-prés : il est déjà loin. Un SMS, comme un éclat de rire face à la mer, confirme la fugue : « Cheers from Guéthary ! »
Un été 1972
Beigbeder et Guéthary, c’est avant tout une histoire d’enfance des années 70. Gamin, il passe ses vacances dans cette petite station basque, à quelques kilomètres de Biarritz. Ses grands-parents ont une villa, Patrak Enéa, qui donne sur le sentier Damour. Ses parents s’y sont rencontrés, mariés, avant de se séparer. A Guéthary, Frédéric est un garçon solitaire dans une famille décomposée. Il quête l’Espagne à l’horizon. Ses paysages préférés se trouvent sur la route menant de Sare à Ainhoa. Sur la plage de Cénitz, son grand-père lui apprend l’art du ricochet et de la pêche à la crevette. Au club Mickey, des demoiselles lui refusent de chastes baisers. Même sanction avec les filles du garde-barrière : elles préfèrent regarder Charles, son frère. Frédéric se rattrapera plus tard.
Une fenêtre sur le monde
Longtemps, Beigbeder s’est tenu éloigné de la cote Basque. La tourbillon de sa vie l’amenait ailleurs. Puis il est revenu, a acheté une ancienne fermette, pour se reposer des nuits trop blanches de Paris : « À partir d’un certain âge, il y a des endroits où l’on se sent bien. Ils fonctionnent comme des antidépresseurs. » Accompagné de sa fille Chloé, il suit les traces de son grand-père, sur la plage de Cénitz. La Rhune dans son dos et l’océan devant lui, Frédéric se souvient de l’art de lancer des cailloux qui filent sur les flots. La pêche à la crevette, elle, est interdite depuis 2003. Dans Un roman français (Pris Renaudot 2009) Beigbeder touche, avec légèreté et mélancolie, quand il fait revivre Guéthary et les personnages de l’enfance, quand il restitue l’atmosphère des maisons de famille. Avec L’amour dure trois ans, filmant Gaspard Proust et Louise Bourgoin, il ajoute quelques couleurs au tableau : le vert du jour qui tombe, hors-saison, sur le port.
La dolce vita
Beigbeder, désormais, partage ses semaines entre Paris et Guéthary où, il le dit en riant : « Je mange, je bois et je dors. » Il se déplace en pick-up sans permis, déjeune dans des paillotes – le Blue Cargo à Ilbaritz -, porte des espadrilles comme Françoise Sagan. Des amis écrivains lui rendent visite : Simon Liberati ou Michel Houellebecq qui, ivre, s’endort au pied d’un escalier. Un journaliste, venu faire un reportage sur la Cote basque, titre : « Beigbeder se la coule douce. »  Au bord de sa piscine, sa fiancée en bikini noir à ses côtés, il lit les Contrerimes de Paul-Jean Toulet. A Guéthary, Frédéric est au plus près de Toulet, dandy dilettante à son image, grand vivant de la Belle époque venu mourir ici après une existence de plaisirs. Chaque année, à la Toussaint, Frédéric se recueille sur la tombe de ses grands-parents et sur celle de Toulet, dont le nom est presque effacé. Beigbeder, feu follet aux basques du temps qui passe, fait ainsi œuvre de mémoire vive.

Texte paru dans le supplément d'été du Point "La Côte basque", juillet 2012

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