J’avais à peine 20 ans. Je portais des costumes en lin, un chech’ autour du cou et des Docs martens aux pieds. J’étais un jeune plouc fier en goguette à Brest, ville gris bleue comme une mer blessée.
Je ne faisais rien ou presque : j’avais donc le temps de n’en faire qu’à ma guise. Lire les nouvelles de Bukowski et les romans d’Hallier, par exemple. Et écouter, à Dialogues musique, les CD en libre accès. La zizique, côté français, c’était pour moi une sainte trinité qui tue : Nougaro, Gainsbourg et Christophe. Des histoires de jazz, de java, de Melody Nelson, de petites pisseuses et, toujours, des mots bleus, « des mots qu’on dit avec les yeux ».
Un après-midi, j’aperçois une belle gueule sur une jaquette noire. Une gueule de corbeau majestueux, une gueule de beau gosse des rades enfumés. Je tripote le skeud, le titre me plaît : Boire. Appuyant sur Play, je suis tout de suite dans les cordes : guitare sèche et mots qui déchire lentement l’aurore : « J’vous téléphone encore / ivre mort au matin / car aujourd’hui / c’est la Saint Valentin. » Avec une voix de cigarettes et de cubi rempli d’émotion, un petit gars de Brest chante la sainte bibine, le corps de nuits blanches des femmes qui passent, les bistrots au nom de corsaire, les visages fracassés des aubes grises.
Dix ans plus tard, la même gueule, la même voix, un piano a remplacé la guitare sèche. Le petit gars s’adresse à une demoiselle : « Est-ce que désormais tu me détestes / D'avoir pu un jour quitter Brest /La rade, le port, ce qu'il en reste/ Le vent dans l'avenue Jean Jaurès »
Le petit gars revient sur les lieux de ses crimes, de ses joies. Il revoit la demoiselle de sa vie – une comme il y en a tant. Il prend une dernière fois la demoiselle dans ses bras. Il la serre contre lui. Il lui murmure des paroles douces comme une lame. Il effleure les lèvres, la gorge, la nuque. Il l’écorche pour lui conter les souvenirs fanés, « l’usure des nuages et des caresses ».
Les caresses sont l’autre nom des nuages qui, si souvent, se sont posés sur les épaules de la demoiselle. La demoiselle est blonde. Comme hier, elle aime toujours porter des pulls très courts, des jupes minis comme les dents d’une souris, et de hauts talons incertains. Elle aime la nuit, quand la nuit tombe avec les déhanchements d’automne d’une feuille. Elle écrit parfois des lettres qu’elle oublie de poster. Des lettres où elle dépose ce qui ne peut sortir de sa bouche. La demoiselle n’a pas changé. La demoiselle a encore une peur qui lui troue le ventre, la peur qu’un jour, plus aucun nuage ne se pose sur ses épaules.
Le petit gars s’appelle Miossec. Il laisse derrière lui la demoiselle, nos souvenirs et quelques mots encore, des mots tirés de l’album 1964 : « Est-ce que toi aussi ça te bouleverse / Ces quelques cendres que l'on disperse / Est-ce qu'aujourd'hui au moins quelqu'un te berce ? »
mercredi 14 février 2007
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3 commentaires:
Je suis né en 1964.
Et pourtant, j'ai du mal avec Miossec.
Je pense que votre indulgence est brestoise, en fait. On aime sa jeunesse dans tout ça(juxe box 82, "p'tite nathalie", d'herbert Léonard, et pourtant...)
Moi aussi j'ai du mal avec Miossec, j'avoue. Mais de là à... Herbert Léonard... Alfredo... enfin... Et C.Jérôme dans tout ça ?
C'est ton plus mauvais rôle.
Miossec, c'est évidemment une histoire d'adolescence qui dure. Et sans aucun doute, une ville qui résonne, ainsi que les images qu'elle trimballe : la pluie, l'écume, une certaine couleur du ciel, des bars et encore des bars, des demoiselles blondes, rousses ou brunes fatales. C'est donc, à Recouvrance ou rue de Siam, la rencontre d'une chope de bière et d'un goeland mélancolique. Tout ce que n'ont pas su voir, par exemple, les Inrockuptibles quand ils louent le 'Ti Breizh.
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