mardi 12 avril 2011

Un feu follet nommé Berthet

Dans le mensuel Causeur d'avril (Causeur.fr dit tout ce qu'il faut pour s'abonner et ainsi lire les excellents textes du camarade Leroy, de François Marchand, de Bruno Deniel-Laurent, de Basile de Koch, j'en oublie), je parle des jeunes filles, de la plage, de la mélancolie, de champagne, c'est-à-dire de Frédéric Berthet.

Les bulles sont souvent tristes les nuits de Noël. Le coeur fragile d'un père, par exemple, se débat pour que le tic-tac ne s'arrête pas. Le 24 décembre 1983, c'est le scénariste Paul Gégauff qui s'en va, à couteaux tirés. Vingt ans plus tard, l'écrivain Frédéric Berthet s'écroule dans son appartement de la rue Tournefort, à bout de souffle, d'alcool. L'époque ne goûtant guère la grâce fragile des feux follets, ils ne seront pas nombreux à saluer, d'un tchin plein de larmes, sa mémoire lunaire : Olivier Frébourg, Patrick Besson, Eric Neuhoff. Des amis qui, naturellement, trouvent leur place dans la correspondance de Berthet qu'éditent les éditions de la Table Ronde, aux côtés de Philippe Sollers, Roland Barthes, Jean Echenoz, de quelques demoiselles et de Michel Déon. Michel Déon, pour Berthet, fut ce que Chardonne a été pour Nimier : un aîné qui donne le tempo. A la différence de l'auteur de Claire et Vivre à Madère qui conseillait au hussard dix ans de silence, Déon incite par contre Berthet à aller au bout de ses idées: « Je crois aussi qu'il faut que vous vous preniez par la main et que vous travailliez. Les vieux dictons ont souvent raison : le travail, c'est la santé. Un écrivain (et vous en êtes un) est fait pour écrire. Sans cela, il n'est rien. Ne soyez pas rien. Ce serait vraiment dommage, à la fois pour vous-même et pour ceux qui ont foi en vous. Je sais que ce n'est pas facile mais il y a une formidable ivresse quand on a réussi, quand on est venu à bout d'une page, de plusieurs pages. »
Une certaine fêlure
En 1978, Berthet semblait répondre par avance à Déon, posant les derniers mots de toutes ses esquisses : « Mais si un soir, prenant la plume, vous en venez à écrire une page qui ne s'adresse plus à personne, alors, dans ce vide succédant à l'absence, vous aurez une idée de ce qu'est un roman, même si vous n'en écrivez jamais. » Dans les lettres qu'il poste des campagnes de France, de New York, de Malte ou d'autres contrées, Berthet promet beaucoup. Oui, il passe ses journées à écrire. Oui, il est heureux que le livre soit presque achevé. Oui, il relit l'ultime version de son chef d'oeuvre. Oui, Antoine Gallimard en aura pour son argent. Chacun des titres qu'il annonce donnent envie : L'homme de confiance, Trimb, Traité complet de pêche, suivi de Le tennis moderne en 5 leçons, En marche ou un particulièrement excitant Tour du monde en 80 filles. L'envie, justement : carburant de Berthet, mêlé à la fatigue qui saisit, parfois, les grands vivants. Longtemps, la quête de la blue note a été la plus forte. Puis le goulot d'une bouteille de gin, de vin ou de ouisquie a cogné les mots recueillis dans ses carnets – son Journal de Trêve posthume – , dans ses nouvelles – Simple journée d'été, en 1986 – et dans son unique roman, Daimler s'en va, en 1988.
Un orfèvre de l'émotion
Daimler s'en va, à (re)découvrir aujourd'hui en format poche, raconte la vie, l'ennui, les petits plaisirs et la mort de Raphaël Daimler, dit Raph. Daimler ne va pas à la fiesta qu'organisent son ami Bonneval et sa petite amie Véro. Il envoit à Bonneval une longue lettre, bye bye rieur aux excès et aux éclats de rire. Daimler est un chic type. Il écrit, sous le pseudo de Martin Hawaï, les paroles d' Héroïque - « J'ai perdu mon lipstick / Ca me rend hystérique / J'peux pas rester statique / Va falloir que j'me pique » - qu'on imagine bien sur un Maxi 45 Tours d'Elli et Jacno. Il fume lentement des cigarettes et se souvient de son premier flirt. Il est amoureux des jeunes filles blondes courant dans les blés, ce qui lui permet d'oublier, champagne et psychanalyse aidant, une femme fatale enfuie dans de lointaines îles anglaises. Il envoie des télégrammes qui commencent par « Old sport », s'interroge sur le dandysme aussi. A Bonneval lisant Le chasseur français, il lance des phrases du genre : « Charlie, le dandysme consiste à se placer du point de vue de la femme de ménage qui découvrira le cadavre, au matin. » Daimler n'est donc pas un jeune homme triste. Daimler est juste fatigué, fenêtre ouverte sur l'amer et sur le sentiment de s'exprimer dans une langue étrangère. Daimler, avant le grand saut, se répète en boucle la mélancolique chute finale du recueil Paris-Berry : « Que de fois n'ai-je pas, dans ma vie, entendu l'expression : Mais tu ne te rends pas compte ! Il faut croire que non. Ou alors, pas des mêmes choses, peut-être ? » Daimler, héros aux fulgurances stylées, est le vieux frère de Frédéric Berthet.
Frédéric Berthet, Correspondances 1973 – 2003, La table Ronde, 2011
Frédéric Berthet, Daimler s'en va, « La petite vermillon », La Table Ronde, 2011

vendredi 1 avril 2011

Balnéaire et sexy

Ici et ailleurs, sous peu, nous parlerons du Dernier album des Chanteuses qui fait penser au titre d'un roman de Sagan : un peu de soleil dans l'eau froide. Le dossier de presse, classieux et sexy, annonce : "Du vrai rock balnéaire et sexy, des ballades punk, et un tube d'électro-dance parodique." Dans leurs chansons, signées par un certain Octave Parango, Victoria Olloqui et Priscilla de Laforcade nous parlent de l'été, du Père Noël, d'alcools forts, de starlettes cannoises, d'amour fou et d'amour triste, de gueules de bois, de caresses, des ombres de nuit, de silhouettes en bikini, entre autres. Sea, sex, sun et légèreté : tout pour nous plaire.

"Le jour de la fin du monde, une femme me cache"



Avant de prendre nos quartiers de printemps, le temps d'un long ouiquende, au Flaubert à Trouville, miss K. - la plus belle des apparitions d'été et du monde d'avant, "la plus jolie fouriériste de Paris" dixit le camarade Leroy - me parle de Patrick Grainville, qui fut son professeur de lettres. Un fêlé sympathique, obsédé de la femme, de la peau et du cul malgré une coupe de cheveux improbable. Un ancien Goncourt que je n'ai jamais lu. Il y a ce titre, pourtant : Le jour de la fin du monde, une femme me cache. Je pense aux Derniers jours du monde de Noguez et au film qu'en ont tiré les frères Larrieu. A La minute prescrite pour l'assaut aussi. A Trouville, je chercherai le roman de Grainville que je lirai face à la mer, caché par mes lunettes noires et par miss K.

mardi 22 mars 2011

Sea, sex and blood




Pour oublier les truies et autres Viiip débiles profonds et se donner quelques idées pour en finir avec eux : regarder Piranha 3D d'Alexandre Aja.
La joie, tout d'abord, de revoir Elisabeth Shue si longtemps après Leaving Las Vegas, film crépusculaire où elle interprète une pute magnifique. Elle est devenue un peu trop musclée, Elisabeth, mais elle possède toujours cette sensualité fatiguée dans le visage.
Dans Piranha 3 D, elle joue un shériff qui, lors d'une Spring break party à Victoria Lake, ne parvient pas à sauver bimbos et corniauds bodibuildés d'un massacre orchestré par des piranhas très en colère.
Les filles, plein soleil, sont en bikini. Elles boivent de la tequila, mouillent leur ticheurte. Elles sont étudiantes ou actrices porno. Elles ont cette beauté, très légère, qu'ont parfois les ravissantes idiotes. Elles finiront, évidemment, en charpie : sea, sex and blood à l'envie.
Aja se moque, s'amuse, se fait plaisir comme dans Haute tension en 2003.
Cécile de France a-t-elle déjà été plus sexy que dans Haute tension, en psychopathe au caraco blanc ensanglanté ?
Ici, au milieu des piranhas voyeurs, la brune Kelly Brooke et la blonde Riley Steele dansent nues sous les flots. Elles s'effleurent, se caressent les seins, s'embrassent. Avant l'hémoglobine, la grâce inutile, c'est-à-dire essentielle, d'un ballet érotique et aquatique. Touché, coulé.

dimanche 20 mars 2011

Et si BHL demandait à Nico le petit des frappes aériennes ciblées sur un certain Carré Viiip ?



_ J'suis Viiiip moi. Et elle, elle est Wanna Viiip ...
_ Pardon ?

_ Je suis Kevin Beverly Cindy de FX, queen des peoples de la night. J'suis Viiip quoi, j'suis The best, j'suis une star quoi ...

_ Une star ?

_ Ouais man. J'suis Viiip, je déchire tout, j'ai fait Mon cul story et Tu veux pas niquer ma reum ?, j'suis le plus drôle, le plus beau, je rentre dans toutes les boîtes, je me tape toutes les meufs, j'suis top cool, je sais pas faire un café ni faire marcher la machine à vaisselle, j'suis macho man et girl power à la fois, j'suis la star des Viiip tu vois ...

_ Une star comme BB dans Le Mépris, comme Claudia Cardinale chez Visconti, comme Catherine Spaak, comme Sagan dans ses mots et dans sa vie ?

_ De qui tu m'parles, t'es fou ? Y sont pas Viiip ... J'les nique tous. J'les emmerde. J'suis Kevin Beverly Cindy de FX. Ils ont fait quoi eux ?

_ Ils ont mis "un peu de soleil dans l'eau froide".

_ Des nuls, des ringards. Y sont pas célèbres. Y sont pas Viiip. Y zont ka voter pour moi. The best de tous les Viiip. The star. Même Michael Vendetta le dit ...

_ Tout est dit alors. Gare, toutefois, aux piranhas, aux frappes aériennes ciblées sur la Plaine-Saint-Denis ou à Kadhafi qui, avec sa garde prétorienne, s'amuserait beaucoup en exil dans le Carré Viiip ...

Soral, Ardisson et "Petits acacias"



Sur Causeur , je frustre avec joie les pro et les anti Alain Soral.
Les pro veulent qu'on leur explique pourquoi leur maître est un génie ; les anti ne supportent pas la simple évocation de l'essayiste et de son amie Marine.
Il aurait fallu, en outre, parler du "fond" de Comprendre l'Empire et le faire, à la manière lourdingue et ennuyeuse d'un Fine quelle crotte ou de Soral lui-même.
Le "fond", je suis tombé dedans et j'ai tiré à vue sur la forme du petit livre noir d'un Soral grande gueule et très mauvais à l'écrit.
C'est à lire ici : http://www.causeur.fr/comprendre-soral,9226
Happé, toujours, par le "plaisir aristocratique de déplaire", je salue comme il se doit, dans les pages de Service littéraire de François Cérésa, la mort du présentateur télé Thierry Ardisson.
Son Dictionnaire des provocateurs, écrit par le sinistre Joseph Vebret, aura été son avis de décès.
Dans Service littéraire, journal d'écrivains comme l'étaient Arts, La Parisienne ou L'Idiot international, les mots sont à la fête et signés : Roland Jaccard, Frédéric Schiffter, Eric Neuhoff, Christian Millau, Christian Authier, François Bott, Frédéric Vitoux, Jacques Aboucaya, Anthony Palou, Philippe Lacoche.
Du beau, du bon, du dispersé "façon puzzle", du classieux.
Pour lire sur le ouèbe, pour s'abonner, pour tout savoir, c'est ici : http://www.servicelitteraire.fr/
Loin de Soral, d'Ardisson et tutti merdi, il sera bientôt question, sur ce blogue et ailleurs, de Frédéric Berthet, du Come baby de Patrick besson, de Tout Paris de Bertrand de Saint-Vincent. La langue française telle que nous sommes quelques-uns, encore, à l'aimer. Le style à l'assaut, à la caresse. Le style à l'oeuvre en pleine fin du monde, fronts japonais, libyen ou stupidement "Viiip". Le style qui, par exemple, à la suite de la soirée d'inauguration du salon du livre, a allumé la mèche de la nuit.
Il y avait - au Jeu de Quilles, rue Boulard, Paris XIVe - les camarades Leroy et Serafini, ma belle amoureuse et une exquise Chinoise à Paris. Benoît Reix, chef hautement talentueux, cuisina Carpaccio de veau sous la mère au parmesan et agneau de chez Desnoyer. Guillaume servit Arbois pupillin de Pierre Overnoy, Cheverny Villemade, cuvée "Les petits acacias" et quelques autres bouteilles, merveilles naturelles qui font tourner les tables.
Jusqu'au petit matin, dans l'ivresse légère et la fumée : amour fou et socialisme utopique, mélancolie et Mélenchon, dolce vita et cul de Marine, lunettes noires et Paul Gégauff, Flirts en hiver et monde d'avant, ouiquendes plein soleil et vulgarité des tristes temps où nous vivons, Jean-Pierre Enard et DSK, fulgurances des moralistes français et poésie de la peau des jeunes femmes, La Haine et feux follets ...
La beauté, définitivement, beau soucis et antidote.

mardi 1 mars 2011

Vienne #3 - Bel-ami

Pour boire de nombreux derniers verres, après avoir dîné dans Vienne au calme très suisse, nous nous installons dans les fauteuils Voltaire du Bel-ami.
Les bars d'hôtel où K. et moi aimons ouvrir la nuit ont souvent des noms d'inspiration normande : Le Bel-ami au Radison Blue Palais, le Bovary au Flaubert, à Trouville.
Dans ces lieux de cuir et de bois, le temps se suspend à nos lèvres.
Au Bel-ami, une serveuse à jupe droite et aux talons sévères nous amène Margarita, vodka tonic, martini gin et un cendrier. Ici, la fumée n'est pas persona non grata.

_ Tu la trouves jolie ?
_ Je ne sais pas.

L'heure est à l'ivresse légère, aux caresses le long d'une cuisse, aux tables qui tournent.

_ J'ai envie de regarder Match point avec toi.
_ Je suis sûre que tu étais amoureux de Scarlett. C'est tout à fait ton genre de fille.
_ J'étais amoureux de Scarlett et de Emily Mortimer. Il en faut pas oublier Emily Mortimer. Jeune bourgeoise brune et lasse au visage de souris mutine.

Un pianiste costumé joue La mer de Trenet, Sway de Dean Martin. Il est Italien comme le héros de Smoking à la mer de Louis-Henri de La Rochefoucauld. De vieilles clientes s'acoudent à son Steinway, lui font de l'oeil. Lui préfère sourire à K.
_ Sinatra ?
_ Fly me to the moon !
Minuit passé, dernier verre, chambre 122, eau brûlante sur la peau, eau à la bouche, frissons au bout des doigts, amour, tout est beau

vendredi 25 février 2011

Vienne #2 - Le fantôme d'Altenberg

Le Baedeker pour flâner dans la ville de Freud et du Troisième homme, c'est Retour à Vienne de Roland Jaccard - illustré par Romain Slocombe.
Dans un carnet, je note quelques phrases :
"Une nouvelle aristocratie prenait le pouvoir : celle des jolies jambes, des silhouettes élancées."
"Auriez-vous l'obligeance de m'indiquer le chemin de l'enfer ?"
"Nous ne cessons de nous jouer nous-même."
A Vienne, cette impression retrouvée d'être un espion heureux et fatigué dans une ville post-guerre.
A mon bras : la plus belle des apparitions.
Les si jolies jambes, la silhouette élancée, c'est elle.
Sensualité au coeur de l'hiver, des bonnets de laine, des nostalgiques du "talentueux Adolf" :
"Les Autrichiens ont réussi à faire croire au monde entier que Mozart était autrichien et que Hitler était allemand."
Au Café Griensteidl, Karl Kraus s'emporte contre le manque d'élégance de quelques ectoplasmes des deux sexes. Thomas Bernhard en rajoute. Frantz Wittels cherche une jeune fille qui ne viendra pas. Louise Brooks passe. Mélanie Klein, Alma Malher et Irma K. aussi.
Dans les librairies, le visage sublimement triste de Natascha Kampusch.
Une question, alors que les visages de Beigbeder - Un roman français - et de Houellebecq - Interventions II - se détachent des piles : que fais, à cette heure de l'après-midi, Natascha ?Au dos du livre de Beigbeder, une citation d'un certain Jean-Marc Parisisi : éclat de rire en imaginant la tête de Jean-Marc confondu en plus, pour le coup, avec Yann Moix.
Sur Herrengasse, au numéro 14, Peter Altenberg s'est fait porter pâle. Cette queue devant le Café Central est, il est vrai, effrayante.
De retour au Radison Blue Palais, c'est avec le fantôme d'Altenberg que nous fumerons une cigarette, volutes légères effleurant la peau nue.

Frédéric Berthet dixit

"Charlie, le dandysme consiste à se placer du point de vue de la femme de ménage qui découvrira le cadavre, au matin."