Dans une soirée où le mousseux tiède était à portée de tous, un connardeau - journaliste de son état - ricanait, se gaussait et braillait :
_ Thierry ? Ce n’est qu’un poivrot, un pauvre alcoolo ! Il est bourré dès 8 heures du matin. Il est fini …
J’ai imposé le silence au connardeau. Thierry est un ami, un vrai dandy des rues parisiennes, et Thierry n’est en rien « fini ». La preuve ? Ces dernières années, Thierry nous a parlé, dans ses livres, de son frère chanteur, des joies et des larmes de Venise en décembre, de Richard Brautigan ou encore des Lolitas de l’île du Levant.
Thierry aime les jolies demoiselles, les mots de Drieu la Rochelle et chante Brassens comme personne. Thierry est-il alcoolique ? Selon les jours : un peu, beaucoup, à sa folie. Thierry est moins alcoolique que ne l’était Blondin, et plus que je ne le suis. Une sorte de juste milieu pour les racés voyous dans son genre.
Quand l’alcool – le Ricard, le mauvais vin, le ouisquie trop sec – prend trop de place, Thierry en profite pour prendre la fuite. Il part alors se reposer dans une clinique où il est le petit prince d’une ribambelle de douces tarées et de costauds aux nerfs fragiles. Dans la clinique du docteur Dieu, Thierry est tranquille. Personne ne lui cherche des noises. Ni le fisc, ni les moches fiancées, pas plus les chanteurs oublieux. Au vert dans sa chambre blanche, Thierry refait du muscle, perd quelques kilos, écoute Ferré et Dylan. Et puis il écrit les dernières nouvelles d’un recueil magnifique ou les premiers mots d’un roman qui nous emmènera sur les côtes normandes. Un roman qui portera peut-être le beau titre de Bohémiens.
Le recueil de nouvelles me rappellera Paris-Montréal Express. Une merveille à lire et relire. D’ailleurs, il ne s’agit pas de nouvelles. Ce sont des cartes postales envoyées des quatre coins d’un monde drôle et détraqué. Dès les premières lignes, Thierry nous invite au déraillement des sens : « Je vous écris du Paris-Montréal express (…) A bord de ce train, on trouve toutes sortes de gens : des jeunes filles et des écrivains, des fantômes bien vivants et des vivants inexistants. » En train, à pieds ou en tapis volant, Thierry se ballade. D’une ville de France à New York, d’un salon du livre à un asile de fous, d’une nuit avec Carla Bruni au petit matin dans les bras de Carabosse. Il nous raconte, avec ses mots de poète et de pamphlétaire, ses amours, ses amis, ses colères. Et son spleen dans l’ultime carte postée de Caen. Alors qu’il se recueille sur la tombe de son frère, tué par une bombe américaine le 7 juin 1944, Thierry s’adresse aux nuages. Il tonne contre les miroirs cotonneux d’en haut : « Mon frère, mon frère, pourquoi m’as-tu abandonné ? J’aurais volontiers pris ta place, pour qu’on m’oublie. Au moins, c’était une place. Moi, je n’ai jamais su trouver ma place. Je n’aurai jamais ma place. Je ne suis pas d’ici, je n’ai pas de frères humains. Des sœurs, peut-être. »
Pas de place ici-bas ? Tant pis pour nous. Thierry Séchan a sa place réservée au zinc des stylistes de haute lignée.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
9 commentaires:
C'est fou : les Séchan ont tous la même tête. Oui, je sais, on s'en tape mais ça fait un petit choc chaque fois qu'on en croise un (ou une).
A chaque fois qu'on prend un verre avec Séchan écrivain, toujours quelqu'un pour lui dire que Morgane de toi il adore et qu'un autographe etc... Marrant une fois, deux fois. Au bout de 25 ans ça use son homme.
Moi c'est la soeur instit que je connais et la nièce comédienne, surtout : même bobine. Cela dit au moins, elles, on ne leur demande pas d'autographe.
J'ai vu la nièce. Brin de jolie fille - si on veut - qui ne lit pas si mal ou pas trop bien...
Tu as vu jouer Aliénor ?
Lire à une lecture Séchanesque
I see. Je l'ai vue jouer plusieurs fois, bonne comédienne qu'on voit progresser. Plaisir d'observer l'évolution. Une vieille copine de ma soeur au départ. Une première prestation dans une pièce du lycée, puis, la dernière fois, excellente dans les Quatre Jumelles, de Copi. Passé le Nouvel an chez elle. Souvenir hautement séchanesque de la soirée organisée pour son bac, chez sa mère.
C'est un très très bel écrit sur Thierry. Ce texte raconte bien l'homme.
J'aime beaucoup vos braconnages, je suis tombée dessus par hasard.
On a dû se croiser déjà aux lectures de Thierry.
J'y ai bien sûr aussi entendu lire plus d'une fois Aliénor.
Nataly
et merci Arnaud de m'avoir fais découvrir ce petit mais non moins merveilleux et boulversant ouvrage de Thierry "La peine de Mort"
Lisa/lise dest
Enregistrer un commentaire