mardi 22 février 2011

Vienne # 1 - Le salut de Mel Ramos

A Vienne, le temps d'un long ouiquende offert par ma douce, au plus près d'elle, j'ai croisé Mel Ramos.
C'était dans une galerie du palais Albertina, sur Albertinaplatz.
Il m'a demandé quand j'étais né.

_ 1976

Mel a souri.

_ La fin du monde d'avant ... C'est l'année de ma série You get more salami with Modigliani.

Il n'y avait, dans la galerie, que Mel, ma douce et moi.
Le reste du monde préférait s'entasser dans la salle abritant quelques Liechtenstein. Pourquoi pas, mais plus tard.
Mel ne quittait pas des yeux ma douce.
Sur son carnet, il a esquissé ses boucles brunes, son visage si beau et mélancolique de flâneuse viennoise, la grâce de son cou, ses seins imaginés, son cul né pour l'amour le matin, l'après-midi, autour de minuit, ses jambes d'afolleuse de tous les compas.

_ Ce sera ma dernière drawing lesson.

Avant de fuguer, il nous a présenté ses petites amoureuses de toujours.
Monterey Jackie
Lucky Lulu Blonde
Della Monty
Lolita
AC Annie
et miss Tobacco Red Vantage.
Il a embrassé ma douce, lui offrant son esquisse d'elle, m'a serré la main.

_ Il faut continuer, camarade. La dolce vita, l'amour fou, les petits luxes, le sexe, le plaisir, la peau à la caresse, les lèvres effleurées, la quête du soleil et des terrasses, les volutes de fumée, les bars d'hôtel, la clandestinité aux yeux de l'immonde. Et salue pour moi, au nom de l'Internationale communiste, balnéaire et sexy, les camarades Leroy, Schiffter et Jaccard.

Ramos enfui, Liechtenstein attendra le lendemain. Les envies nous appellent du côté du Radison Blue Palais, chambre 122.

samedi 12 février 2011

Bernard Frank dixit

Entre quatorze et vingt ans, je me suis bricolé une existence avec des mots. L'enfance est un piège. S'il n'y avait pas l'enfance, personne n'accepterait de vivre. De mener une vie de con qu'est cette vie d'homme. Ce qu'on appelle les troubles de l'adolescence, c'est pourtant simple. Il y a de quoi être troublé quand on s'aperçoit qu'on va passer sa vie à travailler avec, pour seul salaire, la mort au bout.

mercredi 9 février 2011

Tu ressembles aux vacances


Dans Slogan, film de 1969, Gainsbourg dit à Jane Birkin, érotique comme elle l'est dans Blow up, dans La piscine :

_ Tu ressembles aux vacances.

Des mots signés Pierre Grimblat, réalisateur, scénariste, créateur de Navarro et autres merderies faciles siglées TF1, mais aussi à l'origine des fictions Série noire dans les années 80, vieil homme indigne couvert de femmes, ami de Jacques Laurent et de Jean-Patrick Manchette, jeune romancier de 88 ans qui, fin 2010, a publié un premier roman - Me faire ça à moi ! - drôlatiquement raté, léger, snob, délicieux, piquant, paresseux, dandy à mort.

mardi 8 février 2011

L'art érotique du plaisir à l'heure où la pleine lune a du plomb dans l'aile


A l'arrière d'un bus scolaire, le surveillant d'un établissement de Meaux boit du mauvais champagne. Entouré de quelques lycéennes grisées par l'alcool, il se prend pour un foutboleur français ou pour Patrick Balkany :

_ Eh les meufs ! On joue à Action ou vérité ?

Une jeune fille, répondant mal à une question, se voit indiquer son gage par le surveillant :

_ Tu me tailles une pipe !

A l'arrière du bus, la jeune fille s'exécute devant ses amies.
Quelques corniauds, le DRH crétin de l'Education national Luc Chatel en tête, diront que le surveillant est un salaud profiteur et que la jeune fille est une dévergondée. Les parents d'élèves joueront leur rôle de parents d'élèves et n'auront pas à demander l'aide d'une cellule psychologique déjà en place. Le proviseur aura peur pour son poste. Les flics rigoleront grassement avec le surveillant. La jeune fille souffrira, longtemps, des regards posés sur elle.
On en est là ?
Tristement, oui.
A l'arrière du bus, l'érotisme classieux s'est pris une balle pleine tête. La séduction et la sensualité aussi.
A l'arrière du bus, la réalité ressemblait à une vidéo crade amateur du ouèbe, un truc "Gonzo porno" loin du style tonitruant de Hunter Thompson, titrée genre : "Saoule elle se fait sodomiser" ou "Pétasse ivre suçant une bite".
A l'arrière du bus, un mec s'est vu comme le hardeur des cours de récré et une jeune fille a cru ce qu'on lui répète, de plus en plus, partout : la jeune fille désirable est une pute comme une autre qui, si elle n'est pas d'accord, n'est bonne qu'à rester chez elle ou à cacher ses seins qu'on ne saurait voir.
A l'arrière du bus, le désir n'était plus que le reliquat de la loi de l'offre et de la demande, loi qui n'est plus celle du plus fort uniquement, mais surtout celle du plus dégueulasse.
Il existe mille lieux pour offrir du plaisir à une jeune fille, pour en recevoir, pour goûter tout de sa grâce.
Lire Roger Vailland. Lire Roland Jaccard. Lire Gabriel Matzneff. Lire José Pierre. Tant d'autres encore que Luc Chatel ne connaîtra jamais, lui qui, à chacun de ses mots, enterre un peu plus toute éducation - artistique, philosophique, sentimentale, sexuelle.
Lire et voir, revoir, plutôt que les vidéos crades du ouèbe, les films de Rohmer, obsédé élégant.
Pauline à la plage. Ou Les nuits de la pleine lune, avec cette exquise et éternelle jeune fille qu'était Pascale Ogier.
"Les nuits de la pleine lune", c'est autre chose que "les nuits à l'arrière du bus".
Chez Rohmer, la langue n'est pas qu'une histoire de pipe. La langue française caresse, légère et profonde. La langue trace les frissons de la séduction. La langue française met l'eau à la bouche du désir. La langue incite alors aux débauches les plus belles, mots et peaux mêlés.
Message à Luc Chatel :
Laissez tomber la suppression des allocations familiales, l'apprentissage de l'anglais dès 3 ans, le renforcement des maths et des sciences, les coupes brutales dans les effectifs : imposez, dans chaque collège, dans chaque lycée, des heures afin que les surveillants et les jeunes filles puissent découvrir les films de celui que Gégauff appelait "le grand Momo".

mercredi 2 février 2011

Claude François présente ...



Cloclo, le chanteur de l'amour qui s'en va et qui revient, était un obsédé.
Des jeunes filles.
De la peau à l'assaut des sens, à la caresse.
Les tenues très kitsch et minimalistes des Claudettes ont d'ailleurs oeuvré comme il fallait pour parfaire l'éducation sentimentale et sexuelle des jeunes gens dans la France de Giscard. C'était autre chose, quand même, que les explications bégayantes de la bonne femme qui enseignait la biologie et ça se mariait à merveille avec la lecture de Flaubert et de Lui.
Les jeunes filles, toujours les jeunes filles, les héroïnes, c'était le lundi au soleil de Cloclo - chanson à la légèreté si délicate, signée Patrick Juvet.

Au milieu des années 70, lassé des yéyés, de Salut les copains, de Podium, Cloclo s'offre Absolu.
Sous-titré : Le magazine français de la sexualité.
Dans le numéro 1, Jacques Laurent lâche quelques mots.
Les lèvres, rougies de désir, inspirent.
Les culs, où se perdre, aussi.
Et BB.
BB : les initiales de la grâce.

lundi 31 janvier 2011

Pourquoi Gégauff ?


Parce que le souvenir jubilatoire et monstrueux, gamin, de Docteur Popaul puis, plus tard, de Plein soleil, Que la bête meure, Les biches, Les bonnes femmes, Une partie de plaisir, More, La vallée.

Parce que la nuit de l'apparition de ma belle amoureuse, je l'ai saoûlée, à L'ami Pierre rue de la main d'or Paris XIe, de vin blanc, de caresses et de Paul Gégauff.

Parce qu'il me fait penser, sans trop savoir pourquoi, à mon oncle Pierre, amant triste des femmes, passionné de Bukowski, pendu un jour d'octobre 1995.

Parce que Chabrol a si mal parlé de lui et Rohmer si bien dans le numéro spécial des Cahiers du Cinéma consacré à la mort de François Truffaut.

Parce que le cinéma français avait une autre classe quand les écrivains s'en mêlaient : Gégauff, Audiard, Pascal Jardin, Claude Néron, Nimier, Sagan, Roger Vailland, Daniel Boulanger, Alain Page.

Parce que Gégauff, c'est aussi Maurice Ronet et Roger Vadim.

Parce que j'aime beaucoup déjeuner, au 28 rue franklin Roosevelt, avec son fils Pierre et l'écouter me raconter la vie de son père.

Parce que Coco Ducados est une femme touchante.

Parce que, dans les années 50, il a attaqué à la hussarde les éditions de Minuit en publiant chez eux quatre petits bijoux de profondeur et de légèreté, de style et de cynisme : Les mauvais plaisants, Le toit des autres, Rébus, Une partie de plaisir. Un peu d'eau de vie dans le sirop du "Nouveau roman".

Parce que Le toit des autres est un chef d'oeuvre au dos duquel on peut lire : "Paul Gégauff est né à Blotsheim, en 1923. C'est un écrivain : il veut seulement divertir."

Parce que la réédition de Tous mes amis aux éditions Alphée, collection Les Inclassables, n'a pas réellement été un échec, que les lectures de Jérôme Leroy, Christian Authier, François Cérésa, Agnès Léglise, Philippe Lacoche et Jean-Marc Parisis ont été de sacrés moments de plaisir.

Parce que les poèmes inédits de Gégauff sont, pour certains, des merveilles de mélancolique douceur des choses. Too late, pas loin.

Parce que, jusqu'à 33 ans, Gégauff n'a rien fait. C'est lui qui le dit. Ne rien faire : un art de vivre. La paresse dandy, forme ultime de la dolce vita et l'argent, nerf pourri de cette guerre là. Echo de Bernard Frank : “ Entre quatorze et vingt ans, je me suis bricolé une existence avec des mots. L'enfance est un piège. S'il n'y avait pas l'enfance, personne n'accepterait de vivre. De mener une vie de con qu'est cette vie d'homme. Ce qu'on appelle les troubles de l'adolescence, c'est pourtant simple. Il y a de quoi être troublé quand on s'aperçoit qu'on va passer sa vie à travailler avec, pour seul salaire, la mort au bout."

Parce que ses interviouves sont un festival de fulgurances où il crache avec une méchanceté drôle et détachée dans la soupe de la Nouvelle vague, lui donnant ainsi le goût le plus sûr.
Parce que Bernadette Laffont disait de lui qu'il était "Le Brian Jones de la Nouvelle vague".
Parce que, discutant avec Jean Eustache, il a donné cette définition du cinéma : "Le cinéma doit être le glacial reflet de la vie. Il faut montrer les choses dans tout leur ennui, dans toute leur froideur. Ou alors, on fait autre chose."
Parce que sa vie, son oeuvre sont le roman, très noir et flamboyant d'incendies, d'un monde d'avant qui crève, lentement, en beauté.

mercredi 26 janvier 2011

Il s'appelait Ardisson ...

Dans Le Grand Journal de Michel Denisot, il y a quelques semaines, Thierry Ardisson tirait quelques lattes d'un faux pétard devant un public riant aux éclats. Les puissants du jour peuvent trembler. FMI, DSK, G20 et UE vont devoir organiser la riposte. Pour Ardisson, la provocation, c'est ce gant jeté à la gueule des tristes jours où nous vivons : le chichon en access praïme taïme.
La provocation, il est vrai, n'existe que sur petit écran et la plupart du temps sur Canal +, qu'Ardisson salue en employé fayot dans son Dictionnaire des provocateurs, 572 pages écrites par deux nègres et vendues par son altesse en personne sur les plateaux TV : « Alors, Canal +, pépinière de provocateurs ? Assurément. La liberté de ton et de forme laissée aux humoristes, commentateurs et autres chroniqueurs, le positionnement de la chaîne durant ses émissions en clair, l'esprit quelque peu rebelle qui anime les différents plateaux, l'humour caustique, ravageur, récurrent, irrespectueux des Guignols qui sévissent depuis plus de vingt ans concourrent à créer un label Canal +, une école, une philosophie. »
Entre comiques et maquerelles
En quelques lignes, tout est dit de ce pavé où les mots et les silhouettes enfumées - Gainsbourg, Bukowski, Hallier, Dutronc par exemple - ne sont jamais à la fête. De A comme Abbé Pierre à Z comme Zorro, ce n'est qu'un amas de notices biographiques à peine retouchées du ouèbe qui nous apprend que les seuls hommes ayant brillamment défié le réel sont : Stéphane Guillon, Laurent Baffie, Patrick Timsit ou Alain Chabat. Du côté des femmes, parité de partouzard ringardisé oblige : Christine Angot, Catherine Millet, Virginie Despentes. Sans omettre Paris Hilton, rebaptisée par l'ancien pubard expert du pitch : « la pouffe du paf ». Chez Ardisson, c'est « Comiques ta mère » en journée et, le soir, des patins dégueulasses roulées aux maquerelles insignifiantes du sexe triste et froid.
Pour approcher le désastre de plus près, il faut imaginer les séances de préparation du dictionnaire.
Généalogie d'un vautrage
_ Joseph, Cyril, il faut bosser vite. J'ai pris un gros chèques de Plon il y a 5 ans pour un « Dico de la provoc' » et ils m'emmerdent pour que je rende le boulot. J'écris plus de bouquins depuis que je me suis fait piquer en plein pompage pour Pondichery. J'ai pas le temps, en plus : j'écris pour le cinéma. Et pour le Dico, Kader Aoun me demande trop de flouze. J'ai besoin de vous, les gars.

_ Qu'est-ce qu'un provocateur, pour toi, Thierry ?

_ C'est un mec qui demande à un ancien premier ministre : « Est-ce que sucer, c'est tromper ? » C'est un mec qui fait pleurer cette salope de Milla Jovovich en lui parlant de son père en taule. C'est un mec qui a même pas peur de se fâcher avec Guy Bedos avant de se réconcilier avec lui. C'est une certaine idée de la classe. C'est moi, tu comprends ...

_ Sérieusement Thierry : tu vois qui dans ton dictionnaire ?

_ Regardez qui j'invite dans mes émissions, qui passent au zapping. Regardez mon best of DVD édité par l'INA.

_ Pasolini, on le met ?

_ Extra, un PD ! Je n'ai pas de fiches sur lui mais tu trouveras sur wikipedia. Balancez du PD et de la gouine. Ca accroche et ça choque, les follasses.

_ OK, Thierry. Guy Hocquenghem ?

_ Connais pas. Allez voir du côté du stand-up aussi, de Gad Elmaleh...

_ Tu trouves que c'est un provocateur, Gad ?

_ On s'en fout. Les gens l'aiment bien. Il fait rire.

_ Debord ?

_ Ouais, Debord. Les nains rock vont adorer. Debord, entre Coluche et Doc et Difool, c'est ça l'esprit.

_ Muray ?

_ Pas touche à Muray ! Il est à Lucchini.

_ Il y a Léon Bloy et Léon Daudet aussi. Ils cognaient fort sur leur époque.

_ Des antisémites, parfait ! Il ne faut pas louper Dieudonné non plus. Et Soral. Et Jésus ! Putain, je suis le meilleur sur les idées. Jésus antisémite ! Je vais le citer, Jésus, dans ma préface : «C'est l'ambition de ce dictionnaire qui permet de faire se rencontrer Jésus et Joeystarr ! » Ca déchire, non ?

_ On a compris, Thierry. Dans trois semaines, tu as tes pages.

Avis de décès
Ardisson, honteux malgré lui, n'est finalement qu'un présentateur télé, un Nikos Aliagas comme un autre. A la fin des années 70, il se rêvait pourtant Drieu la Rochelle ou Paul Morand, dandy couvert de femmes en Peugeot décapotable. C'était plutôt bien d'ailleurs les textes qu'il publiait alors : Cinemoi, La Bilbe et Rive droite, roman qui donna son nom à une revue où l'on aimait Antoine Blondin et, plus tard, à une émission dans laquelle le style était souvent à l'honneur. Dans Lunettes noires pour nuits blanches, Ardisson prenait du plaisir à donner la parole à de jeunes écrivains dont les premiers livres portaient de beaux titres comme L'Orange de Malte, L'os de Dionysos ou Feu mon histoire d'amour. Puis Ardisson a décroché. Devenir Christian Laborde ou Alain Bonnand, quêter au fond de la mine les mots les plus beaux, non merci. Mieux valait faire rédiger par d'autres ses Confessions d'un baby-boomer et un dictionnaire inutile, moche et vulgaire, entre concours de blagues Debbouziennes et dîner de cons. Une vraie provocation, pour le coup : l'avis de décès de l'homme en noir, signé de sa propre main.

Thierry Ardisson, Joseph Vebret, Cyril Drouhet, Dictionnaire des provocateurs, Plon

mardi 11 janvier 2011

La plage en hiver


Les quelques jours d'avant le licenciement final, il est bon de flâner de Paul Gégauff à Bernard Frank et Françoise Sagan, de se souvenir d'un déjeuner au 28, rue Frankin Roosevelt, avec Thierry Marignac, de tomber sur youtoube sur quelques scènes de Pauline à la plage - Arielle et Amanda Langlet -, de se dire que Rohmer manque, d'avoir très envie d'embrasser les seins délicieux de ma douce, de laisser infuser le temps en lisant quelques lignes de Modiano illustrées par Pierre le Tan - Memory lane -, d'ouvrir Rester normal à Saint-Tropez et Linda aime l'art pour ne pas oublier que Philippe Bertrand dessinait les plus jolis culs du monde, de trouver que, décidément, même en janvier, l'été tarde.
Les quelques jours d'avant le licenciement final ressemblent à une plage en hiver avec sa bande-son légère comme une caresse sexy, comme un baiser salé sur la peau. Avec Je secoue la tête, "Les chanteuses" nous enchantent. Elles s'appellent Priscilla et Victoria et Frédéric Beigbeder, qui a griffonné à la oldscoule les paroles du titre, les aiment beaucoup en bikini.
Les quelques jours d'avant le licenciement, Gégauff, Frank, Sagan, Marignac, les seins de ma douce, Amanda Langlet, Rohmer, Modiano, Le Tan, les culs selon Bertrand, "Les chanteuses", les bikini : une certaine idée de la France.

Elle s'appelait Audrey

Parce que Frédéric Beigbeder, dans une vieille chronique que je relis, évoquait la silhouette sans vie d'Audrey à propos de la Nostalgie de l'ange d'Alice Sebold et parce que la fin, d'une beauté et d'une tristesse infinie, des Bonnes femmes de Claude Chabrol, scénario de Paul Gégauff, rappelle les offenses criminelles faites à la grâce des jolies demoiselles, je me souviens de quelques mots anciens écrits un été.

Sous les sunlight caniculaires d’août, les cadavres se ramassent à la pelle. Sur les trottoirs, dans les fourrés ou les terrains vagues, parfois au fond d’une rivière où gambadent quelques truites. Gendarmes, flics, pompiers, volontaires organisent des battues. Les experts parlent d’ADN, d’empreintes. Le bon peuple demande de l’aveu, des confessions intimes et le retour de la peine capitale.
L’aveu m’intéresse peu. Ce qui m’importe, ce qui m’est capital, c’est tout ce qu’il réverbère : les ombres du portrait robot, les phrases volées lors d’une conversation de bistrot, les visages sculptés au seuil d’un commissariat, les photos qu’on ressort quand tout est trop tard, quand le drame a eu lieu.
La photo d’Audrey par exemple. Au cœur des faits divers - ces lambeaux de tragédie -, il y a souvent une fée, une petite fille, une Lolita appâtée, déchirée et sacrifiée.
Le 5 août 2003, Audrey revenait, en début d’après-midi, du marché de l’Ile de Ré. Elle y avait aidé son père à vendre ses huîtres. Elle avait vu quelques copains, quelques copines. Ils passeraient la chercher, après sa journée, pour boire un verre en terrasse. Audrey avait tout prévu. Une fois arrivée à la maison, elle se reposerait un peu. Elle lirait quelques pages de L’amour fou d’André Breton.
Audrey pensait à André Breton, à l’amour fou qui tombe du ciel, à l’amour fou qu’elle attend, quand le type l’a abordée. Il la suivait depuis le marché. Ou alors il l’avait surprise en route. Ou peut-être il la connaissait depuis longtemps. Peut-être était-il un « proche », un « familier ». Le type a demandé du feu. Ou il a beuglé « Ferme ta gueule connasse ou je te crève ! ». Ou il n’a rien dit. Il a tapé tout de suite. Il a cogné encore puis il a tripatouillé le corps apeuré. Il ne s’est plus arrêté, le type. Il était ailleurs, barré, bon pour les Assises.
Le lendemain matin, un promeneur a retrouvé le cadavre d’Audrey. Audrey avait 16 ans. Elle était brune, belle et discrète comme peuvent l’être, parfois, les lycéennes en vacances. Elle a été frappée, violée puis étouffée.
Le Ministre de l’Intérieur, n’ayant rien à dire, a adressé « personnellement » ses condoléances à la famille. Dans un mois, dans un an, le pauvre type au trou, le même Ministre adressera sûrement « personnellement » ses félicitations aux enquêteurs qui auront permis l’arrestation du zigouilleur d’Audrey.
Les Ministres ne devraient jamais s’approcher des fées. Même mortes, il les salissent.

lundi 10 janvier 2011

Credo




"Je crois à mes obsessions personnelles, à la beauté de l'accident de voiture, à la paix de la forêt engloutie, à l'émoi des plages estivales désertes, à l'élégance des cimetierres de voitures, au mystère des parkings à étages, à la poésie des hôtels abandonnés."
J.G. Ballard