De A comme « Abbé Pierre » à Z comme « Zapper », il existe tout un monde aux contours flous. Le nôtre, que Bertrand de Saint-Vincent met à nu et maltraite dans ses Fragments d’impertinence. Le mâle d’aujourd’hui, connecté sans interruption à son portable et au ouèbe, aime y prendre le pouls du CAC 40 – « la météo des riches » - tout en cherchant une femme qui, année après année, ne cherchera qu’à rajeunir pour ressembler à Barbie. Il lit Beigbeder, Sollers et Houellebecq ; est abonné aux Inrockuptibles, « magazine culte, surtout aux yeux des journalistes qui y collaborent. » Il a arrêté la cigarette, trouvant plus hype de se poudrer le nez de cocaïne – « l’électricité des branchés ». Il a peur de son prochain, de sa prochaine et des réactionnaires qui freinent le progrès. On en est là, dans une France devenue « l’un des musées les plus fréquentés du monde ; et le seul où l’on puisse entrer sans billet. »
Saint-Vincent, chroniqueur au Figaro, appartient-il pour autant à la longue cohorte des déprimistes et autres déclinologues ? Un homme qui cite Valery Larbaud, Alexandre Vialatte et Pierre Desproges ne s’abreuve pas à cette source. « Désespérer, c’est encore une manière d’espérer », écrit-il d’une plume qui n’est pas sans rappeler celle de François Taillandier dans Ce monde-là, dictionnaire personnel de l’époque. L’auteur ne cache pas qu’il se fait une certaine idée de notre « cher et vieux pays », où un savant mélange de légèreté et de profondeur renvoie à ce qu’il faut bien appeler le style. Son premier ouvrage n’était pas pour rien consacré à Jacques Laurent, homme pressé dont les phrases sèches et élégantes avaient la grâce d’un costume en lin légèrement froissé. A la suite du hussard en chef, Saint-Vincent perpétue l’esprit frondeur et l’art aristocratique de déplaire.
Du bobo roi à l’usage immodéré des antidépresseurs comme rempart à une réalité invivable, de la dérision obligatoire à l’apologie permanente de la transparence, en passant par l’exécution de quelques morts-vivants contemporains, il use de l’Abécédaire comme d’une arme de précision – un fusil à lunettes. Fragments d’impertinence signe ainsi de nouvelles mythologies, que Roland Barthes ne renierait pas, et nous venge des outrages subis par ce qui reste, ici-bas, de beauté. Au hasard des évocations de Saint-Vincent : Bardot inoubliable dans Et Dieu créa la femme, le souvenir de Bernard Frank et Françoise Sagan, Message personnel de Françoise Hardy, la poésie triste des sacs en plastiques, Isabelle Adjani dans L’été meurtrier et la rencontre improbable d'une femme de notre vie, qu’on souhaiterait pouvoir appeler encore longtemps « mademoiselle » : « Si la blonde a les yeux clairs, c’est un iceberg ; elle fondra dans vos bras et vous laissera le cœur glacé. Si la brune a le regard foncé, c’est un gouffre. Vous y tomberez et vous aurez un mal fou à vous en extirper. A partir d’un certain âge, toutes les femmes sont blondes. »
Bertrand de Saint-Vincent, Fragments d’impertinence, 217 pages, Plon.
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 31/05/08
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