Les éditeurs français avaient beaucoup à se faire pardonner. Le jour de l’enterrement de Françoise Sagan, aucun d’entre eux ne daigna se déplacer pour lui adresser un ultime salut. Un manque de classe que rattrape en partie, quatre ans plus tard, l’action conjuguée des éditions Julliard et des éditions de L’Herne. Les premières republient neuf romans de Sagan, période 1954/1991, tandis que les secondes nous offrent, dans sept jolis carnets à la couverture noire et aux titres évocateurs, les textes qu’elle n’a cessé de donner à la presse : portraits, critiques ou interviews – genre où Sagan excellait. C’est l’occasion de retrouver un écrivain qui ne fut jamais là où les critiques l’attendaient. Attaquée à ses débuts, pour être arrivée trop tôt et trop vite en haut de l’affiche, elle fut ensuite embaumée dans la posture de «la comtesse aux pieds nus» des lettres, avant d’être lâchée par presque tous au moment où, anéantie par le fisc et ses excès, elle ne pouvait plus écrire. Une singulière trajectoire qui ne doit pas faire oublier l’essentiel : un style unique où l’émotion affleure sur le fil des sentiments ambigus. Ce qu’Antoine Blondin, frère en dérives et légèreté mélancolique, traduisait par ces mots : «Avant d’être un miracle ou un scandale, ce qui revient à peu près au même, Sagan, c’est d’abord une œuvre.» Pour en être convaincu, il suffit d’ouvrir aujourd’hui des chefs d’œuvre comme Aimez-vous Brahms…, La Chamade ou, bien sûr, l’inégalé Bonjour Tristesse dont la première phrase possède la grâce d’une intime révélation : «Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur, m’obsède, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.»
Papier paru dans L'Opinion indépendante, le 13/06/08
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3 commentaires:
Pour une fois je suis d'accord avec toi, j'aimais bien Sagan, cette vieille junk. Même si elle était compromise, comme certains héros de ce blog, jusqu'au trognon avec la gauche caviar, nausée immédiate, c'était pour la bonne cause, s'en mettre plein les veines !…
Mon cher Thierry, une seule question : quand reviens-tu dans nos contrées qu'on puisse trinquer à tout ce qui en vaut la peine ?
Je suis là, et j'attends tes courriels.
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