La
lutte a été féroce. Le 1er décembre 1975, le prix Interallié est
attribué à L'amant de poche
de Voldemar Lestienne, au quatrième tour de scrutin, par 6 voix
contre 5 à Ciel de cendres
d'Alexandre Astruc (Le Sagitaire). La maison Grasset a su faire ce
qu'il fallait, Yves Berger orchestrant la manœuvre. Ca a laissé des
traces parmi les membres du jury. Antoine Blondin s'est retiré du
théâtre des opérations : « Je
n'éprouve aucun mauvais sentiment contre Voldemar Lestienne, pour
lequel j'ai beaucoup d'amitié, ni contre le prix Interallié, que
j'ai reçu et distribué avec beaucoup de plaisir. Mais je ressens
une immense lassitude devant les inévitables pressions exercées sur
les membres du jury. »
Voldemar
Lestienne se moque des intrigues littéraires. Il a mieux à faire.
Diriger France Dimanche,
après s'être fait la main à Elle
et France Soir.
Trouver l'accroche d'un papier sur un fait-divers de banlieue :
« Le bal des
fines moustaches ».
S'amuser avec Sagan et sa bande, après être sorti indemne d'un
accident d'Aston Martin DB Mark III avec Françoise. Il pratique la
littérature en dilettante. Sa présentation en marge de ses livres
l'atteste : « Voldemar
Lestienne est né en 1932 à Lille (Nord). Il est marié. Il a trois
filles. Il n'a fait ni l'E.N.A., ni Polytechnique, ni H.E.C. »
Variante : « Voldemar
Lestienne n'est ni ancien forçat, ni parachutiste, ni drogué, ni
correspondant de guerre. »
Ses œuvres n'encombrent pas les librairies. Avant L'amant
de poche,
il n'a publié que trois livres : Dillinger
(1958), Furioso (1971)
et Fracasso (1973).
Dans les deux derniers, best-sellers, il transpose les Trois
Mousquetaires
en juin 1940. Certains puristes se pincent le nez. Ca n'a pas grande
importance. Les mêmes tiquent également devant Cecil Saint-Laurent.
Le style, toujours, reste une idée neuve. Voldemar Lestienne se fait
plaisir, donc il nous enchante. Ses phrases sont pleines de rire, de
pieds de nez, de légèreté, de fulgurances. Des facilités ?
Parfois. Ca donne au lin des mots sa nécessaire froissure.
Mieux
qu'un bandeau Interallié, il y a un art imparable de donner envie de
lire L'amant de poche :
« Quel jeune
lycéen n'a pas rêvé d'être l'amant d'une femme blonde, belle,
riche, qui viendrait le chercher à la sortie du lycée au volant
d'une Maserati ? »
On n'est pas sérieux quand, pas encore âgé de 16 ans, on boit trop
de ouisquie. La tête tourne. Surtout si Héléna, surnommée « V.O.
Lénine », apparaît. Elle dit « vous » ou « tu »,
selon son envie ; porte un blue-jean, un débardeur et ses
cheveux sur les épaules. Un détail : pas de soutien-gorge.
Difficile de résister. Le lendemain, Héléna récupère le jeune
homme à la sortie de son lycée. Elle conduit une Maserati « Indy »
4 places. Sa parure du jour : des bas, une jupe à plis, des
escarpins à talon carré, un corsage à reflets doux, un chignon
dans le cou. Ca impressionne, tout comme son appartement, résidence
Henri V. Qu'en conclure ? « On
sentait bien que tout ça avait dû coûter cher et que Lénine
aujourd'hui avait mis son soutien-gorge. »
Pendant l'amour, Héléna écoute la « Traviata » ;
après, elle boit du champagne. Plus inquiétant, elle répond en
sourdine à de drôles de coup de téléphone. Puis congédie d'une
voix douce : « Ta
mère va s'inquiéter ».
Il y aura, plus tard, des phrases encore plus vexantes. Héléna
avait prévenu : « N'oublie
jamais ça : je ne suis qu'une bourgeoise. »
Les éducations sentimentales sont souvent des histoires de chagrin.
L'amant de poche
a été le dernier livre de Voldemar Lestienne. Dans sa critique du
Monde,
Bertrand Poirot-Delpech évoquait « le
monde de Sagan raconté par le Club des Cinq ».
Ce n'était pas si mal vu, un zeste réducteur. Nous préférons nous
souvenir du beau portrait que Gérard de Villiers, qui oeuvrait lui
aussi à France Dimanche,
consacre à Lestienne dans Sabre au clair et pied
au plancher,
ses mémoires : « Le
personnage le plus pittoresque de l'équipe était sans conteste
Voldemar Lestienne. Bourré d'humour, myope comme une taupe, c'était
le roi du titre. »
le 17 décembre 1990, à 59 ans, Lestienne s'en est allé. Un mystère
toutefois demeure, que confie de Villiers : « Nous
n'avons jamais su comment ce garçon un peu lunaire avait été
surnommé « Couilles
d'ange » »
Voldemar
Lestienne – L'amant de poche
– Grasset 1975
Texte paru dans Schnock #14, hiver 2015
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