J’habite à Paris, rue Daguerre, dans le XIVe arrondissement. Mon lopin de jeu est bordé par l’avenue du général Leclerc et par la rue Boulard où se trouvent l’Arbre-à-lettre et sa jolie libraire. Pour voir son sourire, je rachète là-bas Le piéton de Paris de Fargue et Les chasseurs d’André Hardellet.
Après Brest, après Rennes, Paris est mon QG, le port d’attache de mes flamberies des quatre saisons. J’y ai mes troquets – le Daguerre, la Closerie des Lilas, le Café d’Orléans -, ma place – Saint Sulpice ! – et mon boulevard – le boulevard du Port-Royal.
Port-Royal, c’est mon domaine, ma seigneurie. Je l’ai arpenté, ce boulevard. Seul ou avec ma fiancée, à l’époque où nous créchions du côté de Mouffetard et des Gobelins, rue du Fer à moulin. Ma muse n’a jamais été plus belle que, passant sous les hautains réverbères face au Val de Grâce, me hurlant dessus parce que j’étais saoul.
Il était minuit bien croqué. Je sortais de la Closerie ou de l’Académie de la bière. J’avais mal à l’âme comme d’autres ont mal au cœur en voiture. Sans savoir pourquoi, parce que ça tourne de trop, parce que la respiration est bloquée. Cette année-là, je forçais encore un peu sur tout ce qui se buvait. Du martini, du gin, du vin de toutes les couleurs. Impossible de m’arrêter. J’étais tombé dedans quand j’étais petit. Je m’imaginais être très près de la maison, de mon lit. Et je chutais, je m’étalais sur le pavé. J’insultais la terre entière et ma douce plus que tout. Connasse, putain, crétine, débile, génitrice, chtarbée … Tout ça pour dire « je t’aime » comme un idiot.
Ma douce, n’en pouvant plus, rentrait à la maison. Et moi je me prenais pour un crooner, un mec à moustaches aux cheveux platine, un nommé Bevilacqua. Fou parmi les caisses circulant à fond sur le boulevard, je chantais Daisy à la lune endormie. Daisy, c’est l’histoire d’une demoiselle. Elle est là, elle s’impose, la marée de ses envies bat une drôle de chamade, puis elle s’en va, ne reviendra pas.
Boulevard du Port Royal, je dessinais Daisy, ses contours de nuit alors que le ciel tombe si bas. L’espoir d’une vie se craquèle entre mes doigts jaunis… Rejoue-moi, Daisy, ce vieux mélodrame. Tu sais, celui qui tire les larmes, celui de ton regard qui désarme… Rejoue-moi ce vieux mélodrame Daisy…
Au petit matin, des roses et des roses apportées à ma muse ne suffisaient pas toujours à me faire pardonner. Peu m’importait : j’étais le Roi de Port Royal.
vendredi 26 janvier 2007
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