mardi 30 janvier 2007

Mes bistrots


Pour oublier la laideur qui, partout, gagne du terrain, je me réfugie dans un troquet du XIVe arrondissement. Armé de mes bastos rouge, enquillant moult verres, je suis invincible, intouchable. Et surtout : je suis chez moi.
Depuis mes gamines années, j’ai toujours eu mes bistrots. Des rades poisseux, des brasseries classieuses, des zincs pleine ville. J’y passe par hasard. J’y reviens par envie. Je m’y installe par habitude. Ils sont ma garçonnière, mon home sweet home d’ivresse et de fumées.
Au comptoir, en terrasse ou affalé dans une banquette en gros cuir, j’attrape au vol des éclats de conversation. J’observe les brunes étudiantes à lunettes qui lisent Terraqué de Guillevic ou un roman de Simenon, en buvant un expresso. Je recommande un Sauvignon, rallume une cigarette. J’écris sur mon carnet Moleskine des mots doux à ma douce.
Mon premier bistrot, c’était à Brest. Il s’appelait le Recouvrance. J’y buvais des bières avec des Allemandes que j’embrassais en jouant au baby-foot. Puis j’ai fréquenté le Hamilton et ses marins, le Kérel et ses poivrots, la Gentilhommière au nom de taverne des mousquetaires.
Longtemps, tel un d’Artagnan toujours au rendez-vous, j’ai réinventé mes passions à la Gentilhommière. J’avais une table toujours prête à m’accueillir et un recoin, un renfoncement faisant office de salon, où conter fleurette, où réchauffer les corps des demoiselles. Puis je me suis glissé quelques rues plus loin, direction le Tudor. Une antre boisée calme comme l’océan avant le fracas des vents violents.
A Rennes, j’ai investi le Café de la mairie. Tous les jours, j’y débarquais vers 12h30. Une fois installé, je lançais mes ordres souriants à une serveuse pas très belle. Elle avait anticipé le coup : la bière était déjà sous mon nez. Je déballais mon vrac, mes lunettes, mes stylos, mes papelards. L’œil qui brille et le sourire mélancolique, j’achevais, je remaniais une poétique apologie du dopage, un baroud d’honneur au nom des dupés de tous bords.
La première gorgée de Pelforth passait tranquillement, la deuxième aussi. J’oubliais mes jambes lourdes, mes tremblements naissants. J’étais au septième étage d’un ciel gris : la tristesse se faisait la malle.
Je demandais une autre Pelforth à la serveuse pas très belle. Puis une autre. Et j’appelais ma fiancée. Pour qu’elle sache que ma voix est une merveille, pour lui hurler que je l’aime, que je suis un génie, que je vais très mal, qu’on va se séparer, que je suis en grande forme, que je la trompe, qu’elle me trompe, qu’elle va me quitter, que je l’emmène ce soir dans un grand restaurant, que je suis insupportable, que son cul me manque. Sa réponse était toujours identique :
_ « Tu rentres vite ? »
Il ne fallait pas me poser cette question. Je ne suis jamais rentré « vite » d’un bistrot. J’y ai toujours arrêté le temps et recommandé un dernier verre, une dernière bouteille. Histoire d’oublier l’immonde de l’autre côté de la vitre ou de contempler l’apparition d’une beauté rare, une beauté venue d’Asie.
Une beauté qui s’est posée, au milieu de la nuit, sur les boiseries sculptées des Petits papiers. Une beauté que je n’ai plus quittée et qui me rejoint, ici, dans ce troquet du XIVe arrondissement où la laideur n'existe plus.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le Repaire de Cartouche un midi d'automne et un soir d'hiver.
Le Paul Bert et la Renaissance nous réclament.

Anonyme a dit…

Lire le blog en entier, pretty good