Eric Neuhoff est « un enfant des livres, de la province et de la nostalgie ». Il se présentait ainsi dans Comme hier, délicate chronique autobiographique publiée en 1993. Il y évoquait son père, sa femme et son premier fils. Des figures qu’on retrouvait dans Barbe-à-papa et qui reviennent aujourd’hui dans Pension alimentaire. Un roman pour suspendre le temps, l’instant d’un regard aiguisé sur une génération qui titube. La génération en question, celle du héros de Neuhoff - un éditeur parisien quinquagénaire – n’en revient pas du KO brutal qu’elle vient d’encaisser. Rêvant d’aventure, elle n’a trouvé que le mariage, « ce mot qui recouvre les disputes sans importances auxquelles se livrent tous les couples dans la deuxième moitié du XXe siècle. » Au fil des années, les disputes se transforment en indifférence. La guerre est feutrée mais la guerre est perdue le jour où un vieux père malade dit à son fils : « Comment est-ce que tu peux divorcer ? » C’est l’histoire de cette après-guerre que raconte, avec une élégance rageuse et mélancolique, Pension alimentaire : « Le mariage constitua la seule aventure qui nous restait. Nous avons enfilé nos alliances comme on prendrait les armes. Le divorce était une malédiction, une aubaine, un bienfait, un châtiment divin. Il y avait la puanteur de l’échec, cette impression pas si désagréable de couler corps et biens, le silence mortel du crépuscule. »
De Camille, le narrateur ne garde que quelques images aux couleurs passées et des SMS hargneux. Par exemple : « Quel père. Jeune. Brillant. Humaniste. Les enfants s’en rendent compte. Petit à petit. » suivi de « Pauvre homme, dire que tu vas sur ta soixantaine. » Il prend ces fléchettes fielleuses pour ce qu’elles sont : peu de choses. Il y voit la confirmation qu’ « il n’y avait plus moyen de vivre avec cet amour mort entre nous, comme le cadavre d’un enfant noyé. » Ce qui, par contre, lui est insupportable, c’est le nom que prononce Camille après lui avoir annoncé : « Je suis avec quelqu’un. ». Pierre Maurin, l’ancien voisin du couple, un publicitaire fier de ses « vingt briques par mois ». Mais Pierre Maurin était surtout devenu son comparse de célibat. Disparaissant du jour au lendemain dans les bras de Camille, Maurin trahit l’amitié, cette noblesse de l’âme qui réunit les mâles solitudes autour d’une bonne bouteille, de mots embrumés et de la vision de Linda Fiorentino dans Last Seduction.
Personnage caricatural d’une époque dont la morgue se perd lentement dans les désillusions, Pierre Maurin va morfler pour tout le reste, pour la douleur qu’on tait : le père qui meurt, les enfants qu’on ne voit plus, qui manquent atrocement. En puncheur facile, Neuhoff l’achève comme il se doit : « Je t’emmerde Pierre Maurin […] Tu baises mon ex-femme. Tu as des costards sur mesure. Tu joues les patriarches avec mes fils. Quelqu’un de meilleur que toi aurait été dévoré par la honte et le dégoût. Mais tu n’es rien d’autre, avec ton ego si fragile et envahissant, qu’un de ces frimeurs à lunettes de soleil qui se garent en double file avenue Montaigne, un ivrogne tiré à quatre épingle. Le seigneur des bars à putes, mister Partouze number one, le baiseur hors-norme, le queutard né, le Don Juan des couches-culottes et des yaourts allégés. » Après la guerre, la guerre continue…
in L'Opinion indépendante, le 21/09
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1 commentaire:
Décidément, les Camille sont toutes les mêmes... je plaisante. je ne l'ai pas encore lu, encore que je reconnaisse une certaine audace à Albin Michel. N'ont-ils pas publiés les derniers Dantec? Cela vaut au moins le purple heart isn't it?
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