jeudi 4 septembre 2014

Noire est la beauté - Jérôme Leroy/L'Ange gardien


Depuis L'Orange de Malte, en 1990, Jérôme Leroy s'est toujours joué des genres : nouvelles, polar, poésie, anticipation, flânerie. Homme élégant du communisme, tendance Roger Vailland, il n'en fait qu'à ses envies, souvent teintées de mélancolie. C'est que, derrière ses Ray-Ban, Leroy ne manque rien des dérèglements de l'immonde, qu'il observe sans oublier un monde d'avant où des jeunes filles en fleur avaient plaisir à lire Paul-Jean Toulet sur le rebord des tombes.

En 2011, Le Bloc dressait, en se focalisant sur quelques figures d'un parti très à la mode, le tableau d'une France sous émeutes et sous perfusion. L'Ange gardien va encore plus loin, plus profond, quêtant le dessous des cartes de la mort en marche. Mort d'un « cher et vieux pays », mort des sentiments, mort de la douceur des choses. Le parti très à la mode est sur toutes les lèvres et tous les bulletins de vote. Des officines complotent dans l'ombre. On tue sans compter pour assurer le désordre public. La République ressemble à une Grèce saignée à blanc, où les derniers rejetons de la beauté tentent d'échapper à la lourdeur assassine des temps. Il y a Berthet, tueur et amateur de poésie dont on veut la peau ; Martin Joubert, écrivain à bout de souffle ; et Kardiatou Diop, étoile montante de la politique, secrétaire d'Etat sortie d'une chanson de la Motown ou d'un film de la Blackexploitation.

Dans L'Ange gardien, Leroy mêle les voix et les silhouettes. « L'ange gardien », c'est Berthet. Il a sauvé, il y a longtemps, la jeune Kardiatou ; la protège depuis sans qu'elle soupçonne son existence. A la même époque, Joubert enseignait le français à la brillante demoiselle dans un collège de Roubaix. Aujourd'hui, Kardiatou est candidate aux élections municipales à Brévin-les-Monts, terre minière dévastée, face à Agnès Dorgelles, superstar du parti très à la mode et fille-à-papa. On sent qu'un mauvais coup se prépare, réunissant, ultime baroud d'honneur, Berthet, Joubert et Kardiatou.

Nous n'en dirons pas plus quant à l'histoire chorale finement ciselée par Leroy, dont la langue possède une classe folle, à la fois au plus près de son récit et se permettant d'élégantes digressions. Livre après livre, rappelons-nous Bref rapport sur une très fugitive beauté, Un dernier verre en Atlantide ou La Minute prescrite pour l'assaut, il ne cesse de nous parler de la singularité de la France et d'être français. Face à la horde sauvage de la bêtise, Leroy croit encore à la beauté qui sauvera le monde. Il vise juste, et touche plein coeur. La beauté passe par les poèmes de Perros, un déjeuner de soleil et d'amitié au Jeu de quilles, rue Boulard, une chanson de Mort Shuman, un Côte-Rotie de Jean-Michel Stephan ou par l'amour en bord de mer avec une gymnaste ou une nageuse, le soleil pâle du petit matin filtrant par les volets d'une chambre d'hôtel. Nous avons trouvé nos anges gardiens …

Jérôme Leroy, L'Ange gardien, Gallimard, Série Noire.
Papier paru dans Service littéraire, septembre 2014

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