Un aveu : Robert Malaval n'était pour nous qu'un peintre et sculpteur parmi d'autres. Il traversait quelques livres lus. Nous avions entrevus, ici ou là, certaines de ses œuvres. Fabrice Gaignault lui avait consacré un long papier dans un magazine chic. Mais Malaval restait un inconnu, ce qu'il n'est plus une fois lu, aimé et refermé Visible la nuit.
Après avoir flâné du côté de Gainsbourg, Bacon ou Giacometti – Le dernier modèle (pris Renaudot Essai 2012) -, Franck Maubert nous présente Malaval, dont l'autoportrait orne la couverture du roman et qui est tout entier présent, homme plein d'éclats d'âme, au cœur de chaque page. Il touche, fait rire, horripile, émeut de nouveau. On l'observe dans son atelier, Lou Reed ou Bob Dylan en fond sonore. L'oeuvre se crée, multiple dans son unité secrète. La souffrance, souvent, l'emporte sur la joie. Sur la côte d'Azur, villa Nellcôte, la rencontre avec les Rolling Stones laisse un goût amer. On fume avec Robert, on boit avec lui. Au succès qui le happe, à la détresse de ses mauvaises années. Une recommandation : éviter la bière coupée à l'alcool à 90°. Tout ceci finira mal.
Par-delà
la figure de Malaval, Maubert esquisse, d'un trait léger et profond,
la fin d'une époque. On se balade en espadrilles à ses côtés, de
l'été caniculaire 76, celui de sa rencontre avec Robert, à l'été
80, où son ami s'en va. Le roman, ample et précis, se déploie avec
lenteur. On pourrait se croire dans un film de Sautet. Mao-Mao,
narrateur et double de Maubert, nous sert de guide dilettante dans ce
drôle de temps, d'excès et de mélancolie, où certains laisseront
des plumes, Malaval le premier.
Visible la nuit
commence par son suicide et s'achève par son enterrement, point
final d'un road-movie en corbillard d'infortune. Entre les deux,
Mao-Mao explore les galeries d'art. Le toit des autres devient
rapidement le sien. L'une de ses petites amies se prénomme Maria ;
une autre, Hélène ; nous en oublions sûrement. Les filles
défilent comme dans une fashion-week
permanente. Ça a son charme. Les rues de Paris sont le terrain de
jeu d'ombres nommées Pacadis, Aragon, Jean-Pierre Léaud ou Yves
Saint-Laurent. Mao-Mao les croise puis fugue en Italie en
compagnie de Mouche – joueur, écrivain et éditeur – et de sa
femme Pamela. C'est à Porto Santo Stefano que Mao-Mao apprendra la
triste nouvelle. Il est des phrases serrées comme des gorges :
« Cette année 1980, on compte en France 10 341 suicides,
dont celui de Robert Malaval. »
S'il
fallait définir le style de Maubert, on pourrait évoquer la
rencontre sur une table de dissection de Jean-Jacques Schuhl et de
Patrick Modiano, entre intime pedigree et entrée des fantômes. Mais
ce serait un raccourci trop facile. Depuis son premier roman Est-ce
bien la nuit ? jusqu'à
ce Visible la nuit,
il cisèle une langue qui n'appartient qu'à lui. La preuve :
« La vie changeait,
nous n'étions plus des enfants. J'avais perdu mon grand frère
Robert et mon chagrin ne s'apaisait pas. J'allais avoir vingt-cinq
ans, mon insouciance s'était évanouie. Une autre vie démarrait,
sans Robert. » De
loin, avec Robert Malaval, nous tchinons à la délicatesse si
élégante des mots de Maubert.
Franck
Maubert, Visible la nuit,
Fayard
Papier paru dans La Revue littéraire, Léo Scheer, septembre 2014
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