Les vacances devraient toujours ressembler à un film d’Eric Rohmer, son Conte d’été par exemple. On débarque en bateau, un lundi de juillet, sur le port de Dinard. Pointe du Moulinet, le ciel a cette couleur qu’on ne trouve pas ailleurs, un bleu nuageux mêlé de soleil. Les maisons de maîtres, sur la corniche surplombant la mer, imposent leur style XIXe. En terrasse de la crêperie du Clair de lune, un garçon mange une glace et boit un verre de vin blanc. Sur la plage de L’Ecluse, les filles portent des maillots de bain rouge ou bleu, des lunettes noires qu’elles remontent parfois dans leurs cheveux. Elles tomberaient volontiers amoureuses d’un musicien dilettante, avec lequel elles badineraient sur le sentier des Douaniers, alors que le soir tombe, leurs sandales à la main, vêtues d’une jupe courte et d’un caraco.
Au milieu des années 90, après le Saint-Tropez de La Collectionneuse puis la Normandie de Pauline à la plage, Rohmer voulait un lieu neuf pour son Conte dédié à la plus belle des saisons. Il lui fallait des rochers, des vues profondes sur l’océan, le bruit du vent, un arrière-pays aussi : « Ce qui m’intéressait, c’était les grandes étendues à marée basse. J’aimais cette idée que les personnages soient enfermés entre la terre et la mer. » Rohmer s’est souvenu aussi des récits de son ami Paul Gégauff, l’âme damnée de la Nouvelle vague : « Tu adoreras ce coin de Bretagne: les filles sont délicieuses ; l’air du large te fouette l’esprit et les paysages sont magnifiques ! » Il avait envie surtout, lui qui aime tant les corps et les mots en liberté, de plages « vivantes » où les cœurs peuvent jouer leur petite musique, « des plages où l’on ne verrait pas le travail du cinéaste. »
Pour raconter son Conte d’été, Rohmer a donc posé sa caméra à Dinard, entre la fin du mois du juin et le début juillet 1995. Il filme longuement la plage de l’Ecluse et ses cabines d’un autre siècle. Les chemins côtiers ne sont pas encore surchargés de touristes. Une ballade emmène les flâneurs sentimentaux sur les remparts de la ville close de Saint-Malo. De jolies filles sont au rendez-vous. De retour à Dinard, sur la promenade du Clair de lune, un peu de bruine coupe la douceur des choses, mouille les bancs publics où les amants se cherchent, ne se trouvent pas. Les soirées s’achèvent à La Chaumière, une boîte de nuit de Saint-Lunaire. Avec grâce, Rohmer saisit au vif les vacances et esquisse une certaine idée de la dolce vita balnéaire, qui lui est chère.
Quand Conte d’été est diffusé, en avant-première, au cinéma Aux deux Alizés de Dinard, les spectateurs découvrent, sous le plus beau des jours, leur ville. Des habitants se reconnaissent en tenue de bain, figurants d’occasion heureux d’apparaître sur la photo. Voici donc ce que préparaient Rohmer et sa petite équipe. On les avait vus sur la plage de L’Ecluse, avenue Yves Verney devant le bar La Croisette ou sur la route départementale 168 menant à Saint-Malo. On s’interrogeait sur le résultat en images. Il est à la hauteur des espérances, prolongeant les étés de la vie. Rohmer l’avait dit : « Chacun de mes films pourrait avoir pour titre le nom d’une ville. » Conte d’été, ainsi, se serait appelé Dinard ou Saint-Malo.
Texte paru dans le supplément d'été du Point "Dinard/Saint-Malo", juillet 2012
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