Deux
bonnes nouvelles : les éditions du Rocher ont trouvé un
nouveau souffle et Patrick Besson publie, dans la maison longtemps
dirigée par le regretté Jean-Paul Bertrand, La mémoire
de Clara. Il faut tordre le
cou à une rumeur. Patrick Besson ne publie pas trop. Les mauvais
écrivains, eux, publient toujours trop ; Besson (Patrick),
jamais. Au contraire. Il pourrait encore accélérer le rythme de ses
parutions. Besson, en effet, est un cochon. Chez lui, tout est bon :
romans, souvenirs, nouvelles, chroniques, portraits. Peu importe le
support qu'on lui paie. C'est l'un des derniers, par exemple, qui
nous incite à lire la presse où, toujours, il n'en fait qu'à sa
fête. Belle époque que ces années, circa 2000, où il évoquait
chaque semaine les livres dans Marianne et
Nice Matin, la télévision
dans le Figaro Magazine,
le cinéma dans VSD
et ce qui lui passait par la tête dans Le Point.
Recueillis dans d'épais volumes – Le Plateau télé,
Avons-nous lu ?,
Au Point et
Premières séances,
aux éditions Fayard -, ses mots nous ont donné le roman buissonnier
de la fin de règne de Chirac et du quinquennat Sarkozy. Ce qu'on y
lisait, ce qu'on y regardait, ce qu'on y mangeait, les filles qui
nous enchantaient, les petits meurtres de Saint-Germain-des-prés,
entre autres plaisirs et coups de griffes.
Après
avoir saisi l'époque au plus près, l'oeil vif sur elle, Besson a
pris le large : retour vers le futur. Dans La
mémoire de Clara, nous
sommes en 2060. Clara Bruti, ex top-model et ancienne première dame
de France, a 93 ans et vit à Nice. Ce n'est pas la grande forme,
malgré un charme intact. Le huitième krach boursier depuis la
guerre mondiale de 2039-2045, opposant le bloc chiite et le bloc
sunnite avec les chrétiens au milieu, n'arrange pas ses affaires.
Pour se refaire une santé, elle voudrait écrire ses Mémoires.
Problème : Alzheimer lui a enlevé, d'un coup, la santé et la
mémoire. En 2060 comme aujourd'hui, on demande des nègres. Un jeune
bestseller – son What the fuck
a été téléchargé plus de 700 000 fois sur Ypernet – va se
charger de faire parler Clara. Ce ne sera pas simple, mais c'est bien
payé. Aimé Boucicaut tient à sa devise : « se
lever, se laver, se vêtir ».
Le reste ne compte pas. Seule exception : Frédéric Berthet.
Aimé ne jure que par la vie et l'oeuvre de l'auteur de Daimler
s'en va et Felicidad.
Il est d'ailleurs en train de rédiger Frédéric
Berthet et ses amis (Eric Neuhoff, Anthony Palou, Philippe Sollers,
Marc-Edouard Nabe et Patrick Besson).
Espérance de ventes ? 500 exemplaires. Un texte qu'il nous
tarde de lire.
Boucicaut
ressemble à Besson. Plus l'époque est triste, plus il est brillant.
Sa politesse vache est dans sa plume. La Mémoire de
Clara est un festival de
cancans rudes et de style vif. On en apprend de belles sur le temps
jadis et les années qui nous attendent. Alzheimer est le personnage
principal du roman, le plus sensible des anti-héros de Besson. Des
figures ne nous sont pas inconnues : le philosophe-guerrier
Cohen-Solal et sa fille Judith, les Lovamour père et fils, Firmin
Busnel, le président Brancusi. La biographie comparée de Brancusi
et Berthet, deux Neuilly's boys, est un régal. Le destin, parfois,
tient à peu de choses. Histoire et histoires de cul se confondent,
dans la vie et dans le cerveau abîmé de Clara. Eric Neuhoff,
cachottier, n'avait pas encore présenté sa petite-fille Samantha.
Besson s'en est chargé pour lui. La demoiselle promet, seins nus
sous sa burka. Nous pourrions, comme toujours avec Besson, aligner
les citations. Mais il faudrait recopier les 213 pages de La
mémoire de Clara,
où tout n'est que feux d'artifice et morceaux légers de bravoure, à
la fois drôles, bien sentis et servis à point. Tel ce dialogue au
couteau et à la caresse :
« Pourquoi
on ne baise jamais ?
_ On baise tous
les jours.
_ Tu peux raconter
ce que tu veux, je ne me souviens de rien.
_ C'est l'avantage
de sortir avec une alzheimerienne. Je m'étonne qu'elles n'aient pas
davantage de succès auprès des hommes, surtout les mufles. On peur
leur faire ce qui nous passe par la tête. »
Patrick
Besson, La mémoire de Clara,
éditions du Rocher
Papier paru dans La Revue littéraire, Léo Scheer, septembre 2014
1 commentaire:
Pourquoi faites-vous le mort pour les livres non rendus à la bibliothèque ?
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