samedi 20 septembre 2014

Clara Bruti


 
Deux bonnes nouvelles : les éditions du Rocher ont trouvé un nouveau souffle et Patrick Besson publie, dans la maison longtemps dirigée par le regretté Jean-Paul Bertrand, La mémoire de Clara. Il faut tordre le cou à une rumeur. Patrick Besson ne publie pas trop. Les mauvais écrivains, eux, publient toujours trop ; Besson (Patrick), jamais. Au contraire. Il pourrait encore accélérer le rythme de ses parutions. Besson, en effet, est un cochon. Chez lui, tout est bon : romans, souvenirs, nouvelles, chroniques, portraits. Peu importe le support qu'on lui paie. C'est l'un des derniers, par exemple, qui nous incite à lire la presse où, toujours, il n'en fait qu'à sa fête. Belle époque que ces années, circa 2000, où il évoquait chaque semaine les livres dans Marianne et Nice Matin, la télévision dans le Figaro Magazine, le cinéma dans VSD et ce qui lui passait par la tête dans Le Point. Recueillis dans d'épais volumes – Le Plateau télé, Avons-nous lu ?, Au Point et Premières séances, aux éditions Fayard -, ses mots nous ont donné le roman buissonnier de la fin de règne de Chirac et du quinquennat Sarkozy. Ce qu'on y lisait, ce qu'on y regardait, ce qu'on y mangeait, les filles qui nous enchantaient, les petits meurtres de Saint-Germain-des-prés, entre autres plaisirs et coups de griffes.

Après avoir saisi l'époque au plus près, l'oeil vif sur elle, Besson a pris le large : retour vers le futur. Dans La mémoire de Clara, nous sommes en 2060. Clara Bruti, ex top-model et ancienne première dame de France, a 93 ans et vit à Nice. Ce n'est pas la grande forme, malgré un charme intact. Le huitième krach boursier depuis la guerre mondiale de 2039-2045, opposant le bloc chiite et le bloc sunnite avec les chrétiens au milieu, n'arrange pas ses affaires. Pour se refaire une santé, elle voudrait écrire ses Mémoires. Problème : Alzheimer lui a enlevé, d'un coup, la santé et la mémoire. En 2060 comme aujourd'hui, on demande des nègres. Un jeune bestseller – son What the fuck a été téléchargé plus de 700 000 fois sur Ypernet – va se charger de faire parler Clara. Ce ne sera pas simple, mais c'est bien payé. Aimé Boucicaut tient à sa devise : « se lever, se laver, se vêtir ». Le reste ne compte pas. Seule exception : Frédéric Berthet. Aimé ne jure que par la vie et l'oeuvre de l'auteur de Daimler s'en va et Felicidad. Il est d'ailleurs en train de rédiger Frédéric Berthet et ses amis (Eric Neuhoff, Anthony Palou, Philippe Sollers, Marc-Edouard Nabe et Patrick Besson). Espérance de ventes ? 500 exemplaires. Un texte qu'il nous tarde de lire.

Boucicaut ressemble à Besson. Plus l'époque est triste, plus il est brillant. Sa politesse vache est dans sa plume. La Mémoire de Clara est un festival de cancans rudes et de style vif. On en apprend de belles sur le temps jadis et les années qui nous attendent. Alzheimer est le personnage principal du roman, le plus sensible des anti-héros de Besson. Des figures ne nous sont pas inconnues : le philosophe-guerrier Cohen-Solal et sa fille Judith, les Lovamour père et fils, Firmin Busnel, le président Brancusi. La biographie comparée de Brancusi et Berthet, deux Neuilly's boys, est un régal. Le destin, parfois, tient à peu de choses. Histoire et histoires de cul se confondent, dans la vie et dans le cerveau abîmé de Clara. Eric Neuhoff, cachottier, n'avait pas encore présenté sa petite-fille Samantha. Besson s'en est chargé pour lui. La demoiselle promet, seins nus sous sa burka. Nous pourrions, comme toujours avec Besson, aligner les citations. Mais il faudrait recopier les 213 pages de La mémoire de Clara, où tout n'est que feux d'artifice et morceaux légers de bravoure, à la fois drôles, bien sentis et servis à point. Tel ce dialogue au couteau et à la caresse :

« Pourquoi on ne baise jamais ?
_ On baise tous les jours.
_ Tu peux raconter ce que tu veux, je ne me souviens de rien.
_ C'est l'avantage de sortir avec une alzheimerienne. Je m'étonne qu'elles n'aient pas davantage de succès auprès des hommes, surtout les mufles. On peur leur faire ce qui nous passe par la tête. »

Patrick Besson, La mémoire de Clara, éditions du Rocher
Papier paru dans La Revue littéraire, Léo Scheer, septembre 2014

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pourquoi faites-vous le mort pour les livres non rendus à la bibliothèque ?