mercredi 14 février 2007

Rose hôtel - in memoriam Marco Pantani

Il n'avait l'air de rien le Rose hôtel. Une pension de famille de Rimini, petite station balnéaire italienne où Alain Delon, dans Le Professeur, tombe fou amoureux d'une Lolita jouée par Sonia Petrova. A la fin du film - c'est la dernière image -, Sonia prie pour que son amant mort connaisse enfin la quiétude, comme le peuple de Rimini a prié quand est passé devant eux, recouvert d'un linceul, le corps recroquevillé de Marco Pantani.
Marco s'est échappé un soir de la saint Valentin. La fête des amoureux, ce n'était plus pour lui. Sa douce l'avait largué depuis longtemps et ceux qui, hier, le courtisaient, ne voulaient plus entendre parler du Pirate. Pour les lâchetons, Marco était un alcoolique, un dépressif, un cocaïnomane, un type à enfermer chez les fous.
Fou, il l'était Marco. Fou d'une petite Reine qu'il comblait, tous les ans, sur les pentes les plus escarpées, les pentes alpines et pyrénéennes. Voyant passer Marco, les tifosis rassemblés dans les derniers kilomètres d'un col voyaient passer une fusée, un danseur à l'assaut, Nijinski sur les ailes du vent. Tous les cris, les hourrahs étaient pour lui, pour saluer son envol majestueux.
Et puis, tout s'est détraqué. Il y a eu l'accusation qui tue, qui crame les ailes des héros, l'accusation pire que la peste des temps anciens, l'accusation qui plaît tant à la meute. Un jour triste de printemps, Marco s'est fait jeter d'un Giro où régnait sa loi, un Giro dont il portait le maillot rose et dont il avait remporté quatre étapes. Un Giro qu’il devait gagner hauts les coeurs. Débarqué comme un bandit, avec descente de flics et ramdam public, Marco voulait oublier vite. Il allait gagner le Tour, c'est sûr. Marco avait tort : on ne le lâchera plus, on le lynchera à mort.
Dans les coulisses, dans les colonnes des journaux, dans les salles d'audience, on a cassé les jambes de Marco, on a cogné le moteur fragile de son génie. La bave aux lèvres, on l'a privé de son Bianchi, sa belle monture qu'aimait déjà Fausto Coppi.
Marco était le meilleur, il le savait, le clamait : « Je suis le meilleur grimpeur du monde ! » Mais Marco a lâché la rampe, il a mis les bouts. Il ne cherchait pas un remède. Il cherchait juste une lampe d'Aladin. Il voulait se souvenir de ce qu'il était. Pour tenir le coup, pour tenir debout, pour envoyer bouler la mort qui rôde, il ne trouvait que la poudre de perlimpinpin, les coquetèles, les médicaments. Il trouvait et il plongeait à fond.
Piqué, Imbibé ou cachetonné, Marco revivait toutes ses courses, ses exploits, son doublé Tour / Giro, mais aussi ses drames, ses fractures, ses accidents. Marco se rappelait qu'il disait : "C'est l'orgueil qui me fait tenir". L'orgueil qui, alors qu'il était à la ramasse dans un col, le poussait à accélérer, à revenir dans la course, à revenir dans la roue de Lance, à attaquer Lance et à arracher l'étape du mont Ventoux, celle de la poussière et de l'air brûlant dans les poumons. L'orgueil qui était toujours là, qui lui faisait mal partout.
Marco ne voulait pas pleurer. Marco se retenait. Il est arrivé au Rose hôtel sans valise. Il avait simplement emmené le baluchon de ses songes, un peu de poudre et des carnets, des stylos. Il écrivait, Marco. Privé de sa Petite reine, il envoyait des lettres à la terre entière. Il avait mal partout, il le notait : «Personne n'a réussi à me comprendre, même pas ma famille. Je me suis retrouvé seul. » Il laissait tomber ses derniers mots sur la moquette beige de sa chambre : « Il n'ont voulu punir que moi ». Il aurait bien aimé sourire, une dernière fois. Sourire comme après une victoire au Ventoux. C'était trop tard. Un soir de la saint Valentin, Marco s'est échappé, Marco s'est envolé. Ses ailes étaient blanches.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Vieux souvenirs de Rimini, très vieux, sûrement une étape après le ferry Patras Ancone ou Brindisi. Le nom inoubliable quand on est môme : un jour je suis passée par Rimini.

Arnaud Le Guern a dit…

Tu as vu le Professeur ?

Arnaud Le Guern a dit…

En VO : La Prima notte di quiete. De Valerio Zurlini. Une tuerie.

Anonyme a dit…

Eh non, mais j'ai des virées urgentes à faire à la fnaque et des kilomètres cube de lacunes à combler.

Arnaud Le Guern a dit…

D'une beauté à tomber par terre et à y rester longtemps.

Anonyme a dit…

et à se relever pour se refaire une traversée jusqu'à Patras, un tour de Grèce et retour.

Arnaud Le Guern a dit…

Les 12 travaux de SAS JSA !

Anonyme a dit…

Un atavisme, en quelque sorte. SAS JSA de Salonique et de Paname. L'Athena de comptoir.