jeudi 1 février 2007

Ombres éparses


Quand l'air du temps devient trop plombant, trop lourd sur mes épaules, j'ouvre un catalogue de lingerie. Celui d'un grand magasin ou d'une belle enseigne, déposé dans ma boîte aux lettres par un facteur complice. Ou le catalogue artisanal né des pubs et des pages découpées dans Vogue, Citizen K ou Glamour.
Dès le premier coup d'oeil, les hauts le coeur se font la malle. Entre les pages glacées que caressent mes mains, tout est beau, sensuel, sexy. Les mannequins, les formes, les étoffes. Tout me parle, tout trinque avec l'émotion, avec les souvenirs, avec un parfum d'enfance qui prend toute la place.
Sur ma pellicule s’imprime le beau foutoir de mes émotions premières. Je me souviens de l'Histoire des dessous féminins de Cécil Saint-Laurent, une histoire qui « est celle d’une déraison qui exploite toutes les ressources de l’imaginaire », une histoire où les illustrations sont de permanentes incitations à la coquinerie. Je zappe sur des défilés où passent des Carla, des Laetitia, des Karen, des Naomi, des Kate. Je revois mes petites amoureuses, de jolies « brindilles » avec, pour seules parures, talons aiguilles et dessous chics.
Noyé dans le catalogue, perdu dans mes films montés à la va-vite, je pars à la recherche de mes hochets d’hier, de mes linges hérités. Je m’enivre de couleurs indémodables. Du blanc beaucoup, le blanc des caracos inoubliables, le blanc de la lumière vive qui rend fous les miroirs.
Du blanc, du noir canaille, et du rouge plein de framboises en grappes. J’arrache tout ça aux cintres, aux présentoirs de mes rêves. Du blanc, du noir, du rouge, couleurs adorées, étoffes de ma muse, de mon asiat' féerie. Pour elle, je scrute, farfouille, grappille. Je soupèse les grains, je chaparde, déniche, embarque.
Dans mes pognes, contre ma poitrine, dépassant de mes poches : culottes, strings, tango de tangas, nuisettes, jarretelles, jarretières, guêpe et guépières, bas, slips, shorty, soutien-gorge baptisés du nom de belles étrangères : Umbria, Curaçao, Malaga, Ankara, Lucca, purs golfes d’ombres éparses.
Obsédé de la peau et de ce qui la pare, je plonge derrière les paravents. Elle est là, ma muse, parée d'une muleta de rosée. Elle est assise sur un tabouret en bois à hauteur réglable. Elle m’attend pour se défaire de l’enfantin coton. Elle dépose au cœur de mes mains jointes ses paroles chéries :
_ Déshabille-moi, déshabille-moi… Oui, mais pas tout de suite, pas trop vite… Sais me convoiter, me désirer, me captiver… Déshabille-moi, déshabille-moi… Dévore-moi des yeux… Mais avec retenue… Que je m'habitue, peu à peu… Déshabille-moi, déshabille-moi…
Dehors : des coups de klaxon, des hurlements, le vendeur du Monde braille pour vendre sa came, les chiens chient où il faut. Et, dans mon salon, le jingle d'un flash info, puis les news : "Bonjour, il est 15 heures ... Bonne nouvelle : le CAC 40 est en hausse de 0,53 % ... ". Je referme mon catalogue.

Aucun commentaire: