Quand il prend la plume, Frédéric
Roux cogne. On sent le boxeur. Il suffit de se souvenir de certains
de ses livres : Lève ton
gauche !, Ring ou sa très
bonne bio de Mike Tyson, en 1999. Pas étonnant donc que, dans Alias
Ali, Roux s’intéresse au plus grand, celui
qui titrait son autobiographie : The
Greatest. La vie de Cassius Clay, devenu
Mohammed Ali, étant un roman, Roux en écrit un, où pas une ligne
pourtant ne semble être de lui. Ca ressemble à ce que Georges
Plimpton avait entrepris pour raconter Truman Capote. Roux a tout vu,
tout lu, tout entendu sur le héros. Se plongeant et coupant dans la
masse de mots, d’impressions et de témoignages recueillis, il a
créé une œuvre de 620 pages. C’est une performance, au sens
artistique, et ça fonctionne à merveille. Ali est là, à chaque
ligne, évoqué par sa mère, ses entraîneurs, sa femme, ses
adversaires. On le suit pendant son enfance ; on monte avec lui
sur le ring ; on croise Malcolm X ; on prends des coups ;
on est champion du monde poids lourds; on flippe devant Liston,
Frazier et Foreman ; on subit la déchéance du champion malade.
La bande-son est signée Sam Cooke et Bob Dylan. Par-delà le
corps du boxeur et ses éclats d’âme, l’Amérique des années
60/70 est mise en lumière, en accusation : ségrégation
raciale, assassinat de JFK, Vietnam, Elvis, Nixon. Entre les cordes
tendues, les protagonistes ferraillent, les répliques s’enchaînent.
Les meilleurs plumes américaines sont de la partie : Don
DeLillo, Hunther S. Thompson, Norman Mailer, Nick Tosches. Ne pas
oublier Budd Schulberg – scénariste de Sur les
quais de Kazan et auteur de
Qu’est-ce qui
fait courir
Sammy ? et du Désenchanté
autour de Fitzgerald. On lui doit cette fulgurance : « Clay
a fait autant pour
rendre la boxe glamour
que Marilyn Monroe a
fait pour le sexe. »
Normal, finalement, que la boxe ait toujours passionné les
écrivains. Il s’agit d’écrire comme Ali boxait : « être
aérien comme le papillon
et piquant comme la
guêpe. » La formule est de Drew Bundini Brown,
entraîneur et âme damnée. Elle signe la légende d’Ali, à
laquelle Frédéric Roux offre, avec Alias Ali,
un hommage monumental, punchy et stylé.
Frédéric Roux,
Alias Ali,
Fayard, 2013
Papier paru dans Service littéraire, mars 2013
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