lundi 22 avril 2013

Le Club des guillotinés



Deux ou trois grincheux ont égratigné La Révolution française de Louis-Henri de La Rochefoucauld, paru en début dannée. La raison : il sagirait dun roman vain, moqueur, nonchalant. On est rassuré. Cest notre plaisir en littérature et cest ce qui nous enchantait, déjà, dans les précédents textes de La Rochefoucauld : Les vies Lewis, Un smoking à la mer et Les enfants trouvés.
Avec La Révolution française, La Rochefoucauld règle ses comptes familiaux. Tout ça parce que, place de la Bastille, une jolie Marianne le quitte en lui disant : « Mon pauvre, pauvre type, il aurait mieux valu pour toi que tu ne sois pas né. » Pour ne rien arranger, un serveur demande au gandin, au lieu de lui resservir une bière, ses papiers d’identité. La Rochefoucauld ? C’est louche. Prière de s’expliquer. Ce que Louis-Henri va faire à la hussarde, avec une drôlerie féroce. Etre né de noble extraction ou ne pas être : c’est aujourd’hui, pour lui, une question de survie.
Le dernier des La Rochefoucauld ne descend pas de François, lauteur des Maximes, pour rien. Il use de la langue française avec la précision d’un sniper, ajoutant ça et là un zeste de négligé particulièrement de saison. Il allume une cigarette, se joue des volutes et commence son récit. On passe du coq à l’âne et d’un ancêtre l’autre. Ne pas oublier que, le 15 juillet 1789, c’est un Liancourt-La Rochefoucauld qui, alors que le Roi demandait « Hum … C’est une révolte ? », répondit : « Non Sire, c’est une Révolution. » Quelques-uns, qui attaquèrent la lignée rupificaldienne, en prennent pour leur grade : Saint-Simon, le Cardinal de Retz, Chamfort. Danton, Robespierre et Saint-Just : n’en parlons pas. C’est injuste, évidemment ; très brillamment visé pourtant.
La Rochefoucauld se permet tout. Il appelle son père « le grand Rabbin », se moque d’Edouard Drumont au nom d’une certaine idée des petits luxes de la vie. Il évoque un « Bal des bêtes » donné en 1885 par la princesse de Sagan, en profite pour se replonger dans La Recherche du Temps perdu. Ne surtout pas se priver des digressions. Ouvrir, par exemple, la première édition – préfacée par Jean Cau - de La Place de l’Etoile de Modiano, y dénicher encore un La Rochefoucauld. Le club des guillotinés, décidément, s’agrandit sans fin et, partout, des bribes de l’histoire de Louis-Henri surgissent, qu’il nous offre en pâture.
Au fil des pages de La Révolution française, il n’est pas sûr que la jolie Marianne revienne. Elle a tort, c’est certain. Même si on l’oublie presque. Parce que Louis-Henri de La Rochefoucauld, s’il fait le mariole comme personne entre deux mots d’esprit foutraques, sait toucher au plus près des émotions. Il se souvient de son enfance tirée à quatre épingles. Il salue la mémoire d’un ami d’adolescence suicidé. Il n’oublie pas un petit camarade de classe – Armand – tué à coups de crosse de revolver, dans les beaux quartiers, par son père, qui s’occupa à l’identique du reste de sa famille. Il cite la devise du leader vendéen Henri de La Rochejaquelein : « Allons chercher l’ennemi : si je recule, tuez-moi ; si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ! »
La vengeance de Louis-Henri de La Rochefoucauld est un enchantement, délicat comme la révérence qu’il tire : « Après m’être envoyé quelques verres derrière la cravate, je m’esquivais discrètement – j’avais un train à prendre. »
Louis-Henri de La Rochefoucauld, La Révolution française, Gallimard, 2013
VO du papier paru sur Causeur.fr, avril 2013

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