mardi 15 juillet 2014

Un été avec Jean-Jacques Schuhl



La première fois que nous avons lu des nouvelles de Jean-Jacques Schuhl, c'était dans Vanity Fair, avec des illustrations de Pierre Le-Tan, et dans Lui. On a gardé précieusement ce numéro de Lui. Il y avait Schuhl au sommaire et, en couverture, Kate Moss shootée par Terry Richardson dans une pose inspirée d'Aslan, qui venait de mourir. La peau nue et les mots, à la caresse : la beauté, parfois, sauve l'immonde.
On n'a pas oublié notre lecture des textes de Schuhl. Leur charme était entêtant, tel un parfum. C'est rare chez les nouvellistes français. On a pensé au regretté Frédéric Berthet. Nous avons relu plusieurs fois chaque nouvelle : « Un dernier amour d'Andy Warhol », « Une robe de chambre postmoderne » et, notre préférée, « La cravache ». On y croisait des filles anglaises au teint pâle, Fred Hugues et le fantôme de Valérie Solanas, une femme en dessous chics et à quatre pattes qui annonçait : « Je suis un cheval. » A la fin de chaque nouvelle était annoncé le recueil à venir, titré Obsessions. Clin d'oeil à Baudelaire, à un film noir des années 40 et à des effluves signées Calvin Klein.
Obsessions est venu s'ajouter à notre bibliothèque schuhlienne, à côté de Rose Poussière, Télex n°1, Ingrid Caven – prix Goncourt 2000 – et Entrée des fantômes. Nous y avons retrouvé les nouvelles déjà lues, des textes parus dans Libération et des inédits. A chaque fois, de minuscules changements avaient été opérés entre ce que nous connaissions et ce qui avait été imprimé. La Schuhl's touch est là : le soucis du détail. Il le trouve dans les pages des journaux, dans des photos découpées, dans des poèmes lointains. C'est que Schuhl se moque d'être un écrivain. Il préfère sculpter le romanesque. Le nom d'une rue, la couleur d'une veste ou la grande bouche rouge de Paloma Picasso, par exemple. Son affaire, c'est le temps perdu. Il le remonte à sa guise, ciselant la légèreté de chaque phrase. Quand Jean Eustache, Jacques Rigaut, Helmut Berger ou Jean-Luc Godard passent entre les lignes, il s'agit de ne pas peser. Schuhl, justement, se déplace dans ses histoires tel un danseur étoile. Son style chaloupé, d'une élégance folle, s'envole brusquement, offrant des moments de grâce : « La Mercedes roule lentement sur le quai de Montebello, la lumière bleutée du plafonnier est allumée, masse sombre des arbres, scintillements de lumières sur le fleuve, elle traverse le pont du Carrousel, longe l'Esplanade, passe devant la Cour, jardin des Tuileries sur la gauche, le Marly là-bas ... » C'est le plus délicat des poèmes. Tout comme cette fusée, sur fond de « Fly me to the moon » : « La fille a un fond de teint blafard, des cheveux blonds de film noir. »
Schuhl n'est pas précieux, parce qu'il est rare -cinq livres en 40 ans. Il est précieux, parce qu'il écrit comme personne : petits luxes, humour et fulgurances. Livre de printemps et de crooner, Obsessions sera la mélodie de notre été, à lire et siffloter à l'ombre d'une terrasse, au bar d'un hôtel ou plein soleil.

Jean-Jacques Schuhl, Obsessions, Gallimard
Texte écrit pour Causeur Magazine (été 2014). Non publié because foutebol. A paraître, au hasard des jours, sur Causeur.fr

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