Qui se souvient de Jean-Michel Gravier ?
Ca a été quelque chose, pourtant,
Gravier.
C’était la fin des seventies,
Giscard Président et, dans Le Matin
de Paris, il
signait chaque semaine la chronique la plus drôle, stylée et
classieuse de toute la presse : « Elle court,
elle court la nuit ».
A la hussarde, sa plume devant tout autant à Jacques Laurent qu’à
Jacques Chazot, il inventait le nightclubbing. Il y avait
Pacadis dans Libération, pour le canal « épingle
à nourrice », et lui, Gravier, préférant le smoking au
perfecto, s’enflammant pour une jeune actrice, Isabelle Adjani,
pour Diva de Beineix ou racontant une soirée au Palace
au cours de laquelle Frédéric Mitterrand, travesti en Lana Turner,
chantait sur un trapèze.
Amusant ses lecteurs jusqu’au fou
rire et le fâchant avec le reste d’un petit monde de paillettes
qu’il zébrait de ses moqueries, « Elle court,
elle court la nuit »
a fait de Gravier une star. On achetait Le Matin
pour lui et pour sa chronique, la première lue du journal. Qu’il
égratigne une vedette ou qu’il donne l’adresse d’une table où
manger après minuit, on en parlait aux terrasses des cafés. Les
esthètes l’admiraient ; les insignifiants le craignaient.
C’est que Gravier ne cachait rien de ses enchantements et de ses
déceptions. Ses papiers, ainsi, nous offraient le pouls d’une
époque, de fête, d’excès et de mélancolie, en train de crever
lentement.
En 1981, l’élection de François
Mitterrand fait office d’avis de décès. L’insolence de Gravier
ne passe plus. Il ose ridiculiser Roger Hanin, le beau-frère, et les
présentateurs télé d’Etat, apprentis people de
demain. Gravier va prendre la porte, « Elle court,
elle court la nuit »
n’existe plus. On en retrouve brièvement la petite musique, en
1982, dans les pages du Film français,
pendant le festival de Cannes où Gravier est chez lui, tenant une
chronique quotidienne, allumant les mèches sur la Croisette,
trinquant et tutoyant l’aube en costume de lin froissé. On en
retrouve, surtout, une dernière fois, la grâce de feu follet dans
le premier livre de Gravier, publié en 1988 : Les
héros du
peuple sont
immortels.
Le titre est de Mao et devait paraître
chez Albin Michel qui décida, contrat signé et ouvrage prêt à
partir à l’imprimerie, que Gravier écrivait en dehors des clous.
En cause, toujours, quelques piques destinées à son amie Adjani –
qui ne lui en voudra guère -, à Barbara, au très pénible Michel
Boujenah, entre autres. Grâce à Patrick Besson, Les
héros du
peuple sont
immortels sort chez Fixot. Le livre - « triste
et gai, nostalgique comme
nos rêves » - est encensé par la
presse, boudé par les lecteurs. La beauté, pourtant, est y partout.
Dans une suite de lettres, qu’il ne postera jamais, Gravier raconte
ses passions et se raconte : « Certains ont
choisi l’or (traduction
contemporaine du mot
argent). D’autres un
faux pouvoir. Certains ont
cru à la croyance.
Les plus fous ont
cru en eux. Moi,
je n’ai pas
eu le choix : c’était
vous ou rien. Moi,
j’ai grandi avec
vous : j’ai vu
naître Nicolas (Charrier)
et David (Hallyday), j’ai
pleuré pour Farah, tremblé
pour Soraya, prié avec
Fabiola ; comble de la
misère, j’ai souffert
avec elles les mille
maux des princesses
Grimaldi. Forcément, ça
crée des liens. » C’est
l’histoire d’un jeune homme qui quitte l’Algérie, arrive à
Grenoble en 1964. Sur Europe 1, Salut les
Copains, il écoute Dalida et Sylvie Vartan.
Dans les salles obscures, il tombe amoureux de Françoise Dorléac,
ne se remettra jamais de son accident de voiture fatal. Il lui envoie
des mots doux, qu’il ne faut pas secouer : ils sont plein de
larmes. Plus tard, il y aura Etienne Daho, des Catherine, des
Isabelle, des Anouck, Ingrid Caven aussi.
Invité dans Bains
de minuit par
Thierry Ardisson, Gravier est questionné : « Tu
ne te trouves pas
un peu ringard ? »
Il ne répond pas, visiblement touché comme une midinette
imprudente, se contente de sourire. Sait-il que son livre est un
petit bijou, de ceux qui, des années plus tard, bien après sa mort
en 1994, servent de mot de passe entre dandy ?
Texte paru dans Schnock#6, mars 2013
2 commentaires:
Dommage le livre est introuvable !
Je l'ai lu inspiré par le Président Basile de Koch qui avait fait du titre le slogan d'un tee shirt improbable de Jalons avec les tètes de noeuds du Loft(dont l'immortel bourriquet:ce que c'est que la sous-culture quand mème). Est sorti très récemment un recueil des ces chroniques dont l'achat si j'ai bien compris est fortement recommandé.
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