jeudi 7 mars 2013

Dans Schnock #6, Jean-Michel Gravier et Les Héros du peuple sont immortels ...


Qui se souvient de Jean-Michel Gravier ?
Ca a été quelque chose, pourtant, Gravier.
C’était la fin des seventies, Giscard Président et, dans Le Matin de Paris, il signait chaque semaine la chronique la plus drôle, stylée et classieuse de toute la presse : « Elle court, elle court la nuit ». A la hussarde, sa plume devant tout autant à Jacques Laurent qu’à Jacques Chazot, il inventait le nightclubbing. Il y avait Pacadis dans Libération, pour le canal « épingle à nourrice », et lui, Gravier, préférant le smoking au perfecto, s’enflammant pour une jeune actrice, Isabelle Adjani, pour Diva de Beineix ou racontant une soirée au Palace au cours de laquelle Frédéric Mitterrand, travesti en Lana Turner, chantait sur un trapèze.
Amusant ses lecteurs jusqu’au fou rire et le fâchant avec le reste d’un petit monde de paillettes qu’il zébrait de ses moqueries, « Elle court, elle court la nuit » a fait de Gravier une star. On achetait Le Matin pour lui et pour sa chronique, la première lue du journal. Qu’il égratigne une vedette ou qu’il donne l’adresse d’une table où manger après minuit, on en parlait aux terrasses des cafés. Les esthètes l’admiraient ; les insignifiants le craignaient. C’est que Gravier ne cachait rien de ses enchantements et de ses déceptions. Ses papiers, ainsi, nous offraient le pouls d’une époque, de fête, d’excès et de mélancolie, en train de crever lentement.
En 1981, l’élection de François Mitterrand fait office d’avis de décès. L’insolence de Gravier ne passe plus. Il ose ridiculiser Roger Hanin, le beau-frère, et les présentateurs télé d’Etat, apprentis people de demain. Gravier va prendre la porte, « Elle court, elle court la nuit » n’existe plus. On en retrouve brièvement la petite musique, en 1982, dans les pages du Film français, pendant le festival de Cannes où Gravier est chez lui, tenant une chronique quotidienne, allumant les mèches sur la Croisette, trinquant et tutoyant l’aube en costume de lin froissé. On en retrouve, surtout, une dernière fois, la grâce de feu follet dans le premier livre de Gravier, publié en 1988 : Les héros du peuple sont immortels.
Le titre est de Mao et devait paraître chez Albin Michel qui décida, contrat signé et ouvrage prêt à partir à l’imprimerie, que Gravier écrivait en dehors des clous. En cause, toujours, quelques piques destinées à son amie Adjani – qui ne lui en voudra guère -, à Barbara, au très pénible Michel Boujenah, entre autres. Grâce à Patrick Besson, Les héros du peuple sont immortels sort chez Fixot. Le livre - « triste et gai, nostalgique comme nos rêves » - est encensé par la presse, boudé par les lecteurs. La beauté, pourtant, est y partout. Dans une suite de lettres, qu’il ne postera jamais, Gravier raconte ses passions et se raconte : « Certains ont choisi lor (traduction contemporaine du mot argent). Dautres un faux pouvoir. Certains ont cru à la croyance. Les plus fous ont cru en eux. Moi, je nai pas eu le choix : cétait vous ou rien. Moi, jai grandi avec vous : jai vu naître Nicolas (Charrier) et David (Hallyday), jai pleuré pour Farah, tremblé pour Soraya, prié avec Fabiola ; comble de la misère, jai souffert avec elles les mille maux des princesses Grimaldi. Forcément, ça crée des liens. » C’est l’histoire d’un jeune homme qui quitte l’Algérie, arrive à Grenoble en 1964. Sur Europe 1, Salut les Copains, il écoute Dalida et Sylvie Vartan. Dans les salles obscures, il tombe amoureux de Françoise Dorléac, ne se remettra jamais de son accident de voiture fatal. Il lui envoie des mots doux, qu’il ne faut pas secouer : ils sont plein de larmes. Plus tard, il y aura Etienne Daho, des Catherine, des Isabelle, des Anouck, Ingrid Caven aussi.
Invité dans Bains de minuit par Thierry Ardisson, Gravier est questionné : « Tu ne te trouves pas un peu ringard ? » Il ne répond pas, visiblement touché comme une midinette imprudente, se contente de sourire. Sait-il que son livre est un petit bijou, de ceux qui, des années plus tard, bien après sa mort en 1994, servent de mot de passe entre dandy ?
Texte paru dans Schnock#6, mars 2013

2 commentaires:

rod a dit…

Dommage le livre est introuvable !

Fages Olivier a dit…

Je l'ai lu inspiré par le Président Basile de Koch qui avait fait du titre le slogan d'un tee shirt improbable de Jalons avec les tètes de noeuds du Loft(dont l'immortel bourriquet:ce que c'est que la sous-culture quand mème). Est sorti très récemment un recueil des ces chroniques dont l'achat si j'ai bien compris est fortement recommandé.