Roland Jaccard a le dilettantisme d’un
éternel jeune homme. C’est une qualité qui préserve de la
lourdeur. Les titres de ses livres, d’ailleurs, esquissent encore
plus une singulière carte du tendre et du cynique : Journal
d’un oisif,
Flirts en hiver,
L’homme élégant
ou, notre préféré, Une fille
pour l’été.
A l’inverse de Beckett, Jaccard n’est
pas « bon qu’à ça ». Il écrit à sa guise et
selon les saisons. Suisse de Paris, il s’envole volontiers pour
Tokyo et conseille à ses vieux compagnons un camp d’entraînement
chez les survivalistes américains. Il semble que, loin des mots,
quelques demoiselles l’occupent. Il les couchera plus tard sur la
page blanche. Les journaux du jour lui donnent l’occasion de se
moquer joyeusement de ses contemporains. Il ne déteste pas,
l’après-midi, badiner avec un ami, offrant une photo oldscoule
de Catherine Spaak et buvant des cafés très serrés, au zinc d’un
bistrot du boulevard Raspail. Ca lui permet de charmer des serveuses
prénommées Stéphanie. Pour dîner, les tables asiatiques ont ses
faveurs, surtout quand elles sont fréquentées par Marie-José Croze
et une poignée de gandins.
Quand on aime les petits luxes de la
vie, on le voit, il y a des priorités. Histoire de donner le change,
Jaccard a pourtant longtemps chroniqué la philosophie au Monde
et publié les livres des autres aux PUF. Le
Monde étant devenu illisible, il a cessé
d’écrire dedans ; les PUF ayant mis Paul Gégauff à la
porte, il l’a claquée à son tour. Dégagé de ces obligations,
Jaccard n’offre désormais ses carnets et ses mots – mal-pensants
et parfaitement ciselés – qu’à Causeur
et
Grasset,
qui
vient
d’éditer
Ma vie et autres trahisons.
Sous-titré
« Récit », Ma vie et autres
trahisons
tient autant du journal intime que du roman, du recueil d’aphorismes
que des « choses vues ». Paré de Ray-Ban et posant au
loser magnifique - « Il
m’est pénible de l’avouer, mais je suis un pauvre type »
-, Jaccard est surtout un flâneur en fugue du côté ses obsessions,
de ses plaisirs, de ses fantômes aussi. Il met à l’honneur les
Lolitas et les poètes japonais. D’une ligne l’autre, Dexter
Morgan dialogue avec Cioran et Bukowski. Sur l’écran noir des
nuits blanches, Candy
de Christian Marquand lui rappelle la silhouette d’un amour enfui.
Des noms défilent : Mélanine, Rachel, Vijak, Shade. Les
souvenirs, souvent, se teintent de mélancolie. Des morts parlent
avec grâce ; trop de vivants, malheureusement, racontent
toujours autant de bêtises. Ne pas oublier, parfois, que les
gangsters sont de chics types, même quand ils ont enlevé un baron,
lui coupant un doigt. Ca rassure presque, ça patine les trahisons
premières.
A
la fin de la balade, on a envie de relire en boucle les chapitres de
Ma vie et autres trahisons.
On dirait des chansons, une petite musique qui ne nous quitte pas,
comme un haïku de Brautigan, comme une Physiologie
des lunettes noires qui,
pour Jaccard, annonce l’été. Rien ne dépasse, Roland a raison,
la promesse des plages.
Roland Jaccard, Ma vie et autres trahisons, Grasset 2013
Papier paru dans Causeur Magazine, mars 2013
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