vendredi 3 octobre 2008

Les paradis perdus de François Bott

Le vélodrome d’Hiver appartient aux mythologies françaises si chères à Roland Barthes. Situé à l’angle du boulevard de Grenelle et de la rue Nélaton, c’était le théâtre des légendaires «Six jours de Paris», course cycliste sur piste où, par amour des champions, le mondain et le populo s’époumonaient de concert : «Vas-y mimile, Vas-y Léon, Vas-y Gégène, Vas-y Toto, Vas-y Bébert …»
Le Vel’d’Hiv’ donne aujourd’hui son nom à un beau roman de François Bott. En fin connaisseur d’Henri Calet, l’auteur délicat des Etés de la vie aurait pu écrire en exergue de son texte : «Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes». Les larmes de Bott sont celles d’une enfance légère dont la joie fut brutalement cognée un matin de juin 1942 : «J’ai cessé de trouver l’existence amusante lorsque […] j’ai vu Simon arriver au lycée avec une étoile jaune cousue sur sa veste. Je ressentais à la fois de l’étonnement, de la tristesse et de l’incompréhension. Il était marqué comme du bétail, avec cette infâme, cette horrible étoile.»
Vel’d’Hiv’ nous raconte, dans un style qui doit autant à Claude Sautet qu’à Roger Vailland, cette histoire de larmes et de joie.
Le chagrin au coeur
De retour de La Havane, un vieil homme flâne dans les rues de Paris : «Je suis, j’étais de la génération du jazz hot, de l’existentialisme et des apéritifs que l’on jouait au 421, sur le comptoir. Le genre de type ayant la nostalgie des porte-jarretelles, des matchs de football le dimanche et des écoles communales de jadis, avec des instituteurs sentant le tabac.» A la terrasse d’un bistrot, un visage entraperçu réveille le passé. Raymond croit reconnaître le docteur Segal, le père de Simon qu’il rencontra, en 1935, sur les bancs de l’école communale. Les deux garçons devinrent rapidement inséparables. Ils se prenaient pour Achille et Patrocle dans les recoins du vélodrome d’hiver, où le père de Raymond était concierge : «Le Vel’d’Hiv’ était notre Far West, le jardin de nos rêves, la cathédrale de nos chimères […] Nous étions des enfants du paradis, mais nous ne savions pas que celui-ci deviendrait assez vite notre paradis perdu et le pire des enfers
Le paradis, pour Raymond, ressemble à un été passé avec Simon et sa famille, à Houlgate, dans une villa remplie de livres. Le paradis a aussi le visage d’une douce créature au nom d’héroïne : Maria Teresa Rodriguez, jeune fille à la peau très mate, aux cheveux très noirs et aux yeux très verts. L’enfer, lui, surgit entre une évocation de Bouvard et Pécuchet ou du boxeur panaméen Al Brown, que Jean Cocteau comparait à un danseur, et des discussions familiales agitées sur les mérites respectifs de Léon Blum et de Maurice Thorez. L’Allemagne applique les lois racistes de Nuremberg, l’armée italienne envahit l’Ethiopie, Franco prend le pouvoir en Espagne, Daladier signe les accords de Munich. Il y a également ce qualificatif, «juif», que certains camarades de classe lancent, telle une accusation, à Simon. Viendra ensuite l’étoile jaune avant que, le 16 juillet 1942, des cris secouent le Vel’d’Hiv’ et tétanisent Raymond. Il ne reverra plus Simon ni son père, des personnages auxquels François Bott offre le plus beau des tombeaux. Avec lui, laissons le dernier mot à Georges Bernanos : «Certes, ma vie est déjà pleine de morts, mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus.»
François Bott, Vel’d’Hiv’, Le Cherche-Midi, 189 p. - Gina, La Table Ronde, Réed. «La petite vermillon», 93 p.
Article paru dans L'Opinion indépendante, le 03/10/08

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