lundi 29 janvier 2007

Hallier, l’écrivain que vous aimerez haïr


Enterré dans son Finistère sous les crachats et les moqueries de beaucoup, Jean-Edern Hallier bouge encore. Tel un monstre gothique grand-guignolesque, il remonte sur scène, histoire de nous rappeler que tout était plus drôle, plus léger, plus percutant du temps de son règne fourbe et flamboyant. Dans sa besace : Fin de siècle[1], L’Evangile du fou[2] – sous titré Charles de Foucauld, le manuscrit de ma mère morte – et les missives piégées qu’il envoya, à la fin de sa vie, à ses amis, ses ennemis. Depuis sa chute de vélo, le 11 janvier 1997 à Deauville, Jean-Edern n’a pas changé, touchant et insupportable « grand écrivain » qui se prend les pieds dans le tapis de l’époque et, les fesses par terre, harangue les puissants et les faibles avec le lyrisme des clodos magnifiques. Que nous dit Hallier dans ses Fax d’outre-tombe[3] à rire aux éclats ? Qu’il reste le plus grand, le meilleur, que personne ne lui arrive à la cheville, que les vanités se dégonflent d’une moquerie bien sentie, qu’il est le cousin de madame la Présidente, que les grands journaux français ne peuvent se passer de sa plume, qu’il aura le prix Goncourt. Mais il nous livre aussi, d’une voix cassée, des poignées d’intimité délicate : « Mon crépuscule intérieur me fait toujours choisir l’espérance insensée de l’aube. Le jour se lèvera pour tout le monde sauf pour moi. A ceci près que je resterai toujours le premier, un homme d’avant le jour, celui des petits matins glacés de l’intelligence, comme disait Paul Valéry. » Jean-Edern Hallier, c’était ça : un mensonge sur pattes dont le corps et la langue ont toujours dit la vérité.
Le style, c’est l’homme
Il faut se souvenir du corps d’Hallier. Dans un troquet de la côte bretonne, sous les dorures parisiennes ou à bicyclette, on ne voyait que lui. Ex-borgne devenu aveugle, portant costumes fripés et écharpe blanche comme le lys, Jean-Edern affichait une dégaine haute en couleur sur laquelle se déposaient les postillons des tristes sires : bouffon, truqueur, voyou, plagieur, maître-chanteur, sale type. Récemment encore, un célèbre chroniqueur ne lâchait pas le morceau : « Triste pitre », « débiteur de la vierge Marie », « ami de Sarkozy »... Etourdi par son mépris haineux, ce vieil observateur des gens de lettres passait à côté de l’essentiel : grandiose derrière ses masques multiples de parrain mégalo, Hallier était juste un personnage de roman, un gigantesque anti-héros qui ne s’aimait qu’entre les pages d’un livre ou entre les lignes d’un journal. Pour exister dans un pays qui se bouchait le nez devant les types comme lui, Hallier s’est proclamé cogneur sur le ring des mots. Le ring le plus beau c’était bien sûr L’Idiot international, bric-à-brac vengeur d’un obsédé du style qui secoua le cocotier clinquant des années 80 finissantes. Avec L’Idiot, Jean-Edern a accompli sa « grande œuvre », torero d’une vie qui devenait invivable et dealer de littérature. Autour du bandit en chef qui tenait l’édito, l’article, la chronique, le poème - toujours en avance d’un combat et d’un bon mot -, nous retrouvions ceux qu’il nomma, dans Les puissances du mal, sa « brigade légère » : Nabe, Besson, Duteurtre, Limonov ou encore Houellebecq, les meilleurs du jour. L’Idiot est ainsi le révélateur du secret d’Hallier. Sniffeur perpétuel des mots de Hugo, Chateaubriand ou Larbaud, il y a surjoué d’une grâce pataude son meilleur rôle : écrivain entouré d’écrivains élus par sa seule volonté.
Le romancier contre-attaque
Hallier écrivain ? Rictus mauvais et protestations fusent encore. Il y a longtemps que le « cas Jean-Edern » semblait régler. Ouvrons Fin de Siècle, L’Evangile du fou, romans où l’on peut lire : « Nous étions un 13 août 1979. Je volais toutes ailes déployées au dessus des champignons de nuages blancs, sur le vélin de l'aube, vers la moisissure du temps perdu » et « Ma mère est morte, c’est la fin du monde. Rien ne sera jamais plus comme avant. Pleure, Petit Prince. » Des mises en bouche qui disent tout du talent d’Hallier et ouvrent sur une identique épopée hors-norme : un fou se plonge dans un monde créé à sa démesure et, d’une langue pleine d’épines et de fulgurances, le défie. « Mon histoire, écrit Hallier, est d’une simplicité enfantine, celle de la maladie d’enfance, elle est aussi d’une simplicité biblique, celle de David contre Goliath. » David en vadrouille au Cambodge face au Goliath de l’humanitaire droitdelhommiste triomphant puis sur les pas de Charles de Foucauld, découvrant le pays bleus des Bédouins. Il faut lire dans la foulée Fin de siècle et L’Evangile du fou pour comprendre que, livre après livre, Jean-Edern a écrit un seul et même fourre-tout majestueux et mal fagoté, où tout ce que son œil alors valide pouvait capter était épinglé tel un papillon. D’un roman l’autre, il nous emmène du côté de la fin de la terre, aux premières loges d’une écume belle et blanche comme la peau d’Anna Mouglalis. Il nous présente les fantômes de la Boixière, son « vaisseau de granit » perdu au milieu des herbes hautes. Il trinque à la beauté de la pluie, de la neige et des vents violents qui font claquer les fenêtres entrouvertes et soulèvent les draps. Il joue aux billes avec Rabbin des bois, Mystère Magoo, Quéquette du Graal. Avant de s’endormir, il se laisse border par une mère imaginaire chapardeuse de songes, une maman dont les seins et la chevelure pourraient appartenir à Béatrice Dalle. Quand la maman s'en va, Hallier souffle aux enfants que, comme lui, nous sommes restés : « J’appartiens à la race de ceux qui ne sont rien et dont toute la passion, pour rester des hommes libres, se sera employée à n’être rien jusqu’à la fin. Alors je dormirai tranquille, apaisé, revenu de toutes mes fièvres, mes vanités insupportables, et de tous mes défis gratuits.»


[1] Fin de siècle, Albin Michel, 336 pages, 23 euros.
[2] L’Evangile du fou, Albin Michel, 438 pages, 23 euros.
[3] Fax d’outre-tombe, Michalon, 446 pages, 23 euros.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne l'ai rencontré qu'une seule fois, chez lui, avenue de la Grande Armée, c'était pour une ultime tentative de relance de l'Idiot(circa 93-94?)
Il y avait Limonov, Besson, Omar Foitih, je crois et une suissesse blonde. Je n'ai pas trop compris qui c'était, la suissesse, car j'étais défoncé.Un nuage d'herbe, et les dessins d'Edern, partout, qu'il regardait avec cette espèce d'appareil qu'ont les bijoutiers car il était déjà presque aveugle.. Je devrais quand même retrouver la date puisqu'on était arrivés du Rocher où Limonov signait son SP pour Mort des héros modernes.
Je me souviens, alors qu'on était serrés tous les trois (Besson Limonov and I)dans l'ascenceur du Rocher, que Besson avait fait remarqué de manière sarcastique que si quelqu'un nous balançait une grenade, l'ensemble du complot rouge-brun serait détruit.
1993, c'est ça, entre Noël et ke Jour de l'an(je viens de retrouver le Limonov dans ma bibliothèque).
Arnaud, mille sabords, je prends un redoutable coup de vieux.
Je vous donne ce souvenir pour ce qu'il vaut, si un jour vous donnez une édition augmentée de votre JEH

Anonyme a dit…

Le premier qui vous traite de rouge-brun se prend un coup de sabre.

Arnaud Le Guern a dit…

Je prend ce souvenir pour ce qu'il est : d'abord un témoignage qui me touche, un morceau de vie que je capte en plein vol, et puis une nouvelle qui pointe, une nouvelle qui, sous votre plume, est, sera une des mèches d'un prochain déclenchement muet ... Il y a la Grande Armée, l'herbe, la suissesse, cet ascenseur et Limonov.
Putain, Limonov ! Qu'on réédite Limonov ! Le poète russe préfère les grands nègres ! Vous venez de me donner envie de relire Limonov. Je suis pas couché ...

Anonyme a dit…

L'étranger dans sa ville natale,
autoportrait d'un bandit dans son adolescence
Limonov, il m'aimait bien parce que je cause un peu le russe et j'ai pas mal de livres dédicacés. Il m'avait promis de me rapporter un uniforme du NKVD car j'avais adoré "La grande époque" où il raconte son père officier de l'honorable institution. Mais de retour en Russie, il n'est plus jamais vraiment revenu, jusqu'à la taule...
Sinon, on s'est vu une bonne douzaine de fois au début des 90's, je lui faisais des papiers dans le Quotidien, et au festival de Cognac(novembre91...), on a bu comme des slaves, en chantant et en nous insultant deux bouteilles de XO Camus

Arnaud Le Guern a dit…

Il avait un sacré grain m'a-t-on dit, mais nous ne lui jetterons pas la première pierre, n'est-ce pas.
Dans ma bibliothèque de l'extrême pointe armoricaine, j'ai "Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo", tout un programme enchanteur ... Tiens, la seule pétition que j'ai jamais signée, c'était pour la libération de Limonov. J'avais fait un papier aussi qu'on retrouve peut-être dans le livre de Goffman, je ne sais pas...
En passant, il y a dans vos papiers du Quotidien (puis de La revue des 2 mondes) des portraits, des intuitions, un monde de mots et de silhouettes qui feraient un beau receuil, cad une sacrée bibliothèque de survie en milieu hostile.

Arnaud Le Guern a dit…

"Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo" : en 2007 je vote Maxime Gremetz ! Tchin tchin pour Maxime, le mec qui rentre dans le lard de la grande Robien !

Alain Delannoy a dit…

Il faut lire Le Premier qui dort réveille l'autre, et Je rends heureux !