mardi 30 janvier 2007

Frédéric Berthet, l’étoile filante des lettres


Un homme qui nous laisse des phrases telles que « Voici un peu de vent et de soleil : ce qu’on aimerait exactement être » éclabousse l’époque de sa classe folle. Ils n’étaient pas nombreux à s’en souvenir quand Frédéric Berthet s’est éclipsé, à 49 ans, un jour de décembre 2003. Patrick Besson, Olivier Frébourg et quelques autres révélèrent alors le secret que peu partageaient : Berthet était l’étoile filante des lettres françaises. Un Nijinski qui illumine le décor puis disparaît trop vite, laissant derrière lui une poignée de cailloux précieux parmi lesquels Paris-Berry et Daimler s’en va – des merveilles de gaieté mélancolique.
Berthet aimait Kafka et Saint Augustin, Fitzgerald et les soirées privées, John Mac Enroe et les vieilles DS noires. Il aimait surtout les belles amoureuses capables de dire : « Charles, raconte-moi la scarlatine ! Si tu me la raconte bien, je te permets de m’embrasser, et je te jure que ce sera bien, que c’est une occasion unique – même si je te passe ma grippe, tu n’auras pas à la regretter. » Des héroïnes qui hantent chaque page du Journal de Trêve[1] et de Simple journée d’été[2]. Au bras d’une langue aux éclats ciselés, elles apparaissent dans des récits qui font des choses de la vie une suite de ré-enchantements et de fêtes absurdes. Elles possèdent une élégance incarnée, toute entière, dans le style de Berthet : « Penché sur elle, il ne fut pas certain de reposer dans le même lit : plutôt comme un corbeau penché sur un berceau » ou encore « Une passante fait passer comme un oiseau son ombre sur ma table ».
La réalité, pour Berthet, c’était le style et les histoires que le style créait. Luxe, ironie tordante et volupté au cœur du Journal de Trêve. De 1978 à 1982, Berthet noircit – entre Paris et New York - les pages de ce fourre-tout majestueux composé de listes, de chapitres tronqués, d’un roman en jachère et de monceaux de nouvelles. Un assemblage de cahiers qui a le charme d’un boudoir. Nous sommes dans l’intimité d’un écrivain plongé dans la mine de ses mots. Il les extrait de sa carcasse de jeune dandy, les forge, se les met en bouche. Puis il les fait résonner. Ce qu’on entend est d’une grâce infinie. Un chef d’œuvre de justesse de ton qui traverse chaque texte de Simple journée d’été. Un recueil de nouvelles– son premier – où tout est beau et bon : de l’ « Education française » de Charles Bonneval aux rêves de la douce Constance, en passant par un « Traité d’illégitime défense » et les aphorismes du « Cahier noir de Samuel ». Peu importe, après, que les grognons décrètent que Berthet a trop peu écrit, qu’il a gâché son talent comme Blondin. Blondin, Berthet : la comparaison se tient. Une identique fragilité, une légèreté profonde - reflet d’un certain art de converser, de séduire, d’arpenter l’asphalte des villes et des bords de mer. Une légèreté dont l’écho, aujourd’hui, nous parle : « J’ai des souvenirs comme un défilé de mode, une mémoire comme un soir de cocktail, je n’évolue jamais dans ma chronologie sans avoir un verre à la main. Se souvenir, c’est comme sortir. »
[1] Frédéric Berthet, Journal de Trêve, L’Infini/ Gallimard, 638 pages, 25 euros.
[2] Frédéric Berthet, Simple journée d’été, Denoël, 165 pages, 13 euros.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je l'ai rencontré cinq ou six fois, plutôt six.
Je parlais, ici je crois ou chez Jenny, de cette bonté qui émane de certains écrivains qui ont atteint une manière d'au-delà ici bas et qui peuvent se permettre le luxe d'une espèce de douceur corrégienne et aimablement ironique à la fois(ADG,Fajardie)
J'ai lu Daimler s'en va à sa sortie en 1988. Disons, pour faire simple, que ce livre est indispensable.
Sinon, j'ai acheté le Journal de Trêve chez Gibert la semaine de sa parution, avant la rafale d'articles qui allait suivre. J’étais avec la Fille de Nulle Part. On était ivres (vouvray La Dilettante) et depuis quatre mois, je n'ai pas dessoulé, en fait, puisque la dernière chose que je lis, chaque soir, ce sont quelques lignes de ce journal.
Alcool fortes, petites explosions lumineuses, supernovae intimes.
J'ai appris sa mort à Versailles, j'étais en compagnie de Sébastien Lapaque. C'étaient la période des "fêtes" comme on dit. On s'est consolés au morgon de Marcel Lapierre. Une tristesse de chien, un rude hiver

Anonyme a dit…

Le Journal de Trêve est un livre sans fin puisqu'on le reprend sans cesse, on le relit, Pénélope au coeur du souvenir des mots, des silhouettes.
Berthet écrivait avec la vista géniale qu'avait, sur un court, John Mc Enroe. Ca tombe bien, il l'aimait beaucoup je crois. Et quand je lis, relis Berthet, je pense aussi - même côté passant fulgurant et léger - à Alain Bonnand. Quelques livres à ne jamais lâcher puis le silence.

Anonyme a dit…

Je garde de cette virée ivres, chez Gibert, un souvenir surréaliste et une dizaine de livres, derrière moi, rangée du bas. Je t'ai promis Blondin, pour commencer. Je commence demain.