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dimanche 29 mars 2015

Tchin à Jérôme Leroy, prix des lecteurs 20 Minutes/Quai du Polar pour L'Ange gardien ...



On voulait vous parler d'Adieu aux espadrilles, notre roman d'été, de légèreté et de mélancolie. Ca viendra plus tard. Notre camarade Jérôme Leroy vient de se voir décerner le "Prix des lecteurs 20 Minutes/ Quai du polar" pour L'Ange gardien, roman beau, noir, poétique et joliment quatorzièmiste, entre autres plaisirs de lecture. On salue Jérôme, on tchine à sa santé et on republie, ci-dessous, le papier que nous avions écrit en septembre dernier.

"Depuis L'Orange de Malte, en 1990, Jérôme Leroy s'est toujours joué des genres : nouvelles, polar, poésie, anticipation, flânerie. Homme élégant du communisme, tendance Roger Vailland, il n'en fait qu'à ses envies, souvent teintées de mélancolie. C'est que, derrière ses Ray-Ban, Leroy ne manque rien des dérèglements de l'immonde, qu'il observe sans oublier un monde d'avant où des jeunes filles en fleur avaient plaisir à lire Paul-Jean Toulet sur le rebord des tombes.

En 2011, Le Bloc dressait, en se focalisant sur quelques figures d'un parti très à la mode, le tableau d'une France sous émeutes et sous perfusion. L'Ange gardien va encore plus loin, plus profond, quêtant le dessous des cartes de la mort en marche. Mort d'un « cher et vieux pays », mort des sentiments, mort de la douceur des choses. Le parti très à la mode est sur toutes les lèvres et tous les bulletins de vote. Des officines complotent dans l'ombre. On tue sans compter pour assurer le désordre public. La République ressemble à une Grèce saignée à blanc, où les derniers rejetons de la beauté tentent d'échapper à la lourdeur assassine des temps. Il y a Berthet, tueur et amateur de poésie dont on veut la peau ; Martin Joubert, écrivain à bout de souffle ; et Kardiatou Diop, étoile montante de la politique, secrétaire d'Etat sortie d'une chanson de la Motown ou d'un film de la Blackexploitation.

Dans L'Ange gardien, Leroy mêle les voix et les silhouettes. « L'ange gardien », c'est Berthet. Il a sauvé, il y a longtemps, la jeune Kardiatou ; la protège depuis sans qu'elle soupçonne son existence. A la même époque, Joubert enseignait le français à la brillante demoiselle dans un collège de Roubaix. Aujourd'hui, Kardiatou est candidate aux élections municipales à Brévin-les-Monts, terre minière dévastée, face à Agnès Dorgelles, superstar du parti très à la mode et fille-à-papa. On sent qu'un mauvais coup se prépare, réunissant, ultime baroud d'honneur, Berthet, Joubert et Kardiatou.

Nous n'en dirons pas plus quant à l'histoire chorale finement ciselée par Leroy, dont la langue possède une classe folle, à la fois au plus près de son récit et se permettant d'élégantes digressions. Livre après livre, rappelons-nous Bref rapport sur une très fugitive beauté, Un dernier verre en Atlantide ou La Minute prescrite pour l'assaut, il ne cesse de nous parler de la singularité de la France et d'être français. Face à la horde sauvage de la bêtise, Leroy croit encore à la beauté qui sauvera le monde. Il vise juste, et touche plein coeur. La beauté passe par les poèmes de Perros, un déjeuner de soleil et d'amitié au Jeu de quilles, rue Boulard, une chanson de Mort Shuman, un Côte-Rotie de Jean-Michel Stephan ou par l'amour en bord de mer avec une gymnaste ou une nageuse, le soleil pâle du petit matin filtrant par les volets d'une chambre d'hôtel. Nous avons trouvé nos anges gardiens …"

Jérôme Leroy, L'Ange gardien, Gallimard, Série Noire.

samedi 29 novembre 2014

Notre plaisir en littérature - Thomas Morales


Une préface fraternelle de Jerôme Leroy - « Le goût, le temps et la mélancolie » - et des chroniques de Thomas Morales : nous sommes en territoire connu et aimé. Il est vrai que ces deux plumes nous enchantent de leurs mots, chaque ouiquende, sur Causeur. On retrouve d'ailleurs dans Lectures vagabondes des textes de Morales lus ici, semaine après semaine. Délicatement recueillis, ils prennent un nouvel envol, à la grâce toujours efficace.
Leroy, pour ceux qui ne connaîtraient pas Morales, n'ayant ouvert ni Mythologies automobiles ni son Dictionnaire élégant de l'automobile, se charge des présentations : « Thomas est affligé d'un double handicap presque rédhibitoire pour survivre aujourd'hui : il est nostalgique et il aime le style. » Thomas, on le comprend aisément, ne pourrait s'appeler Macron, Morano ou Rebsamen. Il possède d'autres lettres de noblesse, qui font de lui un descendant de Paul Morand – Mon plaisir en littérature - et de La liberté de blâmer de Renaud Matignon. Deux auteurs à l'honneur dans ses articles buissonniers, avec tant d'autres dont on ne se lasse pas de tourner les pages. Qui, aujourd'hui, évoque Creezy de Félicien Marceau, Jacques Perret ou encore Albert Cossery ?
Si Morales est un homme de goût, il est surtout d'une élégance folle. Il joue sur du velours côtelé, se grimant en critique littéraire, dans un immonde qui ne lit plus, pour nous faire passer, en fraude charmante, son idée de la dolce vita à la française. Selon les jours et les livres, il aime la vitesse et la lenteur, les âmes damnées et les cœurs rouge vif, l'ennui et les slows, les charmants petits monstres et les longues jambes des actrices oubliées. Liste non-exhaustive. Il ne néglige ni la poésie, s'y essayant avec talent, ni les dictionnaires chics. On devine que le prix Nobel de littérature attribué à Patrick Modiano a dû le réjouir. Il taquine Jean d'Ormesson, à la manière de Bernard Franck griffant, dans « Grognards et Hussards », Jacques Laurent, Roger Nimier et Antoine Blondin. L'admiration, parfois, ne déteste pas les pieds-de-nez.

D'un écrivain l'autre, Morales esquisse surtout sa géographie intime et universelle, où il cultive l'art de la fugue. Paris-Berry, pour lui, est à la fois un petit bijou signé Frédéric Berthet et la ligne claire de ses flâneries. Ça ne l'empêche pas de voyager en Italie, sur une mélodie de Lilicub. A son retour, une chambre l'attend à l'hôtel de la Plage, à Locquirec. Nous ne serions pas surpris qu'il enlace la jeune Sophie Barjac, tandis que Mort Shuman chanterait « Un été de porcelaine » et que, dans l'air, flotteraient des volutes de Craven A.

Lectures vagabondes, finalement, n'est pas un recueil d'articles. Thomas Morales signe bien plus le roman de « la douceur des choses ». Ce sentiment bizarre, si cher à Paul-Jean Toulet et incompréhensible à beaucoup, que Morales éclaire d'une fulgurance : « Juste partager trois minutes de bonheur, voire plus si affinités. » Mission accomplie, Thomas.
Thomas Morales, Lectures vagabondes, La Thébaïde, 2014
Papier paru sur Causeur.fr, novembre 2014

dimanche 6 juillet 2014

Du rosé et des mots d'été


Cet été, fin de la terre ou sur les rives du Léman, avec miss K., nous boirons des vins rosés aux noms qui enchantent - L'Anglore, La Ritournelle, Le Canon, L'Apostrophe, entre autres. Nous dégusterons aussi d'autres excellents crus, littéraires, dont nous reparlerons, ici ou là, à la fin du mois d'août :

. L'Ange gardien (Gallimard/Série Noire) de Jérôme Leroy;
. Visible la nuit (Fayard) de Franck Maubert;
. Oona & Salinger (Grasset) de Frédéric Beigbeder;
. Gueule de bois (Denoël) d'Olivier Maulin;
. De chez nous (Stock) de Christian Authier;
. La Mémoire de Clara (Le Rocher) de Patrick Besson;
. Et rien d'autre (L'Olivier) de James Salter.

Nous oublions peut-être certains titres. Nous n'oublierons pas, par contre, de vous recommander de rapter les livres qu'il nous a plu d'éditer, chez L'Archipel/Ecriture ou chez Fayard :

. Les fils de rien, les princes, les humiliés (Fayard), roman à vif et mélancolique de Stéphane Guibourgé;
. Usage de faux (Ecriture), où Philippe Cohen-Grillet se joue des faux-semblants, amuse et émeut;
. Ronan et Loïza (Ecriture) d'Eric Tellenne - rencontre improbable dans une Bretagne moyennageuse de Games of Thrones et de la délicatesse française de Rohmer;
. Nous ne vieillirons pas ensemble (Archipoche) de Maurice Pialat, que nous préfaçons;
. Dictionnaire chic de philosophie (Ecriture), récital de fusées, fulgurances et flâneries du crooner balnéaire Frédéric Schiffter, préfacé par Frédéric Beigbeder.

samedi 5 novembre 2011

Le Bloc est ce qui existe de plus beau, de plus poignant, de plus noir, de plus précis et élégant sur les tristes temps où nous vivons


Ma flânerie autour de Gégauff - Une âme damnée - est finie, entre les mains et sous les yeux de Roland Jaccard, l'infâme et délicat RJ qui m'a fait le plaisir d'écrire des lignes touchantes sur sa lecture : http://www.rolandjaccard.com/blog/?p=2562
Ce n'est qu'un combat, continuons le début.
Il est surtout temps de dire, ici, que Le Bloc, le roman de Jérôme Leroy, est ce qui existe de plus beau, de plus poignant, de plus noir, de plus précis et élégant sur les tristes temps où nous vivons.
Jérôme est un ami, comme il en existe si peu. Il aime boire des vins naturels chez Casimir, rue de Belzunce, et parler des socialistes utopiques avec miss K. Il aime aussi la silhouette des jeunes filles et les paysages des îles, les mots de Roger Nimier et Roger Vailland, de Manchette et d'ADG. Le titre du dernier recueil de Patrick Besson, Le hussard rouge, aurait pu être inventé pour lui. Il dit tout sur son style, c'est-à-dire sur son intelligence profonde et légère des choses de la vie, donc de la littérature.
Il y a longtemps, dans une interviouve, Michel Houellebecq indiquait que le roman qu'il aimerait écrire s'intéresserait à l'extrême-droite française de ces trente dernières années. Houellebecq a oublié son envie dans ses exils. Jérôme a écrit ce livre, avec la "grâce efficace" qu'on retrouve dans chacun de ses textes, quels qu'en soit le genre puisque sa langue crée une unité parfaite entre romans, poèmes, flânerie à la Bernard Frank du côté des lunettes noires et nouvelles.
Dans Le Bloc, suite toujours plus désespérée de Bref rapport sur une très fugitive beauté, de Monnaie bleue et de La minute prescrite pour l'assaut, la France a peur, la France morfle.
Des émeutes partent de la périphérie des villes, gagnent le centre. La finance assassine les pauvres et les classes moyennes. Les politiciens collaborent à la mise à sac des émotions. La trouille gargouille au ventre de tous. Les Arabes détestent les Juifs qui détestent les Blancs qui haïssent les Jaunes. Un parti, Le Bloc, est en train de rafler la mise tant espérée : une République en lambeaux et les strapontins du Pouvoir. Deux hommes, frères d'âme et de sang versé, se souviennent, le temps d'une nuit.
Dans un appartement des quartiers chics et tocs de Paris, Antoine attend le retour d'Agnès - sa belle amoureuse, la fille d'un vieux chef nationaliste et la Présidente du Bloc - qui négocie des postes ministériels. Il tire le bilan de sa vie, armé de mélancolie jusqu'aux dents : "Finalement, tu es devenu fasciste à cause d'un sexe de fille." Il a écrit des romans à la hussarde, s'est lassé, n'écrit plus que des notes d'intentions politiques sans y croire. Il boit de la vodka, regarde sur son écran TV le décompte des victimes de la guerre civile en cours. Il zappe sur Masculin/féminin de Godard, caresse le visage lointain de Catherine-Isabelle Duport. Il espère que Stanko, son ami, va s'en sortir.
Dans une chambre d'hôtel miteuse, Stanko attend la mort. Chef du service d'ordre et des coups tordus du Bloc, il n'a plus sa place dans un Parti de gouvernement respectable. Trop d'os brisés, trop d'accidents de voitures. Il vient de la misère des villes ouvrières du Nord, s'en est sorti à coups de poings, c'est impardonnable. Les gros bras qu'il a lui-même formés sont à ses trousses. Stanko n'offrira pas sa peau aux chiens. Stanko se demande pourquoi Antoine a laissé la traque s'organiser.
Le Bloc est une tragédie chorale : les voix d'Antoine et Stanko se répondent ; leurs trajectoires se mêlent. Il est question d'une époque où intellectuels et prolos se retrouvaient pendant leur service militaire, où les beuveries entre camarades se terminaient en chanson et par une évocation du Feu follet de Drieu la Rochelle, où l'amour et l'amitié pouvaient abolir le hasard des destins.
Le Bloc, en effet, est un roman d'amour et d'amitié qui plonge dans 30 ans d'histoire de France, la raconte avec le dandysme du Samouraï de Melville, la rage au coeur. Bien sûr, chacun trouvera des ressemblances entre le Bloc et le FN, entre Agnès et Marine, entre le vieux Dorgelles et un amateur borgne des points de détail. Bien sûr, quelques crétins soulignent déjà que Jérôme connaît "trop bien" son sujet.
"Trop bien" ? Jérôme se balade dans notre cher et vieux pays, celui d'Aragon et de de Gaulle. Il boit des canons dans les bistrots avec les prolos. Il les écoute comme il écoute les bruits de fond derrière les parades médiatiques. Il regarde, désabusé, la fermeture des usines et le racisme ordinaire. Il n'oublie pas les paysages d'avant la fin du monde, les bords de mer et les plaisirs sur le fil du rasoir. Il aime la France, malgré elle et au plus près d'elle, de ses routes, de ses campagnes, de ses villes, de ses clochers, de ses luttes sociales, et même de ses dérapages incontrôlés. Ses personnages viennent de là, de son regard, des bribes de la réalité saisies au vol. Et c'est ainsi qu'il faut lire et relire Le Bloc. Pour savoir où nous en sommes d'un bel aujourd'hui toujours plus laid, pour se souvenir aussi de ce qui nous a rendu heureux, de ce qui nous étreint sans fin : les escapades amoureuses sur les plages bretonnes, les départs décidés à la dernière minute, les villages blanc et bleu des Cyclades, les poèmes de Baudelaire, les longs corps nus sous les draps, la nonchalance et les hameaux paisibles, les touffes foisonnantes et noires comme l'origine du monde, le sexe d'une fille endormie.

Jérôme Leroy, Le Bloc, "Série noire", Gallimard, 2011