vendredi 6 février 2015

Des coeurs à prendre - Arnaud Guillon/ Tableau de chasse


Arnaud Guillon nous manquait. Depuis 2007 et Hit-Parade, six nouvelles que rythmaient des mélodies de Françoise Hardy, Stevie Wonder ou Michel Delpech : rien. On se replongeait pour patienter dans Ecume Palace (prix Roger Nimier 2000) et 15 août, délicats romans du temps suspendu. Guillon est un orfèvre du soufre au cœur, un écrivain de charme. Il esquisse comme personne des paysages oubliés, des sentiments en fuite ; il sait se jouer des silences et des mots d'amour triste.

Dans Tableau de chasse, on retrouve, intact, son art du plaisir, des petits luxes et de la mélancolie. Manon et Vincent, jeune couple, ont du plomb dans les ailes. Elle s'ennuie ; lui travaille trop. Un ouiquende en Normandie, chez les parents de Vincent, leur sera fatal. Il y a le soleil, qui caressent les peaux, des baignades, des parties de tennis et des bulles, de la maison Pol Roger, en terrasse. Il y a surtout l'arrivée d'Eric, ami de la famille. Eric a la cinquantaine élégante. Sa femme et sa fille sont restées à New York. Il roule en Alfa Romeo Coupé Bertone, navigue sur un vieux 470. Eric a tout pour plaire à Manon : « Même si elle était curieuse de l'avenir, elle trouvait romanesque l'idée d'arrêter le temps et de disparaître en pleine jeunesse, un jour d'été, au côté d'un homme dont elle tombait amoureuse. »

Lisant Tableau de chasse, on pense aux films de Sautet scénarisés par Jean-Loup Dabadie. Guillon possède la même légèreté profonde, où rôdent les drames intimes : « Où étaient-ils, tous ces gens qu'on avait croisés, aimés, consolés, écoutés ou admirés, avant de perdre leur trace ? » Les Choses de la vie sont citées ; Vincent, François, Paul et les autres également. Ne pas omettre César et Rosalie. Eric est tantôt Sami Frey tantôt Yves Montand. Manon, en robe blanche révélant ses longues jambes bronzées, a la grâce folle de Romy Schneider. Elle sourit, s'allonge sur la plage, s'offre à son amant face à un miroir, se met en colère, invente des mensonges. Il n'est pas certain, bien sûr, que tout ceci finisse bien. On ne badine pas, en bord de mer ou dans les rues de Paris, avec la passion.


Arnaud Guillon, Tableau de chasse, éditions Héloïse d'Ormesson
Papier paru dans Service littéraire, février 2015

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