mercredi 18 décembre 2013
Des affranchis électriques - le prix de la page 112
En 2012, pour sa première édition, le « prix de la page 112 », clin d’œil à Woody Allen, avait été remis à Jean-Marc Parisis. Jean-Marc, comme souvent, cachait sa joie. Peut-être n’appréciait-il pas les atours berlinois du restaurant Les Nautes, alors en travaux ? L’auteur de La Mort de Jean-Marc Roberts aurait préféré les lieux cette année. Les Nautes, classieux vaisseau posé sur les bords de Seine, ont fait peau neuve. Les vieux canapés, les câbles dénudés et les voûtes décadentes ont laissé place à une décoration plus classique. Presque trop, malgré le charme des boiseries ciselées. L’époque est « lounge », ou n’est pas. Un peu d’électricité dans l’air ne serait pas de refus. Claire Debru, éditrice de talent et présidente du jury, confie justement que les délibération ont été houleuses. Portes claquées et langue à l’assaut : la littérature est un sport de combat. Roland Jaccard, en exil chez Yushi, nous a manqué. Aymeric Caron, juré succédant à Éric Naulleau, est resté. Le nom du lauréat 2013 enfin révélé, on devine la source des tensions. Une seule voix a départagé Thomas B. Reverdy, vainqueur avec Les évaporés, et Une année qui commence bien de Dominique Noguez. Entre les deux auteurs Flammarion, le match fut serré. Recevant, en guise de trophée, un encadrement de la page 112 de son roman, ainsi qu’une invitation à un dîner romantique, Reverdy a souhaité partager son prix avec Noguez. Ce qui est fair-play, mais ne console guère. Sur le visage de Dominique : une certaine tristesse. Son beau récit autobiographique méritait mieux qu’un accessit. Il est reparti, avec l’élégance qui pare chacun de ses mots : « Quel est le plus terrible ? Regretter ce qu’on a jamais eu, ou regretter ce qu’on a eu et qu’on ne peut plus avoir ? » La soirée pouvait alors s’improviser partie de plaisir. Les vins naturels de qualité, servis par Andréa et Nicolas, ont délié les langues. Il est exquis, en contemplant le fleuve, d’évoquer Pierre de Régnier et la poésie de Jérôme Leroy, Les Chérubins électriques de Guillaume Serp et la grâce des volutes clandestines. Le snobisme, autre nom du goût, a de belles nuits devant lui. Avant l’extinction des lumières tamisées, le romancier Stéphane Guibourgé, accompagné de son jeune chien Irish, a fait une apparition remarquée. Le temps d’assister, l’oeil étonné, à une singulière querelle d’amoureux. Quelques gifles furent échangées. Des larmes ont coulé. Quai des Célestins, à l’heure de la fugue finale, tout est rentré dans l’ordre. Nous voulions de l’électricité dans l’air. Nos espérances ont été comblées.
texte paru dans Le Figaro, le 4 décembre 2013
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