On se souvient d’une expression :
« C’est que du bonheur ! » C’était le
début du siècle. Elle sortait de la bouche d’une bimbo blonde
enfermée, sous l’œil de Big Brother et de millions de fans,
dans une maison en carton-pâte. Elle se croyait heureuse ; elle
ne l’était pas. Elle est aujourd’hui perdue, entre tentatives de
suicide et hôpitaux psychiatriques. Sa fausse joie initiale est
toutefois sur toutes les lèvres. Il suffit que l’équipe de France
de football gagne un match ; qu’un président normal ou
bling-bling soit élu ; qu’un fils-à-papa humoriste se
retrouve en tête des ventes pour un livre au style boursouflé. La
sentence, chez les amputés de toute sensibilité, est toujours
identique : « C’est que du bonheur ! »
Le bonheur, pourtant, n’est plus une idée neuve en France. Il
s’agit de tendre l’oreille. Du côté des usines Goodyear ou Mory
Ducros, comme dans les rangs serrés de Bretons portant un bonnet
rouge, les cris sont de colère. En écho, une mélodie : "Fuir
le bonheur de peur qu'il ne se sauve/ Que le ciel azuré ne vire au
mauve/ Penser ou passer à autre chose/ Vaudrait mieux". On
touche, là, au cœur de la vérité. Le bonheur ne ressemble en rien
au concept marketing pour moine bouddhiste que des animateurs télé
cherchent à nous vendre. Le bonheur, dont les Français se moquent,
est une incitation à la fugue sur le fil du temps qui passe mal :
une quête sans fin du plaisir, la blue note des émotions. La
France, en effet, est le pays de la douceur des choses, du spleen et
des éclats d’âme. Un singulier coquetèle, « horreur de
la vie et extase de la vie » intimement mêlées, qui offre
des sourires et des sanglots longs. Pour achever de se convaincre de
l’inutilité du bonheur, flânons entre les lignes de quelques
textes qui nous sont chers. Paul-Jean Toulet esquisse la silhouette
de Nane, une « fille de joie » dont la légèreté cache
les larmes. Nimier nous parle des Enfants tristes. Françoise
Sagan, surtout, nous murmure, avec grâce : Bonjour
tristesse. Sagan : « charmant petit monstre »
et étoile des lettres, morte ruinée et oubliée. « C’est
que du bonheur ? » Il est l’heure de relire Sagan.
Pour notre plaisir, ce que nous avons de plus précieux.
texte paru dans Le Point, le 5 décembre 2013
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