vendredi 11 avril 2008

Le monde blessé d’Alain Bashung

Depuis le début des années 80, Alain Bashung nous accompagne de sa voix grave et envoûtante. Portant lunettes noires et cigarette entre les doigts, il a chanté Gaby, Joséphine et les « Vertiges de l’amour ». Il nous a révélé les rêves de Madame, a offert des mots tendres et pudiques à Marie-José Pérec. Il s’est confessé sur l’épaule de nos nuits blanches : « La nuit je mens /Je prends des trains à travers la plaine / La nuit je mens /Je m'en lave les mains / J'ai dans les bottes des montagnes de questions / Où subsiste encore ton écho ».
Album après album, Alain Bashung apparaît tel un bandit « classieux » des chemins de la chanson française. D’une langue exigeante, il crochète les serrures de notre drôle de temps. Des complices nommés Gainsbourg, Boris Bergman, Miossec ou Jean Fauque ont apporté leur concours à la réalisation de ces casses poétiques.
Sur Bleu pétrole, Bashung a changé d’équipe. Son constat : « L'époque me semble suffisamment confuse pour ne pas rajouter de brume, surtout que j'en ai déjà beaucoup d'avance. Il me paraissait urgent d'être vite compris. » Afin d’atteindre cette immédiateté dans l’écoute, il s’est tourné vers Gaétan Roussel, âme pensante du groupe Louise Attaque. Dès les premiers titres, Je t’ai manqué et Résident de la République, la réalisation et les compositions de Roussel renouent avec l’urgence folk-rock qui caractérisait le premier album de Louise Attaque, tout en intégrant le clair-obscur angoissant de l’univers de Bashung. Les paroles s’insèrent ainsi dans les vides d’un aujourd’hui mal en point, où les êtres sont réduits à l’état de particules élémentaires sous vide : « Un jour je te parlerai moins / Peut-être le jour où tu ne me parleras plus / Un jour je voguerai moins / Peut-être le jour où la terre s’entrouvrira ».
Alors que Bashung chante « Des tristesses surannées / Des malheurs qu’on oublie / Des ongles un peu noircis », certains ont cru voir dans Bleu pétrole un album « militant ». C’est confondre un regard acéré sur notre monde blessé et les puériles leçons de morale de Cali. Loin de tout « engagement » inoffensif, Bashung nous raconte des histoires belles et tristes qu’il a confiées, pour les plus somptueuses, à la plume de Gérard Manset. D’un retour au mythe de Venus à la reprise de Il voyage en solitaire, en passant par Comme un lego et le très noir et décadent Je tuerai la pianiste, le résultat impressionne par la tranchante lucidité qui s’en dégage.
Chez Bashung, le roi est nu et nos villes, peuplées de silhouettes fantomatiques : « C’est un grand terrain de nulle part / Avec de belles poignées d’argent / La lunette d’un microscope / On regarde, on regarde, on regarde dedans / On voit de toutes petites choses qui luisent / Ce sont des gens dans des chemises / Comme durant ces siècles de la longue nuit / Dans le silence ou dans le bruit. »
Alain Bashung, Bleu pétrole, Barclay
Papier paru in L'Opinion indépendante, le 11/04/2008

3 commentaires:

Marignac a dit…

Seule particularité : élégance.

Anonyme a dit…

Manset aussi est élégant, et comme Bashung, ils choisissent bien leurs mots,des hommes sensibles tout en étant virils : toujours les femmes apprécient …

Anonyme a dit…

Attend les hommes aussi ! Gloire éternelle aux poètes de l'amour sans nom…et sans fric !